Dépôt au SNAC n° 3-5077 du 10/10/2003

Dépôt à la SGDL n° 2004.10.0053 du 06/01/2004

 

YOVO, YOVO, BONSOIR……

de

Verna Christophe

verna@free.fr

 http://yovoyovo.free.fr/

                                                                      

_Premier chapitre_

 

Automne 1978, les surplus américains se vendaient plutôt mal sur les marchés du Périgord près de Bergerac, faire le caniche derrière les placiers et les arroser pour mendier une place merdique commençait à me raser au plus haut point.

Ces deux facteurs, ainsi que l'hiver pointant le bout de son nez gelé m'ont fait prêter une oreille attentive aux propos de mon copain Doudou qui avait ramé tout l’été pour vendre ses « véritables » souvenirs africains.

Il repart bientôt au Sénégal par la route, en passant par la Mauritanie dans une 404 Peugeot d'une dizaine d'années ; achetée 1000 francs Français, il la revendra, une fois arrivé, entre 600.000 et 700.000.francs C.F.A*, soit 12.000 à 14.000 FF après 10 à 15 jours de voyage.

Dans ma tête le calcul est vite fait, je me dis que ça rapporterait plus que les marchés, avec l'avantage de voir du pays, d'être au chaud et de ne plus supporter les gueules d'empeignes citées plus haut.      

Il garde mon ban pendant que je vais acheter une carte de l'Afrique du nord-ouest ; l'ayant dépliée, je lui demande de me situer la route par où passer, je me rends compte qu’il ne sait pas lire une carte.

Cette lacune palliée par une excellente mémoire, je me fais expliquer le chemin, les noms des villes traversées, où traverser la Méditerranée, enfin, tous les renseignements que je peux lui soutirer, j'apprends ainsi que les voitures les plus cotées sont des Peugeot 404 plateau ou familiales à essence et carburateurs, ces modèles rustiques et solides permettant de faire des taxis-brousse (premier mot africain appris en ce frileux matin d'automne).

Dans le quart d’heure suivant, c'est décidé, nous convenons qu'une fois mon matériel de marché vendu, je me pointerai le voir à Saint-Louis du Sénégal avec un véhicule automobile sorti des chaînes de la maison Peugeot, lui, se chargeant de me le vendre moyennant une commission.

Sur ce marché, un type sympa vendait un peu de tout, je lui propose d'acheter mon stock, il passe l'après-midi même le voir et me fait une proposition d’autant plus honnête qu’il paie tout en liquide!

Je demande à une amie dont le frère est garagistes’il peut me trouver une 404 entre 1000 et 2000 francs en très bon état car la traversée de  la Mauritanie comporte une bonne partie de désert.

Le lendemain, elle me dit que j'ai de la chance, il est disposé à me vendre sa propre 404 familiale  3000 FF, c'est cher, mais le type me certifie qu'il s'en sert tous les jours et qu'elle fonctionne parfaitement, je la prends, même si c'est le double de ce que je comptais mettre.

Préparer les quelques outils dont je disposais, glaner cinq fûts vides de trente litres chacun ; embarquer des affaires dans la voiture, celles que je laisse hors de portée des visites nocturnes, (car j'habite une petite maison isolée), ne me prit qu’une journée.

Salut aux amis, dont l’un me demande d’aller saluer son frère à Abidjan, je prends l'adresse pour lui faire plaisir tout en me disant que j'en serais éloigné au bas mot de 1500 kilomètres, puis, par un bel après-midi, je fais monter mon chien Athos (gros bâtard de griffon au poil noir et dru de 35 kilos tout sec) dans la voiture, direction le Sénégal.                            

Aux environs de St-Jean-de-Luz, dans un  virage, le voyant d'huile s'allume, pourtant je suis sûr d'en avoir fait le niveau avant de partir ! Après m'être arrêté, je tire la jauge, il manque pratiquement un litre d'huile après seulement 200 bornes, cet enfoiré de garagiste m'a refilé une belle voiture avec le moteur lavé! Que je sois l'ami de sa sœur et l'aie achetée pour partir en Afrique sans en marchander le prix ne l’a pas gêné, quel chien !!!

De toutes façons, c'est parti, je continue en me disant que le budget huile qui n'était pas prévu au programme ne va pas m'arranger.

Dans un supermarché j'achète 5 litres d'huile la plus épaisse possible, quelques boîtes de pâté, du saucisson ; pour casser la croûte, la charcutaille c'est ce qu'il y a de mieux, et dans les pays musulmans je pense avoir du mal à en trouver.

En bas de l’Espagne, traversée de la Méditerranée par Algeciras-Ceuta; cette dernière ville étant une enclave Espagnole en territoire Marocain, l'essence et l'alcool y sont détaxés, je fais le plein de mes bidons d'essence, d'huile moteur et prends une bouteille de whisky.

A la sortie de la ville, passage de la frontière espagnole fluide, celle du Maroc par contre est encombrée de voitures surchargées, notamment de gros électroménager, je vais à pied chercher une fiche sur laquelle on doit noter le numéro de passeport, de voiture etc......  

Je retourne à mon auto, remplis le formulaire tout en avançant petit à petit ; arrivé devant le poste, j’apporte cette fiche et mes papiers, le policier appose un tampon figurant une voiture sur une page prise au hasard de mon passeport, cette pratique est courante dans beaucoup de pays africains, avec une prédilection pour les dernières pages dans les pays arabes. Le tampon avec la petite voiture m'obligera à sortir du territoire avec mon véhicule.

Les douaniers ne fouillent pas l’auto, me demandent ce que j'ai dans mes bidons, que je passe avec 150 litres d'essence sur la galerie ne pose pas de problème, me  voilà au Maroc!

Aussitôt, je prends la route direction le Sénégal ; Rabat, Casablanca, il y a des barrages de police régulièrement espacés avec herses commacks. !.

Le long de la côte, les pêcheurs lèvent à bout de bras de magnifiques poissons pour les vendre, apparemment, ce sont des dorades et bars. Les chèvres montent dans les arbres, jusqu’au bout des plus petites branches pour en manger les feuilles.

Après Agadir, la route devient moins large, un camion à ridelles bourré de types en goguette et roulant à tombeau ouvert déboule au milieu d'un haut de côte, je suis obligé de me balancer  sur le bas-côté pour ne pas le prendre en pleine tronche!

Des gens font du stop, je finis par prendre un jeune garçon en pleine pampa, nous faisons une cinquantaine de bornes, il me dit habiter une petite oasis et me demande de le déposer chez lui, il m'invite à manger, la journée finissant, je me dis que ce n'est pas une mauvaise idée.

L'oasis en question n'est pas exactement à côté de la route, le chemin qui y conduit n'est pas des meilleurs, mais pour la voiture c'est une petite mise en train.

Après 2 où 3  kilomètres d’une voie poussiéreuse, nous arrivons dans un paradis de verdure et de palmiers parfaitement irrigué par de petits canaux entrecroisés, le gamin me présente ses trois grands frères et cousins qui, après avoir un peu tourné autour du pot, me demandent si j’ai de l'alcool, je sors ma bouteille de whisky et nous prenons l'apéro sous les dattiers, puis il veulent absolument m'amener voir un vieux berger qui a de vieux bijoux à vendre, j'ai beau leur dire que je n'en ai pas besoin, devant leur insistance, je les accompagne en râlant un peu.

Nous marchons un ou deux kilomètres dans la campagne aride, et arrivons à une petite cabane très basse, dans un enclos de branches d’épineux où se trouve un troupeau de chèvres et moutons, sans franchir la barrière, mes guides tapent dans leurs mains pour appeler le maître de céans.

Apparaît un vieux bonhomme en burnous, canne à la main, il nous invite à entrer dans sa cahute, on s'assoit sur des tapis, il y a un petit poêle en terre à charbon de bois sur lequel il nous prépare un excellent thé à la menthe tout en posant des tas de questions par le truchement des amis ; quand il demande combien j'ai mis de temps pour venir de France, je lui réponds trois jours, il dit quelques mots comme se parlant à lui-même, je demande la traduction, il m'est répondu qu'il pensait que la France était beaucoup plus loin, l'interprète me disant au passage que le "vieux" calcule en jours de marche à chameau, je ne dis rien, tout en pensant que l'un d’eux me prend pour un gland.

Le soir tombe tandis que nous discutons en buvant le thé, mes hôtes commencent à s'impatienter, ils disent quelques mots au bonhomme, il sort d’un petit sac quelques bracelets, colliers, bagues, apparemment anciens ; bien que pas très chaud, j'entame la discussion pour lui faire plaisir tout en disant que nous ne pourrons que troquer car la route est encore longue et que j'ai besoin de tout mon argent liquide, cela lui convient, je choisis quelques pièces que je trouve sympas et qui s'avèreront plus tard être anciennes et en argent massif.

 Nous repartons vers l'oasis, arrivés à la voiture, nouvelles palabres, il choisit parmi mes vêtements ce qui lui va et lui plaît : une paire de chaussures, un ou deux tricots, une veste, deux où trois chemises et le vieux berger est content, je pense que tout s'est bien passé, il n'a pas été gourmand, moi pas chien ; Nous nous serrons la main pour sceller le marché, je donne une chemise à chacun de mes hôtes car ils en ont visiblement envie, puis nous allons tous dans une grande salle au sol couvert d’épais tapis, nous nous asseyons par terre, on nous amène un grand plat d'un très bon couscous.

L'ayant goûté, je demande quelle est la viande succulente qui l’accompagne, c'est du jeune chameau.

Après ces agapes, le pasteur retourne à son enclos après m'avoir longuement souhaité un bon voyage ; vraiment gentil le petit père !

Dès qu’il est parti, la bouteille de whisky refait surface, nous nous remettons à la faire souffrir ; après lui avoir fait un définitif mauvais sort, les amis m’invitent à dormir, ils sortent des couvertures en poils de chameaux, raides et rugueuses, mais très chaudes.

Tout le monde se couche sur des bas-flancs-sièges faisant le tour de la pièce, deux minutes après, je dors comme un loir.

Le lendemain matin, réveil à l'aube, j'ai la tronche un peu enfarinée et la lumière est dure à supporter, mais, une fois la porte ouverte, la fraîcheur matinale, le chuchotement de l’eau circulant dans les petits canaux d'irrigation ainsi que les piaillements de milliers d'oiseaux ont tôt fait de me dépoisser la menteuse.

Nous nous promenons un peu dans l’oasis, puis on m'invite à partager le petit déjeuner.

Nous retournons à la salle commune, plions les couvertures que nous remisons dans les bas flancs dont le dessus sert de couvercle ; pendant ce temps, quelqu'un charge la table basse de notre petit déjeuner, c'est du sérieux ! Thé, dattes, miel, pain trempé dans une huile d'olive très forte et très verte (tous ces produits cultivés et transformés sur place), les amis se font un vrai festin, pour ma part, ça a du mal à passer, alternant l’huile d’olive et le miel avec le thé, j'arrive tout de même à me sustenter suffisamment pour pouvoir envisager de poursuivre mon voyage.

Au moment de partir, la voiture se fait tirer l'oreille pour démarrer, les bougies doivent commencer à être encrassées ; l’un de mes hôtes me dit de ne pas insister, me demande un tournevis, défait la durit d'air du carburateur, dit de faire tourner le démarreur tout en bouchant l'arrivée d'air avec sa main, après quelques tours, il l'enlève d'un seul coup, le moteur démarre comme un grand ! Je remercie et salue tout le monde.

La route est de moins en moins empruntée, je reste souvent sans croiser une voiture durant des dizaines de kilomètres, je m'arrête dans les petits villages pour manger des plats sentant bon le coriandre, essentiellement des ragoûts de mouton aux lentilles ou haricots ; Le matin, du café au lait avec des petits pains ressemblant à nos pains au lait et la route continue à défiler; voulant faire de l’essence, impossible d'ouvrir les fûts, le carburant a apparemment soudé les robinets de plastique rapportés sur le métal du bidon ; armé d'un fort couteau et d'une godasse, je pratique une ouverture dans le haut d'un tonneau en faisant une prière pour qu'il n'y ait pas d'étincelle ; l'opération se passe bien, en siphonnant, je régale mon réservoir .

Les barrages se font de plus en plus fréquents, toujours avec des herses repliables armées de pics acérés en travers de la route. A Goulimine, je me retrouve dans une ville en pleine effervescence : automitrailleuses, chars, camions bourrés de soldats visiblement sur le pied de guerre, des véhicules blindés explosés, rapatriés sur le côté de la route ; je ne m'attarde pas, à la sortie de la ville, re-barrage, mais là, gros problème, les bidasses ne veulent pas me laisser passer, les africains se rendant dans leur pays le peuvent à condition d'être en convois, et encadrés de véhicules blindés ; en France, j'avais bien entendu parler de divergences de point de vue avec le front Polisario, sur le terrain c'est autre chose!

Je demande quand part le prochain convoi, il m'est répondu que de toutes façons les Européens n'ont pas le droit de passer ; cela me paraissant extravagant, je demande à parler au chef de poste qui me confirme l’information ; j'ai beau insister, je me rends compte que les ordres viennent de beaucoup plus haut, les types obéissent aux consignes, et vu le contexte de tension dans le coin, une dérogation ne peut pas venir du chef de poste ; je reviens en ville, vais au quartier général, demande à parler au big chef, il est occupé, mais à son secrétariat on me dit que les ordres viennent directement de Rabat, et que l'autorisation ne peut être obtenue que là ; j'insiste,  faisant comprendre que c'est un aller-retour de 1500 kilomètres, le type est désolé, mais visiblement, ce sauf-conduit ne peut être délivré qu'à la capitale ; le moral à zéro, je reprends la route dans l'autre sens.

Rabat, je commence les démarches pour me procurer le précieux document dans des bureaux qui me renvoient de l'un à l'autre.

Je me pointe au consulat de France  pour être éclairé de ce qu'il en est exactement de la situation puisque je ne peux obtenir aucun renseignement de la part des bureaucrates marocains.

Si vous n'aviez besoin de rien, il fallait aller directement au consulat de France vous étiez vite servis (je ne sais pas si cela a changé) ; pas la peine d'y aller, vous dérangiez ces messieurs-dames qui ne connaissent rien de ce cas de figure et n'ont absolument pas l'intention de s'en inquiéter.

Toutes ces démarches me prennent plus d’une semaine, je dors dans la voiture près d’une plage qui, dès 17 heures est complètement déserte ; je me fais des copains, des jeunes Marocains, puis un Français d'une cinquantaine d'années qui vient le matin s'y entraîner au lancer de boomerang, la solitude se fait moins sentir ; chaque jour à la fraîche, (car au fil du temps, l'air se fait de plus en plus froid le soir et le matin) il m’initie à son hobby.

Ma réserve de papier-cul est finie, dans les cafés, les chiottes sont souvent très sales, ce sont des waters à la turque, à portée de main lorsqu’on est accroupi, il y a un robinet prolongé d’un tuyau dont l’usage est évident, il sert à se laver le cul. Je me dis que les gens du coin pratiquent de cette manière depuis des temps immémoriaux et n’ont pas l’air de s’en porter plus mal, il faut s’y mettre ! Comme dit l’autre, c’est le premier coup qui compte, c’est un peu dur, mais quand c’est fini, je trouve que ce système est bien plus efficace que le pécul, on a le derrière parfaitement propre.

Le midi, les bureaux étant fermés, je me promène sur les bords de mer, voyant des pêcheurs sur une jetée, je sors mon matériel de pêche et essaie sans résultat de prendre quelque bestiole dotée de nageoires ; cet exercice me permet de me faire un autre copain, un vieux Français, pêcheur acharné, il est là tous les jours, mais lui, il sort régulièrement d'assez belles pièces,  appâtant avec ce qu'il appelle des « patates » ; je ne sais si cette chose à peu près ronde et abominablement puante quand on l'ouvre est d'origine animale ou végétale, en tout cas morte, grosse comme un poing d'homme, échouée sur la plage et faisandant depuis longtemps au soleil ; quand nous les ouvrons, il en sort un peu de matière solide au milieu d'un jus nauséabond ; accroché à l'hameçon, cela constitue le secret d’un appât de premier ordre qui lui permet de faire ses pêches admirables.

Tous les jours, nous nous retrouvons sur la jetée, peu de temps après, il m'invite à manger chez lui, il est marié à une Marocaine d'une quarantaine d'années (lui la soixante dizaine), très gentille, nous mangeons un excellent ragoût de mouton accompagné de vin rouge Marocain le « Chaud Soleil » que j'avais acheté dans une épicerie à côté de chez eux. Le vin, bien que vendu avec autorisation, n’est délivré par le marchand qu'avec réticence, entouré d’un sac de papier.

Sûrement après en avoir délibéré avec sa femme, il m’invite à dormir, j’accepte.

Les jours passant, il devient évident que je n'aurai jamais l'autorisation de passer par la Mauritanie ; avisant ma carte, je trouve deux routes possibles pour le Sénégal, l’une passe par l’Algérie et le Sahara, il faut traverser le Tanezrouft « Pays de la soif », puis Gao, au Mali ; l’autre, beaucoup plus longue, passe par Tamanrasset, puis le Niger, j’opte pour Gao, après, on verra…….

J'écris à ma mère pour lui taper 1500 Francs, qu’elle m’envoie en urgence, quelques jours plus tard, je reçois son mandat ; le seul problème est que l'on me le paie en dirhams, pour voyager en Algérie, on ne peut pas dire que ce soit ce qu'il y a de mieux !

Mon copain au boomerang se propose de demander autour de lui afin de les changer, mais, parlant de mon affaire à mes potes marocains, ils me disent que dans le souk il y a des marchands qui sont payés en francs français dont ils voudraient bien se débarrasser ; nous nous y rendons illico, dix minutes plus tard, je me retrouve avec la somme équivalente à celle envoyée par ma mère, « tête-à-tête » comme ils disent, c'est à dire dix dirhams pour dix francs , zéro % de perte au change, c’est raisonnable.

Je repasse au consulat français pour demander les vaccins obligatoires pour entrer en Algérie, une espèce de grosse vache me répond avec un accent pied-noir à couper au couteau « j'en sais rien moi ! Je ne suis pas le gouvernement algérien », après lui avoir dit ma façon de penser (grossièrement, je le crains) je m'en vais en claquant la porte.

Le lendemain matin, je vais à la plage dire au revoir à mon ami au boomerang.

Puis je retourne chez mon copain pêcheur charger mes bagages, les jeunes marocains sont là pour me dire au revoir.

Il me revient que lorsque je dormais encore dans la voiture, un soir, l'un d'eux, bien que de famille pauvre m'avait porté un bol de bonne soupe de légumes bien chaude, il habitait à côté de la plage où je garais ma voiture pour dormir, mais il lui fallut bien faire cinq cents mètres à pied pour venir.

Je promets d’écrire pour leur donner de mes nouvelles, mon hôte et sa femme sont inquiets de me voir partir pour l’Algérie.

En les voyant disparaître dans le rétroviseur, j'en ai gros sur la patate!

Pas de problème particulier sur la route, ni à la sortie du territoire Marocain, par contre, la douane Algérienne, pardon ! Ambiance super sèche !!

Déclaration de devises, fouille en règle du véhicule, à côté de la bonhomie de la douane marocaine, rien à voir !

Après les contrôles, je me retrouve muni d'un carnet de devises énumérant non seulement les espèces, mais tout ce qui peut se vendre ou s'échanger, atmosphère de suspicion déprimante.

Enfin  passé, je taille la route par Tlemcen, il y fait un froid de canard ; les gens sont sympas, dans de petits restaurants au long du trajet, on me demande régulièrement si j'ai quelque chose à vendre ; apparemment il leur manque de tout et je commence à comprendre l’intérêt du carnet de devises, je regrette un peu ma bouteille de whisky, pas d’alcool ni de vin dans les épiceries, la bouteille d'anisette ou de whisky s'achète minimum 300 dinars au black, le litre d'essence est à 0,65 dinars, ce qui fait qu'une bouteille de whisky achetée 12 francs en zone dédouanée (65 francs en France) permet, après une vente rapide et facile, d'acheter près de 500 litres d'essence !

Après Tlemcen, El Aricha, Aïn-Sefra, Beni-Ounif, Béchar, Taghit, à contrario du Maroc, aucun barrage sur les routes, Beni-Abbès, le paysage est de plus en plus désertique.

A Kerzaz je discute avec le fils du patron d'un petit restaurant, il veut tout acheter et tout vendre ; n’ayant plus de bidons (j’ai dû tous les éventrer pour en sortir l’essence), je lui dis que je dois traverser le Sahara et qu'il me faut un gros baril pour quintupler mon autonomie de carburant, il a çà en stock. Après avoir mangé, il m'emmène dans une remise où se trouve l'objet, c'est exactement ce qu'il me faut bien qu’à l’horizontale il contienne moins de 200 litres, nous faisons affaire, avec le plein du réservoir avant de partir, ça devrait suffire pour traverser le Sahara!

Depuis Beni-Abbès, entre les villes, plus de maisons, la route est par moment encadrée de dunes dont certaines très hautes, menaçant de submerger la route, des bandes de sable traversent la chaussée ; heureusement que je ne roule pas trop vite quand je passe sur le premier de ces bancs car le sable sur le goudron est presque aussi dur que ce dernier.

La réverbération du soleil très cru dans le ciel sans nuages, la chaleur, les routes tirées au cordeau sur des dizaines de kilomètres portent à faire la sieste en conduisant ; j’ai tendance à avoir des pertes d’attention de plus en plus longues et répétées ; je trouve une combine qui me sauvera plusieurs fois la mise aussi bien en Afrique qu'en France : Ayant remarqué que quand on somnole le bras se relâche, la main tenant le volant descend et l’entraîne de côté, carton immédiat ! Mais si l'on tient le volant d’une main par le bas, cela permet de relâcher son attention  plusieurs secondes, la voiture continue tout droit ; les chaussées rectilignes étant plus courantes que les virages, ça fait la différence.

 Cela dit, quand j'aurai fait plusieurs fois la route, dès que je me sentirai l’œil vague, je m'arrêterai, les kilomètres que l'on gagne en souffrant à rester en éveil peuvent être faits plus tard, décontracté, après une sieste.

Siestes que je pris l'habitude dès le début de faire pas trop loin de la route, portières verrouillées, vitres entrouvertes, la première engagée, starter tiré, clé sur le contact, ce qui permet un démarrage foudroyant au simple coup de démarreur en cas de problème (précaution qui, heureusement, ne me servit jamais).

Roupillant à moitié, je crois avoir cassé la voiture : un fossé  coupe le goudron à angle droit! Heureusement, je roulais assez vite, je pense que sinon le train avant y restait!

Adrar, dernier poste de ravitaillement, je parcours les rues sablonneuses, les maisons ne comportent qu'un étage avec terrasse, peu de fenêtres, des sortes d'arcades sous les bâtiments protégeant les entrées des maisons ou magasins du soleil, il faut dire qu'à Adrar celui-ci cogne dur !  

Les voitures ont les phares sont enduits de graisse, c’est une protection obligatoire, sinon, ils deviendraient opaques, dépolis par les vents de sable qui sont également responsables des bas de caisses dont le métal est souvent à nu et brillant.

Dans une rue, je vois un type s’arrêter, s’asseoir sur les talons, genoux écartés, visiblement, il se met à pisser ; je reverrais souvent le système se répéter, une fois l’affaire terminée, en général, ils prennent une poignée de sable et se sèchent vigoureusement le pommeau avec.

Je cherche un magasin de bouffe, tous sont de petites échoppes, un panneau précisant la spécialité de la boutique ; écrit en arabe, ils ne me renseignent pas beaucoup !

Un passant m'indique une boutique vendant un peu de tout,  mais question ravitaillement, à part les boîtes de sardines et légumes, il n'y a pas grand-chose, j'en prends quelques-unes, puis cherche où casser la croûte et me renseigner sur les autres possibilités d’approvisionnement. Je trouve un restaurant où je mange l'habituelle soupe épicée et un ragoût de mouton ; les clients partis, je m’informe auprès du patron devant un café ; petit homme maigre, intelligent et sympathique, il se nomme Ramdann, me confirme qu’à part les achats déjà effectués, je ne trouverai pratiquement rien d’autre à embarquer pour manger le long de la piste vers Gao.

Le lendemain matin, je croise un groupe de cinq Belges dans trois 404, ils font le voyage moitié pour le plaisir, moitié pour  le business, l’un d’eux, Philippe, en ayant déjà vendu deux au Mali, en a récemment fait son métier.

Il me propose de faire le descente avec eux, ils ont assez de provisions pour une bouche supplémentaire ; ça les arrange, car il faut former un convoi pour avoir l'autorisation de traverser le Sahara, et quatre voitures c'est le minimum ; je ne me fais pas prier, tout le monde y gagne, car sinon, on peut attendre plusieurs jours le nombre de voitures requises.

Je leur dis que j'ai déjà une provision de boîtes de légumes et sardines à partager, ils tordent le nez ; Philippe me demande d'acheter des tomates séchées, (à cuire avec les nouilles, çà revient très bien), des légumes frais et du pain. Je me rends au marché acheter de quoi améliorer la croque.

Le soir, on se retrouve chez Ramdann, Philippe m'explique les grandes lignes de la traversée, le repas terminé, nous nous écartons du centre et dormons dans nos voitures.

Le lendemain matin, nous nous retrouvons au petit déjeuner chez mon restaurateur préféré où nous nous approvisionnons en eau ; après lui avoir dit au revoir, nous allons faire les pleins d'essence.

Arrivé à la station, je choisis la pompe à gros débit, c'est un pistolet à essence trois fois plus gros que d'ordinaire, le pompiste me dit en rigolant de bien tenir l'appareil ; faisant attention, j'appuie sur la gâchette, heureusement qu'il m'avait prévenu ! Un énorme  jet sort de l'instrument, provoquant un important recul, c'est impressionnant de voir l'essence sortir à une telle vitesse ; en deux coups de cuillère à pot, mon fut est plein, je m'aperçois alors que ça coule gaillardement dans la voiture : aux nervures du baril, j'ai une grosse et une petite fuite, qui plus est, opposées l’une à l’autre!Je vais en vitesse régler le gars de la station et pars presto aveugler les entailles ; en frottant avec du savon j'arrive à colmater la petite, pour la grosse, c'est un autre problème : Je tourne le tonneau fuite vers le haut, puis, insérant en force de petits bouts de bois biseautés, j'obstrue  du mieux que je peux la grosse fente, le bois gonflant en s'imbibant d’essence, il y a du mieux, après avoir arasé la réparation, je termine le boulot au savon.

Je replace mon fût, le gros bouchon en haut, sans le serrer, pour ne pas provoquer de pression ; la fuite se réduit à un goutte à goutte, l'essence Algérienne ayant une odeur agréable (d’où le nom peut-être ?) ; le Sahara étant un espace dans lequel on ne roule pas les fenêtres fermées, ça ira très bien ainsi.

Je retourne faire mon complément d'essence et nous partons.

Après avoir vérifié que nous avons encore tout ce qui a été déclaré à l’entrée du territoire, la douane nous reprend les carnets de devises et nous gratifie d’un passavant valable pour faire Adrar/Bordj-Moktar, sortie du territoire.

Route goudronnée jusqu'à Reggane, refouille, plus pour occuper l'ennui, qu'autre chose, puis on nous lâche.

Aussitôt, c’est le sable mou, le cul des voitures chargées d'essence frotte, il faut faire attention aux  cailloux noyés dans le sable qui pointent le nez, chaque impact marque le dessous de la voiture, abîme les carters moteur, arrache les échappements, casse les ponts arrières, crève les réservoirs, (toutes ces calamités font les choux gras des petits garagistes de Gao et Niamey).

Après plusieurs dizaines de kilomètres, la piste (avec pour repères tous les cinq où six kilomètres, des fûts de 200 litres éventrés afin qu’ils ne soient pas volés,) devient un peu plus consistante, le sol plus ferme, forme des plaques d’ondulations successives plus ou moins régulières appelées « tôle ondulée », dans ces passages, tant que la voiture n’a pas acquis une vitesse suffisante pour ne toucher que le crêtes des ondes vibre épouvantablement. Les carcasses de bestiaux desséchées que nous verrons tout le long de la piste commencent à apparaître.

Philippe m’indique un truc auquel je n’avais pas pensé, quand l’aiguille de température d’eau entre dans la zone rouge, il faut mettre le chauffage à fond pour dissiper des calories, et  ainsi le radiateur, bonjour le sauna !

Paysage de sable plat à l'infini ; le soir, nous nous arrêtons, dînons en regardant le soleil se coucher, il plonge derrière l'horizon à une vitesse étonnante, le froid descend aussitôt.

Après avoir discuté de la journée à venir, nous nous couchons.

Le lendemain matin, casse-croûte, niveaux d'huile et d’eau, départ.

A 600 bornes d’Adrar, Bordj-Moktar, sortie du territoire Algérien, un panneau peint à la main figurant une vieille chambre photographique barrée d’une croix est assez explicite, paperasserie tranquille.

La route est bonne pendant une soixantaine de kilomètres, je vois même de petits brins d'herbe jaunâtre qui poussent quand le terrain est un peu creux, puis on commence à rouler dans la caillasse, plus nous gagnons en altitude, plus ça s'aggrave!

La piste est maintenant taillée dans un paysage lunaire de roche dentelée gris foncé pointant de biais vers le ciel, nous serpentons le long d'un chemin qui évite les pics, les suspensions sont très malmenées car nous roulons sur un tapis de pierres qui vont de la taille d'un poing à celle d'un ballon de football.

Enfin nous arrivons à Tessalit, cuvette de rocaille noirâtre dans laquelle se trouvent quelques petits bâtiments.

La douane est à mi-pente à droite, mi-pente à gauche, il y a une jolie petite maison, bureau du chef de police, en bas, une construction rectangulaire plus grande, dans laquelle il y  a un petit restaurant, une salle nue à disposition des voyageurs, et la poste.                                  

Les formalités sont bon enfant, nous sommes obligés de prendre une assurance automobile d'un prix raisonnable, après, nous allons nous désaltérer à la petite auberge, y cassons une croûte et repartons dans la caillasse, puis c'est le sable ; cent bornes plus loin, nous arrivons à Aguelhok, arrêt police sympa, rapide ; encore cent bornes, la Marcouba* : zone de sable mou d’une dizaine de kilomètres barrant la piste sans contournement possible, le seul passage régulier est ravagé de profondes ornières creusées par les camions qui passent bille en tête, misant tout sur l’incroyable couple moteur des Berliet.

Cet axe est infranchissable pour les voitures, la seule solution est de longer la piste par la droite après avoir dégonflé les pneus. Avant d’entamer ce morceau, il ne faut pas hésiter à prendre de l’élan et rouler vite car les portions de sable très mou sont longues, il faut éviter les touffes d’herbes sèches aussi dures que des pierres, ce qui n’est pas toujours possible, les amortisseurs dégustent salement !!!!

Cent quatre-vingt kilomètres après, Anéfis ; encore deux cent trente kilomètres et nous arrivons à Gao, ville presque  totalement construite de banko*.

Il  faut aller au commissariat avant de nous jeter une bière pourtant bien méritée après 1300 kilomètres de désert pliés en trois jours! Nous sommes dirigés vers une salle assez grande où un agent nous accueille, après nous avoir invités à nous asseoir à des bureaux d’écoliers, donné une feuille blanche et prêté un stylo à bille, il nous dicte très professoral les questions classiques demandées aux touristes lors de leur entrée dans un pays, cet agent s'appelle Mambi et deviendra plus tard un ami et concurrent très sérieux à la pêche dans le Niger.

Les formalités accomplies, nous sortons, une ribambelles de gentils gamins nous entourent, l’un d’eux, Boubacar, se propose comme guide.

Nous allons à un « hôtel-restaurant », bâtisse de banko très sombre à l’intérieur, le patron de cet antre, se nomme Yarga. Il s'occupe de vendre les automobiles et encaisse le prix des chambres (rares, chères) ou des places sur la terrasse (1000 francs Maliens =10francs français la nuit), une tripotée de margouillats (gros lézards de 50 à 60 centimètres de long) se promènent tranquillement à la verticale des murs, les mâles ont de superbes couleurs, jaune, rouge, vert et bleu flamboyants, les femelles sont plus petites, et ternes.

L’épouse du maître de céans s'occupe de préparer tous les jours un plat différent, souvent un ragoût à base de riz, c'est là que je sentirai pour la première fois le goût des charançons, ils sont aussi dans la farine, les pâtes......on peut dire que chaque plat en est parfumé, au début je sors du pain ces petits insectes un peu plus gros qu'une puce, puis mange sans faire de chichis, content que Yarga ne me compte pas un supplément  viande.

Les chiottes sont un trou dans la terre avec 10 centimètres d’asticots surnageant et grouillant les uns sur les autres, le puit est un peu plus loin.  

Quelques jours passent, des clients viennent régulièrement voir les voitures, en principe, on n'a pas le droit de les vendre, mais en passant par un intermédiaire soi-disant patenté, c’est possible, le problème est de savoir qui l'est.

Si une vente se fait, vous donnez une commission à l'intermédiaire, c'est quand les « affaires économiques » vous tombent dessus que vous vous apercevez que le type n'était pas autorisé à vendre, ou n’a pas assez « fait manger » les fonctionnaires ; de toutes façons, personne n'a de papiers, de registre de commerce ou autre statut, le mieux est de traiter, puis de partir le plus vite possible !

Philippe vend rapidement son auto 900.000 francs Maliens (9000ff), il faut dire qu’elle est en parfait état ; pour voir si le moteur de la voiture est bon, les Maliens ont une technique imparable : Ils donnent trois grands coups d’accélérateur, et vont vite regarder les gaz d’échappement, si la fumée est bleue, l’auto consomme de l’huile ; blanc, le joint de culasse est flingué ; noir, le mélange air-essence est trop riche, (ce qui est le moindre mal).

Chez le père Yarga, je fais connaissance de deux coopérants français instituteurs en Côte-d’Ivoire qui me demandent si je peux les redescendre, ils étaient venus passer quelques jours à Gao, mais les congés se finissant, ils doivent retourner à Bouaké, je leur réponds que je ne sais pas encore si je persiste à aller au Sénégal où si je continue vers le sud.

A tout hasard ils me donnent leur adresse pour que je passe les voir si je m'égare dans leur coin.

En face de l’hôtel Atlantide*, sous des arcades, il y a des marchands d’objets africains très intéressants : des pointes de flèches et haches préhistoriques ; des pipes, poignards, Takoubas*, cadenas et splendides clés anciennes souvent cassées, tout cela de provenance Tamashek ; bien que je n’en aie pas les moyens, je craque,

Renseignements pris, il apparaît que pour aller au Sénégal, il faut obligatoirement faire une grande partie de la route en mettant voiture et passager sur un train, très cher, très lent, et abominablement inconfortable, ça fait trop, surtout que mes fonds ont bien baissé depuis une petite semaine que je suis là !

Je décide de continuer vers le sud, les Belges restent à Gao pour vendre les deux autres voitures, on se dit au revoir.

Je m'entends avec un Français à la recherche de sa nana qui s'est tirée en Côte-d’Ivoire avec un mec, je lui prends le prix du taxi-brousse jusqu'à Niamey (capitale du Niger) en gros 450 kilomètres, c'est mieux que rien !

Gao-Labbezanga, passage de frontière, pas de problème particulier, nous nous arrêtons pour casser une croûte dans un petit boui-boui en planches, je vois sur l’ardoise du menu sur « Poulet Maka », je demande à goûter cette spécialité locale, le cuistot m’amène un poulet avec des nouilles, je lui dis qu’il y a erreur, il me répond que non, « Maka » est l’abréviation africaine de macaronis.

Arrivée à Niamey, commissariat de police, avec ce coup-ci des imprimés à compléter, puis nous nous dirigeons vers la maison des jeunes où l'on peut dormir pour pas cher dans une grande salle commune sur des lits en ferraille type armée; lorsque je veux prendre une douche, cauchemar ! Des murs en parpaings noirs et gluants de crasse, des blocs de ciment épars pour rester au-dessus de l'eau stagnante, dur-dur!

Le porte monnaie sonnant creux et ne trébuchant plus, je décide de ne pas m’attarder, et d’aller en Côte d’y-voir s'il y a des amateurs de 404 familiale ; les coopérants m'ayant dit que je trouverais sûrement preneur à Bouaké où ils sont résidants, je vais aller tâter le terrain dans le coin, en passant par Ouagadougou,.

Traversée de la Haute-Volta, les pistes sont en latérite*, ce matériau a le défaut de former de longues bandes de tôle ondulée, sur l’une d’elles, j’amorce un large virage, la voiture bringuebale de partout, manque d'adhérence, l'arrière fait la valise, je contre-braque et accélère, peau de balle, heureusement, la courbe se termine, j'en sors complètement en travers, chaud!

Passant dans une forêt clairsemée, je vois une douzaine de phacochères courir en file indienne droit devant eux en diagonale de la route, il est évident que s'ils ne changent pas de cap ou ne ralentissent pas, ils croiseront ma trajectoire ; ils passent ignorant la voiture, je dois freiner, pour éviter le carton.

Ouagadougou, de très gros vautours d’un bon mètre de haut se promènent dans les rues, qu’ils nettoient, tels d’énormes pigeons.

Bobo-Dioulasso, puis, passage tranquille de la frontière de Côte-d’Ivoire ; je suis étonné de constater que la base de la bouffe africaine est le riz, les panneaux affichant les menus ont une orthographe délirante.

Roulant de nuit le long d'une plantation, je crois être victime d'une illusion d'optique, je m'arrête et dirige les phares sur les cultures, les bananes poussent cul vers le haut !!!

 J’en ai marre de rouler, je rentre dans un petit hôtel histoire de roupiller et prendre une douche. Eclairages aux néons peints en bleu, jaune, rouge, vert ; raffut dantesque, radio pourrave à fond la caisse, gueulantes des putes ivres qui montent des clients toute la nuit, moustiques affamés malgré les serpentins d’herbes à brûler venant d’Asie, je ne suis pas beau à voir le matin!

Ferkessédougou, retour sur le goudron, je démarre d'un stop, coup de sifflet, je tourne la tête, et vois deux motards en uniforme, allongés à l’ombre sur leurs motos B.M.W, ils me font signe de m'approcher, je m’exécute, descends avec les papiers car ils n'ont pas l'air de vouloir se lever ; je leur fais remarquer que j'ai marqué le stop, je ne vois pas pourquoi ils m'arrêtent, l'un d'eux, se redressant à califourchon me dit tranquillement que je n'avais pas mis la ceinture de sécurité, qu'il va falloir payer 7000 francs C.F.A d'amende ; je réponds que je ne peux pas payer une somme pareil car j'arrive de France et que je n'ai presque plus d'argent, je dois rejoindre des amis à Bouaké et il me reste juste de quoi payer l’essence, le type me regarde un long moment d'une drôle de façon, un peu au-dessus ou à travers moi, et me dit un peu grand seigneur  avec un signe de la main "allez-y, c'est mon cadeaux de Noël"; peut-être le fait que j’arrive de si loin par la «route» a-t-il joué en ma faveur.

J'arrive à Bouaké sans plus d’incident, les coopérants me reçoivent en tirant un peu la tronche car ils m’y ont précédé de peu, ayant fait la route en taxi-brousse. Il faut dire que ce genre de transport n'est pas un pullman : 404 plateau avec une galerie hyper renforcée, sur celle-ci, mobylettes, chèvres, tous les bagages des passagers, régimes de bananes entiers, boîtes de cinq kilos de sauce tomate, etc....19 passagers à l'arrière, 2 places un peu plus chères à l'avant, et le chauffeur.

Alain (le plus riche des deux, car dépêché de France ; Sylvain ayant trouvé le job sur place est moins bien loti) m’invite à poser mes pénates dans une chambre libre de sa maison, et propose de me prêter de l'argent que je lui rendrai quand j'aurai vendu la voiture.

Renfloué, je leur offre d'aller boire l'apéro dans un boui-boui car on est en fin d'après-midi et il commence à faire soif ; Nous nous dirigeons vers un petit bar, quelques autres Français coopérants ne tardent pas à nous rejoindre. Le soir tombant, les lucioles apparaissent, les moustiques nous bouffent les miches à travers les fauteuils tressés de gros fils en plastique et la toile de nos jeans, nous allons manger dans un petit restau, puis dodo.

Le lendemain, je vais acheter des pièces afin de retaper le moteur. Les Libanais vendent à peu près tout ce dont on peut avoir besoin pour entretenir et réparer les Peugeot ; je ressors de la boutique avec les segments, pochette de joints, coussinets de bielles, chaîne de distribution indispensables pour redonner une nouvelle jeunesse à mon moteur, le tout à un prix raisonnable.
Je vais ensuite discuter avec le patron d'une station-service pour lui louer un bout de terrain et les outils qui me manquent, demande s'il ne connaît pas deux gaillards qui voudraient se faire un peu d'argent en me donnant un coup de main, car rien que pour sortir le moteur il faut de l'huile de coude.

Il me trouve deux costauds, je conviens avec eux de leur rémunération et nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain matin.

La réfection du moteur demande deux petits jours de boulot tranquille, je paie la bouffe du midi et quelques rafraîchissements consistant en ananas bien mûrs épluchés devant vous a la machette et dont les feuilles élaguées servent de poignée, délicieux! A la fin de l'après-midi du deuxième jour, je suis obligé de les engueuler car j'ai eu le tort d'acheter de la bière (bouteilles de 75 centilitres par personne) plus une bouteille d’alcool de palme avant la remontée du moteur et ils ne veulent rien savoir pour continuer, ils pensent sûrement me faire raquer une journée de plus si l'on ne termine pas ce soir ; je leur dis que la journée n'est pas finie et que s'ils me laissent tomber maintenant, je ne les paierais pas.

De toutes façons j'ai déjà refermé le moteur, il ne reste plus qu'à le mettre en place, ce qui est vite fait, j’engage les boulons tenant le moteur sur la boîte à vitesses et les paie, on se serre la main, moi un peu froidos, car je pense avoir été plus que correct et ils ont un peu trop tiré sur la ficelle.

Je finis de remettre boulons et durits, règle le propriétaire du garage, à 20 heures, je suis de retour chez les copains pour prendre une bonne douche et retourner boire un coup.

Ils me disent que ma voiture intéresse deux ou trois gros marchands, c'est bon signe !

Les acheteurs ne pointant pas le museau de la journée, je décide d'aller le lendemain matin à Abidjan en taxi-brousse pour dire bonjour aux parents du copain de Dordogne.

Je suis très bien accueilli, invité à manger à midi ; au cours du repas, nous discutons de la vente de ma voiture ; je dis compter la vendre 700.000 Francs C.F.A, mon hôte me prévient que la spécialité Libanaise du moment pour escroquer quelqu’un, est de lui faire un chèque (en bois bien sûr) car en Afrique il n'y a aucun recours, puis ajoute que si je n'ai pas vendu ma voiture il est preneur à 600.000 Francs C.F.A.

De retour à Bouaké, Alain me dit avoir appris par la bande que Sylvain a raconté à tous les acheteurs potentiels que je n'ai pas un rond et que je serai obligé d'accepter le prix que l'on me donnera pour rembourser mon emprunt, c'est le meilleur moyen de me scier les pattes, il n'y gagne rien, il avait l'air sympa, je ne pige pas……….

De toutes manières je vais voir les quelques clients éventuels. Que des tordus ! Les Africains, "je te donne 200.000 Francs CFA maintenant, le reste un peu plus tard ", tu parles Charles! Les Libanais eux me proposent 100.000 Francs CFA en liquide le reste en chèque……. heureusement que les gens d'Abidjan m'avaient prévenu car à Bouaké le coup n'est pas connu.

Après avoir perdu ma journée à commencer d'apprendre les grosses ficelles africaines, je téléphone à Abidjan pour dire que je marche à 600.000 Francs C.F.A,  le monsieur me demande  d'amener la voiture pour la voir.

J'invite à manger Alain au restaurant et lui déballe la situation car je laissais chez lui l'auto (sans qu'il me l’ait demandé) pour le rassurer sur le prêt qu'il m'avait consenti. Il assure me faire confiance et qu'il n'y a aucun problème pour que j'aille à Abidjan réaliser la vente.

Après le déjeuner, je retéléphone à la capitale, mon acheteur me dit de venir le lendemain matin, de ne pas me casser la tête pour l'hôtel, ils ont une chambre d'ami où me loger le temps de régler la transaction.

Le lendemain, j’embarque chien et bagages dans la voiture.

Aussitôt arrivé, visite du véhicule, le monsieur me dit qu'il lui convient ; puisque nous sommes d’accord, je lui demande tout de suite une partie de l'argent afin de régler mes dettes, il n'est pas surpris car je n'avais pas fait mystère que le copain de Bouaké m'avait dépanné en ce sens.

C’est la saison des pluies, à quatre heures pile de l’après-midi, il pleut à seaux. Dès que la nuit commence à tomber, les moustiques attaquent tel des stukas, j’entends zzz….toc, ils ne finassent pas en tournant autour de la cible, ils arrivent en ligne droite direct sur l’objectif et tapent plutôt qu’ils ne piquent tellement la charge est brutale.

Le gardien de la maison a les dents taillées en pointe, çà fait un effet bœuf !!! Il est armé d’un arc, de flèches et de deux machettes.

Après une nuit de repos, je repars dans le nord en taxi-brousse.

Bamboula à Bouaké (je devrais pouvoir vendre ce titre à une série célèbre), règlement de mes dettes, pas rancunier je rince aussi le connard qui m'avait chié dans les bottes ; cuite, dormir chez le copain, petit déjeuner, adieux.

Retour à Abidjan avec la gueule de bois et une forte fièvre, dans le taxi-brousse (pareille à celle que j'ai laissée à Abidjan, mais avec 5 années de pistes africaines dans les rotules), 9 personnes serrées comme des sardines, je suis assis à côté d'une adolescente qui prend un malin plaisir à frotter ses nénés sur mon bras, avec la chaleur moite et cette saloperie de fièvre qui me donne la chair de poule, des frissons dans le dos, et des suées au front, je suis dans un état lamentable, la petite pétasse doit penser qu'elle me fait un effet terrible !

Arrivé chez mes acheteurs, je suis en vrac ; mon acquéreur me dit que c’est le paludisme, si une telle crise ne guérit pas avec l'énorme cachet que je suis  allé chercher à la pharmacie, il ne reste plus que les piquouses ; heureusement, la fièvre et la gueule de bois passent dans la foulée. Il paraît que la Nivaquine prise régulièrement prévient le palu.

Au cours d’un repas, mes hôtes me racontent le déboire arrivée à une voisine française : La brave femme avant de partir, demande au boy de ne pas oublier de faire la  soupe au chien ; le soir, elle s’étonne d’avoir du consommé, le domestique répond « c’est la soupe au chien que tu m’avais demandé patronne !! ».

Mon acheteur fait examiner la voiture par son garagiste ; verdict : il faut refaire le moteur ; je ne sais pas si c'est pour me gruger, si le mécano veut se mettre les pièces neuves dans la fouille, si c’est un incapable, ou quoi, pas moyen de lui faire entendre raison ; hébergé gratos, je n'insiste pas.

Finalement mon hôte me rabat 100.000 francs C.F.A et je ferme ma tronche ; avec ce que m'aura coûté le voyage et le retour, il ne va pas me rester lourd ! Enfin, je rentre en partie dans mes fonds et ai acquis une expérience non négligeable, vu le prix des billets d’avion sur la France et mon chien payant plein pot, je décide de rentrer par la piste.

Adieu à mes hôtes, on promet de se revoir en Dordogne lors de leurs prochaines vacances.

Je me pointe à la gare des taxis-brousse, le prochain en partance pour Ouagadougou est un Saviem SG.2 tôlé, dont les côtés ont été découpés, le problème est qu'il est vide et que les transports ne partent qu’une fois fait le plein de passagers ; je me dis que si l'on monte à 22 dans une 404 plateau, dans un engin pareil on doit tenir à 35.

J'attends toute la matinée, deux autres clients sont sur les rangs, à ce train là il va falloir une semaine pour remplir la camionnette !

Je me renseigne à droite et à gauche pour savoir s'il n'y a pas un autre moyen de se rendre en Haute-Volta, un mec finit par m'aiguiller sur un camionneur qui doit partir pour Ouagadougou dans l'heure qui suit.

Je trouve le type, nous tombons d'accord sur 10.000 Francs C.F.A pour moi et le chien, tout va bien, sauf que, comme un bleu que je suis en Afrique, je paie d'avance.

Le chauffeur m’invite à l'attendre dans sa piaule qui donne sur la cour d’un quartier sordide le temps qu'il règle quelques formalités ; notre accord ayant été passé en fin de matinée, je l'attends jusqu'au soir sans revoir sa bobine, les boules !

Je passe la nuit dans un petit hôtel à proximité, aux aurores je retourne à la turne du lascar, attends encore la matinée, toujours personne ; en début d'après-midi je me rends au commissariat du quartier. Je casse le coup au flic de service qui me dirige vers un collègue plus gradé ; bien sûr, j'ai eu tort de payer d'avance (ce dont je conviens volontiers), il me demande le nom et l’adresse du chauffeur pour le convoquer, comme je n'ai aucun renseignement à lui fournir, il me demande d'apprendre au moins le nom du type, donc je retourne là-bas et mène ma petite enquête ; pas moyen de tirer le moindre tuyau, d'autant plus que la cour n’est louée que par des Ghanéens patoisophones ; je me rends compte que le mot « police » leur fiche une trouille bleue.

Je retourne bredouille au commissariat, retrouve le flic qui me rassure, prenant un imprimé, il rédige une convocation pour « le chauffeur du camion », devant mon air sceptique, il me dit que je vais être surpris du résultat, je n'ai qu'à laisser la convocation bien en vue dans la chambre et revenir plus tard, le téléphone arabe devrait faire le reste ; O.K je fais confiance à la cuisine locale.

La cour est pleine de monde et d'agitation, je me dirige vers une matrone qui a l’air d’être la cheftaine du lieu et lui tends la convocation, elle se met à pousser des cris hystériques en reculant les bras au ciel et les yeux exorbités, je me retourne et vais poser ostensiblement le papier sur le lit du camionneur, quitte la cour dans un brouhaha croissant de seconde en seconde.

Le soir tombant, j'y retourne, émeute devant l'entrée de la cour!

On commence à discuter ferme (toujours sans la présence du chauffeur qui doit être en train de faire ripaille sur le dos du pigeon), ça commence même à franchement gueuler, je braille aussi fort qu'eux ; subitement, un costaud commence à me tirer par le devant de ma salopette, je me dégage et me rends compte que la nuit est tombée, dans le feu de l'action, je n’y ai pas fait attention ; je suis entouré par une cinquantaine d’excités écumants, prêts à me faire la peau, pour les déstabiliser, je gueule encore un bon coup et en siffle un autre à l'adresse de mon chien qui se pointe dans la foulée ; sur le passage de mon clebs, se crée instantanément un chemin dans la foule (il faut dire qu’à part les sloughis à Gao, je n’ai pratiquement pas vu de clébard en Afrique, un gros chien noir comme lui les impressionne énormément), criant comme un sourd que la police va venir et les menaçant de tout ce qui me passe par la tête, je profite de la trouée pour m'arracher, je suis encore persuadé que j'étais à deux doigts de me faire écharper, sans Athos, j'y passais !

Du coup je prends un taxi, et pas trop fier, je retourne chez mes acheteurs qui me confirment, quand je leur conte l'affaire, que j'ai eu beaucoup de chance.

Dernière nuit chez eux, et le lendemain matin, de bonne heure, je prends le train Abidjan-Ouagadougou (en gros 1000 bornes).

Les wagons de ce train ont dû être climatisés, heureusement que les fenêtres ne sont pas bloquées! Aux arrêts, les mamas se pressent aux fenêtres pour vendre divers mets, j’achète des morceaux de viande rôtis, de l’igname* cuit comme des frites et des petites bananes roses ; la viande est absolument délicieuse, je demande à mes voisins quel est l'animal fournisseur, c'est de l'agouti*, (d’après ce que j’en ai vu, une sorte de ragondin) ; quant aux bananes, elles sont mûres au point que leur peau semble près d’éclater, cueillies sur pied quelques heures auparavant, un régal !  

Arrivé à Ouaga, je vais directement à la station de taxi-brousse et repart dans l'heure qui suit pour Koupéla, puis Niamey, là, je vais louer un lit à la maison des jeunes ; un Français y est déjà, sympa, vingt cinq ans, maigrichon, barbiche, il me dit qu'au Bénin la vente de voiture est autorisée et facile contrairement aux autres pays d'Afrique de l'ouest, mais qu’il y a connu une mauvaise expérience : Arrivant à un carrefour, une voiture était arrêtée, quand il en fut à une dizaine de mètres, son conducteur fait une marche arrière fulgurante, provoquant un carton , ameute la police et prétend que c'est le Français qui n'avait pas freiné, coup fourré par excellence ! Du coup, le pauvre est reparti une main devant une main derrière, ayant dû vendre son auto pour payer les réparations béninoises.

Le lendemain, deux nanas se pointent, mignonnes, la trentaine, elles sont descendues avec un type qu'elles ont perdu en route et remontent seules par la piste, nous décidons de faire un bout de chemin ensembles.

Le jour suivant, en fin d'après-midi, après avoir discuté le prix du voyage, nous montons dans un camion de marchandises, direction Gao.

Chez Yarga, plusieurs personnes attendent car il y a embargo du gouvernement Algérien sur l'importation de moutons.

Le système consiste, pour les transporteurs maliens et algériens, à charger des denrées vendues peu chères dans les magasins d'état en Algérie : Riz, semoule, sucre, etc….et de les vendre plein pot à Gao ; acheter une poignée de cerises des moutons au Mali et les fourguer un max en Algérie, je m'explique maintenant le nombre de carcasses de moutons séchant au doux soleil du Sahara.

Un qui se frotte les mains, c'est le père Yarga, tous les jours d'autres personnes viennent se planter dans le cul-de-sac qu'est devenu Gao.

Après une semaine de ce régime, je commence à contacter divers camionneurs, mais nous sommes trop peu pour pouvoir affréter un Berliet à vide de Gao à Adrar ; le temps passant, les coincés se font plus nombreux, les camions immobilisés ne rapportent plus, autant de paramètres qui rendent de jour en jour la traversée plus négociable.

Une fois comptés les amateurs pour la croisière, on se retrouve 17, la plupart français, il y a même un américain.

L’un des convoyeurs pressentis, ayant des affaires à régler en Algérie, nous demande 30.000 francs Maliens (300 francs Français) par personne pour nous emmener à Adrar, ce qui est plus que correct ; pour que nous soyons moins tassés, ce délicat personnage fait installer une sorte de mezzanine de bastings posés sur la moitié avant des rebords de la benne du camion.

De bon matin, nous partons, il fait frisquet.

Quarante kilomètres après le départ, la blondinette me montre une petite butte à droite de la piste quand on remonte vers le nord ; elle me dit que le type avec lequel, elle et sa copine étaient descendues, s'était arrêté là et qu'il y avait trouvé des tessons de poteries et des morceaux de silex taillés, je me promets, si je repasse là un jour, de faire une halte pour voir de quoi il retourne. En attendant, j'ai mal au cœur, et je m'accroche à la porte arrière de la benne pour tirer une gerbe.

La conduite des camions au Sahara est très technique, quand il attaque un banc de sable, le conducteur passe en force sans jamais changer de vitesse, ce qui fait qu'à la sortie des longs passages mous, le moteur doit tourner entre deux cent et quatre cent tours minutes, accélérateur à fond, on sent chaque coup de piston, je suis éberlué qu’il tienne le coup! Le Berliet est un camion fabuleux, entre les mains habiles des chauffeurs indigènes, on le croirait étudié spécialement pour ce genre de contrées.

Lors d'un arrêt, l’Américain qui revenait de faire son service militaire en Sierra Léone dans les « Peace Corps», trouve à ses pieds une magnifique pointe de lance en silex très finement  taillée, tout le monde se met à chercher de droite et gauche, mais malgré le ratissage ce fût la seule trouvaille faite.

Monté à l’avant, je remarque un panneau que je n'avais pas vu à l'aller, il est tout rouillé on peut lire à moitié effacé "tropique du Cancer" ; le chauffeur du camion me dit que seuls les gens passés par cet axe ont le droit de porter le « chèche », cette longue bande de coton que l'on met moitié sur la tête, moitié sur la bouche pour ne pas se déshydrater ou filtrer l'air durant les vents de sable, se protéger du soleil, s'essuyer les mains, etc.....

La nuit, il fait carrément froid, au bout des deux jours et nuits non-stop, nous arrivons à Adrar complètement moulus.

Après avoir salué nos transporteurs, j’amène tout ce monde chez l'ami Ramdann, il nous dit qu’un bus fait quotidiennement Addrar-Béchard, (500 bornes), il part le lendemain avant l’aube, tout le monde à son invitation, dort dans son restaurant.

Après avoir pris le café, et remercié notre hôte, nous embarquons dans le car.

On ne me fait pas payer pour mon chien, mais comme il n'a pas le droit de voyager en haut avec les passagers, le chauffeur le fait monter dans les coffres à bagages s’ouvrant par l’extérieur du car, il y monte de bon cœur et à part quelques jappements au début il n'y eut aucun problème ; de temps en temps, le chauffeur s'arrête dans des petites bicoques en pleine campagne où l'on peut manger une bonne soupe bien chaude parfumée au coriandre et au laurier appelée « loubia » ou « chorba » selon qu'elle est à base de fayots ou de lentilles, j'en profite pour laisser Athos se dégourdir les pattes et manger avec moi, depuis qu'il sait me retrouver à chaque pause il ne se manifeste plus.

Le car s'arrête à Kerzaz pour permettre à tout le monde de manger un plat plus consistant, je retourne directement chez le restaurateur qui m'avait fait marron sur le fût, comme par hasard, le jeune type n'est pas là, une fois terminé mon plat je dis au serveur que pour la note, il aille se faire voir chez plumeau, bien que visiblement au courant de l'histoire, il fait l’outragé, et gueule aux petits pois (ce qui est normal vu son métier), comme je me lève pour sortir, il me menace de la police sans conviction, au moment où je sors, mon escroc pointe le museau, ce qui ne me fait pas frémir de terreur, je lui dis que j'ai bien mangé mais que je ne compte pas le payer, qu'il sait très bien pourquoi, lui aussi me menace des flics, c'est ennuyeux car si l'embrouille s'envenime, le car (qui klaxonne déjà) partira sans moi, je fais le mec parfaitement serein et m'arrache sans que personne ne se mette en travers de ma route.

Nous arrivons tard le soir à Béchar, dînons dans un petit restaurant dont le patron est aimable comme une porte de prison ; à la fin du repas, nous demandons au gargotier où dormir pour pas cher ; il propose, si cela nous convient, de rester dans son établissement, surpris, nous acceptons en regrettant aussitôt nos considérations sur sa physionomie ; il nous passe les clés, et s'en va après nous avoir dit que le l’autocar pour Oran part tôt le matin et qu'il viendra nous réveiller de bonne heure pour nous faire le café.

Quand il se pointe, il est bien loin de faire jour, nous prenons un petit déjeuner, puis notre hôte nous explique où prendre le bus.

Le remerciant chaleureusement pour son hospitalité, nous partons dans la nuit fraîche. Nous trouvons facilement l'arrêt du bus et faisons la queue ; le copain Américain étant un peu en dehors de la file, se prend un petit coup de matraque sur la tronche administré par un flic qui passait par là, on se met tous à protester en chœur ; l’agent nous dit ingénument qu'il n'avait pas vu que nous étions étrangers! Devant son air consterné, nous comprenons que c'est pratique courante de mettre un coup de bâton à une tête qui n’est pas alignée !

Oran, les autres s'étant égaillés au fil de la route, nous allons, un couple de français et moi prendre nos billets pour la France, quelques temps plus tard, nous montons dans un énorme ferry-boat, le navire ne fera quasiment la traversée que pour nous, car, à part deux arabes, personne d'autre n’a embarqué ; malgré cela, le navire part à l'heure ; à cause d'une tempête, nous mettons un jour de plus pour arriver à Marseille, plutôt chiffonnés.

Nous prenons le train ensemble ; durant la remontée du désert, ils m'ont vanté le passage par Tamanrasset, je leur dis que très probablement, je vais refaire rapidement une descente sur le Bénin, ils me répondent que c'est aussi leur projet, d’ailleurs, ils seront hébergés chez des copains pas loin du coin de Dordogne où j'habite ; nous convenons de nous tenir au courant de nos recherches respectives d’automobiles. Ils quittent le train un peu avant Bergerac, nous pensons sûrement tous sans le dire que ça fait bizarre de se quitter, alors que, depuis Gao nous ne nous sommes pas éloignés les uns des autres de plus de dix mètres.

 

_Deuxième chapitre_

 

Aussitôt arrivé, recherche d'un carrosse, je n'ai pas beaucoup à tourner,  passant devant une station-service je vois l'objet de ma quête! Je demande au patron si la voiture est à vendre et combien, il me répond que le propriétaire en veut 2000 francs, bien qu'elle aie 180.000 kilomètres, selon lui, elle est irréprochable ; nous faisons un tour, elle est nickel, et les Maliens m’ayant appris à reconnaître un moteur lavé, je ne risque plus de me faire avoir.

Je me rends chez le propriétaire, demande comme si je ne savais pas, le prix de la merveilleuse machine, il me répète le chiffre précédemment indiqué, je dis que je ne peux mettre que 1500 francs, nous tombons d'accord sur 1700francs .

Dix minutes plus tard, je suis l’heureux possesseur d'une berline que je sens exceptionnelle, après l'avoir assurée pour un mois, je cours téléphoner aux poteaux ; ils me demandent si je peux venir les voir, deux heures après, je suis chez leurs hébergeurs.

Chez les amis en question, ambiance phacochère, visiblement, le studio est trop petit pour 4 personnes, il y a de l'électricité dans l'air!

Nous allons visiter les voitures qu'ils comptent acheter, à côté de la mienne, ce sont des poubelles et je ne leur cache pas mon point de vue ; ils me répondent que vu l'atmosphère, il doivent faire vite, je leur propose de tourner dans la région avec la mienne pour essayer de trouver mieux, d'autant plus que les 404 courent les rues, en y consacrant une journée, on peut leur en trouver deux en bon état avant le soir ; mais non, ils ne veulent rien savoir, il y a des raisonnements que je ne comprendrais jamais !

Selon eux, il est préférable de poser des plaques de blindage sous les voitures (c’est là que j’aurai dû me méfier….), nous convenons de nous recontacter quand tout sera prêt.

Je les quitte, contrarié de faire la route en compagnie de moitiés d'épaves, achetées plus chères que la mienne qui plus est.

Chez des amis garagistes, je pose une plaque d'acier de 4 millimètres d'épaisseur sous le carter moteur, deux jours après avoir quitté mes co-voyageurs, je leur retéléphone.

Ils me disent qu'ils ne disposent pas du matériel pour mettre la plaque, de demander à mes copains s'ils peuvent venir l’ajuster dans leur garage, un peu gêné, je transmets la demande ; çà marche .

Deux jours après, c'est le départ, Eric, un copain au chômage, chanteur de rock, me demande s'il peut venir avec moi car il a envie d’aller au soleil, comme c'est un type décontract et sympa, je suis d'accord, il n'aura que sa bouffe et son billet de retour à payer.

Nous retrouvons les copains, il est temps qu'il partent, ça sent le coup de couteau à brève échéance, la nana a quand même le temps de tordre le nez parce que j’embarque un passager ; je lui fais tout de suite comprendre que si çà ne lui plaît pas, c'est pareil, je ne me sens absolument pas tenu de voyager avec eux, ni de passer par Tamanrasset, çà radoucit de suite ; rapides adieux à leur hôtes qui se retiennent à deux mains pour ne pas leur balancer les valises par la fenêtre.

Leurs deux voitures se révèlent aussi gourmandes en huile que ne l’était celle de ma précédente traversée, je les rassure en leur disant que sur les autos rustiques comme les 404 ce n'est pas très embêtant, je n'en suis pas si sûr, mais ma Maman m'a appris que plus tard on apprend une mauvaise nouvelle, mieux on se porte ; je leur mets du baume au cœur pour pas cher.

Traversée de l'Espagne au Maroc ; Eric a acheté du sheet à un dealer aussitôt passé la frontière marocaine pour fumer en route, ça ne me botte pas des masses, car se faire coincer avec cette came en Algérie, c’est l’embrouille grave pour pas grand chose, je lui demande de bien le planquer.

En Algérie, nous cherchons le premier marché venu pour changer des francs au noir, les commerçants sont faciles à brancher pour ce genre de transaction ; suivant le couple de copains, j'aperçois qu'un gamin les colle, tenant en équilibre un plateau d’œufs ; il est évident qu'au premier mouvement un peu brusque de leur part, il balancera le colis par terre pour leur faire payer la casse au prix fort, je lui tape sur l'épaule en lui faisant signe de dégager, il obtempère sans demander son reste.

Nous changeons autant de francs Français que nous pensons en avoir besoin (2 dinars pour 1 franc au lieu de 1 dinar pour 1,80 franc  au cours officiel), et nous voilà partis.

La chaussée est correcte jusqu’à El-Goléa, puis le goudron devient impraticable, la "route" n'est qu'un nivellement recouvert de 5 centimètres de macadam, un bruit court que la date de l'inauguration par le président avait été fixée bien longtemps à l'avance et que pour être dans l'étang (ne pas retoucher S.V.P.), les derniers 500 kilomètres furent bâclés, l'inauguration eut lieu en temps et en heure, trois jours après, la route était à peu près dans l’état lamentable dans lequel nous la trouvons.

Du coup, il nous faut emprunter un chemin qui la longe, les trous dans le goudron étant plus durs à supporter pour les suspensions que les creux plus arrondis de la piste. Nous voyons régulièrement des carcasses de combis WW, la plupart brûlées.

Je commence à regretter d'être passé par là plutôt que par Gao, même l'esprit des gens est différent, la route de Tam n'étant pas dangereuse, elle est très courue, ce n'est qu'un défilé de touristes avec leur cortège de cochonnes venant croquer de l'exotique ; les restaurants chers et pas aimables, touristiques, alors que peu de gens passent par le Tanezrouft et quasiment que des pros du business ; nous allons boire un coup dans un restaurant « typique », le patron, vautré dans un fauteuil, joue les hommes bleus avec son attirail complet de colifichets touaregs, takouba* comprise, il est entouré d’Allemandes en pâmoison, quel clown !!!!!

Les autos des copains commencent à donner des signes de plus en plus nombreux de fatigue, les moteurs ne tirent plus, les ensablements sont de plus en plus fréquents, mes amortisseurs n’ont pas résisté, mettant la gomme pour passer une plaque de fech-fech*, après plusieurs rebonds, l'avant de ma voiture se vautre sur une grosse pierre fichée au milieu du sable, heureusement que j'ai suivi le conseil de poser la plaque de blindage, celle-ci est complètement défoncée, le carter moteur est tordu mais pas percé, la traverse avant du châssis est complètement écrasée et remontée de 10 centimètres, le radiateur rehaussé m’empêche de refermer le capot qui s’est ouvert sous le choc, je vire la protection désormais inutile.

Tamanrasset, nous allons visiter une source au fond d'une grotte très fraîche, on y puise l'eau à même une grande cuvette apparemment naturelle creusée dans le sol, une dizaine de vieux sont assis autour, et  bavardent tranquillement, cette caverne est à tout le monde, nul n'a tenté de la monopoliser comme on pourrait s’y attendre en France ; Nous nous envoyons deux ou trois rasades de cette eau naturellement gazeuse, puis, après avoir salué l’assistance nous sortons, coup de bambou du soleil !

La copine branche un couple de Français à pied qui va à Niamey, ils se mettent d'accord pour payer leur participation au prix du taxi-brousse, le lendemain, nous repartons direction le Niger.

Le soir, nous tombons sur un spectacle dantesque ! Deux énormes autocars sont ensablés jusqu'à l'os, des tous-terrains 6x6* monstrueux essayent de les dégager avec des câbles et des plaques de désensablage type terrain d’aviation américain de la dernière guerre ; ces cars ont des compartiments donnant sur l’extérieur comme des boîtes de 80x80centimètres sous l’espace des sièges, visiblement ce sont les couchettes ; rugissements de moteurs, gueulantes, le tout éclairé par de puissants projecteurs ; prudemment, nous prenons quelques distances car si un câble de cette taille se rompt, il vous tue sur le coup !

Nous nous arrêtons à côté d'autres personnes et regardons le spectacle en mangeant tranquillement, dans le lot il y a une fille dotée d’un léger strabisme convergeant (mon faible) (accompagnée), ce qui ne nous empêche pas de bavarder tout le repas, elle me dit avoir entendu un bruit selon lequel, pour rentrer à tarif préférentiel (pour le moins), il faut prendre par Air-Afrique un billet d’avion Ouagadougou-Niamey, faire semblant de dormir à Niamey, la station d'après est Paris!

Bien que n’y croyant pas, je retiens la combine ; le lendemain matin, la nana me donne son adresse, puis, au revoir tout le monde, direction I-n-Guezzam, sortie d'Algérie.

Les autorités conseillant de s’accompagner d’un guide pour ne pas s’égarer, je prends un touareg qui descend vers le Sud. Ce bougre, ayant l'habitude de voyager sur un chameau, en me guidant par signes me fait ensabler à plusieurs reprises, rouler sur des branches armées d'énormes épines, me conduit dans des culs-de-sac pour voitures, je finis par lui faire comprendre que je vais me passer de ses conseils, de plus, quand on est ensablés, sa seigneurie ne daigne pas donner un coup de main. Nous marchons dans les cramcrams* qui se mettent partout et nous piquent, ils sont très durs à désincruster des vêtements.

Plusieurs fois, nous manquons nous entrecartonner car le terrain est couvert de buissons de plus en plus hauts et que pour ne pas bouffer le sable du véhicule précédent, nous ne nous suivons pas : roulant de front à 60 à l'heure à cause du sol mou, cachés par ces buissons, nous nous croisons plusieurs fois au sortir d'un fourré, malgré plusieurs frôlements nous arrivons sans plus d’incidents à Arlit où commence le bitume.

Arlit-Agadez, revêtement correct, arrivés en ville, le copain et sa femme décident de faire refaire le moteur d'une des voitures, je leur dis que probablement à Niamey ils auront des garagistes moins chers et une meilleur disponibilité de pièces détachées, rien à faire, ils se sont fait embobinés par un type qui dispose d'une cour et d'un seau d'outils, une journée passe, je vais visiter le copain pour voir où çà en est, le moteur est en morceaux ; ce qui n'est pas gênant en soi, mais par terre, dans la poussière, ce qui est plus embêtant, le "mécano", s’appuyant sur une pierre, est en train de mettre des coups de pointeau dans les coussinets de bielles, je lui demande l'intérêt de cette modification, il se lance dans une théorie fumeuse à laquelle je comprends que dalle, je lui dis que si les ingénieurs de la maison Peugeot ne jugent pas utile cette pratique, c'est qu'elle ne sert à rien et que je la pense plus nuisible qu'autre chose, le lascar se met à fulminer, je m'esbigne en me disant, que les copains se sont emmanchés dans une histoire d'où ils ne sont pas prêts de sortir.

Retournant au campement où nous avons installé nos pénates, je casse l'histoire à Eric, nous décidons de continuer seuls, car le camping coûteux est obligatoire, les restaus chers et nous ne sommes pas trop ferrés.

Le soir, j'annonce la nouvelle aux autres, ils tirent une tronche de quinze mètres de long, je leur dis qu’avant de commencer cette réparation, ils auraient pu m'en parler, leur explique notre prochain dénuement, et leur fait comprendre que de toutes façons, la décision est prise et que nous partons au matin prochain.

Leurs passagers proposent de continuer avec nous, c’est d'accord, à condition qu’ils règlent ça avec leurs convoyeurs actuels.

Départ le lendemain avec deux passagers en plus (comme l'ours), les copains font la gueule, ce qui ne me dérange pas plus que ça, car je n'ai pas le choix.

J’ai convenu avec nos passagers de partager les frais d'essence, ils sont gagnants car c'est moins cher et plus confortable que le taxi-brousse.

Les pneus commencent à crever régulièrement car les épines dans lesquelles j'avais roulé sous la conduite de mon fumeux touareg passent petit à petit à travers l'enveloppe du pneu, à ce rythme mes provisions de rustines fondent à vue d’œil, nous nous relayons pour regonfler les pneus à la pompe à main, à la fin nous en avons vraiment ras le bol, je finis par déchirer une couverture en quatre bandes que je plie entre la chambre à air et chaque pneu, il y a du mieux.

Tahoua, Birnin-Konni, puis Dogondoutchi, Dosso, mon pote me dit qu’ici eut lieu un fameux concert l’année précédente, nous continuons de crever régulièrement….

Niamey, nous allons nous déclarer au commissariat central.

Il faut que je trouve un garagiste susceptible de me redresser la traverse avant car ma voiture a vraiment une sale tronche, il vaut mieux régler ce problème avant d’arriver au Bénin.

Je lâche donc les copains à la maison des jeunes et vais vadrouiller pour trouver le carrossier d'élite qui pourra me réparer le malheur ; un quart d’heure plus tard, j'ai trouvé l’homme qu’il me faut, nous nous entendons sur le prix, il est censé se mettre au travail immédiatement, me demande de payer d'avance, mais fort de mon expérience ivoirienne, je refuse tout net mais lui accorde une avance, lui laisse l'auto sans les clés, le Neimann position « Parking » (qui laisse le volant libre, mais ne permet pas de démarrer la voiture), je rejoins les copains et me prends une bonne douche, 2 heures après je reviens avec les amis pour voir où en est l'affaire, le soir est tombé, et nous projetons de casser une croûte dans l’un des petits restaurants indigènes qui pullulent dans le secteur.

Arrivé au garage, surprise, depuis que je suis parti, rien n'a avancé, aussitôt que j'ai tourné le dos, le type a lâché les outils et s'est éclipsé faire la fiesta avec mon oseille, je dis aux alentours que je vais dîner et que s'il n'a pas repris le boulot quand je reviendrai, j'irai à la police et demanderai à récupérer mon pognon.

Petit repas sympa, je retourne voir où en est mon affaire, la traverse déposée, mon loustic tape dessus gaillardement pour la redresser, je lui fais livrer une bière par un gamin pour l’encourager.

Le lendemain, petit déjeuner dans la rue, puis, je me pointe chez mon réparateur d'élite qui est en train de souder les pièces retapées.

A midi, la réparation est finie, je règle le solde, retourne à la maison de jeunes, mes covoituriers décident de continuer avec nous sur le Bénin.

Route tranquille, la frontière Nigèro-Béninoise  est matérialisée par le fleuve Niger ; entre les deux frontières, il y a de grands singes genre rapides à canines de fauves, sale tronche, après avoir fermé les fenêtres, nous passons juste à côté sans qu’ils ne bougent, ce n'est pas près rassurant.

Arrivés au poste Béninois, corrida !

Les douaniers fouillent la voiture, plus pour faire leur marché, que pour réprimer les introductions illicites.

Faisant la sourde oreille à leurs sollicitations à peine voilées, je laisse mes passagers se faire taxer, une fois que tous les douaniers ont tous eu un petit quelque chose, nous pouvons repartir.

Bonne route jusqu’à Parakou, nous nous arrêtons dans un petit hôtel-restaurant dont Nestor, le patron (petit, front bombé, pète-sec) a vécu pas mal de temps en France, et tient solidement son établissement, les chambres sont chères, nous prenons l’option de dormir sur la terrasse pour 1000 francs CFA (20 francs français).

Le soir, nous allons en ville pour manger chez les mamas, un flic me choppe, et veut me mettre une prune car un feu rouge arrière ne fonctionne plus, je remplace l’ampoule, mais il persiste à vouloir me ponctionner ; avant de payer, j’exige un reçu, le flic n’insiste pas en me disant, une note admirative dans la voix, et qui plus est, devant les copains « vous, vous êtes trop fort ! ».

La piste reprend à la sortie de Parakou, dans chaque ville ou village dans lesquels nous nous arrêtons, les enfants nous saluent en scandant « Yovo, yovo, bonsoir, çà va bien, merci…. » à maintes reprises, et sur tous les tons.

Dassa, nous discutons avec le patron d’un boui-boui en buvant une « Béninoise », bière nationale faite avec ce que les brasseurs ont sous la main lors du mélange, ce qui fait qu’elle n’a jamais le même goût.

Le bistrotier et ses potes nous disent qu’un Ecossais est parti dans les collines sacrées interdites, que l’on voit à gauche en face de sa buvette et qu’on ne l’a jamais revu, je pense en mon for intérieur que des lascars ont dû lui faire la peau. Reprise du goudron à la sortie de ce gros village.

Bohicon, carrefour de l’igname, nous y cassons la croûte.

Entrée de Cotonou, un panneau géant au dessus de la route principale "MORT AUX TRAITRES". Pas besoin de se déclarer au commissariat de police.

Nous renseignant pour savoir où loger, nous atterrissons à l’hôtel "Babo", énorme bloc de béton de cinq étages (sans ascenseur bien sûr), avec une dizaine de chambres chacun, nous en prenons une pour quatre personnes,  renseignement pris, les transactions automobiles se font au « Bénin palace », je m'y rends après la douche.

Les ventes de voitures se font légalement au Bénin, mais le racket local rend quasiment obligatoire une "commission" à des "intermédiaires" qui se trouvent sur place. Les clients potentiels se pointent au Bénin palace , ils sont aussitôt pris en main par les "intermédiaires" qui organisent la visite, toutes les autos (pour la plupart françaises) sont là pour ça.

Nous restons trois jours sans que j’aie de touche sérieuse, nous décidons d’aller au Togo voir si les acheteurs y sont plus intéressés par les Peugeot.

Lomé, nous allons nous déclarer au commissariat. Les hôtels sont affreusement chers ; le coin est trop européanisé, pas d’hôtel Babo.

A la recherche d’un gîte abordable, nous tournons un peu dans la périphérie, pas mèche !!

De nuit, en pleine pampa, nous crevons encore une fois.

Nous ne pouvons dormir sur place à cause des moustiques à percussion. Nous frappons à la porte d’une maison isolée, un boy nous ouvre, une Anglaise arrive, je n’ai pas le temps d’en placer une qu’elle nous supplie de partir tout de suite car son mari va rentrer, visiblement, il la terrorise ; le boy ne parlant pas Français, j’en profite pour demander si elle a besoin d’un coup de main ou un message à faire parvenir à quelqu’un, elle ne veut que nous voir disparaître, après tout, c’est son affaire……….

A la lueur des phares, bouffé par les insectes, je retape la chambre à air, bientôt, elle sera trois fois plus lourde que l’originale !

Dans une banlieue, nous demandons à louer une chambre, nous trouvons rapidement ; nous n’avons pas fini de nous installer que déboule une voiture bourrée de flics armes à la main, embarquement immédiat au commissariat principal de Lomé.

Nous y restons toute la nuit sur des bancs en bois.

Le lendemain, le commissaire arrive (pas de bonne heure, bien sûr), heureusement que nous nous étions signalés, la populace nous ayant dénoncés comme mercenaires, sans cette précaution, c’était la tôle directe, et en Afrique, on sait quand on y entre, pour en sortir, c’est une autre paire de manches !!

Sortis, nous allons déguster d’excellentes salades qui nous filent une chiasse carabinée, puis décidons de retourner au Bénin car il n’y a pas moyen de vendre la brouette par ici.

Je lâche tout le monde à l’hôtel Babo, puis retourne au Bénin Palace.

Tous les midis, l’électricité est coupée à deux reprises, pour faire sauter les parties de flippers en cours et que l’assistance puisse se régaler de l’Internationale qui précède l’un des magnifiques discours enregistrés de Matthieu Kérékou*, le soir, même topo, ce sont toujours les mêmes harangues (de la Baltique) qui reviennent.

Je vends rapidement la carriole sans donner une trop forte commission, me restent  420.000 francs C.F.A (8400 francs Français).

Il était temps de conclure !! J’ai dû céder mon appareil photo, et taper du pèze à mes passagers pour finir la route, et le mec (c'est lui qui argente) tord le nez.

Aussitôt de retour à l’hôtel, je rends illico son flouze à mon créancier, et, avec Eric, on va se taper une bonne cuite ; il se fait draguer par une petite Ghanéenne craquante comme tout, ils roucoulent durant les trois jours que nous « durons » encore à Cotonou, vu l'argent qu'il me demande de lui prêter pour les adieux, il est content de ses services, ce sont ses oignons, touchant ses allocations en France, il me remboursera plus tard.

Nous tenons toujours la colique rapide qui tord le ventre, Eric, se rendant à une pharmacie achète sans ordonnance de l’élixir parégorique (interdit à la vente libre en France), l’effet est radical.

Nous allons le soir déguster de petites soles éclatées dans l'huile de palme bouillante, de l’igname avec de la sauce, quelques fruits, tout cela à la lueur de petites lampes à pétrole faites dans des canettes de bière artistement découpées dont le dessus soudé, est doté de petits manchons pour tenir la mèche, il fait doux, je suis riche, les gens sont cools, tout est bien.

J’achète un chouette fauteuil de bois massif 15.000 francs CFA (300ff), le faire expédier en avion me coûte 900ff.

Le lendemain, vers le port, je vois une librairie dont la vitrine est principalement réservée aux petits livres rouges de Mao Tsé Toung, ainsi qu’à de petites broches émaillées représentant Lénine, Staline et toute la clique.

Réfléchissant sur le moyen de remonter en France, je me dis que je n'ai aucune envie de me retaper la piste pour le retour ; Cotonou-Paris par Aeroflot coûtant entre 5 et 6000ff, la conversation avec la petite nana de Tamanrasset me revient en mémoire, j'en parle aux copains, personne ne croit à l'histoire, mais Eric me dit que si je risque le coup, il le tente avec moi.

Nos passagers n'ont pas l'air de vouloir nous lâcher, le mec a des connaissances à Ouagadougou ; depuis Tamanrasset il nous rebat les oreilles d'une fameuse recette culinaire dont il se propose de nous faire profiter, ce sera l’occase ; Nous nous rendons à Jonquet, énorme station de taxis-brousse qui en partent à toute heure pour toutes les destinations, nous prenons un Cotonou-Lomé, car pour aller à Ouagadougou, le plus directe est de faire Lomé-Ouaga (voir carte).

Lomé, nous allons boire un coup à l'Abreuvoir, un des bars où se retrouvent les touristes ; des balançoires pendues au plafond remplacent les tabourets de comptoir, nous éclusons une excellente bière allemande, la «Eku», les Ghanéennes de service sont fidèles au poste, il faut dire qu'à la frontière Togo-Ghana il y a des changeurs qui donnent entre quinze et vingt fois le cours officiel C.F.A/Cedi, je soupçonne mon copain d'avoir donné pour trois jours de Nirvana l'équivalent de deux ans d'émoluments d’un fonctionnaire Ghanéen.

Lomé-Ouagadougou, à peu près huit cent bornes en 404 plateau, toujours 19 personnes derrière et 3 devant.

Arrivés à Ouaga, Eric et moi, trouvons un petit hôtel pas cher et sympa en rez-de-chaussée avec une petite cour au centre, style atrium sur laquelle donnent toutes les portes des chambres, nous gardons les bagages de nos coéquipiers qui partent en taxi chez leur copain, ils doivent revenir nous chercher pour les agapes promises depuis Tam.

La journée passe, personne ; en fin d'après-midi, arrivée en trombe du passager qui vient récupérer les affaires, il n'a pas le temps de nous en dire plus ; en fait, il file comme un pet sur une toile cirée se taper le ragoût sans nous, nous ne les reverrons ni l’un ni l’autre.

Le lendemain, je passe chez madame Air-Afrique prendre des billets Ouagadougou-Niamey ; 36000 francs C.F.A les deux, soit 360 francs français par tête de pipe, si ça marche, c’est raisonnable !!!!.

Nous attendons deux jours en bronzant dans la cour pour éblouir les copines de Dordogne car là-bas c'est encore l’hiver.

Le soir d'embarquement, il fait une chaleur épouvantablement moite, l'aéroport est un tohu-bohu indescriptible, nous attendons, Artaban ne craint pas de concurrence de notre part !!

Au guichet, premier écueil : le mec veut mettre ma valise en soute, j'aurais dû y penser !! Si celle-ci débarque à Niamey, elle est perdue ; j’y tiens car elle contient des pointes de flèches de silex taillé, bracelets anciens, poignards et autres  achetées aux Touaregs croisés sur la piste ou aux marchands de souvenirs; je dis que j'ai oublié de confier un objet à quelqu'un, retourne avec mon pote sur le parking, jette la valise, des vêtements, sac de couchage et tout ce qui n'est pas achats typiques de ce voyage ; quand je reviens, je ressemble à Bibendum, malgré la température infâme, j'ai passé deux pulls et des chemises auxquels je tenais particulièrement, des bracelets de bronze-argent énormes autour des poignets, malgré mes manoeuvres, je retombe sur le même employé à l’enregistrement qui ne me reconnaît pas!

Nous embarquons, trouvons deux places côte à côte, je suis côté hublot, l'avion décolle.

Le plan prévoyant de faire semblant de dormir, nous nous y employons avec beaucoup de conviction. Vingt minutes plus tard, les hôtesses se penchent sur chaque passager et lui demandent quelque chose que nous ne parvenons pas à saisir, arrive notre tour, la fille essaie de réveiller Eric, bien sûr, peine perdue ; il devient vite évident, à son ton insistant, qu'il lui faut absolument une réponse, faisant semblant de me réveiller péniblement, je lui dis pour justifier notre profond sommeil que nous sommes malades et lui demande ce qu'elle veut, elle désire savoir si nous descendons à Niamey où Paris, je remarque qu'elle tient une planchette  avec des papiers tenus par une pince, supposant qu'elle pointe les billets, je lui réponds que nous descendons à Niamey, sur quoi elle nous tend deux fiches à remplir par personne, l’une pour la douane l’autre pour la police Nigérienne.

Consternation à Landerneau ! Dès qu'elle est passée, mon pote revient à la vie et s’inquiète de la suite des opérations, je lui dis « tant qu'on ne nous vire pas à coups de pompe au train, nous restons dans l'avion, le plan continue » ; à tout hasard nous remplissons les papiers puis les glissons dans les poches devant nous, l'avion pique maintenant sérieusement du nez, ça sent l'atterrissage imminent, nous reprenons notre somme en serrant furieusement les miches.

Atterrissage, les portes s'ouvrent, les gens sortent, une chaleur torride envahit la carlingue; quelques temps après, il n'y a plus de passagers dans le zingue, dix minutes passent, bien que nous ayons coulé dans nos sièges au maximum, l'hôtesse revient et commence à nous secouer l'un après l'autre de plus en plus fort, inutile de dire que nous ne bronchons pas! Finalement elle se lasse, dit « tant pis » et s'en va.

Nous restons ainsi pendant une bonne heure, situation inconfortable s'il en est ! Puis de nouveaux passagers commencent à monter ; apparemment, les places que nous occupons ne sont pas louées car il n'y a pas de réclamation, les portes se ferment, l'avion se met en bout de piste et roulez petits bolides !!!

Malgré la tension, nous parvenons à dormir pour de bon.

Le lendemain matin, l'hôtesse (toujours la même) un plateau de petit déjeuner à la main, nous réveille beaucoup plus facilement, nous mangeons comme des gorets, les émotions çà creuse !

L'avion descend sur la France, la vie est belle malgré un reste d'inquiétude.

Une fois avoir atterri, nous nous levons, avançons petit à petit derrière les gens dans la travée pour sortir, Eric me tape discrètement dans le dos et me fait signe de regarder derrière lui, je vois un type genre P.D.G qui me regarde, le pouce levé, une lueur amusée dans le regard ; derrière nous dans l'avion, il avait assisté à notre prestation, d'un air faussement modeste je lui fais « Hé!».

Nous sortons de l'appareil, passons douane et police, c’est seulement à ce moment qu’on peut dire que l'affaire est réussi, nous poussons un grand ouf, mais nous avons eu chaud, et je me promets de ne recommencer qu’en dernière extrémité !

 

                                                                                                 _Troisième chapitre_

 

De retour en Dordogne, j’envoie une carte à la petite nana de Tam pour lui dire que le système d’Air-Afrique  fonctionne bien.

Recherche d'un appareil à brouter du bitume, un présumé copain connaît une 404 en parfait état, pas chère, mais je dois lui rétribuer le renseignement, je l’envoie se faire téter les yeux.

Dans un camp de gitans on me propose une 404 commerciale blanche, la caisse un peu rouillée, la mécanique en excellent état, depuis les déboires de mon premier voyage, j'inspecte soigneusement l'outil à traverser le désert ! La différence entre la commerciale et le break est que ce dernier est mieux équipé, et pour les nouveaux modèles un tableau de bord trois compteurs qui plaît beaucoup aux Africains.

1000 francs demandés, je fais baisser à 600, baluchon, départ ; curieuse impression d'être une flèche tendue vers l'Afrique, ce coup-ci, je ferai Alméria-Mélilla, Mélilla est une enclave Espagnole au Maroc, l’anisette et le whisky y sont cinq fois moins chers qu'en France ; j’avais remarqué qu'une fois défait la garniture de portière, une bouteille de whisky carrée entourée de journaux se coince parfaitement au fond de cet espace, d’où la dizaine de vieilles publications glanées sur ma route.

Je m’arrête dormir en Espagne, me réveille par un froid de canard 4 heures plus tard, il y a une couche de glace sur les vitres à l’intérieur de la voiture, je démarre le moteur, mets le chauffage, gratte une meurtrière pour voir une portion de route, et pars, toujours emmitouflé dans le sac de couchage ; quelques kilomètres après, je m’aperçois que la température d’eau du moteur attaque la zone rouge, et que le chauffage n’évacue pas de calories, j’en déduis que toutes les canalisations et sûrement le radiateur sont gelés, je me gare. Un quart d’heure plus tard, je remets le contact, l’aiguille de température est descendue, je continue, rebelote, m’arrête à nouveau, je ne regrette pas d’être resté dans mon cocon !

J’arrive à rouler ainsi jusqu’à un restaurant qui, malgré l’heure tardive est toujours ouvert, je m’extirpe, et entre dans l’établissement à assouvir les faims et soifs, commande un casse-croûte, un verre de rouge et un café.

Une heure plus tard, le chauffage est de nouveau opérationnel, apparemment, pas de dégâts.

Mélilla, attendant le bateau, je croise un Français grand, brun, Corse, que j’ai déjà  entrevu à Cotonou, visiblement, il s'apprête à faire la traversée, on se salue, il passe par Gao, c’est un bon, nous décidons de faire un bout de route ensemble.

On se retrouve sur le pont le lendemain matin, pendant la nuit, il a trouvé moyen de tringler une grosse Allemande. Nous faisons nos provisions de route et d'alcool à Mélilla, au passage je lui montre le truc des bouteilles de whisky, du coup, il en prend trois de plus.

Passage de la frontière Marocaine toujours aussi tranquille, mais à la sortie, problo pour moi, je n'ai pas changé la carte grise par économie, et le douanier me cherche des poux dans la tête car je n'ai qu'un acte de vente signé pour justifier que je suis propriétaire du véhicule.

C'est le soir, le big-chef ne viendra que le lendemain matin, lui seul pourra prendre une décision ; le copain lui, n'est pas emmerdé car il a pris la précaution de faire légaliser la signature du vendeur.

Le processus de légalisation consiste à accompagner le vendeur à la mairie, il signe l'acte de vente devant la personne habilitée qui appose tampons et signatures certifiant que l'acte a été signé devant elle par le propriétaire ; en y réfléchissant, je trouve logique que le douanier m'ait arrêté, mais je n'ai pas l'intention de retourner en Dordogne pour réparer la bévue, je dis au copain qu'il ne m'attende pas, mais il préfère rester pour voir ce que ça va donner, je n'insiste pas outre mesure !

Le petit matin arrive, le chef aussi ; bref conciliabule entre douaniers, le gradé vient me voir, je lui dis avoir appris seulement cette nuit l’existence de la légalisation de document ; il est sympa, après avoir discuté un peu, il me tend mes papiers en nous souhaitant bonne route. Plusieurs fois par la suite je me rendrai compte que les affaires bancales se règlent en Afrique par le dialogue et le contact humain (on pourrait prendre modèle en France!).

 Passage de la douane Algérienne toujours aussi rigide, nous nous séparons à Tlemcen où mon compatriote a des affaires en cours.

Pas de pompe à essence ouverte ou approvisionnée sur la route, je pense en trouver plus tard, hélas, à Sebdou, la pompe est à sec, 40 bornes avant El Aricha, l’horizon est totalement désertique et enneigé, alors qu’en France, il faisait doux ; l’aiguille d’essence bloquée sur le zéro depuis longtemps, je vois enfin une maison isolée, je vais taper à la porte et demande au type qui vient de m’ouvrir s’il peut me vendre de l’essence,  il me dit « bouge pas » ; il revient peu de temps après avec un bidon d’une dizaine de litres à moitié plein, je fais une transfusion à mon réservoir, rends la consigne à mon sauveur, lui demande combien je lui dois, il me dit « rien du tout », je lui serre la main en remerciant énergiquement.

Je cède mes bouteilles au fil de la route, notamment dans les stations d’essence, car les pompistes demandent systématiquement si l’on a quelque chose à vendre. Les mecs sont sympas, n’ayant pas besoin de beaucoup de dinars, je vends les bouteilles 200 dinars en faisant remarquer que je leur fais une fleur, et que la prochaine fois, ce sera le tarif syndical soit 300 dinars, la rareté du produit fait que l’on peut demander ce qu’on veut en étant chien.

L’accélérateur s’enfonce très facilement sur les 404, c’est pénible, car je ne peux pas reposer le pied dessus, je palie le désagrément à l’aide d’un tendeur sous la pédale.

Adrar, je vais manger un ragoût chez Ramdann, il me rempli 2 bidons d'eau de 10 litres puis je vais à la station charger 250 litres d'essence.

Reggane, il n’y a pas de gens en attente d’un convoi, j’y vais au flanc comme si je ne savais pas qu’il fallait passer en groupe, les douaniers à la vue des tampons de mes différents passages me laissent partir seul.

300 bornes plus loin, je m’arrête pour siphonner du carburant, je suis surpris d’entendre du bruit en ouvrant le bouchon, je tends l’oreille, l’essence est en train de bouillir, je ne sais pas si la cause en est la chaleur ambiante ou le frottement du fond du réservoir sur le sable brûlant, je me fais du soucis, ayant peur que cette évaporation ne diminue mon autonomie en combustible. Il est difficile, vu les différents terrains traversés de faire le calcul, au résultat, je ne pense pas que la perte par évaporation soit très importante.

Passage de la frontière Malienne cool, 30 ou 40 bornes après Anéfis, je crève, je suis en train de resserrer la roue, quand, derrière moi, j’entends « bonjour », lorsque je me suis arrêté, il n’y avait rien à tous les horizons, et maintenant, un Peul* qui traverse d’est en ouest me salue, je lui rends son salut en essayant de ne pas avoir l’air trop estomaqué ; il est vêtu d’une courte tunique, d’un saroual (large pantalon) et porte une guerba* moitié plate sur le dos, il ne s’arrête pas pour discuter, et continue son chemin d’un pas allègre.

Aux alentours de la Markouba*, des Tamasheks me font signe de m’arrêter, (ce que tout le monde fait religieusement dans ces régions désolées), pendant que je leur donne de l’eau, ils me font la manche, mais je n’ai que du mathos de première nécessité dont je ne peux me défaire.

40 bornes avant Gao, je retrouve facilement le petit monticule aux vestiges archéologiques, bien qu’il soit peu surélevé, dans la platitude du panorama, il est parfaitement repérable, je trouve des tessons de poteries décorés de dessins géométriques réguliers, la tranche de la cassure est brun clair avec une épaisseur gris foncée au milieu, je ramasse un morceau d’os, il offre au toucher deux parties, une froide, et l’autre chaude, tapant dessus avec la lame d’un couteau, je m’aperçois qu’une moitié est fossilisée, l’autre pas. Je ne m’attarde pas, car ces trouvailles ne sont pas extraordinaires.

Gao, Niamey,  20 bornes après la sortie de la ville, un caillou me pète le pare-brise, je fais demi-tour pour aller au marché des pièces d’occasion changer le morceau, à l’entrée de l’agglomération, les flics m’arrêtent et commencent à dire :

_ « Vous allez payer car vous roulez avec le pare-brise cassé. »

_Moi : « Chut….écoutez, ça vient d’arriver ! », et je tends le doigt vers le pare-brise, on l’entend encore craquer, les flics doivent en convenir, et me laissent passer.

Après la pose à la ficelle d’un pare-brise d’occase, je reprends ma route.

De nuit, un troupeau de moutons ou chèvres dont je ne vois que les yeux s’est approché de la piste, ce défilé de lumignons dans l’obscurité totale est impressionnant.

Je dors au camping de Kandi dont les chambres sont absolument immondes, des animaux de toutes sortes et de toutes tailles sortent de la brousse proche et viennent patrouiller le secteur, de plus, l’ampoule de 25 watts pendue au plafond ne permet pas de faire l’inspection des lieux, je mets mon sac de couchage sur le matelas crade et sans draps, écarte du mur le lit en ferraille pour m’éviter des visites intempestives, et en écrase comme un sonneur.

Cotonou, le Bénin-palace, l’un des intermédiaires m’emmène chez une mama-Benz*qui fait du business de tissus. Nous tombons rapidement d’accord sur le prix et convenons d’un rendez-vous dans l’après-midi au Q.G pour régler l’affaire.

L’après-midi passe, personne, au soir, un type me demande, l’air de se prendre très au sérieux, me tend une carte de visite et se dit le frère de la mama, il l’excuse car elle ne peut venir, il faut que je me présente à son bureau le lendemain matin pour conclure la vente.

Le lendemain, je me pointe, sa seigneurie me fait patienter, au bout de dix minutes, je dis à la secrétaire que je m’en vais, comme par hasard, il devient disponible, me fait entrer et asseoir dans son bureau, demande la carte grise pour faire rédiger l’acte de vente par son employée, et m’explique que le prix convenu avec sa sœur n’est plus de mise, me tend le dit acte de vente à signer, la somme convenue amputée de 1500 francs C.F.A.

Je me lève, ôte le trombone qui tenait le feuille dactylographiée et la carte grise ; empoche cette dernière, déchire de haut en bas le bel acte de vente tout neuf, tout en lui disant qu’il ne sera jamais un homme d’affaire, que quand on se met d’accord sur un prix, on s’y tient, que dans les temps anciens, les chevaliers retournaient volontairement chez l’ennemi quand ils n’avaient pu réunir la totalité de leurs rançons pour se faire couper la tête, et respecter ainsi la parole donnée ; sur ces bons mots, je sors en claquant la porte.

Comme tous les passeurs un peu secs, je vais au petit restaurant malien situé en face du Bénin palace, ce n’est qu’une cahute de planches dans laquelle pour trois fois rien on peut manger un plat. La bouffe y a toujours un fort goût de détergeant, au début, je suppose que, faute d’eau courante, les assiettes sont mal rincées; j’apprendrai plus tard que les mamas, pour évacuer les œufs de mouches, lavent la viande à la lessive.

C’est pas tout ça, il faut que je largue vite fait mon os.

Je branche Doudou, petit Malien sympa, intermédiaire au Bénin palace et nettement plus intelligent que la moyenne de cette engeance, lui dis que j’ai l’intention d’aller prospecter  à Porto-Novo distant d’une soixantaine de kilomètres vers le Nigeria, cette ville étant moins saturée de voitures à vendre ; je préfère l’emmener et être tranquille, lui filer une commission sur laquelle nous nous entendons au préalable, plutôt qu’avoir des embrouilles avec les mecs du cru, et donc la police de Porto-Novo.

Une demi-heure après être arrivé, la voiture est vendue 450 .000 C.F.A, nous nous arrachons illico en taxi-brousse dans lequel je file sa com’ à Doudou, il s’arrête avant Cotonou car il a une copine dans le coin.

Un habitué du Bénin-palace me dit qu’il a fourgué sa 504 break complètement destroy au « frère » de la mama-Benz 600.000 CFA, le connard n’a rien vu ! Je suis désolé pour la gentille mama, car le frangin a dû vouloir jouer au plus malin pour s’en mettre au passage une poignée dans les fouilles.

A l’hôtel Babo, je fais connaissance de deux  Hollandais, Hans et Jöss, pour ce dernier, c’est la première traversée, il a déjà fourgué sa caisse en route, nous sommes en train de discuter en buvant une B.B (bonne Béninoise), quand un des fils du Babo’s hôtel dit à Hans qu’il y a des Nigérians intéressés par sa 504, nous descendons, trois mecs entourent une noire mince et élancée dans un extraordinaire habit vert et jaune de grande prêtresse, elle est coiffée d’une mitre comme en portent les évêques des mêmes couleurs ; Hans, parlant parfaitement anglais, attaque la discussion. J’observe l’Eminence Noire, elle a un charisme fabuleux, deux types s’occupent de la palabre, la vestale devise tranquillement avec le troisième, les problèmes bassement matériels n’ont pas l’air de la concerner.

Quelques instants plus tard, Hans et ses interlocuteurs se mettent d’accord, l’argent change de main, les types sortent d’un sac des plaques minéralogiques et les fixent sur les pare-chocs, tout le monde se salue ; après avoir acheté une bouteille de whisky et de la glace, nous remontons dans nos piaules arroser la transaction.

La combine du moment pour rentrer à un prix raisonnable en France consiste à acheter la monnaie nigériane à Jonquet ou à la frontière moitié moins cher que la cote officielle, et prendre une ligne régulière à Lagos avec donc 50% de réduction, ce qui donne (avec le taxi-brousse à 10.000 C.F.A par tête pour aller à l'aéroport) un retour entre 2500 et 3000 francs français selon le cours, ce qui reste raisonnable.

 Il faut un visa pour passer au Nigeria, deux jours de délai.

Après avoir récupéré les passeports, nous louons un taxi, un Français, Hans, Jöss et moi, nous changeons ensemble notre argent pour avoir un meilleur taux.

A la frontière Béninoise, le chauffeur du taxi engage un peu le capot de la voiture sous la barrière, un gendarme arrive, furieux, gueulant comme un porc qu'on égorge, le conducteur semble terrorisé, discuter n'y fait rien, le militaire se penche à la portière et nous demande de descendre, car «le véhicule est saisi par la gendarmerie».

De la main, le chauffeur nous fait discrètement signe de ne pas bouger, ce geste tranquille  contraste étonnamment avec son air affolé, il descend de la voiture, la polémique s'engage ; bakchich, le gendarme avec un sérieux extraordinaire nous annonce officiellement que « le véhicule est dessaisi par la gendarmerie».

Aussitôt après, la douane nigériane : « hight speed », des gens passent à pied du matériel de toute nature du Bénin vers le Nigéria, et inversement ; cela à cinq ou dix mètres des douaniers sans qu’ils semblent s'en apercevoir, un type tente de passer avec un énorme rouleau de tissus sur la tête, juste après la douane, côté nigérian, il est encadré par cinq gus qui commencent à tirer sur le rouleau pour lui chouraver, ils opèrent avec un naturel déroutant, tout se passe sans bruit, sans une parole, le type résiste, alors, ils commencent à le tabasser avec des bâtons, dix secondes plus tard, le mec est en sang, détroussé, personne n'est intervenu, il repart vers le Bénin, sans se plaindre, son fatalisme est saisissant ! Les formalités accomplies, nous repartons, barrages partout, les militaires ont des mitraillettes Thomson de calibre 45 comme au temps de la Prohibition, de grands boucliers de lames de bois tressées et des lances type Massaï.

 Aéroport de Lagos, le chauffeur nous avait prévenus qu'il fallait sortir à toute vitesse de la voiture car si elle stationne plus de trente secondes, les flics qui pullulent devant l’entrée matraquent le capot, nous nous extirpons de l'auto rapidos, prenons les bagages dans le coffre, il démarre plein pot sans même dire au revoir.

Dans le hall, nous attendons l'affichage des destinations qui nous intéressent ; prenons des billets sans problème, le cash est le seul mode de paiement accepté, ayant des destinations différentes, les Hollandais sont les premiers à partir.

Puis c'est le passage police-douane, il y a des coups de gueule pour un rien, l'atmosphère est chargée d'électricité, les passagers sont pressés et bousculés, les douaniers refouillent les voyageurs avant la rampe conduisant à l’avion, plus pour leur soutirer quelque chose que pour découvrir d'éventuelles armes, le Nigeria est vraiment craignos !

Nous survolons le Sahara durant deux heures, je me dis qu’il faut être dingue pour avoir traversé cette immensité, seul, dans une bagnole à 600 balles.

Arrivée à Paris, ouf ! Un petit bonjour à la famille, puis retour en Dordogne.

 

                                                                                             _Quatrième chapitre_

 

 

Je trouve une 404 berline nouveau modèle, boîte en H, tableau de bord trois compteurs, légalisation de l'acte de vente, descente.

Adrar, le soir, je mange chez le père Ramdann, j’y fais connaissance d’un Français étrange, la cinquantaine, il connaît bien les mœurs autochtones, et furette un peu partout en Algérie durant sa descente, il me montre des petits papiers qu’il a été chercher à l’écart de la ville, ce sont des formules magiques écrites en arabe exprimant des vœux et enterrées dans des tessons de poteries à un endroit susceptible de faire se réaliser les souhaits. Comme il est trop tard pour passer la douane, nous nous écartons un peu de la ville afin de dormir dans nos voitures, cette agglomération absolument déserte la nuit, et non éclairée, est sinistre.

Le lendemain, je vais remplir le fût de 200 litres que j'ai mis à la place du siège arrière, deux vieux pneus en guise de berceau.

Le douanier chargé de la fouille de sortie (toujours le même depuis mes premières incursions) ne visite plus que symboliquement ce que j’ai dans l’auto, il me demande, l’air de pas y toucher, des «revues», doux euphémisme pour désigner des livres et revues pornos, comme il n’est plus regardant sur les pièces inscrites au carnet de devises, je lui dis que la prochaine fois, je penserai à lui.

Reggane, trois voitures attendent une quatrième pour faire convoi, nous partons ensemble, pas d’incidents notables jusqu’à 90 bornes avant Anéfis, là, des convoyeurs Algériens sont en train de désosser fiévreusement une 404 immatriculée en France, il n’y a déjà plus de phares, portières, feux arrières, pare-brise, etc…. tout le monde s’y met, les sièges sont enlevés, pour ma part, je prends le bloc portant les pédales avec le servofrein ; les Algériens mettent la voiture sur le flanc pour sortir plus vite moteur et boîte à vitesses, l’un d’eux me dit qu’ils se dépêchent car les proprios comptent vendre la voiture aux policiers d’Anéfis.

Apparemment, les transporteurs étaient là quand la Peugeot d’un convoi est tombée en rade, les Français ont fermé leur voiture à clé comme sur les Champs Elysées, empruntant le reste du convoi. Une fois tout ce beau monde disparu à l’horizon, les Algériens se mirent à la besogne. Après quelques menues autres ponctions, je dis aux copains qu’il vaut mieux abandonner vite fait la curée car les indigènes connaissant bien le terrain, vont contourner le poste d’Anéfis, par contre, nous, nous sommes obligés d’y passer pour avoir le tampon prouvant notre passage à ce gros village Touareg.

Anéfis, les flics sont avec les Français, des jeunots, tous sur le point de repartir avec les véhicules restants du convoi pour aller chercher la voiture laissée en arrière, l’agent en poste nous dit que ses collègues ont déjà acheté la 404 abandonnée sur la piste, la tronche qu’ils vont faire !!!

Vingt kilomètres avant Gao, nous croisons un vieux en scooter qui nous fait signe d’arrêter, il remonte vers le Nord, un peu épaté, je m’arrête, les autres continuent ; le type me demande de l’eau, entre deux gorgées, il dit remonter en France à travers le Sahara par ce moyen hors du commun.

Il est couvert de furoncles, et conduit son engin sur une fesse, ayant une énorme pustule sur l’autre, son short est collé par le pus ; je lui explique qu’il n’a aucune chance d’y parvenir avec son tromblon Italien, que bientôt, il va attaquer le sable mou, il ne veut rien savoir, dit être un ancien légionnaire, que rien ne peut arrêter. Il n’a qu’une besace de vivres, un petit jerrycan d’essence, j’insiste, lui redis qu’il a 1200 bornes à s’appuyer, qu’il lui va falloir continuer 100 kilomètres plus loin avec son Vespa sur le dos car il n’aura plus d’essence, lui montre la carte, rien à faire, ce barjot est indécrottable, et la bière qui m’attend bien fraîche à l’Atlantide….. je lui laisse mes bidons de 10 litres d’eau à peine entamés,  et continue sur Gao.

Je retrouve les copains au commissariat de police, salue Mambi, remplis ma copie comme un grand, et vais m’en jeter deux de 75 centilitres glacées dans le cornet.

Sur le marché aux « souvenirs », après avoir marchandé des pointes de flèches et haches préhistoriques de silex, je m’interroge devant l’hésitation du marchand à prendre la monnaie, je saurai plus tard la raison de cette circonspection : je tendais mon argent de la main gauche, celle utilisée en Afrique  pour les ablutions anales.

Gao, Niamey, frontière Béninoise, les douaniers toujours aussi speed, mais maintenant, je les connais, ils font du cinéma derrière leurs lunettes miroir tels des tontons macoutes, quand ils ont « mangé un peu », ils redeviennent calmes, ne pas se laisser impressionner, et ça passe.

Le matin, je vois à deux reprises des caméléons finissant de traverser la route, surpris, je n’ai pas le temps de les chopper.

Je dors à l’infâme « camping » de Kandi, de bonne heure, je vais prendre un petit déjeuner sur la place où s’arrêtent les taxis-brousse, café au lait, tartine de confiture et margarine.

Etape à Parakou, cuite avec quelques passeurs de voitures que j’ai pour la plupart déjà aperçu au Bénin-palace.

De nuit après Kokoro, un python de deux mètres venant de la droite traverse la piste juste devant la voiture, je braque à droite en freinant sec, tire le frein à main, il a déjà la tronche dans les herbes du côté gauche de la route, quand, lui sautant sur le râble, je l’attrape derrière la tête, ma voiture s’arrête un peu plus loin. Les pythons que l’on voit en Europe sont mous ; quand ils sortent de brousse, c’est un autre genre d’outil ! Celui-ci se roule instantanément sur lui-même, je me retrouve avec une énorme boule dure comme du boa (ne pas retoucher S.V.P.), un peu comme une balle de tennis géante, la tête et la queue à l’intérieur, pas moyen de le faire sortir de cette position, ni de le lever, il pèse un âne mort, je le caresse, ses écailles sont douces hélices (ne pas retoucher S.V.P.), rien à faire, il ne bronche pas, à croire qu’il n’a pas confiance ! Finalement, je le roule dans la végétation qui borde la piste car je ne sais pas quand il sortira de cette position stratégique, et je ne voudrais pas qu’il se fasse cartonner.

Il faut dire qu’au fil du parcours, à partir de 50 bornes après Bordj-Moktar, la végétation  recommence à pointer le museau, d’abord de petites touffes éparses d’herbe jaunâtre, un épineux rabougri par ci, puis deux par là, le Niger est un intermédiaire sahel-brousse ; à partir de la frontière Béninoise, la végétation est souvent luxuriante.

Passant à Bohicon, je me dis qu’un petit crochet par Abomey* serait peut-être intéressant car les passeurs, près d’arriver à Cotonou ne pensent pas à essayer un autre débouché si près du Bénin-palace.

Je me fais un copain qui tient un petit restaurant près du marché, Johnny, expansif, trapu, une grosse bille ronde, c’est un spécialiste en omelettes de toutes sortes, il a un affreux roquet de chien rusé comme un fennec appelé Pilate, quand il me regarde, je ne résiste pas au plaisir de lui demander « à quoi tu penses, Pilate ? » ou quand il court, « où tu fonces, Pilate ? », le soir, avec un autre Français rencontré en cours de route, nous faisons une belote Africaine contre Johnny et un pote à lui ; la belote Africaine, c'est la belote Française, à part qu'on a le droit de tricher, mais pas de se faire prendre, l'enjeu : la bouteille de whisky qui est là sur cette table et qui est déjà bien entamée, on est tous bourrés à la clé, car avant de manger les fameuses omelettes, on a largement pris l'apéro et bu du rosé portugais pour pousser tout çà, il faut dire qu’au Bénin l'alcool est trois ou quatre fois moins cher qu'en France, il n'y a pratiquement pas de taxes sur les importations, pas d'impôts à payer, quand vous ouvrez une boutique, vous ne devez rien à personne, tout ce qui tombe dans la caisse est pour vous ; nous sortons de chez Johnny tard dans la nuit.

Nous avons élu domicile à la maison des jeunes travailleurs, la journée de piaule (propre) est à 500 C.F.A, j'en sors le lendemain matin avec la bouche en fond de cage à perroquet, passe voir le père Johnny qui se porte comme un charme, il a déjà fait son marché et est en train de nous mitonner un ragoût de derrière les fagots, le temps qu'il me prépare le café au lait avec tartines, je vais au marché pour acheter de l'aspirine fabriquée au Nigeria, m'en enfile deux avec le petit déjeuner, puis repart sur la place histoire de me dégourdir les jambes, toutes les mamas proposent leur articles en souriant, les odeurs sont très fortes, les mouches sur la viande ne dérangent personne, (au bout de quelque temps je n'y ferai plus attention non plus); un marchand de grigris a un étalage incroyable d'animaux séchés, caméléons, têtes et mains de singes, peaux de serpents, bottes d’épines de porc-épic, amulettes de toutes sortes, pots contenant des mixtures de toutes les couleurs ; de l’ensemble, se dégage une puanteur insupportable! Je lui achète une botte d'aiguilles de porcs-épics après un solide marchandage, le soleil est haut, je recommence à avoir faim, le mal de tête s’est un peu estompé, je retourne chez Johnny casser la graine.

Pendant que nous grignotons avec un doigt de rosé, un Béninois costaud, la trentaine, se pointe, il est habillé d'un boubou de cotonnade imprimée aux couleurs vives avec chapeau tronconique du même métal, il me demande si je désire vendre le véhicule, je lui dis que si nous tombons d'accord sur le prix çà peut se faire, lui paie un coup de pinard pour que nous puissions discuter à égalité.

Nous allons faire un tour pour qu’il puisse juger de l'état de la voiture, c'est pas pour vanter la camelote, mais il faut dire qu'elle fonctionne aussi bien qu’à sa sortie des chaînes de montage de monsieur Peugeot 200.000 kilomètres auparavant ; la chaîne de distribution nous fait un petit solo, mais pour l'instant ce n'est qu'un léger gratouillement ; en partant de France, elle me chuchotait déjà à l'oreille, et des fois qu'elle se soit mise en colère en cours de route, j'ai préféré en prendre une autre, d'occase soit, mais pas trop usée.

Nous tombons d'accord sur le prix, le type l'achète pour faire le taxi en ville, il faut que j'attende jusqu’au lendemain pour qu'il puisse réunir le pognon, l'hôtel n'étant pas cher, le restaurant de Johnny pas ruineux, l'ambiance bonne, rien ne presse, banco.                  

Je reste le lendemain sans nouvelles, ce n'est pas bon car j'ai dit à d'autres clients que la voiture était vendue, la parole en Afrique ne valant pas grand-chose, je me demande si mon acheteur ne veut pas me faire un coup à l'envers !

Enfin, il se pointe, mais accompagné, ce qui ne m'inspire pas confiance…..

J'ai eu le nez fin, le type en question est un mécano, et bien que jeune, un fameux ; il connaît les Peugeot sur le bout des doigts ! Bien qu'il ne la ramène pas, je sens tout de suite  qu’il va me contrarier, car, bien évidemment, le client l'a amené  pour trouver l’argument qui fera baisser du prix convenu, il demande à faire un essai, je m'exécute, nous faisons un petit tour de ville, revenons, il appuie sur les ailes pour juger des suspensions, passe sous la voiture et tapote la caisse pour voir si elle n'est pas pourrie ou rafistolée au mastic, j’ouvre le capot, fais tourner le moteur, il s’exprime sur le cliquettement de la chaîne de distribution, je lui dis que j'en ai une de rechange, il demande à voir, la secoue à son oreille pour juger de son état (je pense que si elle cliquette c'est qu'elle est usée), il donne les trois coups d'accélérateur rituels et va voir la couleur des gaz d'échappement, je ne crains rien et suis bien placé pour savoir qu'elle ne consomme pas d'huile.

Le mécano fait son rapport à mon client en dialecte pour que je ne puisse pas comprendre, malgré cela je saisis "dynamo plus (+) de sûreté" , je fais celui qui n'a rien compris, mais retient ce renseignement comme argument d’une vente future, j'attends le verdict, le client se tourne vers moi et me dit que la chaîne de distribution est foutue, qu'il faut la remplacer, gnagnagna et gnagnagna......ce à quoi je réponds que : pour la chaîne, je lui en fournis une, la voiture est irréprochable, d’ailleurs, nous avons déjà décidé du prix, que s'il n'en veut plus, qu’il le dise, ce ne sont pas les clients qui manquent, il est visiblement contrarié de ma fermeté, il voulait me la faire à l'africaine, mais maintenant, je connais les cordages, je sais que je tiens le bon bout; j'ai fais 5000 kilomètres dont plus de 2000 de désert et de piste pour amener ce magnifique engin en parfait état de marche, ce n'est pas le moment de mollir!

Je lui dis courtoisement, mais fermement que je n'ai pas l'habitude de discuter trois fois le prix, c'est oui ou non, verrouille les portes et retourne boire une "béninoise" bien fraîche.

Après quelques palabres avec son auxiliaire, il revient chez Johnny pour me payer, je tends la main, il sort un gros paquet de billets, je recompte, empoche les coupures, paie une tournée générale, il s'en va au volant de mon ex-berline ; bon, me voilà riche et piéton, je finis l'après-midi à me torcher avec Johnny et le collègue, le copain me demande ce que je compte faire, je lui explique comment remonter par Lagos, que c'est actuellement le meilleur moyen de retourner en France, comme il n'a pas eu de clients sérieux et que sa voiture commence à être un peu trop connue ici, nous décidons de descendre sur Cotonou et partons le lendemain matin.

Au Bénin palace, une histoire marrante circule : il y a une grande forêt entre Porto-Novo et le Nigeria appelée « la forêt des voleurs » car elle sert de passage à tous les trafics illicites entre ces deux pays, et des types s’y sont fait prendre à essayer de passer un réacteur d’avion volé!!!

Je vais à l’ambassade du Nigeria ; hélas, il faut une page vierge pour y mettre le placard qu’est le visa, j’essaye d’insister, mais le mien est gavé, rien à faire.

Au Bénin Palace, je confie mon embarras à un descendeur confirmé, il me dit qu’il suffit de prendre les nairas à Jonquet, d’acheter à l’aéroport de Cotonou le billet Cotonou-Lagos. A la descente de l’avion à Lagos, on vous demande « transit ou Lagos », dire « transit », descendre les escaliers, aller dans cette salle à gauche, attendre qu’il n’y ait plus d’affichage de partances, à ce moment, les douaniers et policiers s’esbignent de leurs guitounes, on passe en zone internationale prendre le billet, puis on revient en transit, le tour est joué.

O.K, va pour le plan, j’achète un magnum de Chivas pour arroser ma prochaine visite à Paris, puis des nairas à Jonquet, le billet à l’aéroport de Cotonou, et pars en avion.

Lagos, premier problo, un cordon sanitaire demande les carnets de vaccination, sur le mien, le choléra est périmé!

 Je ne parle pas trop bien anglais, là, je ne m’exprime qu’en Français, en désespoir de cause, ils me font accompagner par un loustic vers le chef de police, nous descendons un grand escalier, traversons un hall que je pense être la salle de transit, car s’y trouve l’affichage des départs, à la sortie à droite, un large couloir, le cerbère me dit d’aller taper à la porte d’un bureau où deux  de ses collègues fonctionnent, et me lâche les baskets.

A trois mètres du bureau, je me baisse, fais semblant de regarder dans mon sac, me retourne, mon ange gardien repart au cordon sanitaire sans me reluquer, demi-tour, direction la salle de transit, le coup est rattrapé.

J’attends, les affichages n’indiquant pas de départs avant quelques temps, comme prévu, les douaniers et policiers ripent les galoches, je passe les guichets ; dans la zone internationale j’attends en sirotant une « Trois Couronnes », une demi-heure plus tard, toujours pas de départ annoncé sur la France, un Européen pointe se désaltérer, nous engageons la conversation avec mon anglais approximatif car mon interlocuteur est Ecossais.

Il travaille sur une plate-forme pétrolière, et retourne chez lui, de fil en aiguille, nous étant mutuellement offert le liquide brassé qui réjouit les cœurs, je lui révèle ma combine, je le vois brusquement soucieux pour ma pomme, quand je lui demande la raison de son tracas, il me désigne un black qui attend à l’écart, et me dit « je suis en situation régulière, et ce type est payé par ma compagnie, uniquement pour faciliter mon embarquement ».

Il me propose d’en parler à son lubrificateur de passage, je demande s’il est sûr de lui, il m’assure qu’il n’y a pas de problème, c’est son métier, et s’il me balance, il sait très bien qu’il sera viré, je lui donne le feu vert ; l’Ecossais appelle le black et lui casse le coup en anglais, au fur et à mesure que ce dernier comprend la situation, il vire au gris, je commence à m’inquiéter !

Le passeur se lance dans une longue et vigoureuse explication que me rapporte le copain car je n’ai rien pigé. Entre la couverture du passeport et la première page, il préconise que je mette une liasse de nairas pour la police, et après la dernière, la même somme pour la douane, le tout correspondant à un peu plus que le prix d’un billet d’avion, cela accompagné de la condition que ces messieurs daignent accepter mon offrande !

Je réfléchis un peu, demande à l’Ecossais s’il peut garder quelques minutes mon sac.

J’ai décidé de traiter le problème bille en tête :

Je prépare plusieurs paquets de CFA de divers montants dans mes poches, puis me pointe au guichet de police, montrant le bureau du chef plus loin derrière ), je dis au fonctionnaire que je dois aller parler au responsable, le type un peu surpris me donne le feu vert, les douaniers n’émettent pas plus d’objection à mon passage, je fais un crochet de façon que si le chef me voit arriver par la vitre, il croira que je viens de la zone de transit.

Je tape à la porte, salue, explique que j’arrive de Cotonou, que je dois aller rendre visite à mon frère qui travaille à l’ambassade de France, que je n’ai pu obtenir de visa car mon passeport est saturé ; que faut-il faire pour sortir ?

Le chef en civil derrière son bureau dit quelques mots à voix basse à un type en uniforme debout derrière lui, celui-ci me fait signe avec sa British badine de venir discuter dans un angle du bureau : je dois donner 25.000 C.F.A, je réponds qu’il ne m’en reste que 15000, il faut que j’en garde un peu pour le taxi qui me conduira à l’Ambassade, on finit par tomber d’accord sur 6500 C.F.A (130ff), je sors l’oseille de la poche à 15.000, en compte 6.500 qui sont dirigés, ainsi que mon passeport vers le chef, qui prend un tampon, et, trouvant un espace à peu près libre à la dernière page, en met un bon coup, marque quelque chose dessus, et me rend le passeport, je lis «transit pass 48 h Cotonou » (voir photo), le problème est résolu.

Repassant les guichets, avec mon visa provisoire tout neuf, je retourne voir l’Ecossais et son bras cassé de pilote, présente mon autorisation temporaire et leur dit : « and this, it is chicken ? », je crois que l’Ecossais n’est pas encore revenu du coup. Je paie une tournée pour fêter l’évènement, le copain, ayant son avion annoncé s’arrache en me souhaitant bon voyage, je lui retourne son souhait.

Attendant mon avion, un Nigérian me demande si je veux acheter un billet à tarif réduit pour Paris, je demande à voir l’objet, il me tend le retour d’un Paris-Lagos/Lagos-Paris au nom de  « Herpin », je lui dis que ce n’est pas mon nom, il répond qu’il n’y a pas de problème, qu’il s’occupe de tout, le prix étant des deux tiers du tarif normal, je suis d’accord, mais ne paierai dans la zone de transit qu’une fois passées police et douane,il accepte. Il n’y a pas d’avion pour Paris avant le lendemain, on se donne rencard avant l’heure d’embarquement.

En fin de matinée, un colonel de légionnaires à la retraite se pointe au comptoir, nous discutons pour passer le temps ; il me raconte que, du temps où il était opérationnel en Mauritanie, il est tombé sur des sites extraordinaires, notamment des forêts entières d’arbres fossilisés, des secteurs couverts de silex taillés ; lors d’une halte prolongée, ses hommes, pour se distraire ont fait des dessins au charbon de bois dans des grottes ; plus tard il en a retrouvé des reproductions dans des livres traitant de préhistoire qui donnaient pour authentiques ces délires légionnairo-rupestres. Vers 13 heures, il embarque.

A plusieurs reprises, on m’aborde pour me proposer l’hospitalité à l’extérieur de l’aérogare, probablement pour me faire la peau ; montrant mon visa à la police et à la douane, je demande à me replier dans la zone de transit, ce qui m’est accordé, j’y serai tranquille.

Le soir, j’en sors, et ayant du coup des nairas de rab, je vais au restaurant de l’aéroport ; superbes couverts, mais la bouffe pas géniale.

Le lendemain, comme convenu, mon type se pointe, enregistre le billet, me fait passer avec mon sac ; une fois dans la salle de transit, il devient nerveux, je lui dis de me suivre dans les chiottes, nous nous y enfermons, je sors l’argent de mon calbar, ce qui ne le choque pas outre mesure, compte le prix convenu, il me demande un supplément pour la taxe d’aéroport, je l’envoie chez Plumeau. A Paris je sors de l’aéroport sans anicroches.

Ma mère étant en vacances, je prends le train direct sur Bergerac.

 

 

                                                                                                  _Cinquième chapitre_

 

 

Lalinde, à la gendarmerie, je déclare mon passeport perdu afin de le garder en souvenir et m’en fait établir un autre.

Après quelques orgies périgourdines, je décide de passer voir la Mama en banlieue parisienne, un copain me demande de l’emmener, je prends le magnum de Chivas conservé précieusement depuis Cotonou; à Epinay, je gare la voiture au pied de l’immeuble, prends mon sac, au quatrième, je pose le bagage devant la porte, sonne, ma mère ouvre, j’avance pour l’embrasser, le copain prend le sac, lui fait faire 50 centimètres, le pose…….et casse la bouteille.

Le nouvel appareil à dévorer du kilomètre à qui je me propose de faire voir du pays est encore une 404, un vieux modèle avec un seul compteur et vieille boîte, mais comme on me la donne, je ne demande pas la monnaie.

Ce coup-ci, comptant sur mon douanier Algérien, je vais descendre un maximum de matériel : je charge des crémaillères de direction, des démarreurs, des dynamos, enfin, toutes les pièces détachées de 404 sur lesquelles je peux mettre la main.

Je trouve une combine dont je ne suis pas peu fier, pour ne pas transvaser l’essence du fût au réservoir en siphonnant, je perce le gros bouchon fermant le bidon de 200 litres, fais passer, et braser à travers un petit tube de métal, le but du jeu est qu’une fois le réservoir de la voiture vide, je relie avec un tuyau souple la pompe à essence directement au tonneau, je prolonge le bout de tube en fer donnant à l’intérieur du baril par un tuyau de plastique lesté d’un boulon pour aller au fond, ainsi mon deuxième réservoir sera de 200 litres, pas de siphonage, de manipulations ni d’évaporation……. la perfection.

Regardant le prix des bouquins pornos, je suis horrifié par le coût exorbitant de la luxure, je fais l’impasse.

Une fois parti, quand je traverse les villes, je reluque sur les poubelles des paquets de revues style « Jours de France, Paris-Match etc….», les gens en font souvent des piles soigneusement ficelées, je n’ai qu’à descendre de la voiture et les balancer dans le coffre arrière, mon plan est qu’arrivé à la douane d’Adrar, je tendrai les revues à mon douanier libidineux d’un air innocent, il ne pourra pas mettre les choses à plat en me disant qu’il voulait des bouquins pornos.

Plutôt que faire Algesiras-Ceùta, je continue de passer par Alméria-Mélilla, l’économie kilométrique de trois cent bornes, et d’une demie journée de conduite compensent largement la différence de prix du billet ; de plus, je peux prendre des douches et me raser, ce que je ne peux refaire en principe qu’à Tessalit avec un seau d’eau.

A la douane Algérienne, il me faut tout déclarer comme d’habitude, je ne me fais pas de soucis de ce côté, un douanier me demandant l’air de rien si j’ai des « revues », pour rigoler, je lui réponds oui, son œil s’allume, je ne sais pas si c’est la joie de coincer un passeur d’ouvrages illicites, ou celle de mettre la main sur cette si rare littérature ; avec le plus grand sérieux du monde, je lui montre les Paris-Match et autres, consternation, comme je ne bronche pas, et garde mon air tranquille, il me dit « c’est bon.», je lui en donne deux ou trois, ce qui est tout de même un beau cadeau, car ces publications sont rares et chers dans le secteur....

Tlemcen, je m’arrête sur la place principale, je suis immédiatement abordé par des amateurs de pièces de 404, je vends tout en deux coups de cuillère à pot, pour voir si les gens du coin sont honnêtes, je laisse un type partir avec un démarreur afin qu’il l’essaie, et revienne me payer ou le rendre, dix minutes plus tard, il est de retour avec les 300 dinars convenus.

Aïn-Sefra, je m’arrête chez un restaurateur où je mange régulièrement, l’après-midi est bien avancée, il m’invite à prendre l’apéro dans son appart dans l’arrière boutique, nous tortillons les trois-quarts d’une bouteille de Ricard qui me restait, je lui vends du Whisky  mais lui laisse l’argent en dépôt car, ayant vendu les pièces, j’ai bien assez  de dinars.

C’est un pète-sec, mais visiblement, il est content que je passe le voir, on se prend souvent de bec, mais on se respecte.

En partant, il insiste pour me laisser son numéro de téléphone, pour lui faire plaisir, je prends le bout de papier qu’il me tend, et le balance dans la boîte à gants.

J’arrive à Adrar sans une seule des pièces de rechange marquée dans le carnet de devises, j’en fais un peu exprès pour savoir jusqu’où je peux mouiller le douanier.

Bonjour à Ramdann, pleins d’eau et d’essence, et décontracté, je me pointe à la douane.

Déception, je ne vois pas mon douanier, première fois qu’il n’est pas à son poste !

C’est un type en civil qui me demande le carnet de devises, avant d’y jeter un oeil, il m’explique qu’il a été déplacé de Oran à Adrar pour faire cesser tous les trafics, apparemment, il n’est pas ravi de cette promotion, et ça le rend teigneux, le bougre!

Quand il voit le grand vide dans le coffre et les cinq lignes de matos sur le carnet de devises, il fait les pieds au mur !

On revient au poste, il me pique passeport, carte grise, pognon, clés de voiture, me gratifie d’une amende de mille dinars, plus l’estimation à venir des pièces vendues ( il m’en dit le prix, je n’ai pas vendu cher !) multipliée par deux, le tout assorti de la feuille de change certifié du montant des sommes réclamées, la voiture est également saisie ; Ayant changé officiellement 200 francs à l’entrée du territoire, il est plus qu’évident que j’ai trafiqué, j’ai traversé l’Algérie, mangé, chargé trois cent litres d’essence, et j’avais 500 dinars en poche pour le prochain passage.

Il me confisque tout mon bon pognon, je sollicite de quoi manger, payer l’hôtel et téléphoner pour pouvoir appeler en France et me faire ainsi envoyer de l’argent, royal, il me vote 20 de mes dinars. Le reste de mes diverses espèces est mis dans une enveloppe fermée et tamponnée, il m’en  donne un reçu.

Je demande à prendre des affaires personnelles, il m’accompagne, m’ouvre la portière et me surveille étroitement, la seule chose qui m’intéresse vraiment est ce petit bout de papier jeté négligemment dans la boîte à gants à Aïn-Sefra, je parviens à l’attraper discrètement, prends quelques affaires de toilettes pour donner le change, remercie ; le lascar est sec, mais correct, c’est moi qui ai fait le con, il n’y a pas de doutes !

Je quitte  la douane pas trop fiérot, vais directement à la Poste, les guichets sont fermés, mais dans le Sud, comme il n’y a rien à faire, les gens ne sont pas chiens sur les horaires, je tape au carreau, dis au préposé que je dois absolument téléphoner à Aïn-Sefra, il m’ouvre la porte, me désigne une cabine, retourne à ses occupations.

Aussitôt que mon pote reconnaît ma voix, il s’exclame : « toi, tu as encore fait le con ! » je lui raconte le topo, il me recommande : «va voir de ma part un certain X qui tient tel commerce à Adrar, et raconte-lui tout, si la chose est faisable, il te sortira de l’embrouille », je le remercie et pars chercher le certain X.

Ce n’est pas une chose très difficile que de le trouver vu son commerce. Je lui résume  l’histoire, il me dit de le suivre, ferme la boutique, et nous allons chez lui.

Moi, plutôt tendu, je le prie d’agir tout de suite avant que le rapport ne sorte de la douane d’Adrar, il me répond que l’on ne peut pas aller sur le champ chez la personne susceptible d’intervenir, il faut être très discret car l’affaire est chaude! Il me propose de commencer par manger un bon couscous en attendant l’heure idoine, ce que nous faisons en discutant de choses et d’autres.

Tard dans la nuit, nous allons par les rues sombres, il s’arrête, je dois l’attendre dans sa voiture. Une bonne demi-heure passe, il revient, le type qu’il a contacté est bien placé et a eu un rapport de mon coup d’éclat.

Il embraie d’entrée : « tes bières, tu fais une croix dessus (deux packs de 24) il faudrait également que tu trouves deux bouteilles de whisky , je demande «  c’est tout ? », il me dit que de toutes façons, le type me sort de l’embrouille car je viens de la part de mon pote d’Aïn-Sefra et de la sienne, ce qu’il me demande n’est qu’un geste de remerciement, pas un bakchich, je réponds que cela ne doit pas poser de problème, il est un peu étonné car le whisky est une denrée rare dans l’extrême Sud algérien.

Nous retournons chez lui, je file à pince direct chez le père Ramdann, il est très tard, mais à force de tambouriner à la porte de son restaurant, il finit par ouvrir, je lui raconte le coup de la douane, et lui demande s’il peut me prêter deux bouteilles de Johnny Walker, il me fait entrer, cinq minutes après, il descend avec les deux clés de ma désincarcération.

_ «Je ne pourrai te les rendre qu’à ma prochaine descente », « te casses pas la tête », je lui dis qu’il me sauve la mise et lui serrant la main, à bientôt.

Retour chez mon avocat, en voyant les deux biberons arriver si rapidement, je vois qu’il est satisfait du bon déroulement de l’opération.

Nous retournons à l’adresse de mon sauveur inconnu, X se fond dans le noir avec les deux boutanches de distillats. Une dizaine de minutes, il est de retour, « demain, tu vas à la douane, tu te fais engueuler, tu ne la ramènes pas, tu laisses : 1° passer l’orage, 2° tes bouteilles de bière, le reste ira tout seul ».

Je dors chez lui, le lendemain matin, café au lait puis il me souhaite bonne chance, je lui demande de remercier pour moi le copain d’Aïn-sefra puis je trisse.

Je fais un détour pour saluer Ramdann, et lui dire que s’il ne me revoit pas, c’est que les choses se sont bien passées, salut mon frère !

Le petit douanier en civil est là, je n’ai pas besoin de me forcer beaucoup pour avoir l’air penaud ! Il est furax, à sa place, je le serais aussi, il me dit qu’exceptionnellement, la douane me fait une fleur, mais que la prochaine fois, même s’il ne manque qu’une boîte d’allumettes je n’y couperai pas. Il me rend les papiers, le peu d’argent français qui me reste, me dit que les devises algériennes ne devant pas quitter le territoire, il les garde au coffre, à mon prochain  passage, je devrais présenter le reçu dont il me gratifie, on me restituera mon pécule, je lui réponds que je n’en doute pas un instant (ce qui est vrai), demande où je dois mettre les bières, il me désigne du bout des lèvres un recoin, je fais la livraison, et…je… m’arrache !!!!!

L’homme est ainsi fait qu’il n’est jamais satisfait, aussitôt délivré, je regrette de ne pas avoir une petite douzaine de bières pour traverser le Sahara ; j’ai à ce propos trouvé une combine : emmailloter une 25cl dans un chiffon mouillé, la coincer goulot en bas dans la banane du pare-chocs avant, avec l’évaporation hors du commun dans le secteur, dix minutes plus tard, la bouteille est quasiment glacée, le chiffon tout sec, prêt à resservir, les plus forts bonds de la voiture n’ont jamais délogé les canettes de leur logement, j’en ai pourtant traité un paquet !

Aussitôt que le moteur hoquette par manque d’essence, je stoppe, débranche et bouche la durit provenant du réservoir avec un boulon de diamètre approprié pour que le sable n’entre pas à l’intérieur, dispose le gros bouchon percé du tuyau de fer sur le fût, installe le tuyau souple prévu pour relier le bidon et la pompe à essence, avec la chaleur, le carburant est toujours sous pression dans les réservoirs, le système fonctionne comme sur des roulettes !!!

Au milieu du désert, je fais une halte, trouve une vipère à cornes, morte, elle a été butée il n’y a pas longtemps, le sang est encore frais, ce n’est vraiment pas un animal sympathique, une soixantaine de centimètres de long, la queue qui se termine en boudin, deux excroissances derrière une grosse tête (d’où son nom).

J’ai entendu une histoire à Gao à propos d’un serpent de cette espèce : Un patron de camion trans-saharien se fait mordre par l’une d’elles ; en principe, on en meurt dans l’heure qui suit, le mec ne s’affole pas, dit à ses graisseurs de lui préparer du thé, s’adosse à une roue du camion sur une natte, et boit tranquillement ce qu’il pense être son dernier verre, un jour passe, puis deux (pendant lesquels il est malade comme un chien), à la fin du troisième jour, il recommence à émerger, et s’en sort définitivement.

La boîte à vitesses ancien modèle n’est pas pratique, surtout quand il faut rétrograder en catastrophe dans les plaques de fech-fech.

Vingt bornes après Aguelhok, un type à pied en uniforme me demande de l’emmener un peu plus loin, c’est un garde-chasse armé d’un vieux 12 simplex de la manufacture de St Etienne, chemin faisant, il me propose des dents d’Hippopotame, je lui réponds que je n’ai pas une tune à investir dans ce genre d’objet, comme il n’en veut que 5000 francs Maliens (50 ff), je demande à voir, quelques dizaine de kilomètres après, il me demande de tourner à droite, il n’y a plus de piste, plus de traces, mais le terrain est assez consistant, nous roulons un peu, et arrivons à une cabane esseulée dans laquelle vivent ses femmes et enfants, après avoir dit bonjour à tous, il me montre les objets, nous faisons affaire, puis je me casse.

Roulant de nuit sur une  portion surélevée permettant de circuler quand la piste est inondée, je vois sur la droite une fusée rouge dans le ciel, aussitôt, je tourne la voiture dans la direction et  fais des appels de phares, rien, pas un signe, j’attends une dizaine de minutes, laissant les phares allumés, pas de réactions, me vient soudain une mauvaise sensation, je me dis que le coin est complètement paumé, idéal pour un traquenard, je repars rapidos.

Gao, Niamey, puis le Bénin, je suis encore à sec d’argent, je pense passer à Abomey dire bonjour au père Johnny et renifler la température.

Bohicon, je croise Cécile, garçon sympa et intelligent avec qui j’avais déjà discuté de vente  d’autos plus au Nord à Glazoué lors d’une précédente descente ; Cécile est intermédiaire, il a 25 ou 30 ans, grand, mince, les yeux proéminents, il me présente Bernard qui doit avoir 10 ans de plus comme son « second », c’est à dire apprenti ou lieutenant, celui-ci a l’air franc comme un âne qui recule !

Nous discutons de sa commission éventuelle, il est beaucoup moins gourmand que ses collègues de Cotonou qui demandent jusqu’à 10 %, quand ils vous amènent directement chez un client qui achète bien et vite ; vu ce que coûte l’hôtel, c’est rentable, mais souvent, ce sont des branleurs qui se font balader à l’œil et cherchent les clients au hasard en cours de route.

Intermédiaire est un vrai boulot, il faut se faire une clientèle d’acheteurs sérieux, ayant du cash en permanence à la maison, quand ils amènent un vendeur, l’affaire ne doit pas traîner : visite de l’objet, entente sur le prix, papier de vente ou pas, compter oseille, donner carte grise, et au revoir. Souvent, il doit bousculer l’acheteur car celui-ci a du mal à sortir l’artiche. Il risque également de se faire court-circuiter par un propriétaire de voiture indélicat, qui, faisant semblant de ne pas accepter le prix, revient en douce chez son client; d’autres fois, l’affaire conclue, les vendeurs se font tirer l’oreille pour régler la commission, les africains ne sont pas les seuls à faire des embrouilles !

Nous entamons la tournée d’éventuels acheteurs ; aux coins des rues, il y a souvent des fétiches, sortes de masses tronconiques aux sommets arrondis sur lesquelles des plumes, morceaux de tissus, et d’autres choses indéfinissables sont englués par le sang des poulets égorgés au cours des divers sacrifices, une tôle ondulée protège l’idole les outrages de la pluie ;  Bernard me demande de le laisser chez sa femme, il y reste 2 minutes, nous repartons en prospection, me tournant vers l’arrière pour effectuer une manœuvre, je croise le regard fuyant du « second », je me dis « cet emplâtré m’a fait un coup à l’envers », je réfléchis à ce que je trimbale derrière, un sac en peau de chameau avec des affaires minables, mon couchage, les dents d’hippo, quelques souvenirs, ce doit être ça….. J’arrête la voiture, fouille dans mon bagage dans lequel manque un joli petit éléphant en ébène (voir photo) acheté à Niamey.

Je remonte dans la voiture et dis à Cécile : « ton second m’a volé une statuette». 

Il se retourne vers le Bernard, celui-ci nie tout ce qu’il peut, mais ne trompe personne.

Je demande à Cécile ce qu’on fait, il est visiblement enquiquiné, je dis « bon, on va à la police », je prends un chemin un peu long pour y aller car moins on voit les flics, mieux on se porte, ce con de Bernard ne bronche pas, merde! Pour ralentir le mouvement et laisser Cécile le convaincre car il sent que je ne vais pas lâcher le morceau, je m’arrête à une station-service prendre de l’essence (dont je n’ai pas un besoin urgent), j’en prends pour 1000 C.F.A (20 francs Français, ce qui ne choque personne en Afrique), il ne me reste que 2000 francs CFA ( quarante francs), même pas de quoi aller à Cotonou !

Une fois l’essence réglée, je redémarre, Bernard me dit « toi, tu es trop fort », mais je n’ai pas envie de rigoler, je lui réponds : « et toi tu es un adjoton (voleur en Béninois) », je retourne chez sa femme, il descend, revient avec l’éléphant, je le lui prends des mains, _ « Tu ne remonteras plus jamais dans une de mes voitures », et le plante là.

Nous repartons avec le père Cécile draguer l’acheteur, deux adresses plus tard, nous faisons affaire, je demande à l’acquéreur de nous laisser chez Johnny.

Je paie la tournée générale, donne son dû à Cécile, il ne tarde pas à riper les galoches sur Glazoué, me laissant avec mon restaurateur aboméyen préféré, le soir nous cassons la croûte, puis une bonne belote africaine, cuite, dormir à la maison des jeunes travailleurs.

Après un petit déjeuner chez lou Johnny, je vais visiter le musée d’Abomey qui est le palais du grand roi Béhanzin dont les murs sont ocre rouges, le guide indique que cette couleur provient du liant utilisé : le sang des ennemis vaincus et sacrifiés, pour moi, c’est dû à ce qu’il doit être fait en latérite, mais laissons la légende impressionner les foules ébahies……. Le siège du roi est posé sur les crânes de 4 chefs ennemis vaincus. Des artisans vendent des « Toiles d’Abomey » faites de découpes de tissus aux couleurs vives figurant les phases importantes de l’empire des rois du royaume d’Abomey, notamment, de l’arrivée des premiers Portugais sur de grands voiliers.

Après la visite, je dis au revoir à lou Johnny, retour à Bohicon, train pour Cotonou, ambassade du Nigeria pour le visa, le surlendemain, départ pour prendre l’avion à Lagos avec un couple de Hollandais dont la femme cache l’argent dans sa culotte et un compatriote, changer des nairas au marché noir, passage des frontières, aéroport.

Au dernier contrôle avant de pénétrer  dans l’avion, un douanier, avec un geste d’une rapidité inouïe, tire sur le cordon de la petite sacoche touareg que je portais autour du cou, et dans laquelle j’avais placé mon argent, (je la croyais invisible car  très plate), et commence à extirper ma fortune !

Je couvre aussitôt sa main de la mienne pour coincer les billets, il appelle ses collègues qui me saisissent chacun par une aile, me soulèvent, et veulent m’écarter des autres passagers pour pouvoir me soulager plus discrètement.

Heureusement, j’étais au milieu d’un groupe de mama-Benz* partant acheter du tissu en Hollande, elle bloquent le groupe de rapteurs, et commencent à les assaisonner à coups de sacs à main vociférant « It’s his money », chaque mama pesant minimum le double d’un gabelou, ceux-ci ne tardent pas à me lâcher, nous repartons rapidement vers l’avion, moi, les remerciant vigoureusement.

Discutant un jour avec un type ayant vécu la situation, l’affaire se règle ainsi : une fois le billet enregistré, si les douaniers vous choppent avec de l’argent, ils vous retiennent sous un prétexte quelconque : vérification des billets, de feuilles de devises (que personne ne remplit avec la somme réelle qu’il possède de peur de se faire dépouiller par les fonctionnaires), que sais-je….., le principal étant de vous retarder, au bout d’un certain temps, l’avion part sans vous, et vous avez perdu votre billet, vos bagages sont dans la soute de l'appareil qui est déjà loin, il faut alors repasser douane et police, revenir dans la zone internationale, racheter des nairas pour reprendre un autre billet, et ces chiens galeux jouent là dessus. De plus, vous n’avez plus d’argent acheté au black et il faut changer plein pot, c’est la galère !

En général, l’affaire est vite bâclée, le voyageur reprend ce qu’ils veulent bien lui laisser, et repart la queue entre les jambes. Le Nigeria est le pays des braquages à tous les étages.

Au Bénin-Palace, un Africain m’a raconté que, se trouvant dans un taxi-brousse un peu tard le soir sur la route de Lagos-Cotonou, son taxi s’était fait coincer à la mode nigériane.

Cela consiste, le soir tombant, (la nuit, au Nigeria, en principe, personne ne se hasarde sur les routes) à tendre en travers de la voie un câble d’acier entre deux camions dont les freins ne sont pas trop serrés, le taxi roulant trop vite pour apercevoir à temps l’obstacle, se prend dedans, les camions absorbant le choc jusqu’à l’arrêt total du véhicule. Aussitôt, les bandits sautent sur les passagers, les tuent ou les dépouillent intégralement, ne leur laissant que leurs sous-vêtements quand ils en ont ; lui, s’étant retrouvé dans ce cas, et en slip, demanda à l’un de ses détrousseurs de lui laisser 5000 francs C.F.A pour pouvoir rejoindre Cotonou, ce que l’autre, grand seigneur, lui  accorda.

 

 

                                                                                                  _Sixième chapitre_

 

 

J’achète un break 404 bronze métallisé nouveau modèle à des Hollandais qui habitent une vieille maison dans un village proche de chez moi, 2000 francs après discussion, çà me va, nous allons à la mairie du patelin faire certifier la vente, vu la tête de la secrétaire, c'est une formalité qui n'est pas souvent sollicitée!

 Je charge trois fûts de 200 litres car l’essence se vend très bien à Gao, plus des pièces Peugeot.

Un nouveau crayon à bille magique est apparu sur le marché, il est prodigieux en ce sens qu’il dispose d’une gomme qui efface l’encre, je décide d’en faire bénéficier la douane d’Adrar.

En Espagne, j’achète des melons et des pastèques, au fur et à mesure de mes consommations, j’en garde les pépins, car, ayant repéré une petite zone d’herbe pelée avec des embryons de calebasses entre Bordj-Moktar et la frontière Malienne, je projette d’y semer ces graines, si ça marche, tant mieux, sinon, le coût de l’opération n’aura pas été excessif !

Alméria-Mélilla, je case 4 bouteilles de Whisky dans les portières comme d’hab, plus deux bouteilles d’anisette, j’en mets une devant, une dans le coffre, on verra bien si çà passe !

Oujda, douane Algérienne sitôt passée, j’entreprends d’effacer les pièces mécaniques que j’avais inscrites sur le carnet de devises avant que l’encre ne sèche trop, consternation, le papier, de très mauvaise qualité, s’arrache à l’endroit où je passe la gomme, de plus, le document teinté en jaune devient beaucoup plus clair, je fais au mieux en limitant les dégâts au maximum.

 En cours de route, je vends une bouteille de whisky et une bouteille de Ricard 300 dinars chacune, il me faut des ronds pour acheter des pièces neuves Peugeot et Berliet que je larguerai à Gao.

Je vends des pièces dans un garage, en demande d’autres de rebut, je reconstitue ainsi un stock que je couche dans le carnet de devises.

Le joint de culasse doit avoir un petit coup dans l’aile car j’ai de l’huile dans l’eau du radiateur, j’en achète un neuf.

Arrêt à Aïn-Sefra chez le copain pour le remercier et lui narrer mes tribulations de la traversée précédente ; arrive le soir, il m’invite à manger avec ses amis dans l’arrière boutique, la soirée est dédiée au football, c’est la demie-finale de Coupe du Monde entre l’Allemagne et la France, une bouteille de whisky est sacrifiée à cette événement, elle ne suffit pas, une bouteille de Ricard prend le relais ; je m’aperçois lors de ce match que les Algériens sont de parti pris éhonté pour la France. Déchiré, je dors chez lui, le lendemain matin, j’entends un raffut terrible dans la cour arrière du restau, je vais voir, un mouflon balèze fait son exercice qui consiste à prendre de l’élan et à courir à la verticale sur trois murs.

Adrar, je vais rembourser ma dette en whiskys et manger chez Ramdann, il a posé le genou sur un scorpion en réparant un frigo, voyant que je m’inquiète à la vue de la taille de l’engin, il me dit de ne pas m’en faire, il a l’habitude, ça fait un peu plus mal qu’une piqûre de guêpe !

A quelques petites phrases entendues çà et là, je me rends compte que tous les gens qui habitent aux portes du désert n'y vont jamais, et en ont une trouille bleue.

Je vais à la douane chercher mes sous pour faire les pleins, retrouve l’abominable, toujours aussi sec, un peu étonné de me revoir si rapidement ; contre mon reçu, il me restitue scrupuleusement les dinars.

Je passe saluer le Monsieur qui m’avait aidé lors de l’embrouille du voyage précédent, puis, vais patrouiller en ville afin de trouver un garage où changer le joint de culasse.

J’en trouve un sans problo, déchargeant la voiture pour atteindre mes outils, je vois le garagiste loucher sur les pièces détachées ; considérées comme mortes au nord, elles ne le sont pas forcément au sud, moins bien achalandé.

Je lui dis de se servir, mais qu’il me remette l’exact équivalent en pièces nazes car j’ai rempli le carnet de devises avec ces pièces récupérées, « pas de problème », je mets illico les pattes dans le cambouis, je me presse, car la douane ferme à 16 heure et je compte arriver au dernier moment pour bousculer les formalités.

La réparation effectuée, les pleins faits, je glisse la carte grise dans le passeport, me resalis les mains sur le moteur, prenant ma feuille de déclaration de devises, je laisse des traces de doigts cambouissées à tous les endroits où le papier est abîmé pour camoufler les écorchures faites par la gomme.

A la douane, mon tyran m’y attend, l’œil en tire-bouchon. Je présente mes papiers et la feuille de devises, j’ai tartiné allègrement la couverture en plastique de mon passeport de cette gadoue, j’explique que, voulant partir le soir même, j’ai fait aussi vite que j’ai possible.

_Voyant le carnage, le douanier ne se sent plus de joie,

_Il ouvre un large bec, et gueule aux petits pois.

 Traiter ainsi un carnet de devises est un procédé qu’il a du mal à assimiler!

Frisant l’apoplexie, il fulmine comme j’ai rarement vu quelqu’un le faire, il me prend pour le dernier mécréant de la terre! Après divers échanges de points de vue, nous allons visiter la voiture.

Une pompe à essence manque à l’appel, je lui baratine que je suis tombé en panne de cet organe avant Adrar, et qu’après l’avoir remplacée par une pièce de secours, je l’ai balancée sur le bas-côté.

Avec un plaisir non dissimulé, il me dit qu’une pompe à essence vaut une fortune, et que pour passer la douane, il me faudra la retrouver. O.K, partant sans papiers, je prends la direction du nord, fais un grand détour pour revenir en douce au garage dans lequel j’avais effectué ma réparation, je demande au patron s’il n’a pas une pompe à essence foutue, il me répond de fouiller dans le tas de ferraille, je trouve l’objet précieux entre tous, le roule dans le sable, et repointe à la douane.

Le douanier ne me fait pas le coup du « il est trop tard », et continue son inspection, je dois sortir tout ce que contient la voiture, après pointage, il manque une culasse (très gros poisson), comme dans un film, je revois le mécano la prendre, le bougre  ne l’a pas remplacée!

Le coup de sang me prend, j’avais si bien calculé mon affaire que me faire poisser à cause de ce con de garagiste me fait sortir de mes gonds, le douanier est surpris, un doute lui venant, il m’en accorde le bénéfice et décide de vérifier si je l’ai bien oubliée au garage (ce qui est un peu vrai).

 _« Vous allez chercher la culasse au garage, accompagné d’un agent », je ne biche pas trop !

Il appelle, mon douanier lubrique sort, monte à côté de moi, je démarre, je lui tends bas le poignet (j’ai toujours les mains cradot) pour le saluer sans que l’autre voit le geste, il le serre, c’est bon signe !

 Me vient alors une idée méphistophélique, je lui dis : «vous savez, je me suis fait prendre à la frontière d’entrée d’Algérie avec vos « revues », ils m’ont gardé trois jours! », il devient tout pâle, « vous n’avez pas dit que c’était pour moi ? » moi, grand seigneur : « mais non, ne craignez rien ».

Arrivé chez le garagiste, je pourris celui-ci d’importance en lui désignant mon passager, il comprend le problo, et me trouve une culasse dans la seconde qui suit, le douanier devenu sourd et aveugle, j’aurais pu maquiller ce que je voulais.

Le reste n’est que formalités.

Reggane, les douaniers me laissent partir seul, ça commence à devenir une habitude.

Avec l’essence (+ de 600 litres, des jerrycans et le plein), la voiture est très chargée, l’arrière frotte beaucoup, mais finalement, passés les premiers bancs de sable, je pense que c'est jouable.

La nuit tombant, les ombres rasantes faussent la notion que l'on peut avoir des reliefs, je m’arrête pour becqueter jusqu'à ce que la nuit soit bien noire.

Je repars, il faut être attentif car la piste est faite de milliers de traces qui se croisent les unes les autres dans tous les sens, y compris par le travers, pour ne pas me tromper, je dérive sciemment légèrement sur la droite puis sur la gauche quand les traces se font plus rares, en faisant ces longs zigzags, je peux garder le cap.

Les phares de la 404 ne sont pas très puissants, après quelques tâtonnements, je pallie ce défaut : en jouant sur le comodo code-phare, j'arrive à laisser la manette entre les deux, les codes et phares fonctionnent ensemble, je bénéficie ainsi un somptueux éclairage, durant quelques minutes, j'ai peur que les filaments ne crament, mais non, ça tient ; j’évite au maximum les gerboises qui viennent se jeter sous les roues, attirées par la lumière des phares, j'abats ainsi un bon bout de désert, puis m'arrête pour dormir, avant de couper le moteur, je le laisse tourner un moment au ralentit accéléré pour recharger la batterie ; voulant me lever un peu tard le matin je me couche à droite de la voiture, ainsi le soleil levant ne me réveillera pas.

Je me glisse dans mon sac de couchage, mon blouson comme oreiller calé contre la roue avant, j’écoute le silence uniquement troublé par les craquements du moteur et de l’échappement qui refroidissent. Le ciel est d'une pureté fabuleuse, on dirait que l'on a fait plein de trous d'épingle dans un papier noir et mis un projecteur derrière, on voit même passer les satellites artificiels !

J'ai pris la précaution de m'écarter de la piste, car bien que l'horizon porte à l'infini je me méfie ; peu de temps auparavant, il y a eu un carton terrible, deux camions s'apercevant au loin se prennent en ligne de mire pour pouvoir se dire bonjour en passant, mais au moment de se croiser, tournent du même côté, face à face à cinquante ou soixante kilomètres-heure, une dizaine de personnes par véhicule, carnage! Le comble est que les deux camions appartenaient au même transporteur.

Les camions Sahariens sont de véritables navires, avec mécanicien, graisseur, chauffeur, grouillots, outillage complet, pièces de rechange, marchandises et passagers ; sur les côtés sont pendues les plaques de désensablage, de grosses chambres à air pleines d'eau pour le camion et les ablutions, des guerbas pour boire, quatre à six fûts de deux cent litres de gas-oil, de la bouffe, bref, absolument tout ce dont on peut avoir besoin dans ces coins déshérités.

Dès que le camion stoppe, chacun descend et s'attelle à sa tâche, en général le patron et le chauffeur font descendre les nattes et se mettent à l'ombre sous le véhicule qui tourne toujours au ralenti pour laisser gentiment retomber la température du moteur, l’un sort un réchaud à charbon de bois, et fait le thé, certains se mettent à préparer le repas pour tous, les autres font leurs ablutions avant la prière, çà s'active de tous côtés.

Le lendemain, je laisse chauffer le moteur en cassant la croûte car je peux être obligé de lui demander tout ce qu'il a dans le ventre vingt mètres après avoir démarré.

Sur la piste, je rattrape un convoi de plusieurs voitures descendant de France, l’une est plantée jusqu’à l’os, je dépasse le point mou, et revient à pied en arrière pour aider.

Une petite boulotte félliniesque dans une robe rose avec des volants, s’abritant sous une ombrelle encourage les mecs qui s’échinent.

Une fois la caisse sortie, on discute un peu, puis je les largue car je leur sens d’autres ensablements à venir et je n’ai pas que ça à faire.

Anéfis, un Bedford bourré de Nigérians qui remontent vers Reggane est en rade depuis une semaine ; dans le poste de police, un flic, réprobateur, me montre l’un des passeports ; Nom : Rasta ; Prénom : Rasta ; Adresse : Rasta, tout le reste à l’avenant, il me dit qu’il ne peut rien faire car le passeport a l’air authentique. Pour le rasséréner, je lui dis qu’arrivé en Algérie, le possesseur du document humoristique va regretter son manque d’imagination.

J'arrive à Gao lors d'une pénurie d’essence raisonnable, je vends les pièces détachées, 450 litres d'essence à 500 francs Maliens (5 francs Français) le litre tout en gardant le plein pour aller jusqu'à Tillabéri au Niger qui est le prochain point sûr de ravitaillement, je ne suis pas mécontent de l'opération, d'autant que je n'ai pas profité de la conjoncture car le litre d'essence aux temps d'abondance est aux alentours de 600 F.M, et en cas de manque, au dessus de 1000 F.M ; par moments, même à 2000 F.M, il est impossible d'en trouver, de plus elle est souvent allongée de kérosène, je suis soulagé du problème pécuniaire, ce n'est pas souvent le cas !

Chez Yarga, parmi d’autres touristes, il y a une petite Anglaise et son copain français, quand elle le cherche, elle demande avec un accent à couper au couteau « t’as pas vu mon frog ? ».

Discutant du paludisme avec un Français habitué aux descentes, je lui dis que je ne prends plus de Nivaquine car cela me laisse la tête lourde et des vertiges en permanence comme un début de crise, il  me dit qu’il a résolu le problème, quand il sent venir la crise, deux Quinimax, une bière de 75 centilitres, et l’affaire est réglée.

Niamey, Parakou, je m’arrête pour manger au restaurant de Bohicon, le patron me dit qu’un ami à lui cherche une auto, mais qu’il « a voyagé », si je peux attendre trois jours….

Arrivé à Cotonou je trouve le Bénin Palace bondé de vendeurs potentiels, ça va être dur de larguer rapidement la caisse !

En cas d’abondance, il faut savoir jongler, car si l'on attend trop, l’écart entre une mauvaise vente rapide et d’une bonne vente qui tarde est largement absorbée par le coût de la chambre d'hôtel, sans compter que les intermédiaires mangent à tous les râteliers et surveillent si l'on prend des bières, si l'on va au petit restaurant Malien situé en face du Bénin Palace dix fois moins cher que celui-ci, il peuvent ainsi renseigner les clients qui veulent vous prendre à la gorge que tel ou tel n'a plus une tune, et qu'il est mûr pour vendre à prix minimum.

Les Français que j’ai rencontrés sur la piste passent au Bénin palace, on s’en jette plein pour arroser les retrouvailles ; voulant rester quelques temps, ils décident de louer une maison plutôt que d’aller à l’hôtel.

Trois-quatre jours plus tard, je n’ai toujours pas dérouillé, je décide d’aller à Bohicon voir si le copain du restaurateur est revenu  de  «voyazer».

L’un des types croisés dans le Tanezrouft, (petit brun sec, moustache à la Zappata) et retrouvés au Bénin-palace demande à m’accompagner.

Tout le long du voyage, il fume l’herbe locale, je suis obligé de laisser les fenêtres fermées car c’est la saison des pluies, dès Ajohoun, nous sommes déchirés, on se marre comme des bossus ; les crapauds sortent sur la route, j’essaie de les éviter, mais, à la fin, à force de faire des zigzags sur la route mouillée, je manque me planter, je renonce à faire des écart importants, puis, l’herbe commençant à nous taper furieusement sur la calbombe, on se met à les écraser exprès, souvent, ils collent à la roue et viennent cogner dans les ailes avant, c’est le délire !!

Bohicon, le restaurateur ne me rebranche pas, je lui demande si son client est revenu, réponse négative, merde !!

Nous n’avons aucune envie de moisir dans le secteur, si nous allons à Abomey voir Johnny, il faudra y passer la nuit, ça ne nous tente guère, aussi, après une tripotée de BB (Bonne Béninoise), décidons-nous de repartir.

Nous faisons un bout de route de jour, les crapauds sont partis, il pleut toujours, la nuit descend, sortent alors les crabes de cocotiers, cette fois-ci, ce sont eux qui dégustent !!

Je ramène le copain à la maison qu’ils ont loué près de la place de l’Etoile Rouge, on se donne rencart pour prendre le petit déjeuner.

Le lendemain matin, patacaisse, quelqu’un les a dénoncés comme espions ou mercenaires, descente de police ; des types en civil aux mines patibulaires, lunettes miroir, fouillent partout, je demande aux copains ce je peux faire pour les aider, _ « rien ».

Avec deux habitués du Bénin-palace, nous allons sur une plage jouxtant la capitale, un adolescent tente de me racketter contre l’assurance que personne ne touchera la voiture, je lui répond que si elle est intacte à mon retour, je lui donnerai 200 francs CFA, puis nous allons nous baigner ; il y a cinq ou six épaves de gros cargos rouillés pas loin au large.

Je décide d'aller vendre à Porto-Novo, auparavant, je fais un rinçage du radiateur à la lessive africaine car de l’huile vient toujours se mélanger à l’eau, apparemment, le joint de culasse n’était pas déficient, c’est la culasse qui est légèrement fendue.

Porto-Novo, je m’arrête dans un petit restaurant pour prendre un café, comme prévu, le patron me branche, je lui dis que si je trouve un acheteur correct je suis vendeur, il envoie un gamin prévenir un type qui se pointe quelques temps plus tard, je lui fais faire un tour, chemin faisant, le pékin se présente comme chef douanier, à tous les coups, il va essayer de trouver un moyen de me faire une embrouille pour avoir la voiture moins cher que le prix (gonflé) annoncé, çà ne loupe pas, le tour terminé, il me demande si le  numéro du moteur correspond à celui du châssis, je lui réponds que le moteur a très bien pu être changé, nous regardons, et je vois avec soulagement qu’il est d’origine, et que les numéros moteur-châssis sont les mêmes. Je suis bien content de refourguer à cette emplâtré une voiture avec la culasse flinguée, si le moteur n’avait pas eu les mêmes numéros que ceux de la plaque du châssis, il m’aurait emmerdé en faisant usage de sa fonction pour que je lui fasse pratiquement cadeau de mon carrosse, trois quart d’heure, après, je retourne à Cotonou en taxi-brousse, lesté de 550.000 C.F.A.

Je passe deux jours à attendre le visa pour embarquer du Nigeria ; au Bénin-palace, des françouses se plaignent : ils ont visité les maisons sur pilotis des pêcheurs du lac de Ganvié, et les femmes leur ont balancé des poissons pourris ; en aparté, je pense que c’est tout ce qu’ils ne méritent, aller regarder sous le nez eux des gens pendant qu’ils bossent est d’une incorrection hors du commun !!!..

Aéroport de Lagos, douane-police, au dernier barrage avant d'entrer dans l’avion, fouille, j'ai planqué mon oseille dans mes clarks en daim souple, un douanier me fouille, descend, arrive aux chaussures, les presse légèrement, les billets craquent, le type me regarde avec des yeux bizarrement flous, refait craquer les billets, tout en continuant à me regarder de cette curieuse façon, je ne bronche pas, il se relève, et me dit doucement avec un petit signe de la main, d’y aller.

 

 

                                                                                                  _Septième chapitre_

 

  

 

Lalinde, le pharmacien se fait tirer l’oreille pour me vendre du Quinimax je suis obligé d’expliquer que j’en besoin lors de mes voyages africains, mon passeport avec ses multiples tampons fait le reste.

J’achète une 504 berline bleue, le vendeur pensant que le pont arrière est mort la vend 6000 ff, je tente le coup, au pire, si cette pièce est vraiment défectueuse, on la trouve facilement d’occase.

Finalement, seuls les silentblocs sont cassés, après les avoir changés, tout rentre dans l’ordre, on ne peut pas dire que la réparation m’aie donné beaucoup de mal!

Sur la route, c’est un régal, 11cv, carburateur double corps, de super reprises, sans consommer plus qu’une 404 ; ayant des ratés en cours de route, je dois gratter les vis platinées avec un petit caillou plat, elle ne m’embêteront plus ; j’arrive à Almeria sans m’en rendre compte.

L’embarquement se fait le soir, il y a toujours les arabes guettant les retardataires pour vendre les pesetas beaucoup plus chères que le cours normal.

J’ai ôté le siège arrière pour y loger un fut de 200 litres, le gros bouchon de transvasement d’essence récupéré lors du voyage précédent est prêt à reprendre du service.

Douane Algérienne, un couple de jeunes Italiens est déjà à la fouille des bagages, le douanier en dévissant le cul d’une bouteille thermos trouve des francs Français, quand je repars des bureaux, ils y sont encore ; je ne pense pas que cette histoire ira bien loin, mais les fonctionnaires vont les emmerder un bon moment.

Je distribue des revues glanées sur les poubelles de France, je fais plaisir avec tout au long de la route, j’en garde quelques unes pour la douane Béninoise.

Arrêt habituel à Aïn-Sefra.

Adrar, un Algérien me demande de le prendre en stop pour traverser le Tanezrouft, il est habillé en tenue de ville, petites chaussures de cuir, petit sac contenant quelques affaires, je lui dis que le stop n’existe pas, que je lui prend 250 francs français, il prétend ne pas avoir cet argent, nous transigeons à 300 dinars que je planque pour la prochaine fois dans le caoutchouc du pare-brise.

Passage à la douane, les fonctionnaires l’entraînent dans une pièce close pour une fouille au corps (ce qui ne m’est jamais arrivé), j’attends dans la voiture, il sort peu de temps après, visiblement contrarié.

Nous partons, il me raconte que les douaniers ont  trouvé 500 francs français dans son portefeuille, je lui reproche de m’avoir bourré le mou, pas gêné, il continue de râler : les douaniers ont fouillé son portefeuille, ils n’avaient pas le droit, c’est une honte, etc.……….

En boule, je lui explique :

_1° Qu’il avait des francs français non déclarés sur lui, donc trafic.

          _2° Qu’ils les lui ont laissés, et donc, qu’ils ont été gentils.

_ 3° Qu’il s’en tire bien, ils auraient pu le garder pour lui faire les pieds.

Reggane, les douaniers ne me parlent plus de passer en convoi, il est maintenant admis que je traverse seul, sitôt le réservoir de la voiture vide, je branche le fût de 200 litres.

 Comme d’hab, je roule une bonne partie de la nuit, mon passager râle car je freine et fais des détours pour éviter les petites gerboises, il me dit « pourquoi tu freines, ce n’est rien »; ça commence à faire beaucoup,  sur une suggestion de ma part, il finit par la fermer.

Dans le sable, la voiture est un vrai tapis volant, la largeur des pneus et la puissance font que je ne m’ensable qu’une fois ; comme je n’ai pas de pelle pour désensabler, ni de plaques, je prends les tapis de sol de l’auto pour nous en sortir.

Sur les passages de tôle ondulée, le nombre de chevaux  me permet d’atteindre rapidement la vitesse qui me maintient sur le haut des ondes, ainsi la voiture n’est pas trop secouée.

Le commodo de phares ne peux se mettre en double alimentation codes-phares, ça me manque.

Après Borj-Moktar, j’emmanche la piste de Timiaouine, à mon avis, il doit y avoir pas mal de types qui prennent cet axe pour faire du trafic car les traces sont nombreuses alors qu’on ne peut pas dire que Timiaouine soit une station balnéaire ! Faisant demi-tour, je retrouve rapidement le bon cap.

50 bornes après, la piste tourne à angle droit vers la droite, je vois un objet au loin, me dirige dessus, ce sont quatre demies cylindres en acier d’à peu près quatre vingt dix centimètres de large sur un mètre vingt de haut, avec des plaques soudées en travers des extérieurs ; cela semble être un système qui une fois deux parties réunies autour des roues motrices des camions, leur donnait un profil de roues à aubes ; pour passer les bancs de sable, ce devait être redoutable !

Anéfis, un convoi est aux formalités, les choses tardent car l’un des chauffeurs s’étant engueulé avec sa coéquipière (celle-ci après avoir répondu à une petite annonce d’un canard Français réputé pour ce genre de contacts a payé son voyage 2000 balles), l’a larguée en plein désert ; heureusement un autre de l’expédition, à la suite, l’a aperçue et récupérée ; le chef de poste, un colosse en uniforme impeccable est en train de sermonner le coupable en un Français suranné d’une grande pureté ; avec un calme impressionnant, il développe la faute commise ; explique que si le suiveur n’avait pas été dans les traces, il aurait pu la manquer, avec les conséquences presque à coup sûr mortelles que cela implique dans ces régions désertiques. Contournant le groupe, je vais faire tamponner mon passeport par un adjoint, et me tire.

Une centaine de bornes avant Gao, je rétrograde dans une plaque de fech-fech, ce sable pourri entre dans l’embrayage qui se met à patiner ferme, je me dis que ça va passer, petit à petit, effectivement, à force de tourner à vide, l’embrayage élimine le sable qui s’était vitrifié sur le disque.

Gao, je passe au commissariat, Mambi me dit qu’il a déjà assez de fiches me concernant dans ses placards, je dois juste laisser mon passeport pour le tampon, je largue le connard qui lui,doit remplir sa feuille d’entrée, vais chez Yarga.

Ce dernier a déménagé, Boubakar me guide, il n’y a pas un chat, je casse la croûte, et le soir tombant, je loue un bout de terrasse pour dormir, je n’ai pas commencé à fermer le quart de la moitié du dixième d’un tiers d’œil que des escadrilles de moustiques m’attaquent, j’ai l’impression que ma tronche s’appelle Pearl Harbour !

Fatigué, malgré la chaleur, je me mets dans le sac de couchage pour limiter les dégâts, et m’endors.

Le soleil, les coqs et les aboiements de clébards me réveillent, je suis piqué de partout, mais curieusement, c’est surtout mon bras droit qui a morflé, celui-ci devient très enflé et dur sous les grattements que j’essaie pourtant de réfréner. Je comprends pourquoi il n’y avait personne dans ce piège!

Comme par hasard, le tenancier n’est plus là, l’enfoiré doit dormir en ville.

Je dis à sa femme ce que je pense de l’auberge, et file acheter une moustiquaire.

Cet article n’existe pas tout fait, mon guide préféré me mène au marché couvert où un couturier officie sur Singer à pédale dont le modèle frisant la perfection n’a pratiquement pas changé durant un siècle. Je lui demande s’il est capable de me faire une moustiquaire, « bien sûr patron », nous discutons du coût de la réalisation d’un modèle assez large, puis, nous allons acheter sur le marché les éléments nécessaires à l’élaboration de l’objet. Je reviens deux heures plus tard, ce couturier est le Cardin de la moustiquaire, je lui règle son dû, avec un supplément pour montrer ma satisfaction, je plie mon armure anti-moustiques, vais boire une bibine, puis décarre sur Niamey.

Dans la campagne, les ânes sont entravés avec des liens qui relient les deux pattes avant avec un écart d’une trentaine de centimètres pour limiter leurs escapades, une variante consiste à leur passer un large collier fait d’une corde tenant un bois venant cogner les pattes avant. Pour se reposer, ils se mettent l’un en face de l’autre, et, posent chacun leurs têtes sur le cou du vis-à-vis, j’ai observé cette combine asinienne du Maghreb à l’Afrique noire.

Niamey, attroupement de curieux à l’entrée de la ville, je ralentis pour voir la cause de l’émoi, les flics sont en train d’installer un radar, on aura tout vu !

Moins rigolo, le « grand marché » a entièrement brûlé, il y a eu beaucoup de morts, car les commerçants, pour protéger leurs boutiques de bois armées de tôles de bidons y enferment les gardiens à clé toute la nuit, et les pauvres types n’ont pour la plupart pas pu sortir.

Je dors au « camping », un Français vient me voir, il a des ennuis avec le moteur de sa 404, il a tout essayé pour la régler, sans résultat, je jette un œil sans rien voir d’extraordinaire, après avoir  réfléchi, je lui demande s’il a acheté de l’essence de contrebande provenant du Nigeria comme on en voit sur le bord des routes, sur sa réponse positive, je lui dis de faire la vidange du réservoir, car les marchands successifs, pour augmenter le bénèf ajoutent chacun du kérosène moins cher que l’essence. Peu de temps après, il revient le sourire jusqu’aux oreilles.

Le lendemain, le pauvre type se retrouve sans son portefeuille contenant tous ses papiers et argents ; tu parles, il n’y a qu’à voir la tronche du gardien, quand il vient se faire payer, il a les yeux montés sur cardan pour pister où est remisé le pognon, et quand les gens dorment sous la tente, la nuit, lui ou des comparses, sachant où se trouve le magot, coupent le tissu de l’abri pour s’en emparer.

Comme d’habitude, inutile de compter sur l’Ambassade ou le consulat, quand vous êtes dans la merde, vous n’avez aucune aide à en attendre, que ce soit pour les papiers, argent, coup de fil en France, Wouallllou !!!!!

Le bruit court qu’un Français ayant voulu récemment dormir en brousse aux alentours de Niamey s’est pris plusieurs coups de machettes et a été complètement dépouillé ; allez donc savoir si ce sont des ragots ou pas ! Il faut dire que des Nigérians passent souvent la frontière pour couper quelques têtes et organes génitaux masculins, à fin de faire des sacrifices ou grigris, (en principe, les Européens ne sont pas concernés par ces prélèvements, la magie africaine ne fonctionnant pas avec cette engeance incrédule) de là à braquer des voitures isolées…...

Vente rapide de la voiture à Portonovo 650.000 CFA nets, retour à Cotonou où je vais prendre un visa pour le Nigeria.

A l’aéroport, je demande un Lagos-Bergerac, évidemment ça n'existe pas, mais j’arrive à sortir un Lagos-Paris/Paris-Bordeaux ce qui me permet d'aller voir mes parents en banlieue parisienne, et, avec l’équivalent des cent francs que j'ai mis de mieux dans le billet, faire plus tard Paris-Bordeaux dans un petit avion, ce qui me semble très abordable.

 

  

_Huitième  chapitre_

 

   

Pour me faire des sous, je vais faire les vendanges près de Bergerac, les viticulteurs chez qui je travaille sont adorables, ce doit être de génération en génération, car les ancêtres ont pensé aux transpireurs en plantant régulièrement du muscat, afin qu’ils y fassent une petite halte, et s’en désaltèrent.

La récolte finie, les patrons enjolivent la paie de 6 bouteilles de vin blanc, et 6 de rouge d’années précédentes qui ne font pas long feu, me restent cinq bouteilles de blancs, je décide de les emporter, car, en ayant goûté une, elle se révèle un excellent anti-roupillon.

Recherche d’un appareil à transporter l’homme, je trouve une 404 break bronze métallisé exactement comme celle achetée aux Hollandais, à part qu’elle a été cartonnée, tout l’avant est  très enfoncé, les deux longerons avant sont tordus, 55.000 kilomètres d’origine (ce qui est peu) ; hormis le carton, elle est comme neuve.

J’en parle à un copain garagiste et carrossier chez qui je bricolais mes charrettes, après avoir vu les dommages, il me dit qu’il y a beaucoup de boulot, mais que c’est du classique : Il faut démonter toute la mécanique, couper tout l’avant au marteau et au burin, longerons compris, faire la même chose sur une autre non accidentée, présenter la nouvelle pièce et souder l’ensemble sur un marbre (forme qui permettra à la voiture de ne pas sortir en vrille), remonter, repeindre. J’achète la bête 600 francs.

Découper des voitures à la hache destination la ferraille, afin qu’elles prennent moins de place, j’avais déjà pratiqué, c’est beaucoup plus facile qu’il n’y paraît.

Un copain artiste peintre, costaud, m’aide à couper l’avant d’une 404 repérée à la décharge, cela nous prend, nous relayant, trois heures un après-midi. Puis je découpe proprement au burin tout l’avant de mon acquisition juste sous le pare-brise, longerons compris.

Le copain carrossier soude le tout au chalumeau, puis, je remonte la mécanique. Son frère, grand spécialiste en peinture automobile transforme ma citrouille en carrosse (d’où le nom de carrossier, je suppose).

Entrée d’Algérie, un gros 4X4 militaire kaki est devant moi, récemment repeint, avec des pèpelles attachées précieusement sur les flancs par des courroies, des plaques de désensablement en aluminium, rutilantes, des jerricans, et tout, et tout, et tout… tout bien propre, c’est un couple d’Allemands avec môme, le mec est très énervé, apparemment, il craque déjà, j’augure mal de la suite de leur expédition…….

Tlemcen ; je m’apprête à entrer dans un restaurant quand un type en sort, du sang partout, soutenu par ses copains, une serviette éponge pour contenir l’hémorragie, il vient de prendre un coup de rasoir dans la tronche ; je vais manger un peu plus loin.

 Maintenant, pour les pièces, je ne me casse plus la tête, je les vends dans les garages où j’ai déjà sévi.  La plupart des garagistes connaissent la contrainte du carnet de devises, et savent qu’il faut que je ressorte les mêmes pièces (fichues ou pas) que celles inscrites, je demande donc de faire un échange standard avec leurs matériels défectueux, ça passe très bien.

Aïn-Sefra, repas chez l’ami,  nous sifflons une bouteille de blanc.

Adrar, je vais au dispensaire me faire vacciner gratos contre le choléra ; pour remercier les infirmiers de leur obligeance, je fais comme le maréchal, (j’offre) mon dernier demi litre de Ricard, tout heureux, ils me donnent deux boîtes de 500 comprimés, l’une d’aspirine, l’autre de quinine, je les prends pour ne pas les vexer sans savoir ce que je vais en faire!!

Puis je passe chez Ramdann, il a une curieuse façon de faire le café : Il met la dose dans une grande cafetière type cow-boy, de l’eau, fait bouillir, quand le café monte, il le stoppe avec un verre d’eau froide, c’est prêt.

Lors de la descente précédente, j’ai discuté au Bénin Palace avec des Français qui ont eu des emmerdes à propos du change officiel de dinars, les douaniers ont calculé le montant de l’essence du voyage jusqu’à Adrar, plus celle contenue dans les bidons, le trafic est patent, amende en francs Français…..ça sent l’affreux Jojo qui m’avait coincé !!! Il est virulent l’animal, me souvenant qu’il y a un poste d’essence à Reggane, je tente le coup de planquer des dinars roulés dans le caoutchouc du pare-brise et d’y charger mon essence, c’est un peu kamikaze, car des fois, cette station n’est pas approvisionnée et il faut revenir de nuit à Adrar en faisant un très grand détour dans le sable pour éviter de se faire voir par les douaniers qui ont une vue imprenable sur la platitude du sud et en repartir de même.

Je passe la douane en souplesse malgré l’habituel tyran, 130 bornes, heureusement, la dernière station avant Gao est ravitaillée, je razlagueule mon fut de 200 litres, et me pointe au poste de Reggane qui a pour seule fonction de contrôler les passavants et former des convois (pour les autres).

Passant de nuit devant Bidon V, je vois des lumières, ce sont des Allemands qui arrosent Noël ; passant dans des pays musulmans, je n’avais pas fait attention à la date. Partageant ce que l’on a à manger et à boire, (nous finissons à l’occasion les bouteilles de blanc), on fait la bamboula enroulés dans les sacs de couchage à cause du froid.

Aguelhok, je vais voir un religieux musulman que j’avais connu lors d’une précédente descente, et lui refile la moitié des médicaments reçus des infirmiers algériens après lui avoir expliqué leur utilisation, je distribuerai le reste à Gao.

Gao, comme d’hab, je passe dire bonjour à Mambi pour qu’il m’inscrive dans le livre des entrées, maintenant, les formalités sont pour moi réduites à l’inscription dans ce registre, un agent me met le coup de tampon d’arrivée en ville sur le passeport, et c’est plié.

Chez Yarga, pas mal de monde, et chose pas très courante, il y a des voyageurs blacks, ce sont des Guinéens, ils me branchent, me disant que les gens de l’ambassade de Guinée à Bamako cherchent une voiture comme la mienne ; généralement, ce genre d’information pue, car, comme par hasard ils y vont, et que je pourrais au passage, les y amener gratos.

Quelques jours passent, je me décide à tenter le coup.

Un guide de chasse doit se rendre sur Mopti, nous partirons ensemble, deux Lyonnais en 504 nous suivent. Le lendemain matin, avec les indigènes, il y a une demi-douzaine de voitures qui attendent le bac pour traverser le Niger (fleuve), nous nous inquiétons, car l’embarcation est limitée en places de véhicules, et si l’un de nous reste sur le carreau, les autres devront attendre au moins trois heures sur l’autre rive sous la cagnasse le prochain passage du bac (c’est pas drôle), ou partir sans lui (c’est pas gentil !).

Le bac arrive, les voitures venant d’en face en descendent, elles sont à peine sorties, qu’un flic dans sa 404 plateau perso passe en trombe par la gauche, et monte le premier sur la barge. Nous avons les boules, mais finalement, tout le monde arrive à se caser.

Après avoir gagné la berge opposée, l’odieux part comme une fusée.

Prenant notre temps, nous roulons peinards, de grosses sauterelles suivent la voiture en vol stationnaire sur une centaine de mètres, cent trente kilomètres plus loin, l’agent et sa jeune femme ont la tête sous le capot, à notre approche, il nous font signe d’arrêter.

Ce connard n’a pas regardé le niveau d’eau avant de partir ou crevé le radiateur, ça fume de tous les côtés. Le guide de brousse (apparemment un branleur fini) ouvre prudemment le bouchon du radiateur, et me faisant un clin d’œil, y verse de l’eau, la culasse émet des craquements épouvantables, sérieux comme un pape, il dit au flic «essaie de démarrer», celui-ci s’exécute, il n’y a plus de compression, et de l’eau sort par le pot d’échappement, je trouve le coup salaud car il lui a sciemment niqué la culasse, mais l’autre abruti l’a bien mérité.

Je lui conseille de garder sa voiture, car sinon, 2 heures après il n’en restera rien. Pendant ce temps-là, le guide discute avec la nana, celle-ci, devant se rendre à Bamako  monte avec lui, nous repartons.

  La nuit, nous cassons la croûte, puis dodo, le chevalier servant de la femme du flic la fait gueuler toute la nuit, nous rigolons comme des bossus.

Le lendemain, il y a de nombreux ensablements, l’un des Lyonnais nous fait une grosse dépression, (j’ai à ce propos remarqué que beaucoup de gens, en s’enfonçant au sud en terrain inconnu, angoissent et se laissent aller à une déprime incompatible avec l’allant nécessaire à la traversée d’espaces désertiques) je le retrouve vautré dans un banc de sable qu’il aurait dû passer tranquillement avec sa 504, quand j’ouvre sa portière, il est à moitié en train de chialer en disant qu’il n’a plus la force d’appuyer sur l’embrayage, en attendant, tout le monde doit s’y mettre pour sortir cette lope. Une fois que nous avons sorti son trognon, je le choppe et lui dis que la prochaine fois, il se démerdera tout seul.

Arrivée de nuit à Mopti, au barrage, un militaire voulant fouiller les voitures demande si j’ai une lampe électrique, ouvrant le haillon arrière, je lui répond non, il me dit « ce n’est pas grave, je vais vous torcher », cette bonne chose faite, nous allons dîner dans un restaurant un peu classe car c’est le seul endroit ayant de la bière fraîche.

Il y a déjà 5 ou 6 Belges et un couple de Français : Dominique et Lien, tous deux ont vendu leurs voitures et continuent vers la capitale.

Après quelques verres, tout le monde est de bonne humeur, les belges vont aussi à Bamako pour vendre leurs oignons.

Nous partons tous ensemble le lendemain matin, pendant le voyage, les blacks que je trimbalais à l’œil depuis Gao cassent le coup de l’ambassade de Guinée aux Belges, je suis fumasse !!!

Bamako, je largue mes passagers, les Belges vont dans un hôtel-restaurant climatisé pour Européens, les Lyonnais et moi optons pour un bouiboui local appelé « Au paysan », nous y trouvons trois Français.

Je laisse passer quelques jours en cherchant mollement des clients, ceux-ci trouvent mon véhicule magnifique, mais n’ont aucune intention de payer les 20.000ff que je demande en prix d’attaque.

La nuit, les mômes font leurs devoirs scolaires dans la rue, à la lumière des réverbères.

J’apprends que les Belges sont allés à l’ambassade de Guinée, et, afin de fourguer une de leurs 504, ont dit que j’avais déjà vendu mon os ; je suis mort de rire, car cette voiture, ainsi que les autres, achetées par des Libanais, ont en grande partie été payées en chèques.

Je décide d’aller tout de même à l’ambassade voir de quoi il retourne. Les fonctionnaires, en voyant ma voiture font les pieds au mur, l’information était bonne, c’est ce modèle qu’ils cherchaient, malgré l’acquisition de la 504 belge 900.000 f Maliens (aux trois/quart payés en chèque), ils sont d’accord pour prendre la mienne à 1.600.000 f maliens. Ils n’ont plus de liquidité, ne leur restent que des chèques, je réponds que je suis désolé, je ne prends que du sonnant et trébuchant, ils me disent d’attendre, et envoient un mec chercher du liquide, une heure plus tard, ils me paient.

Retour triomphal « au paysan », tournée générale, le patron, très sympa, nous fait toujours de la bonne bouffe, souvent de la viande de brousse, phacochère, agouti, bisse*.

Allant faire un tour au marché de Bamako, je vois un fusil de brousse, crosse en bois faite  à la main, le canon a été réalisé dans une barre de direction de 2 CV, le vendeur est le forgeron  concepteur de l’objet ; c’est un vieux qui fait une tête de plus que moi, une carcasse de colosse, super gentil, il demande 30.000 francs maliens de l’outil à se procurer de la chair fraîche, je n’ai pas le cœur à marchander, il m’accorde avec, de la poudre et quelques amorces. Je lui demande quelle quantité de poudre il faut pour une charge, sortant la baguette située sous le canon, il me montre qu’une fois celle-ci dans le tube, elle arrive exactement à ras de la bouche, puis il lève la baguette de la hauteur de trois de ses doigts (4 des miens) et me dit que c’est la dose idéale, je le paie avec les grands billets maliens ; j’achète plus loin une grosse kora*.

Quand j’ai vendu une voiture, je ne m’attarde jamais longtemps dans le secteur.

J’en parle aux autres ; l’un n’a pas vendu sa 404 plateau, mais n’est pas trop décidé à la céder car, l’ayant achetée neuve en France afin de carder les matelas dans les villages de l’Ariège, il n’en aurait jamais tiré la moitié de sa mise de fond, les autres, ayant déjà fait affaire, les décider à remonter ensemble ne fut pas un tour de force.

Ils sont trois, plus Lien et Dominique, un Ivoirien recruté par lui pour préparer des voitures en France et moi, sept, pour une 404 plateau, bagatelle !

En fin d’après midi, nous réglons et remercions notre hôte de l’excellent séjour que nous avons passé chez lui. Devant nous appuyer 3000 kilomètres de désert et de piste, Dominique suggère que nous dormions une nuit dans un hôtel grand standing, chambres climatisées, dans lequel ils ont passé quelques jours ; quand il nous dit le prix exorbitant de la chambre, moi et les autres, ne sommes pas d’accord ; Dominique a une idée démoniaque : lui et sa femme, louent une chambre, une fois qu’ils ont la clé, Lien redescend nous donner le numéro de la piaule et de l’étage, deux par deux, à intervalles réguliers, tout le monde prend l’ascenseur, et s’y retrouve, il y a une grande baignoire et une douche dont nous abusons à tour de rôle.

Redescendant par petits groupes, tout propres, tout roses, nous nous retrouvons au restaurant, et mangeons comme des gorets.

Nous faisons notre blanchissage dans la baignoire. Les lessives africaines, sont d’une efficacité redoutable, pas besoin de frotter, il faut laisser tremper le linge dix minutes maximum, rincer abondamment, les couleurs ont déjà bien morflé au passage.

Le sol recouvert d’une chouette moquette, nous dormons par terre dans nos sacs de couchage, laissant le lit au copain et sa femme.

Le lendemain matin, petit déjeuner dantesque, jus d’oranges, café, croissants, chocolat à volonté, prix forfaitaire, nous nous en mettons jusque là !

Puis nous remontons, reprenons une dernière douche vite fait, divisons le prix de la nuitée, versons chacun notre écot, descendons avec nos bagages, quelques instants après, Dominique et Lien paient la chambre.

L’arrière de la voiture est fait d’une caisse tôlée fabriquée par l’artisan pour protéger son matériel, nous y pratiquons une meurtrière de chaque côté, puis montons dans la 404, et fouette cocher!

Ségou, nous buvons une bière sur les bords du Niger, j’achète deux petits pistolets entièrement faits à la main (voir photos), l’ignition de la poudre se fait comme au 17 et 18 ème siècles avec des silex pris dans une petite pince qui, en se rabattant produit une étincelle ; des gosses viennent bavarder et faire une manche discrète, ils nous montrent des poissons qui, en se gonflant, triplent ou quadruple de volume comme les poissons-lunes.

Après San, sur le bas-côté de la route nous voyons de gros volatiles pas farouches (sûrement des outardes), je me dis que c’est le moment d’essayer le fusil !

Voulant tester la solidité de l’outil avant de l’utiliser, nous nous écartons de 200 mètres en brousse ; je sors l’arquebuse, la charge, tasse la poudre avec du papier, la coince et l’attache  dans la fourche d’un arbre, et déroulant une ficelle nouée à la gâchette de façon à m’éloigner lors de la mise à feu, je tire un coup sec, raffut d’enfer, nuage de fumée d’un autre monde, l’artillerie, bien qu’amarrée est tombée, mais le canon n’a pas explosé !

Je recharge, demande aux copains de me faire des plombs avec ce qui leur tombe sous la main ; à l’aide d’une paire de tenailles, ils me coupent en petits morceaux des bouts de cuivre et de plomb qui traînaient dans la voiture, je bourre le tout avec des mouchoirs en papier, nous reprenons la route, je pointe par la meurtrière de la voiture, voyant un groupe d’oiseaux, le conducteur ralentit, je tire, un recul monstrueux me ravage l’épaule nord ; nous allons au résultat, persuadés d’en trouver trois ou quatre sur le carreau, peau de balle et balais de crin, pas un seul au tapis, nous refaisons un essai plus loin, sans plus de chance !

Cent bornes après Mopti, nous attaquons la piste, les copains m’ont préparé un paquet de munitions, je charge le tromblon des plus gros projectiles.

Plus tard, nous apercevons une mère phacochère et son petit ; obliquant, nous partons à leur poursuite, malheureusement, nous les perdons de vue ; deux montent sur le toit pour les repérer, ce qui ne tarde pas, la poursuite reprend, malgré les arbustes rabougris, nous les rattrapons rapidement, guidés par nos vigies qui râlent car elles prennent des branches d’épineux dans la tronche, on ne les écoute pas ; arrivé à la hauteur du petit, je lui envoie une décharge pratiquement à bout portant, ce qui n’a pas l’air de le déranger outre mesure, au bout d’un moment, ils se séparent, nous nous acharnons sur le marcassin ; épuisé, il finit par s’arrêter au pied d’un arbuste, les autres, restant dans la voiture, me disent d’aller l’achever, je descends, pas trop fiérot, car si la mère revient, elle me fait la peau, je donne un coup de crosse sans conviction au bestiau, s’il ne tenait qu’à moi, on se barrerait, l’excitation de la chasse passée, j’ai plus envie de lui foutre la paix, qu’autre chose !

Les trois copains, habitués à la vie à la campagne, n’ayant pas ma sensiblerie de citadin descendent de la voiture, empoignent le petit, et lui font la peau au couteau en deux temps trois mouvements, puis ils le pendent par les pattes arrières, le dépouillent, et le vident vite fait pendant que nous guettons le retour éventuel de la mère. Nous repartons, je suis un peu barbouillé !

Le soir, nous nous arrêtons, allons chercher du bois, faisons un feu et cuisons le foie du phaco avec des nouilles, puis allons nous coucher ; Marcel, l’Ivoirien reste à entretenir le feu, je lui demande pourquoi il ne va pas dormir, il me répond qu’où il y a des phacochères, il y a des lions, j’ai beau lui dire avoir lu que les lions ont plus peur des hommes que l’inverse, il tient à veiller et entretenir le feu toute la nuit. Finalement, il a sûrement raison, car à l’aller, nous avons discuté avec des gardes-chasse pourchassant une lionne qui avait dévoré une femme partie faire sa lessive au bord du fleuve.

A Gao, Dominique et Lien retrouvent un type sympa, genre baba cool, il est fauché, et vit avec une Malienne qui fut danseuse quelques années au Crazy Horse Saloon et subsiste de la petite retraite versée régulièrement de France pour ses prestations parisiennes.

Ils demandent si on peut le ramener en France, bien sûr, pas de problo.

Chez Yarga, toilette au seau (rapide, car il fait froid), nous négocions le restant du petit phaco avec la femme de notre hôte contre deux repas chacun, nous faisons connaissance d’un Français nommé Gerry qui vient de débarquer à Gao, il a l’intention d’y monter un camping.

Le lendemain matin, départ, nous passons prendre le baba chez la nana, il y a de l’émotion dans l’air !

Durant le voyage, la peau de la calebasse de ma kora se fendille de partout sous la sécheresse.

Passage des frontières, il fait de plus en plus froid, j’ai égaré ou échangé mes affaires chaudes durant la descente car je pensais remonter par Lagos ; à Beni-Ounif, j’achète une djellaba râpée d’occasion en poils de chameau tissée à la main, bien que peu épaisse, elle est très chaude, et la pluie glisse dessus.

Mécheria, les copains, ayant changé du pognon au black vont dormir à l’hôtel, je préfère rester et garder la voiture. Au petit jour, je sens le pick-up osciller sur le côté, j’aperçois deux mains accrochées à l’ouverture latérale droite, il y a une pompe à main pour gonfler les pneus fixée sur la cloison avant par des sangles, c’est elle qui est visée, une main commence à défaire la première des deux courroies qui la tiennent ; pour ne pas faire tanguer la voiture, je me dirige doucement avec le sac de couchage dans les guibolles vers les mains convoitrices, la première sangle défaite, il faut bien que le type passe le bras plus avant pour défaire l’autre, quand le brandillon est bien engagé, je l’attrape, et le plie vers le bas pour le bloquer, le voleur se débat comme un beau diable, tout cela en silence, je me rends immédiatement compte d’après la taille de l’abatis qu’il appartient à un moufflet, et que s’il continue à se débattre comme ça, il va finir par se faire mal, je lâche, et passe la tête par l’ouverture : c’est un môme fortement choqué, il est à terre sur le côté, les jambes pédalant dans le vide, il a dû croire avoir affaire au diable, je l’insulte copieusement en Arabe, ce qui est le meilleur moyen de lui montrer que je suis pas un djnoun ou un chettab (esprit) ou (diable). Les copains arrivent de l’hôtel au même moment, voyant le tableau, ils sont écroulés de rire.

La remontée ne pose pas de problème particulier, à part que le copain baba cachait (sans nous le dire) de l’huile de shit dans le rebord de son bonnet, et à la douane espagnole, les gabelous lui demandent de les suivre dans une pièce à l’écart ; il réussit à balancer sa cargaison discrètement dans une poubelle. Il ressort quelques instants plus tard, il a les boules, il comptait se refaire avec le shit qu’il a balancé, et les douaniers ont simplement examiné son passeport sans le fouiller, vu le nombre de fonctionnaires croisant dans le coin, il ne peut se permettre de récupérer son huile, nous nous arrachons vite fait avant que quelqu’un ne tombe dessus.

     Ariège, près de Foix, le village squatté par les copains est perdu dans la montagne, ils y ont des chèvres et des femmes en commun, ça paie !!!

Nous remémorant le voyage, nous calculons qu’il y une semaine, nous étions à Bamako, nous étant relayés au volant, la moyenne est plutôt bonne, le voyage nous est revenu à 500ff chacun (gratos pour le baba).

Le lendemain, je leur demande de me redescendre en ville pour prendre le train, nous nous adieusons, Michel me fait la bise, gentil mec !

 

 

_Neuvième chapitre_

 

 

Quelques mois plus tard, de nouveau ruiné, j’en viens à taper dans un lot de sardines remontées d’Algérie, ce genre d’aliment sature très vite, pour changer, j’essaie de les passer à la poêle, génial, une fois réchauffées, on croirait des fraîches !!! Mais il faut que je réattelle……...

Je trouve l’appareil à manger du kilomètre, une 404 berlines d’un modèle rare, 7 Cv, alors que les autres font 9 Cv, caisse, boîte à vitesses modernes, mais avec un seul compteur ; le pont arrière grogne salement, j’en vérifie le niveau d’huile, il y a ce qu’il faut, il tiendra bien jusqu’à Cotonou. Je l’achète car elle est en très bon état, bien que n’avoir que 7 Cv sous le capot me chiffonne, j’ai peur que ce soit un peu léger pour passer les bancs de sable.

Je n’ai plus un outil disponible, pas même une paire de pinces, mais je connais bien la piste maintenant, et décide de jouer le coup ainsi.

Je prends une roue de secours en plus, un fût de deux cent litres et son kit nourrice, quelques jerrycans de plastique aimablement consentis par les pharmaciens, le réservoir moitié plein, je ne dispose que de 1.200 ff pour descendre jusqu’au Bénin, ça frise l’incorrection, d’autant plus que la traversée de la Méditerranée  me coûtera entre 400 et 500 ff ! Le gros de l’affaire sera de passer en Algérie avec le maximum de bouteilles d’anisette ou de whisky, du moment qu’il reste deux cents francs à changer à la frontière pour prendre de l’essence et une assurance, les douaniers à l’entrée du territoire ne cherchent pas plus loin. Une fois en Afrique noire, si on ne fait que traverser les villes, si l’on mange chez les mamas, à part l’achat d’essence,  la vie ne coûte pratiquement rien ; ce sont les chambres d’hôtels climatisés pour Européens ramollis qui sont chers, les terrasses exposées aux intempéries sont aux environs de 10 à 20ff la nuit.

Attendant le bateau à Melilla, je rencontre deux types qui descendent en R12, c’est la première fois que je vois faire le business avec cette marque!

Le passager, un brun genre zonard, sort un Opinel, et me dit qu’il vient en Afrique pour enlever un œil à sa copine qui s’y est fait la belle avec un type, il me la décrit pour que je la reconnaisse si je la croise.

Le proprio de la voiture, un blond, mince, me révèle qu’il a au Mali, une commande de montres à quartz, que cette camelote y est très recherché, ah bon! Je suis bien placé pour savoir que les produits nouveaux venant de Chine, Japon ou Taiwan débarquent en Afrique par le Nigeria, et de là, se répandent sur tout le continent bien avant d’arriver en France, j’essaie de lui en toucher deux mots, mais il est déjà descendu une fois, il sait mieux que moi, ah bon !

Je lui suggère de charger des bouteilles de whisky dans les portières, il me dit non, que les montres y sont cachées.

Nous franchissons ensemble les frontières de nuit, je passe le premier sans problème. Quand le tour des collègues arrive, les douaniers algériens deviennent plus durs, il faut dire que le brun a vraiment une sale gueule ! Je les attends et assiste à la fouille de leur voiture, un gabelou ouvre la portière arrière, en écarte la garniture, dirige la lampe électrique à l’intérieur, je vois très nettement le reflet du chrome des montres, le douanier, lui,  ne voit rien!!!

Nous roulons de concert quelque temps, à Tlemcen, nous nous séparons car je ne tiens pas à traverser le Sahara avec ce genre de voiture et de lascars ; de plus, je veux vendre mes pièces détachées sans mouiller mes acheteurs.

Plus je descends, plus le compteur de température d’eau monte, ça, c’est pas bon.

Aïn-Sefra, bonjour au copain, je lui emprunte quelques outils et démonte le calorstat des fois que ce modeste appareil soit la cause de ce réchauffement de mauvais aloi ; pas d’amélioration.

Je démonte le radiateur, puis, nous allons chez un spécialiste, j’assiste au solo du détartreur ; le type commence par dessouder tout le haut du bloc, dans un râtelier portant des tringles de différents calibres, il choisit le modèle idoine, et se met à ramoner gaillardement mon appareil à évacuer les calories.

Une fois l’opération terminée, il rince abondamment la pièce, la retourne, et ressoude la partie supérieure.

Le radiateur reconstitué et refroidi, il adapte au bas de ce dernier un morceau de  chambre à air de vélo ou mobylette fermé par un nœud, verse de l’acide jusqu’à la moitié de la partie récemment reposée, et se servant de la chambre à air comme d’une poire, fait circuler le liquide quelque temps. Il récupère l’acide, rinçages, me voilà avec un radiateur comme neuf, l’opération est un peu chère, mais réglée en dinars.

Je remonte le tout, fais des essais concluants.

Un peu tôt dans la soirée, nous cassons la croûte, puis je continue ma route, j’aime bien dormir dans la campagne et attendre de tomber de sommeil pour ce faire.

Visite à lou Ramdann, départ de la douane, maintenant que l’on me connaît, malgré tous mes coups tordus, ils ne m’embêtent plus, il faut dire aussi que je suis rôdé, et pour me prendre en défaut, maintenant, il faut se lever de bonne heure.

Reggane, je rends mon passavant, la voiture tire mieux que je ne craignais dans le sable mou, mon moteur ronronne, j’ai une pensée émue pour toutes les pièces en mouvement, aux bielles, soupapes, pistons, arbre à cames, tout cela lubrifié en permanence par la pompe à huile, l’automobile est une machine magnifique !

La nuit, je m’égare sur la route de Timiaouine, ça commence à devenir une habitude ! Je m’en aperçois assez rapidement à l’étroitesse de la piste, demi tour ; dès que je croise des traces nombreuses, je prends à gauche, et retombe sur le large et habituel enchevêtrement d’empreintes de pneus.

Cent bornes avant Gao, un petit touareg me fait signe, je m’arrête, il me montre sa main bleue et gonflée comme un gant de vaisselle dans lequel on aurait soufflé, il me dit « scorpion », l’un de ses rares mots français, je pointe mon index sur lui, puis vers le sud, dis « Gao », il comprend que je veux l’emmener, mais refuse, j’insiste en vain ; n’ayant rien pour le soulager, je repars en louchant le rétro des fois qu’il change d’avis.

Un vent de sable rasant se lève une quarantaine de kilomètres plus loin, je m’arrête un peu, mais crevant de chaud, et ne sachant pas combien de temps cela durera, je finis par repartir, les traces deviennent de moins en moins nombreuses et visibles, je me fixe sur l’une d’elles récente et profonde, au détour d’une grosse touffe d’herbe sèche, je la perds ; le sable est mou, ne pouvant m’arrêter sans m’ensabler, je tourne large pour retomber sur mes pattes, plus rien, tout a été nivelé par le vent, qui s’arrête quelque temps après.

Dès que le sol est un peu consistant, je m’arrête pour réfléchir, la petite montre du tableau de bord indique 11 heures, le soleil est à gauche, je suis donc dans le bon axe.

Je continue en me référant à l’ombre du montant de pare-brise, une demi-heure après, je regarde la pendulette, consternation et désolation, elle n’a pas bougé depuis que je l’ai consultée ; depuis le départ elle n’a eu aucune défaillance, le sable, s’infiltrant partout, a dû la bousiller.

Stoppant le concentré de génie humain, je monte sur le toit pour apercevoir quelque signe pouvant me guider, pas de trace de poussière soulevée, le silence est total, je vois une éolienne à l’horizon, me souvenant qu’il y en a une quelques dizaines de bornes à gauche de la piste avant Gao, je décide de me diriger vers elle.

Je roule assez vite car je n’ai rien pour m’aider à désensabler si je me plante. Dépassant le sommet d’une dune, le versant descendant n’est plus stabilisé par les touffes d’herbes sèches, la voiture s’enfonce à mi-roues dans le sable mou, et se met en crabe, j’accélère, et m’en sors, chauds les marrons !

J’arrive à l’éolienne, celle-ci est immense, je n’en avais jamais vu de près, c’est impressionnant !

En tout cas, la piste menant à Gao n’est pas au rendez-vous, je grimpe en haut par les échelons prévus à cet effet, arrivé sur la plate-forme du sommet, je regarde dans tous les azimuts, pas de piste, pourtant, je vois très, très loin ! À l’horizon, une autre éolienne, je décide d’aller y jeter un œil. Arrivé à cette dernière, toujours pas de piste, une fois grimpé, je vois une autre éolienne, j’y vais…..Je croise des gazelles ; au bas du monument, il y a un manche de hache dont la boule percée permet d’y glisser le fer selon le système classique en Afrique, je le balance derrière les sièges de la voiture,  monte, encore rien.

Je me dis que là, ce n’est plus un margouillat, c’est un crocodile ! Je décide de revenir sur mes pas.

Je reprends mes traces jusqu’à une dune molle que je ne peux remonter, la contourne, ne retrouve pas la marque de mes pneus, j’ai beau tourner, rien, je ne sais plus du tout où je suis, si la piste est devant, derrière, à droite ou à gauche, quelle galère !

Regardant mes traces arrières et l’éolienne au loin, j’en déduis la direction probable de mon ancien itinéraire, et conservant tant bien que mal l’angle de route avec l’ombre du montant du pare-brise je roule, roule, et fini par retomber sur des traces de pneus plus larges que les miens, je les suis sur une trentaine de kilomètres, puis tombe sur un petit camp touareg de quatre tentes, n’oubliant pas les usages, je m’approche et frappe dans mes mains. Un Tamashek* sort, je lui demande la route de Gao ; Gao, il connaît, il m’indique les traces qui m’ont mené jusque là, et dit, « Gao » à plusieurs reprises, je le remercie, et repars, quelques temps après, je croise le plus merveilleux spectacle qu’on puisse imaginer : la piste, large comme plusieurs boulevards, je l’emboîte à droite, trois quart d’heure après, je suis devant lou Mambi, cinq minutes plus tard, je m’enfile une 75 cl cul sec, et en redemande une autre pour pousser la première.

Ce devoir élémentaire accompli, Boubakar m’informe que Gerry a monté son camping, et m’y conduit. Pendant que celui-ci prépare la tambouille, je lui fabrique un système à assassiner les moustiques : je tresse comme un ancien panier à salade en fils de fers, dont un rang sur deux est branché sur un pôle 220 volts, le second, sur l’autre, le tout tenu sur une armature en petit bois par de la ficelle pour éviter un court-circuit. Je pousse le vice jusqu’à alimenter ce piège par une ampoule électrique en série, ce qui fait qu’en cas de court-jus, l’ampoule s’allumera, sans autre dommage.

J’adjoins à l’intérieur de mon piège une autre lampe qui servira d’appât et d’éclairage  pour la table au-dessus de laquelle je pose mon traquenard. J’attends avec impatience qu’un moustique vienne se pointer, bien sûr, il n’en vient pas. Je choppe une grosse sauterelle pour voir sa réaction au contact de l’embuscade et la lâche dessus, les deux pattes arrière se détachent instantanément de l’animal, je crois que les moustiques n’ont qu’à bien se tenir !

 C’est l’époque des cantharides, ces charmantes bestioles, réputées pour leurs vertus (je ne sais sous quelle forme) aphrodisiaques, ont une prédilection pour les atterrissages dans le cou, (on ne les sens qu’au volume qu’elles prennent sous la chemise), une fois posées, elle lâchent un acide extrêmement virulent qui vous fait de grosses cloques en deux coups de cuillère à pot, si l'ulcération crève, le suc en refait une série plus bas.

Je vends quelques pièces de 404, mais, n’étant pas trop ferré, je ne m’attarde pas à Gao, et le lendemain matin, je droppe sur Niamey.

Arrivé, j’envoie une tripotée de cartes postales car j’ai remarqué que ce petit bout de carton fait très plaisir lorsqu’il arrive, et que son émission ne coûte pas beaucoup de temps et argent.

A la frontière Béninoise je donne deux bidons de plastique de 10 litres ayant contenu mon eau pour la traversée du Tanezrouft et gardés pour la circonstance.

Je roupille au camping de Kandi, démarre tôt le matin ; vers 9 heures, j’attrape deux caméléons sur la route, ce n’est pas un tour de force: quand ils sont sur le goudron, ils essaient de faire vite, mais faire vite pour un caméléon est très relatif, ils font deux ou trois basculements avant/arrière avant de pouvoir progresser efficacement. Quand ils se sentent en danger, ils arrivent à faire des pas successifs mais hésitants et en chaloupant fortement. Je les mets sur les revers de ma chemise, ils n’en bougent pas.

Parakou, Nestor a été retrouvé il y a deux jours, mort dans son lit, le ventre tellement gonflé qu’il a fallu l’enterrer dès le lendemain avant qu’il n’explose, ça sent l’empoisonnement à plein pif !!

Son frère a déjà chaussé ses bottes, sa femme et son restaurant ; il pérore comme un paon derrière le comptoir, je ne vais pas m’attarder.

Le soir, pendant le dîner me vient un début de palu : suées au front, chair de poule sur les bras, raideur dans le cou, difficulté pour les yeux de faire le point, je bondis tel le fauve sur le tube de Quinimax, m’en enfile deux que je pousse d’une BB, finis de dîner, et vais pieuter sur la terrasse. Le lendemain, bien que retapé, je reprends deux cachets à tout hasard au petit déjeuner, et dégage l’antre.

Je m’arrête chez un menuisier, achète pour trois francs, six sous de sciure ; ayant entendu dire que les marchands de voitures, après la guerre, en mettaient dans l’huile pour étouffer le bruit des ponts usés, ça n’y change rien !

Arrivé à Bohicon, je m’arrête manger au restaurant qui surplombe la route, un mec averti par un tiers se pointe pour acheter ma voiture.

Je tape 600.000 CFA, Quelques temps après avoir fait ronflé le moteur, nous tombons d’accord sur 550.000, il me dit qu’il revient me payer.

Un quart d’heure après, il est de retour avec le garagiste à qui j’ai déjà eu à faire à Abomey, il demande à faire un tour du quartier ; avec le pont arrière niqué, il va falloir jouer fin!

Je fais semblant de piquer une grosse colère, leur dis de monter ; la transmission se mettant à s’exprimer à partir de trente à l’heure, je parle en surveillant le compteur de vitesse, le mécano me demande d’accélérer, justement, nous arrivons sur de la piste (comme par hasard), jouant toujours le gros énervé, je pousse les rapports sur la latérite, avec les cahots, ils ne peuvent pas entendre le bruit du pont arrière. Je reviens à toute allure en choisissant soigneusement des routes de terre, nous revenons au restaurant ; maintenant, il faut qu’ils réfléchissent car je pars sur Cotonou, conciliabule, je fais semblant de ne plus m’intéresser à eux, sur les conseils de son mécanicien, l’acheteur ne veux pas mettre plus de 500.000 CFA, faisant l’ulcéré, je dis banco du bout des lèvres ; le type me règle dans la foulée.

J’ai fait d’une pierre deux coups, 1° fourgué mon os, 2° décrédibilisé le garagiste (j’ai honte, il fait bien son boulot, mais sa prestation me nuit chaque fois que j’ai affaire à lui).

Je paie l’addition, puis, vais prendre le train direction Cotonou.

Arrivée à l’hôtel Babo, salut à toute la compagnie, Raymond, un des fils du patron est sympa, il a acheté une superbe Nissan Patrol volée au Nigeria, Hans et Jöss sont là, ayant déjà  vendu leurs oignons.

Les Hollandais  sont les gens qui se rapprochent le plus des Français, ce sont des démerdards, ils aident s’ils le peuvent les collègues, et ne balancent pas les autos à n’importe quel prix comme les Allemands, les Anglais viennent uniquement se promener, on ne voit quasiment jamais d’autres nationalités européennes.

Jöss me choppe à part : Raymond a fait l’acquisition d’un grigri pour ne pas se faire prendre à la frontière française, et compte passer une grosse valise bourrée d’herbe grâce à ce merveilleux outil, Jöss me demande de l’aider à l’en dissuader, nous tapons à la porte de sa chambre, j’essaie de le convaincre que les grigris marchent très bien en Afrique, mais pas en Europe, rien à faire, il est persuadé que son amulette le fera passer comme une lettre à la poste! J’insiste, puis abandonne, car il commence à se fâcher, ses croyances, et le monde pragmatique que j’essaie de lui faire pressentir sont à des années-lumière l’un de l’autre.

Avec mon passeport presque neuf, je vais à l’ambassade demander un visa pour le Nigeria, les deux hollandais et un français y ont déjà déposé les leurs.

Je vais faire un tour au Bénin palace, c’est la journée commémorant le courage des soldats Béninois : lors d’une descente de mercenaires, il paraît que deux de ces derniers restés sur le carreau, sont exposés chaque année sous le pont de Cotonou, cela me paraît curieux, les cadavres ne supportant pas trop bien le climat, mais j’ai déjà entendu plusieurs fois cette histoire.

Le passage au Nigeria étant toujours un rodéo, les copains attendent deux jours de mieux afin que nous partions ensemble.

Au Bénin Palace, je fais connaissance de deux Français qui se sont associés pour passer des bagnoles par bateau (cette pratique en se généralisant, devient une concurrence sérieuse) ; ils ont loué une maison près de la plage et hébergent le Corse qui m’avait indiqué le coup des légalisations de cartes grises, ce dernier est rentré avec une Ghanéenne qu’il a ramonée jusqu’à l’aube et la fille commentait vigoureusement en direct les pratiques qu’il lui faisait subir au grand dam de l’obèse.

Nous jouons un peu à la belote, l’autre associé me raconte qu’il s’est fait facilement une poignée d’oseille ; engagé comme mercenaire, il a touché une confortable avance, puis est parti en avion pour le Congo sous le couvert d’un reportage, avec caméra et tout le tremblement. Au questionnaire douanier, il écrit : métier : « mercenaire»,  que venez vous faire ? « un coup d’état », expulsion par l’avion suivant. De toutes façons, il n’avait aucune envie de participer à un coup de main en Afrique, il visait uniquement l'acompte!

Un autre personnage a fait son apparition chez Basile (le patron du Bénin palace) : Big Jo, un Béninois dodu qui commence à passer des voitures, il est marrant comme tout, et malin comme un singe.

Il a fait imprimer en France des formulaires d’assurance auto à un nom bidon avec tampons, ceux-ci lui permettent de faire la France-Cotonou sans débourser un liard de ce côté.

Je lui achète deux formulaires tamponnés vierges, ce qui m’évitera de prendre l’assurance à la frontière malienne.

Hôtel Babo, un couple me demande où acheter des vélos chinois car ils veulent aller à Ouagadougou à bicyclette, j’essaie de les décourager ; venus en avion, ils ne connaissent pas les routes et pistes africaines, rien à faire, une heure plus tard, ils ont acheté deux engins flambant neufs.

Deux jours après, ils sont de retour à l’hôtel, et me demandent à qui fourguer leurs clous, je n’en sais rien, et n’ai pas le temps car nous partons  ; à Jonquet, nous changeons des nairas, et louons un taxi 404 berline.

Le voyage s’effectue sans problème particulier, j’ai mis les sous de la voiture et du passage dans mon calbar ; dans ma sacoche Tamashek autour du cou, mon passeport, deux petits bracelets d’ivoire et 500ff changés à un françouze.

Il pleut, l’atmosphère est très lourde, durant le voyage, je pose sur la plage arrière du taxi la sacoche qui me colle à la peau.

Arrivée à l’aéroport de Lagos, toujours de la pluie, l'air est chargée d’électricité, les flics gueulent de dégager, le chauffeur nous dit de sortir presto, nous nous arrachons du véhicule, prenons nos sacs dans le coffre, le taxi part en trombe, nous sommes toujours sur le trottoir lorsque je me rends compte que j’ai oublié ma sacoche sur la plage arrière, Jöss me dit que le taxi va revenir, je lui réponds de ne pas y penser, il y a les bracelets, les sous, il ne reviendra pas, ce passeport, ne m’aura pas servi longtemps !

Nous entrons dans l’aéroport, les copains sont consternés (du moins Hans et Joss, le français s’en tamponne le coquillard, il faut dire que c’est une grosse tache).

Je les rassure en leur racontant brièvement l’histoire de mon voyage sans visa, et précise que mon but est d’arriver en zone de transit, après, ça ira tout seul.

Nous attendons dans la zone internationale jusqu’au soir sans que les douaniers et policiers ne bougent de leurs guichets, nous prenons quelques bières et sandwichs ; il y a de moins en moins de monde, j’étudie les paramètres pour gérer au mieux ma situation, c’est bon de sentir les deux hollandais à mes côtés, et qu’ils prennent mes patins à fond !

Il ne faut pas trop s’attarder, car lorsque nous serons seuls dans l’aéroport, nous deviendrons le point de mire des fonctionnaires.

Les affichages n’annoncent plus de départ imminent, je dis aux copains que c’est bientôt le moment, quand je leur donnerai le feu vert, nous essaierons de passer dans la zone de transit, nous nous approchons discrètement du .

Une dizaine de minutes plus tard, les douaniers et policiers se cassent, j’attends un peu, et donne le top, sans hésiter, mes compères passent, je suis dernier à la suite du Français quand un  policier sort et nous demande où nous allons ; Joss et Hans expliquent en anglais que pour la nuit, nous voulons aller dormir dans la zone de transit, le flic demande à examiner les passeports, il regarde les trois premiers (et seuls) visas, et nous dit de passer.

Le lendemain matin, je leur donne mes nairas, afin qu’ils me prennent un billet, puis qu’ils présentent mon bagage au guichet d’embarquement, à partir de là, il faut qu’ils improvisent, et me rapportent le tout dans la zone de transit que je ne compte pas quitter. Ils se débrouillent comme des chefs, et tout se déroule bien, quelques temps après, on se sépare, car leur vol précède le nôtre.

Atterrissage de nuit à l’aéroport de Paris, tout le monde a un passeport sauf moi ; l’impression d’être le petit vilain canard, je demande au flic français comment on fait pour sortir sans ce document, le fonctionnaire se fait relayer pour m’accompagner au bureau du chef et ne me lâche qu’une fois le colis réceptionné, je ne peux pas rééditer le coup de Lagos.

Le chef est un petit rondouillard en civil qui fume la pipe, il me demande ce qui m’arrive, je lui narre brièvement mon histoire de sacoche, il me dit pensif : « c’est chaud le Nigeria », nous discutons de choses et d’autres, puis il me demande de remplir une petite fiche : nom du père, nom de jeune fille de la mère etc……pas grand-chose, une fois cette fiche remplie, je la lui tends, il me dit : « vous pouvez y aller ».

Réfléchissant plus tard, je comprends que le chef flic, en discutant de choses anodines, a fait un diagnostic rapide : 1° que j’étais bien français, 2° que mon air tranquille l’a assuré que je n’avais rien à me reprocher, analyse rapide, initiative personnelle ; chapeau !

 

                                                                                                    _Dixième chapitre_

 

Nouvelle déclaration de perte de passeport, nouveau passeport.

Dominique me demande de le descendre en Algérie car il doit faire du business avec un Algérien d’Adrar qui avance les fonds en francs français, mais son correspondant à Paris se fait tirer l’oreille pour lâcher l’oseille.

Il me narre son dernier périple : descente avec Lien, traversée à peu près sans problèmes, arrivés à Kandi, le chef de la police pique tous les papiers pour leur soutirer de l’argent ; plusieurs jours de tractations plus tard, la situation n’a pas évolué.

Dominique, voyant que les fenêtres du commissariat sont un peu symboliques, va, de nuit, le visiter et récupère ses papiers ; au camping, il laisse entendre qu’il s’est arrangé en sous-main avec l’un des flics, et ils s’arrachent.

Personne ne connaît la fin de l’histoire, ni comment les comptes se sont réglés, mais ça a dû être saignant !

Après avoir vendu leurs voitures au sud, ils remontent par la route, malgré le coup du commissariat encore brûlant, ils passent le barrage de Kandi sans problème. Le taxi-brousse s’arrête un moment sur la petite place du centre ville pour que des passagers descendent, il va falloir attendre que le taxi soit à nouveau plein pour repartir.

Vient à Dominique la courante (comme tout le monde en Afrique), il cherche désespérément un coin où poser le colis encombrant, il aperçoit une toute petite cahute en dur de 2 mètres sur 2 dans la végétation de la place, espérant  un chiotte public, il demande au chauffeur du taxi  à quoi sert cette guitoune, l’autre lui répond que tout ce qu’il en sait est qu’elle est hantée, et que personne n’y va jamais.

Ce n’est pas le genre d’argument qui puisse arrêter le loustic, la flore le cache un peu, en faisant basculer sur le côté les planches un peu pourries du bas de la porte, il les sort une à une de leurs rainures ; aussitôt entré, soulagement de l’individu. Sa vue s’étant adaptée à l’obscurité du local, il jette un œil alentour : une demie douzaine de lourds fusils de brousse sont accotés au mur.

Il sort, refermant soigneusement le bas de la porte.

Sachant que j’aime bien ce genre d’articles et que je suis assez vicelard pour pouvoir les remonter, il me fait part de sa découverte.

Almeria,  Melilla, je fais mon plein de bouteilles de Whisky dans les portières,  j’en ai marre de passer par la douane de Oujda, j’ai entendu dire qu’à Figuig, les douaniers sont moins tatillons. En plus des 4 bouteilles planquées dans les portières, je prends 3 bouteilles d’anisette; après avoir vidé une petite partie de l’une d’elles, je la mets dans mon sac aux pieds de Dominique, la deuxième planquée sous des vêtements sur la plage arrière, la dernière dans le coffre arrière, on a le droit d’en passer une officiellement, ça devrait aller.

Effectivement, les douaniers sont moins teigneux qu’à Oujda !

Nous passons les doigts dans le nez et les mains dans les poches……..

Visite au copain d’Aïn-Sefra.

Arrivant le soir à Béchar, nous discutons avec un jeune de 17-18 ans qui trafique un peu de tout, je lui vend deux bouteilles de Whisky 400 dinars (il faut bien encourager le petit commerce), il nous invite à manger le couscous chez lui, banco.

Nous redescendons deux heures plus tard, je trouve mon pare-brise sous la voiture, le joint  a été découpé ; lunettes de soleil, fringues, papiers chouravés, heureusement, j’avais mon pognon sur moi, et mes quelques outils à l’arrière !

Le môme fait le désolé, mais je suis persuadé que c’est cet enfoiré qui a monté le plan.

J’attrape l’indélicat, et lui fais comprendre que je ne réclame rien de ce qui a été volé dans ma voiture hormis les papiers, car sans eux, je suis coincé, que, si cette nuit, ils ne me sont pas rendus, demain, j’irai à la police, que je devrai préciser les circonstances du vol et serai obligé de l’impliquer, il joue l’outragé, mais je n’en attendais pas moins de lui. Dominique me dit déjà qu’il ne va pas pouvoir rester avec moi, vu que je suis planté sans papiers.

Je ne bouge pas la voiture du bas de l’immeuble, remets le pare-brise en place pour nous protéger du froid, nous roupillons inconfortablement sur les sièges avant.

Le lendemain, miracle, mes papiers sont posés sur le capot. Je pose le pare-brise à l’arrière sur le baril, nous partons le nez au vent chez le premier marchand de pièces détachées du coin, j’achète un joint de pare-brise, le remonte à la ficelle.

Je largue Dominique chez ses copains d’Adrar, vais saluer l’ami Ramdann.

Traversée du Tanezrouft sans complications particulières, au crépuscule, je m’arrête à Bidon 5 pour laisser la nuit descendre, les petites gerboises qui pullulent me grimpent dessus pour manger le pain que je tiens à la main comme si je n'existais pas, je les repose à terre ; aussi sec, elles me ré escaladent , pour être tranquille, je sème plein de miettes autour de moi, puis entame un très petit roupillon, car les bestioles non rassasiées me courent sur la tronche, et commencent à me grignoter les oreilles, taïaut……..

Tessalit, il y a du schprountz, le chef de la police, désirant la voiture d’un convoi qui m’a précédé bloque tous les passeports pour l’acheter 1000 ff, je suis heureux de voir que tout le monde soutient le propriétaire de l’objet convoité ; pour repartir, il nous faut tous attendre le bon plaisir du sinistre personnage.

Plus de bière sur place, il m’en reste quelques unes que je mets à fraîchir dans un chiffon mouillé ; je n’ai plus que 15 ff en poche, heureusement que j’ai une des assurances achetées à Big Jo. Je vais voir le préposé aux postes (nous sommes copains depuis que je lui  apporte des graines de légumes), lui demande combien coûte un télégramme pour la France, s’il est possible d’en envoyer un avec si peu, il me répond que pour cette somme, j’ai droit à 8 mots, adresse comprise, de plus, je dois fournir 5 litres d’essence pour le groupe électrogène.

Je lui fournis la quantité requise du sang de la terre, puis tronçonne odieusement l’adresse de ma mère : celle-ci habitait à cette époque, avant de s’en faire déloger par les sarrasins, un petit H.L.M sympa, l’adresse en était: Madame Verna H…., 3 square du Bois Rouault 93800, Epinay sur Seine.

Je la transforme en : Verna square dubois Rouault Epinay 93800, le message: O.K Christophe. De toutes façons, à 93800, il n’y a qu’un Epinay : Epinay/Seine, je me dis qu’Epinay/Orge, à côté n’a sûrement pas le même code postal. J’avoue compter sur la conscience professionnelle des postiers français devant l’adresse d’un télégramme provenant d’un coin désolé de la planète, et comportant une adresse approximative.

Le préposé verse les 5 litres de carburant dans un réservoir géant, titille un pointeau, ouvre des robinets, tapote sur la cuve d’un carburateur en bronze, empogne  à deux mains une poignée fixée sur un énorme volant de fonte, lui imprime un mouvement de rotation, une fois que le volant tourne assez vite, il libère le blocage d’une soupape sortant du cache culbuteurs, le moteur commence à pétarader ; il va rapidement à une table sur laquelle se trouve un manipulateur Morse, et commence à émettre ; il attend quelques Bips-bips de l’accusé de réception, se lève, coupe le moteur du groupe électrogène, et me dit que c’est parti ; discrètement sceptique, je le remercie.

De retour à Paris, je calculerai que le télégramme a mis 2 heures  pour arriver ; ma mère l’avait reçu avant que je n’aie quitté Tessalit, somptueux !!!!Un H de mon prénom ayant disparu lors de la transmission, je n’envisageais pas pour autant d’attaquer les PTT maliens.

En attendant, l’autre tordu nous plante une journée entière, j’en profite pour faire de la publicité à Gerry, le lendemain matin, une délégation monte à la jolie petite maison (datant visiblement du temps des colonies) abritant le bureau du chef de police véreux, et lui fait comprendre que cela ne peut durer, qu’il faut nous relâcher, une heure après, tout le monde est libéré.

Il y a beaucoup de monde chez lou Gerry, quasiment que des Français, on boit sec, on rigole.

J’ai des nouvelles des types en R12, l’embrayage ayant lâché sur la piste, le proprio est remonté en abandonnant la caisse, le brun s’est démerdé, a réussi à la ramener et la négocier à Gao, l’un des deux Lyonnais est redescendu (pas la lope) avec un camion dont il a cassé le carter du pont arrière sur une pierre, il a terminé la route avec un seau dessous pour récupérer l’huile et la réintroduire régulièrement.

Je vends des pièces Peugeot neuves achetées en Algérie.

Quelques jours plus tard, nous partons à plusieurs autos sur Niamey ; à la sortie de Gao, au barrage, un militaire qui veut faire du zèle bloque tout le monde car une des voitures roule carrément (comme souvent) en échappement libre ; un conducteur en queue de caravane demande en gueulant « qu’est-ce qui se passe ? », l’autre le renseigne sur la cause de l’arrêt, le gueulard répond « files-lui un bidon », entendant cela, je me dis qu’il va y avoir des problèmes, je suis immédiatement rassuré quand j’entends le fonctionnaire demander « il y a des bidons ? ».

Une partie du convoi reste à Niamey, je continue avec trois d’entre eux, un couple et leur ami dans deux voitures.

Malanville ; un photographe ambulant nous immortalise entourés de petits Béninois j’achète le Polaroïd (voir photo), la femme se fait refourguer un petit singe adorable dont les doigts sont plus fins qu’une allumette (voir regards attendris).

Nous éloignant de la frontière, nous nous arrêtons pour boire une BB, le patron de la buvette a construit un transatlantique de deux mètres cinquante de long avec des matériaux de récupération, le résultat est magnifique!

Arrêt au « camping » de Kandi, après avoir acheté 10 litres de vin portugais (pour quatre, ça devrait suffire), nous trinquons avec des étudiantes en médecine béninoises venues étudier sur place l’onchocercose qui rend aveugle une partie des paysans.

 je vais repérer, tant qu’il fait jour la guitoune aux fusils, je la trouve très facilement, il est étonnant qu’avec des alentours aussi fréquentés, elle n’ait pas été visitée !

Dans la foulée,  j’achète un lampe torche made in China et des piles.

Nous mangeons copieusement et buvons de même.

La nuit tombée, je prend ma lampe, sort discrètement, et file à la cahute.

Ayant sorti les planchettes, j’éclaire par terre pour ne pas marcher dans les traces de Dominique, il ne reste rien de son passage, même le pécul a disparu ! J’entre, cachant en partie la lumière avec mes doigts de façon qu’on ne me voit pas de l’extérieur, je découvre les fusils, ils sont toujours là, et apparemment, depuis longtemps, mais ce ne sont pas de petits modèles, je décide de les laisser sur place, et de les prendre le jour où je remonterai par la piste.

Revenu au camping, je me rassois à table et reprends les hostilités où je les avais laissées. Tant que les dix litres ne sont pas pliés, nous entonnons le jus de treille portugaise, rideau….

C’est le soleil, déjà haut dans le ciel qui me réveille ; vautré par terre, au milieu de la cour, j’ai la casquette en peau de locomotive et un bon coup de soleil, les moustiques ne m’ont pas fait de cadeau. Une des étudiantes est assise sur les marches du plot central portant le drapeau béninois, ses pieds de chaque côté de ma tête, elle est penchée sur moi et dit avec un sourire de cannibale et une conviction extraordinaire, « Christophe il est cassé, il est cassé jusqu’aux …dents ! », je la supplie de parler doucement, c’est vrai que je suis cassé, le diagnostic est juste, docteur!

Les copains restent quelques temps à Kandi, moi, je ripe, ce n’est pas un coin dans lequel j’aime m’attarder, y ayant déjà laissé un permis de conduire français à un flic lors d’une précédente descente (il comptait là-dessus pour que je me pointe au commissariat me faire saigner le larfeuille).

Parakou, chez feu Nestor, bien que cette fois-ci je n’en aie pas, les serveuses m’appellent « Monsieur caméléon ».

Kokoro, arrêt bibine, des artisans sculpteurs, curieusement coiffés de bonnets phrygiens me proposent leurs sculptures, j’achète un hippopotame très sympa pour la Mama.

Avant Ouéssé, un énorme lézard à gros ventre (comme on en voit, pour la boucherie, vivants,  les pattes liées dans le dos sur les marchés africains, celui-ci fait plus d’un mètre de long) traverse la piste juste devant ma voiture, ce genre d’animal court très vite, il ne me vient pas à priori l’idée d’essayer de l’attraper, mais ce couillon, une fois la piste traversée s‘arrête, la tête dans un fourré, tout le corps dépassant, j’arrête doucement la voiture, prends une chemise, et m’approche tel le Sioux. Je l’attrape d’une main par une patte arrière, comme prévu, il se retourne pour me mordre, je lui jette la chemise de façon à lui encapuchonner la tête et la partie haute du corps et le tiens derrière le cou cloué au sol, il se débat comme un beau diable, mais pour me faire lâcher prise, il peut toujours attendre ! Nous nous battons quelques temps, je le maintiens de façon qu’il ne puisse pas se retourner, car les griffes sont longues et acérées, puis, haletant, il se calme, je sais que je vais le relâcher, mais je ne peux jamais résister au plaisir de capturer un animal ; sa peau écailleuse est très douce et souple, trop ample pour son locataire. Calmé, il ne bouge plus, mais je ne m’y fie pas, une fois que j’ai savouré ma petite victoire, je le lâche en m’écartant vivement, il part comme une flèche avec ma chemise, mais je ne regrette pas l’épisode.

Tchaourou, je tourne dans une petite rue pour pisser, dans le fossé, je trouve un petit canon ancien en fonte de 60 à 70 centimètres de long, je le soulève par un bout, il pèse un âne mort ! Je repère l’endroit me disant qu’il doit être là depuis un bon bout de temps, et remet à une prochaine fois son rapatriement en France.

Dassa, je fais la connaissance d’un Français maître nageur ; il ne sait comment, ni où vendre sa 404 break, je lui dis que j’ai l’intention d’aller pointer à Abomey, s’il veut, il peut m’accompagner, vu que nous n’avons pas la même marchandise, nous ne nous tirerons pas dans les pattes, ça lui convient, le lendemain matin, à la fraîche, nous dégageons.

Abomey, chacun prend une piaule au foyer des jeunes travailleurs, puis, direction Johnny pour l’omelette,  la belotte africaine et la cuite.

Le lendemain matin, nous retournons montrer nos trognons chez Johnny car son  restaurant jouxtant le marché est la meilleur vitrine pour exposer les voitures sans trop avoir l’air de racoler.

Petit déjeuner-aspirine nigérian, vers midi, entre dans le restau un loustic entièrement recouvert d’un habit de raphia avec deux adjoints, on ne lui voit pas un brin de peau , il gesticule comme un forcené, pousse des gueulantes épouvantables, tous les Africains sont terrorisés Johnny y compris, il me dit en aparté que c’est un revenant sorti de sa tombe, qu’il faut faire tout ce qu’il ordonne, sinon, il va arriver un grand malheur ; le « trépassé » fait agenouiller les gens un par un en appelant chacun par son prénom (ce qui prouve une préparation élaborée), débite des incantations bénéfiques à l’intention de  chaque prosterné, il faut jeter devant lui un peu d’argent que ses acolytes ramassent. Chacun d’eux a un long bâton dont il se sert pour écarter les fibres voltigeant de l’habit du décédé, car une personne effleurée par l’une d’elles tomberait foudroyée sur place ; prenant un peu de recul, je considère la scène et me rend compte que même les aides croient au truc, ils ne lâchent pas l’esprit des yeux, et remplissent avec beaucoup de sérieux  leur office, en faisant très attention de ne pas être eux-mêmes touchés.

Chacun ayant donné son obole, le cortège s’en va faire la manche sur le marché, provoquant sur son passage des hurlements de terreur.

Je vends ma voiture 450.000 CFA assez vite, le copain n’ayant pas eu de touche sérieuse, nous décidons de partir sur Cotonou, réglons les chambres du foyer, adieux à Johnny.

Au Bénin Palace, il y a un jeune Français qui cherche à vendre sans résultat une Renault "Prairie" plateau des années 50, moteur 2,4 litres, 14 Cv, 200.000 CFA, je me dis que ce serait un bon moyen de remonter, cela me reviendrait au prix d’un billet d’avion, (sans les aléas de l’embarquement à Lagos), arrivé en Dordogne, me resterait l’auto ; de plus, en cours de route, je pourrais remonter les fusils de brousse et le canon.

Après avoir examiné l’engin, je l’achète sans marchander ; me retrouver acheteur me fait une curieuse impression, le type me laisse l’assurance qui est encore valable deux mois. Un autre me propose une innovation assez surprenante remplaçant un cric : c’est un sac de forte toile plastifiée de la grosseur d’un sac de marin, mais plus court qui se gonfle par l’intermédiaire d’un tuyau à la sortie d’échappement ; quand on est ensablé, il faut le mettre sous la voiture, la pression des gaz lève celle-ci. En guise de démonstration, il le place sous une 404, demande au chauffeur d’accélérer un peu, l’auto se retrouve les deux roues arrière en l’air instantanément, un clapet débrayable empêche les gaz de ressortir, si bien que, même le moteur coupé, la voiture reste dans cette position plusieurs minutes, j’achète.

Ayant vendu sa trapanelle, le copain me demande si je peux le remonter, et combien je lui prends, me souvenant du prix que chacun avait déboursé au retour de Bamako, je lui dis 25.000 CFA, il me réserve une place, un autre Français, barman, est partant au même tarif.

Le lendemain, départ vers le Nord, je m’aperçois que mon oignon consomme beaucoup d’essence. Pour amoindrir la consommation, je bouche en partie le gicleur principal avec les petits brins de cuivre d’un fil électrique, après plusieurs tâtonnements, en enlevant et en remettant, j’arrive à une consommation raisonnable tout en gardant des chevaux sous le capot.

Arrivée à Tchaourou, je cherche le petit canon, calamitas, il a disparu!!!!!

Nous dormons à Parakou, partons tard dans la matinée car je compte m’arrêter au camping de  Kandi.

Là, j’attends le soir, dis à mes covoituriers que j’ai besoin de leur aide, leur explique succinctement le plan, nous allons à la cahute, j’écarte les planches, les fusils sont toujours là, je les passe un par un à mes aides, nous les rapatrions sans problème dans la piaule, le lendemain de bonne heure, je donne le signal de départ.

La nuit, nous croisons ou doublons des charrettes montées sur des essieux de vieilles autos, quand tout va bien, elles ont une petite lanterne rouge à l’arrière, le type est toujours couché et roupille sur les marchandises, laissant le bourricot tailler la route vers le marché, je n’en ai d’ailleurs jamais vu s’arrêter ou s’écarter de la droite du chemin.

Niamey, je casse la croûte chez une mama, un Nigérien me montre son bras gauche couvert de profondes cicatrices, il me dit que c’est tout ce qui lui reste d’une Prairie comme la mienne avec laquelle il a fait trois tonneaux ; je récupère divers souvenirs laissés chez le copain d’un des frères garagistes chez qui je préparais mes voitures en Dordogne.

La piste est défoncée par les camions, 40 bornes après Tillabéri, une lame de suspension avant casse, la voiture devient bancale, puis le moulin indique une surchauffe anormale ; j’arrête, lève le capot, les silentblocs de moteur ont cassé, le ventilateur en remontant dans un cahot a frotté sous la réserve d’eau du radiateur, et l’a percée.

Les bidons d’eau prévus pour la traversée du désert sont vides, je vois le Niger refléter la lune dans la nuit, décide d’aller y puiser de l’eau, l’un de mes passagers m’accompagne, le troisième garde l’auto.

La lune est assez pleine pour que les yeux, une fois habitués à l’obscurité, nous voyions où nous allons, mais le fleuve est beaucoup plus loin qu’il n’y paraissait, croisant un petit campement Touareg de six tentes, je tape dans les mains pour essayer de leur acheter de l’eau, seules les chèvres et des moutons dans leur enclos d’épineux nous répondent, ce n’est pas rassurant du tout, surtout que les Touaregs ont la défense rapide !

Sur la rive, nous ne remplissons pas le bidon complètement, vu la route de retour à faire.

A l’aller, nous apercevions le fleuve pour nous diriger, mais il est moins aisé de garder une direction avec le fleuve dans le dos! Un peu sceptiques sur la direction à suivre, nous attendons bouffés par les moustiques, puis, les phares d’une voiture passant au loin sur la piste nous orientent.

Deux bonnes heures après être partis, nous retrouvons la piste, on en a plein les bottes ! Maintenant, nous ne savons pas si nous devons aller à gauche ou à droite, j’opte pour la droite, un demi kilomètre après, nous réveillons le copain.

Je remets parcimonieusement de l’eau juste au dessus des tubulures de refroidissement du radiateur, puis repars ; après plusieurs remises à niveau, nous arrivons à Ayorou, dormir.

Le lendemain matin, recherche de silentblocs et d’un gus capable de réparer le radiateur. Je trouve des silentblocs, ils sont un peu hauts, ronds au lieu d’être rectangulaires, mais l’esthétique n’est pas de mise ! Jouant du cric, je lève le moteur, et les mets en place, pendant ce temps, un soudeur me retape le radiateur, en 2 heures, les malheurs sont réparés.

Arrivés à Gao, nous allons poser nos pénates chez Gerry, il paraît que les lames de ressort se ressoudent à l’arc, pourquoi ne pas essayer ?

Boubakar me conduit dans les fonds de Gao chez l’homme de l’art ; il a l’air très compétent, mais me prévient que c’est sans garantie.

Je démonte le bloc de lame de ressort, sort la pièce cassée, le ferronnier la soude à l’aide d’un groupe électrogène mû par un moteur de 404.

Gerry est sur son 31, et affûte ses fourneaux, le Paris- Dakar passe bientôt à Gao.

J’achète un fût, y mets 200 litres d’essence, complète de deux jerrycans de 20 litres chacun, de l’eau dans deux autres de dix litres, et c’est parti !

Mon acquisition se comporte mieux que je le pensais dans le sable mou, peu de temps après, la lame de suspension recasse.

Mon sac à lever les voitures fonctionne à merveille, nous nous rions des ensablements, pour sortir la voiture, même enfoncée jusqu’à l’os, il suffit de creuser de quoi glisser le sac plat, démarrer, gonfler, l’avant ou l’arrière se lève instantanément de 40 centimètres, il n’y a plus qu’à combler avec du consistant sous les roues, et l’affaire est règlée ; béni soit l’inventeur de cette merveille !!!!!

Un peu avant Tessalit, nous commençons à croiser les motards du rallye qui m’arrêtent pour demander de l’essence car ils se sont paumés, et ont peur de ne pas en avoir assez pour finir l’étape, je leur en donne, mais je suis obligé de filtrer l’essence à travers un chiffon car le fut acheté à Gao  est plein de merdes, ils trépignent et repartent après n’avoir pris que quelques litres (qu’ils n’ont jamais proposé de payer soit dit en passant !).

Plus loin, un accident vient de survenir, un Suisse dans une belle combinaison blanche est étendu, d’après les premiers secours, il a les vertèbres cervicales en miettes, le copilote a la clavicule cassée, la voiture, en résine est explosée. Selon le coéquipier, c’est un autre concurrent, qui, lors d’un passage étroit leur a fait une queue de poisson. Il y a du monde sur place, ils me font rigoler à jouer les aventuriers alors qu’ils sont assistés comme pas permis ! On s’arrache, nous croisons de loin en loin d’autres concurrents.

40 bornes avant Borj-Moktar, une superbe moto BMW est sur béquille centrale, une paire de gants sur la selle, personne autour.

Arrivée à Adrar quasiment à sec d’essence, bonjour à Ramdann, je lui dis que cette fois-ci, je remonte, impression fugitive qu’il me croit un peu fou. Il se remet du passage de la compétition, et n’a pas grand-chose à manger, nous arrivons tout de même à nous caler les gencives, puis repartons.

Nous passons la douane à Figuig, faisons Melilla-Almeria, en France, je largue mes passagers dans les villes qui leur conviennent.

Arrivé tard dans la matinée à Lalinde, j’entre crade dans le bistrot de « la Grande », et lui commande les œufs sur le plat qu’elle fait à merveille, malgré l’air penché de mon os, les flics ne m’ont jamais arrêté (hors barrages et frontières) de Cotonou, à chez moi….

 

 

 

_Onzième chapitre_

 

 

Je trouve une berline ancien modèle en très bon état, pas chère, j’en fais l’acquisition car, ayant ratissé le secteur, je n’en trouve pas de plus récente.

Dominique et Lien, descendant en 504, nous décidons de voyager de concert.

A l’embarquement d’Alméria, nous rencontrons des Français allant en Afrique noire, ils se joignent à nous.

En Algérie, nous vendons des bouteilles de whisky, et des pièces détachées d’auto.

Gavés de dinars, nous allons manger le soir dans un restaurant d’état pour touristes dans lequel on peut boire du vin, nous prenons quasiment une bouteille par personne, chacune d’elle a un goût différent des autres, mais très bon ; nous en sortons tard. Dominique connaissant une cascade, nous décidons d’aller y faire un tour. Le fond de l’air est frais, mais c’est trop tentant avant le désert pour faire l’impasse ; pistant les alentours, nous nous foutons tous à poil, passons sous la chute d’eau, et nous baignons rapidement.

Béchar, nous nous garons sur une grande place, allons déjeuner, puis, cherchons des clients chacun de notre côté pour larguer les pièces qui restent. Çà donne dur, nous nous croisons à plusieurs reprises pour aller livrer.

Revenant à ma voiture, je vois plein de flics autour de celle de Dominique, lui et Lien serrés, je monte discrètement dans la mienne et la gare dans une petite rue éloignée, puis, faisant des détours, je vais chez chacun de leurs clients à qui je conseille, s’ils ont du piston, de faire intervenir rapidement afin d’étouffer l’affaire, car sinon, ils vont subir une perquisition, que visiblement, nous avons tous été dénoncés. En les mouillant ainsi, je les oblige à sortir s’ils le peuvent Lien et Dom du merdier, puis je leur dis que çà pue pour moi dans le secteur, et que j’attends les potes à quelques bornes après la sortie sud de la ville, l’un d’eux me dit «toi, tu connais les ficelles !», tu parles, Charles, avec mes embrouilles précédentes à la douane d’Adrar, je pourrais donner des cours !

Je fais quelques kilomètres, stationne en retrait de la route à droite, attends trois bonnes heures, le soir tombe, je casse la croûte, toujours personne, je mets un petit feu de position latéral pour être visible, sort le sac de couchage, peu de temps après ils arrivent, suite aux interventions de leurs clients, les flics les ont lâchés, on se congratule, puis, on se casse.  

Passage d’Adrar et du Tanezrouft sans grosses difficultés, à Gao, réparant mes deux roues de secours dans la cour de Gerry, je dis à Dominique de réparer la sienne (il n’en a qu’une), il me répond qu’il n’y a pas urgence, j’insiste, lui proposant s’il la sort de réparer sa chambre à air, sans résultat.

Quelques jours plus tard, nous quittons Gao, direction Niamey, un copain malien me demande de descendre son cousin sur le Niger, pas de problème, je fais un peu chauffeur de maître car mon passager doit s’asseoir à l’arrière ; pour innover, j’ai démonté le siège passager, et mis le fut de 200 litres à la place, ceci afin d’équilibrer les poids lors de la traversée du Sahara.

La nuit, sur la piste, 40 bornes avant Tillaberi, Dominique s’arrête ; sa roue arrière est à plat, il sort le cric, se glisse sous la voiture pour le placer, il se relève comme un ressort en disant qu’il s’est couché sur une épine, on regarde son dos à la lampe électrique, rien, mais comme a l’air secoué, éclairant l’endroit ou il s’est allongé, j’écarte les feuilles avec la manivelle, apparaît un petit scorpion blanc-transparent d’à peu près huit centimètres de long, après lui avoir fait un sort, je le balance dans la brousse.

Le père Dom décline à vue d’oeil, et ce con qui n’a pas de roue de secours !

Je mets le cric en place, sors la roue, démonte la chambre à air, en obture le trou, la replace dans le pneu, repose la roue sur la voiture, demande à mon passager de la gonfler avec ma pompe à pied en même temps que je revisse les boulons (10 minutes en tout).

Une fois que ceux-ci sont à peu près bloqués, je dis à Lien que je vais partir avec le boulet en éclaireur pour essayer de trouver de quoi le secourir en ville, ils n’ont plus qu’à gonfler suffisamment le pneu, sortir le cric, éventuellement, vérifier le serrage des boulons, ils sont assez grands pour se débrouiller tout seuls, on se retrouvera plus tard.

J’aide mon colis à monter derrière, et drope vers Tillabéri ; arrivé au barrage d’entrée de la ville, un militaire me demande les papiers, je lui oppose qu’il n’en est pas question, que j’évacue un blessé par piqûre de scorpion, il faut que je voie un médecin le plus vite possible.

Je dois être convainquant, (j’entends mon Dominique râler qu’ « il sent sa vie qui s’en va », le connaissant je me doute qu’il en rajoute, mais c’est tout de même inquiétant), ils me laissent passer.

Un môme propose de me conduire au dispensaire, je lui dis de monter sur l’aile avant, et nous voilà partis par les rues noires de Tillabéri.

Un peu plus tard, le gamin me fait signe de tourner sur la gauche, je vois la petite lumière d’une lampe à pétrole, nous sommes arrivés, je donne une pièce à mon guide qui s’en va tout content.

J’entre dans une grande salle au milieu de laquelle se trouve une petite table haute où sont posés des instruments nickelés, à côté, un tabouret, personne à l’horizon.

J’appelle, une voix venant des chiottes me demande ce qui se passe.

Je réponds que j’ai un client scorpionnisé à réparer, on me dit, « installez-le sur le tabouret ».

Je vais chercher Dom, il est affalé, je dois passer son bras autour de mon cou pour le sortir de la voiture, il n’est pas gras, mais plus grand que moi et lourd l’animal ! Je l’engueule un peu pour qu’il réagisse, il fait un petit effort, nous arrivons ainsi dans la salle ; un grand black vêtu d’une blouse et d’un bonnet d’un blanc immaculé, finit de s’essuyer les mains à côté du tabouret sur lequel je pose le copain.

Nous nous saluons, puis, en deux mots, je lui narre l’histoire, en même temps, il relève la chemise de Dominique qui présente, au milieu du dos, à droite de la colonne vertébrale, un énorme croissant violacé en relief, la peau est grainée de chair de poule.

Le requinqueur du genre humain n’a pas l’air étonné, moi, je suis impressionné, le type prend une seringue posée sur la tablette à instruments, et commence à pomper le liquide d’une petite fiole.

Chose curieuse, il demande à son patient où il a mal, alors que cela me paraît évident ;  Dominique mettant sa main dans le dos nous désigne un endroit 10 centimètres plus bas que le méchant croissant.

Le médecin se tourne vers moi, et me demande « qu’est-ce qu’on fait ? », n’en sachant trop rien, je lui suggère d’injecter une moitié où c’est pas beau, et l’autre où ça fait mal.

Le praticien s’exécute, le temps que le produit agisse, je lui fais part de mon étonnement de l’avoir vu si fin prêt, il me répond «quand il y a pleine lune, et du vent comme ce soir, je sors une dose de vaccin du frigo, car les scorpions surgissent de partout». Je le félicite pour son expérience et du sérieux de son intervention.

Quelques minutes plus tard, le moribond reprend goût à la vie, il faut un peu l’aider pour qu’il se lève, mais il tient debout, je demande comment le vaccin peut agir si vite, le spécialiste répond qu’il comporte un analgésique.

Je demande à combien se monte la prestation, c’est gratuit, je trouve tout cela admirable ! Me disant que je ne peux partir comme un chien, je lui donne un billet de 500 CFA en l’invitant à boire une bière à la santé de Dominique dont il s’est si bien occupé, il accepte le modeste billet avec les mêmes gentillesse et simplicité dont il a fait preuve depuis le début.

Après l’avoir remercié chaleureusement, nous repartons ; sur la rue principale, nous nous arrêtons  à la hauteur de la place du marché où les mamas officient pour rassasier les voyageurs de passage ; le Dominique, ressuscité a furieusement faim et soif.

Mettant la voiture en vue pour que les autres nous retrouvent facilement, nous attaquons chacun un demi poulet bicyclette avec riz, sauce et bière.

Les mamas se plaignent de la girafe du gouverneur ; il a acheté l’animal tout jeune en brousse, et l’a lâché  sur le marché pour qu’il se serve en tomates, salades et primeurs sur les étalages, au début, çà faisait rire, mais, elle en a pris l’habitude, et devenue grande s’est mise à manger comme telle, le gouverneur trouvant  la combine pratique, lâche la bête tous les matins pour qu’elle aille se sustenter sur le dos des pauvres vendeuses de légumes qui font restauratrices le soir, et pas question d’expulser la bestiole qui est protégée par la police.

Tout en finissant de casser la croûte, je narre à Lien et à mon passager le rafistolage de Dom. Sur la fin du repas, mon passager, se lâchant un peu, me confie qu’il est déserteur, que son parent a pensé qu’il lui serait plus facile de sortir du Mali dans une voiture de « touriste », je tords le nez, car ils m’ont mouillé dans leurs histoires sans me prévenir.

Niamey, je largue mon insoumis. Accompagné de Dominique, je vais rendre visite au Français chez qui je laisse mes souvenirs africains, puis nous retournons aux voitures, Lien s’est entre-temps fait piquer les papiers et une partie du pognon qui étaient dans une sacoche : Un môme s’est pointé en disant négligemment « votre roue de secours est détachée », Lien va à l’arrière, rien à signaler, revient, plus de sacoche, elle a eu droit à une variante de la roue arrière poinçonnée à laquelle j’ai déjà eu droit, sans me faire taxer.

Vu comment Dominique a réagi quand j’étais planté à Béchar lors de la dernière descente, je ne prends pas trop de gants pour lui dire qu’il m’est inutile d’attendre ses nouveaux papiers, de plus, il lui reste un peu d’argent, après de brefs adieux, je continue vers le Bénin.

La roue avant gauche crevée, je m’emploie à la changer, quand une bonne odeur de viande grillée me vient aux narines ; cinq minutes plus tard, je trouve un type accroupi devant un cratère creusé dans la latérite de la piste, il surveille un foyer autour duquel rissolent à la verticale des brochettes de tripes tout à fait appétissantes, je lui en prends trois, et commence à me régaler, voyant qu’elles sont fourrées, je demande au Vattel du barbecue ce qu’il a mit dedans, il me répond « Bah, c’est la merde, patron » ; après avoir grignoté l’extérieur de mon repas, j’en balance la farce.

Un peu avant Bembéréké, je gaule deux caméléons ; à quelques bornes de Parakou, j’éclate un splendide oiseau dont les plumes ont des magnifiques reflets bleus comme ceux des grands papillons exotiques.

Je fais halte chez celui que je soupçonne d’avoir envoyé Nestor ad patres ; le gardien, voyant l’oiseau bleu, me demande ce que j’en fais, je réponds que je garde les plumes, nous passons un deal: il me met les plumes de côté et garde le reste ; je choisis de dormir sur la terrasse bien que ce soit la saison des pluies ; le matin, comme prévu, je me réveille à l’humide, mais sous ces latitudes, la température le permet.

 La nouvelle expression Africaine du moment est « nous sommes conjoncturés ».

Le lendemain soir, après avoir mangé chez les petites mamas de Kokoro, fatigué, je décide de faire un roupillon ; après la ville, m’écartant de la piste, je m’engage dans la végétation, (pas très loin, car la brousse est vite impénétrable), comme d’hab ; je m’arrête en position de départ à l’arraché.

Je dors très mal, bien que je fasse brûler un serpentin anti-moustiques, ceux-ci viennent faire leurs prélèvements sans-gains (ne pas retoucher), de plus, les singes, et autres animaux font un boucan infernal, une demi-heure après, je retourne à Kokoro, me retire derrière les boutiques des mamas, et en écrase comme un sonneur.

Au matin, je vais chez les petits marchands de café au lait qui officient avec gravité.

Une fois lesté (avec un N, çà le ferait),  je reprends ma route en me tâtant si je fais un tour ou pas à Abomey ; après tout, même si je n’y fais pas affaire, je verrai la bonne trogne de Johnny.

Après avoir été le saluer, je vais boire l’apéro à l’hôtel, il y a quatre Français ; deux frères, dont l’un, Rouge vif, est venu voir comment ça se passe dans un pays marxiste-léniniste, il a acheté toute la panoplie de petites broches à l’effigie des leaders communistes (Staline, Lénine, etc..) venant probablement de Russie ; et un couple dont la nana est passablement allumeuse, ils ont tous vendu leurs voitures sur la piste, et viennent visiter la capitale du roi  Béhanzin, nous buvons un coup, je fais colocataire avec les frangins.

Je rentre après avoir mangé et beloté tard chez Johnny, sur un petit carreau de la porte de l’hôtel, je vois une énorme mante religieuse, je pense ne rien risquer en la prenant par le dos comme les crabes, cette salope me détrompe immédiatement, rotation de l’abdomen tel une tourelle de char d’assaut, elle me plante une pince sous la peau de l’ongle du pouce, surpris, je la jette par terre sur le ciment, sans que cela ait l’air de la gêner, puis la balance au loin dans la végétation, j’avais qu’à ne pas l’embêter !

Quelques jours plus tard, le frère communiste s’en va en train visiter un autre bled, je l’emmène avec son frangin à la gare de Bohicon ; quand nous arrivons, il y a un patacaisse d’enfer, des militaires partout. Une fois qu’il est parti, nous nous attardons pour savoir ce qui s’est passé, une petite fille a été trouvée la poitrine ouverte, le cœur arraché : Un sorcier a promis à un bossu de le soulager de son infirmité s’il lui apportait un cœur humain, le contrefait a entraîné la fillette dans l’un des fourrés qui touchent la gare, et l’a opérée à deux pas des parents qui attendaient le convoi.

Le lendemain, je ripe les galoches sur Cotonou.

Au Bénin-palace, il paraît que le Point air vient d’ouvrir une ligne faisant Ouagadougou-Lyon pour 1800 ff, puis Lyon –Paris en car gratuit pour les intéressés, je sens que ce sera mon prochain mode de retour au pays !!

Les marchands vendent des montres à quartz comme je n’en verrai que cinq ans plus tard en France, elles font réveil, et ont  un grand choix de sonneries, dont le chant du coq et la Marseillaise.

Un intermédiaire prétend avoir un client dans un petit village de brousse à une dizaine de bornes de Cotonou ; arrivés sur les lieux, il y a répétition de concert vaudou, mon type me drive dans une case un peu à l’écart de la place où se tient l’orchestre, me dit que le chef du village est l’acheteur potentiel, il faut que j’attende là, car je ne dois pas assister à la prestation (de métro). Il m’amène une Béninoise tiède pour me faire patienter, je m’assois dans un fauteuil en tiges de feuilles de bananiers, la cérémonie bat son plein, les chants, les tamtams très puissants, un sifflet à roulette déchirant ; très  impressionnant, j’en ai le poil qui se hérisse !!

Je reste ainsi une bonne plombe ; ma bière pliée depuis longtemps, mon entremetteur revient me demander si je peux encore attendre, je lui dis qu’il n’en est pas question, j’en ai ras le bol, que nous rentrons sur Cotonou, j’ai l’impression que le loustic m’a prit pour taxi.

Tournant avec un copain dans les arrières de Cotonou pour appâter l’acheteur d’auto, nous nous asseyons dans une gargote, commandons deux B.B ; près de nous un Allemand obèse plutôt crado est en pleine consultation, il est muni d’un énorme bouquin de médecine dans lequel sont répertoriées et décrites toutes les maladies, en marge, sont indiqués les médicaments correspondants. Apparemment, il fait des tournées régulières, les malades se pointent tel jour à telle heure dans tel bistrot et racontent leurs petites misères, après avoir écouté les symptômes, il consulte son bréviaire, rédige une ordonnance, éponge un billet. Entre deux clients, on discute avec le Teuton ; après trois tournées de BB, celui-ci nous confie qu’il n’est pas plus docteur que moi, ayant acheté ce livre sur un marché africain, il a commencé à rendre service à droite et à gauche, puis, le bouche à oreille fonctionnant, il a institué une tournée, maintenant, son affaire roule toute seule.

Le lendemain, je vends ma voiture à Porto-Novo ; revenu à Cotonou, le soir, je vais manger chez un Français qui tient un restaurant sympa assez classe près du bord de mer (sans en avoir la vue), après avoir bu l’apéro avec des confrères, nous allons manger dans l’arrière salle, il y a un couple attablé, je ne sais pas si ce sont des bribes de leur conversation entre-entendues d’une oreille distraite, ou la description que m’en avait faite son chevaucheur précédent, mais je suis subitement  persuadé que c’est la nana poursuivie par le furieux à l’Opinel.

A Jonquet, je prends le Cotonou-Lomé ; deux jours avant, un taxi 404 plateau (22 personnes, plus les bagages) faisant cette ligne s’est planté de nuit dans un rouleau compresseur que les ouvriers du chantier de réfection de la route (rongée en permanence par la mer) avaient laissé en plan sans signalisation après la débauche, résultat : la moitié des passagers et le conducteur morts sur le coup, et les autres en charpie. L’habitude africaine pour signaler des obstacles sur la chaussée est de couper des branchages et de les poser cinquante ou cent mètres en avant, dans le cas présent, il ne devait pas y avoir de végétation dans  le coin……..

Lomé, je déjeune de croupions de dindes fumés, achète une statuette et deux bracelets d’ivoire rose, quelques heures après, je suis en partance en 404 plateau pour Ouaga.

Tout se passe bien à part que (j’ai pris l’option 1ère classe à l’avant) ce con de chauffeur a dû tirer comme un fou toute la journée car il s’assoupit, je m’en aperçois rapidement, et le secoue, je lui dis « passe-moi le volant », il ne veut rien savoir, et continue la route à roupiller en conduisant, à la fin, il m’énerve trop, je le surveille en permanence, et lui mets des calottes derrière la tronche à chaque fois qu’il pique du nez.

Dapaong, frontière, il est tard, je casse une croûte dans un boui-boui, puis vais roupiller à l’endroit d’où partira le lendemain un taxi vers Koupéla ou Ouaga, pas un chat dehors ; bien sûr, pas d’éclairage urbain, le coin est sinistre, j’étends ma natte par terre, et me glisse dans mon sac de couchage. Le lendemain matin, ma lampe torche a disparu.

Arrivée à Ouagadougou, je pose mes affaires au petit hôtel sympa dans lequel nous étions descendus avec Eric, puis demande à un taxi de me mener aux bureaux du Point-Air, y demande un billet, toutes les places sont prises, je dois prendre un Ouaga-Lyon dont le numéro donne priorité chronologique si des places se libèrent, pour les autres, c’est remis à la semaine prochaine, bonjour l'appréhension !

J’ai de la chance, nous arrivons de nuit à Lyon, je prends le train pour Bergerac.

 

 

_Douzième chapitre_

 

Une 404 break m’attendait, désespérant de voir un jour le soleil africain, je la prends par la poignée de portière, et nous partons ensemble vers le sud.

Arrivé à Adrar, repas chez Ramdann, puis je vais faire les pleins, deux Français type zonards m’abordent, et me demandent si je peux les emmener, réponse habituelle, 250 ff par tronche, ils tordent le nez, apparemment, ils sont arrivés jusqu’ici sans sortir une tune et me prennent pour le père Noël, je leur explique que :

1° Les transporteurs sont rares et plus chers que moi.

2° Je ne les étrangle pas, je peux quasiment demander ce que je veux car c’est ça ou rester planté on ne sait combien de temps.

3° Que c’est moins cher que la SNCF.

4° Que 150 kilos de plus dans la voiture ne l’arrangeront pas.

5° Que leur équivalent en poids d’essence me rapporterait le double à Gao.

Je leur dis qu’ils réfléchissent le temps que je mette en fût le jus à régaler les carburateurs.

Cette bonne chose faite, je retrouve mes loustics, ils me disent qu’ils ne peuvent pas me payer tout de suite, car leur argent est enregistré sur le carnet de devises, je leur réponds que ce n’est pas un problème, ils me règleront à Gao, ils se regardent, je comprends qu’ils veulent me faire marron, ils sont un peu jeunes !

En plein Tanezrouft, je demande :

_Vous n’entendez rien ? 

_ Non.

_ J’ai une roue qui se dégonfle.

 J’entends très distinctement à chaque tour de roue « Pschit, Pschit, Pschit, Pschit »

Il faut dire que je suis perpétuellement sur le qui-vive, toujours un œil sur la température d’eau et le voyant d’huile, un son inhabituel m’alerte immédiatement, et selon le type de crevaison, avec une oreille affûtée, on peut entendre le bruit que fait l’air en s’échappant d’un pneu crevé, je peux changer celui-ci avant qu’il ne soit complètement à plat.

Arrivé à Gao en fin d’après-midi, tous les gosses autour du commissariat m’appelle par mon prénom, Mambi est heureusement surpris et content de me voir en bonne santé car un bruit court que lors de ma dernière descente, j’ai passé l’arme à gauche ; je laisse les lascars remplir leur feuille d’entrée, vais en les attendant, m’en jeter une ou deux, peut-être trois à l’Atlantide.

Après les avoir récupérés, nous arrivons chez Gerry, des touristes sont attablés dans la cour, Gerry, lui aussi surpris de me revoir se lève d’une table, et, me désignant dit à ses convives : « vous n’avez qu’à lui demander !», un peu interloqué, je demande ce qui se passe, il me désigne  un loustic au milieu de nanas, « monsieur affirme qu’il est impossible de faire Adrar-Gao en deux jours, je lui suggère de demander à mes passagers ; après que nous nous soyons congratulés, je m’installe à côté de Gerry, me mets au casse-croûte ; j’apprendrai que le coco interpellé traverse en Land-Rover, qu’il a joué les baroudeurs auprès de ses passagères pendant les trois jours pleins de leur descente, du coup, il passe pour un clown.

A la fin du repas, je demande à mes deux passagers de me payer, ils s’exécutent en tirant la tronche.

Le lendemain matin, je fais connaissance d’autres petits groupes, la plupart sympas et branleurs dont un de chasseurs, ils sont venus de France avec des fusils de gros calibre pour casser de la pôvre (ne pas retoucher) bestiole de brousse.

Après le repas du soir,  nous allons tous boire un coup dans les bars de Gao, l'Oasis, la Casa, le Twist-Bar, l'hôtel l'Amitié, nous finissons dans la seule boîte de nuit «  le Désert », les autres sont plus vite bourrés que moi car ils fument du shit acheté au Maroc, ne fumant pas, et ne voulant pas être de reste, je leur tape une boulette que je mâche, cela devient comme du chewing-gum, que je finis par avaler tout rond. Toute la soirée, j’en ai des renvois, c’est dégueulasse ! Nous finissons déchirés comme des cartables.

          Le lendemain, pêche avec Mamby et Gerry ; toujours aussi mauvais, j’en suis de ma tournée.

Gerry se fait du souci pour ses superbes sloughis, car la police jette un peu partout des boulettes empoisonnés pour tuer les clébards errants qui vont dans le cimetière déterrer et bouffer les morts la nuit. Le problo, est que les chiens du copain vont se balader à leur gré dans Gao, hélas, ils y passeront tous, car ces animaux n’ont jamais connu de laisse, et ne la supporteraient pas.

Quelques temps plus tard, je file au Bénin faire adopter ma voiture moyennant une modeste contribution.

Ayorou, il y a un bordel terrible, c’est le grand marché annuel aux bovins, il y a des bestiaux partout, y compris au milieu de la route, il faut avancer doucement, car ces animaux sont à moitié sauvages ; ceux qui ont les cornes peintes en rouge ont au moins une mort humaine à leur actif, mais, ces bêtes, ayant une grande valeur marchande, ne sont pas abattues pour autant.

Avant Niamey, je vois des Allemands en rade sur le bord de la route, leur 504 refuse de fonctionner, elle a beaucoup de mal à démarrer, et quand elle le veut bien, s’arrête au bout de quelques kilomètres, pour couronner le tout, c’est une Diesel ! Je me penche un peu sur le malheur, et voyant que le gas-oil n’arrive pas bien, je leur demande s’il y a longtemps qu’ils ont remplacé le filtre, ils me disent l’avoir changé à Tahoua, et que ça n’a rien amélioré, je ne vois qu’une chose : la crépine du réservoir doit être encrassée, démontant le tuyau avant le filtre à gas-oil, je mets une pompe à gonfler les pneus au bout, et leur demande de l’activer, puis remonte le tout, pompe le gas-oil, la cacugne se met à tourner du premier coup, on va arroser ça à leurs frais car je suis un peu ruiné. C’est leur première descente, et ils me demandent où il est le plus facile de trouver un acheteur, je leur dis que j’ai l’habitude de larguer mes oignons au Bénin, ils demandent à me suivre, je n’y vois pas d’inconvénients s’ils ne me ralentissent pas.

Après la frontière Béninoise, nous allons boire une BB ; en face de la cahute, une 404 est basculée sur les portières, un berceau de pneus en protection, un mec ressoude l’échappement, apparemment, c’est la technique locale pour réparer cet organe.

Nous voyageons de concert jusqu’à Parakou, j’arrive chez  feu Nestor avec un caméléon au revers de la chemise et sec comme un coup de trique.

Les Allemands ne m’ayant pas lâché la grappe, je décide de les taper, ils me passent un peu du l’arzent (ne pas retoucher), je paie une tournée, une des petites serveuses me désigne discrètement un couple de jeunes Français au fond du restau, et me dit qu’ils n’ont pas mangé depuis deux jours, qu’ils sont plantés et attendent un mandat de France.

Je vais leur demander si c’est vrai, « Oui », je retape mes Allemands, et leur paie à bouffer.

Nous restons quelques temps à Parakou pour essayer de larguer nos trognons respectifs, les mômes reçoivent leur pognon et me remboursent, du coup, je leur tape de l’oseille pour apurer ma dette  auprès des Allemands qui commencent à me peser.

Le lendemain, nous nous arrachons sur Cotonou, le père de la nana travaille à Sokoto, au Nigeria, il est marié à une Ghanéenne qui compte faire du trafic d’or venant de son pays, je leur dis que le truc m’intéresse, s’il cherchent un quatrième, je suis partant, nous décidons de faire la prochaine descente ensemble, et de continuer sur Sokoto après avoir vendu nos trapanelles, prévenu, le paternel pourra préparer le terrain.

A Cotonou, nous échangeons nos adresses pour que je puisse les rembourser, nous promettons de nous tenir au courant de nos trouvailles automobiles une fois revenu en France. 

 Au Bénin palace, quelques copains et Basile sont heureux de me revoir, cette rumeur que j’ai clabotté s’est vraiment répandue tous azimuts.

Un matin, je me fais agrafer par deux flics car j’ai dépassé le temps accordé pour dédouaner ou ressortir le véhicule du Bénin, je n’ai pas une tune à leur filer pour me sortir de leurs pattes, ils montent dans la voiture, et m’ordonnent de driver sur le commissariat pour confisquer l’auto, je me débrouille pour passer devant chez Mohamed, un copain Libanais, il tient la boutique de tissus au mètre «Chic-choc» ; lorsque je suis à la hauteur de son échoppe, j’arrête la voiture, sors les clés du contact, et dis au flics « je reviens », me rue à l’intérieur, je casse le coup à Mohamed, et lui tape 3000 francs CFA pour régler l’affaire, soudain, des gueulantes nous parviennent du dehors, c’est un voleur qui est aux prises avec ses victimes et qui tente de s’échapper, les flics sortent presto de ma 404 pour l’interpeller, il se débat comme un beau diable, voyant le tableau, je dis « à tout à l’heure » à Mohamed, monte dans ma voiture, et m’arrache, là, ça m’a frisé les moustaches !!

Après avoir vendu ma moulinette à kilomètres, je passe à Jonquet, direction Lomé, puis, dans la foulée, un Lomé-Ouaga, le taxi-brousse part l’après-midi, le soir venant, le taximan s’aperçoit que les phares ne fonctionnent pas, déjà que les routes sont dangereuses, là, ça fait beaucoup ; épaulé par un étudiant en médecine allant à Paris faire ses études, je persuade le chauffeur de s’arrêter avant que nous prenions un camion dans la tronche ; je coupe sous le capot un fil électrique non essentiel au fonctionnement immédiat de la voiture, fais une jonction directe de la batterie sur les codes.

Après Dapaong, frontière Togo/Haute-Volta, 7 heures du mat’, tout le monde descend, le prochain taxi en partance pour Koupéla est un petit Toyota, nous attendons toute la matinée ; à midi, deux places ne sont pas prises, je propose un deal à l’étudiant, payer à nous deux au taxi driver l’une des deux places libres, ce qui permettra de partir, car l’avion s’en va vers 11 heures ce soir, et ce connard va nous le faire rater.

J’explique le coup au cocher des chevaux-vapeur :

- « Nous te réglons une place, tu trouveras toujours des gens à prendre le long de la route pour compléter les deux places libres, cette place payée jusqu’à Koupéla sera tout bénéfice pour toi ».

Cette tête de cochon ne veut rien savoir, quitte à nous faire attendre trois jours, il veut partir voiture pleine !

Vers 12h30, une 504 plateau se pointe, avant que son conducteur ne rentre dans la maison devant laquelle il s’est arrêté, je le choppe, lui explique en deux mots la situation et lui demande s’il peut nous amener l’étudiant et moi jusqu’à la prochaine ville, nous proposons le tarif taxi-brousse, il est d’accord, venu voir sa mère, il n’en a pas pour longtemps.

¾ d’heures plus tard, il sort, le marché tient toujours, nous montons, les autres passagers nous voyant, demandent s’ils peuvent venir aussi, notre cocher n’y voit aucun inconvénient, toute la fournée du taxi se retrouve dans la 504.

Je dis au chauffeur qu’il aurait dû accepter notre proposition, que maintenant…etc….., l’insulte africaine épouvantable à cette époque était « imbécile » avec  un « m » très prononcé ; énervé, je conclus ma diatribe en le traitant de la sorte, et le taxi démarrant, l’étudiant reprend « immmbécile », un autre passager, puis deux, puis trois, à la fin, tout les gens montés avec nous, de plus en plus fort et en coeur : « immmbècile,  immmbècile, immmbècile,  immmbècile, immmbècile, immmbècile,  immmbècile,  immmbècile ».

Curieusement, le taximan disparaissant à l’horizon me regarde l’air mécontent ! En attendant, tout le monde se tord de rire.

Tenkodogo, notre guide nous dépose, il ne  veut pas d’argent, nous lui payons une bière pour le remercier de nous avoir sortis de cette embrouille, puis, nous prenons un taxi pour Ouagadougou ; attendant à un barrage, je regarde passer une charrette avec des herbes dont les racines portent des bulbes, ce sont des arachides, j’apprends ainsi que les cacahuètes ne poussent pas dans les arbres !!!

Nous prenons nos billets, ce n’est qu’une fois dans l’avion que nous pouvons souffler, à une demi-heure près, nous rations l’appareil à effacer les distances.

Arrivé en France, je profite du voyage Lyon-Paris en car pour aller visiter ma famille, deux jours plus tard, à Epinay, un copain de mon frère ayant appris ma mort  ses condoléances.

 

 

 _Treizième chapitre_

 

 

 Je trouve une 404 plateau plutôt fatiguée, chère (4000 ff), mais c’est un modèle assez dur à trouver, alors je me saigne car ce genre d’engin trouve toujours preneur à bon prix en Afrique.

Les jeunots me rejoignent en Dordogne, j’attendais une copine de Bordeaux pour lui dire au revoir ; ne pouvant pas attendre deux heures, ils se tirent, nous nous donnons rendez-vous à Adrar chez Ramdann.

J’arrive à la fin du ramadan chez Ramdann (elle est bonne celle-là), les « copains » sont passés la veille et ne m’ont pas attendu.

Ramdann est avec un  pote à lui qui chauffe le car Adrar-Oran, j’ai du vin espagnol, de la bière, il me reste du Ricard, nous attaquons l’apéro vers 11 heures le matin, restons à table jusque vers minuit, déchirés ; le copain de Ramdann me dit qu’à Adrar il y a tout un réseau d’eau avec des ouvertures en surface pour puiser, des poissons sans yeux y vivent, mais depuis que l’eau est distribuée en canalisations par l’Etat on n’entretient plus ces puits qui commencent à se boucher, je trouve cela désolant, nous nous proposons d’y aller faire un tour, mais la soirée continuant, on passe à autre chose, nous rigolons comme des bossus, Ramdann a le chech de travers sur la tête.

Le lendemain, je démarre tard, allez donc savoir pourquoi !

La 404 plateau n’est pas géniale pour passer dans le sable, les suspensions arrière sont très raides, les roues arrière, ne portant pas beaucoup, patinent facilement. De plus, la cabine, très petite, ne laisse pas circuler l’air.

Quelques dizaines de kilomètres après Anèfis, je vois dans le rétro l’horizon noircir rapidement, c’est un vent de sable comme je n’en ai jamais connu : Extrêmement compact,on dirait qu’un château fort immense avance dans la même direction que la mienne, mais plus vite que moi, j’essaie d’accélérer, peine perdue, je vois d’immenses murailles de sable me rejoindre, puis grignoter l’arrière de la voiture qui disparaît dans le rétro ; d’un seul coup, obscurité complète, je stoppe en souplesse, il fait plus noir dans la cabine que de nuit, je ne vois pas ma main devant mes yeux, chaleur étouffante ! Je tire le frein à main, enclenche la première, sort de l’auto avec mon sac de couchage, le passe tête-bêche pour faire filtre à air, me couche devant la voiture, et roupille comme un loir ; quand je me réveille, je ne sais pas combien de temps est passé, (à vue de nez deux ou trois heures), le vent de sable est loin.

Une centaine de bornes avant Gao, les bielles commencent à claquer, j’essaie de ne pas trop tirer sur la bête, mais j’arrive l’embiellage dans le sac.

Passage au commissariat, puis je vais chez Gerry.

Le lendemain, Sadou l’aveugle, déjà au courant de mes avatars passe me voir ; il a un client à 1.000.000 de francs Maliens (500.000 CFA) nets pour moi, il a la réputation d’avoir négocié des affaires sans que les services économiques n’aient fait d’embrouilles, je dis banco, une heure plus tard, l’affaire est pliée, je suis payé à peu près moitié en CFA, moitié en francs maliens.

Le soir, Gerry me montre une DS 19 qui stationne dans sa cour depuis déjà un bon moment, il écarte une ouverture dans un siège, en sort de l’herbe avec laquelle il se roule un joint comack ; des gens de passage lui ont demandé de garder cette caisse bourrée de drogue, les proprios doivent revenir pour la remonter en France, à mon avis, ils se sont dégonflés et elle finira en pièces.

Le lendemain matin, je passe au commissariat déclarer que je vais vers le Niger sans m’étendre davantage sur mon moyen de transport (j’aurais dû ressortir du Mali avec mon véhicule), Gerry me laisse au barrage de sortie de la ville, quelques temps après, un camion moyennant quelques  menus argents  me voyage (ne pas retoucher) jusqu’à Niamey.

Le matin,  je vais à l’une des tables dressées sur le trottoir prendre un petit déjeuner. Je m’assois à côté d’un client qui est en train d’exécuter un vigoureux tatouillage, après avoir passé ma commande, je m’enquiers de la cause de cette puissante manipulation, le type m’explique que quand on prend du café en poudre, du sucre, qu’on humecte le tout d’un tout petit peu d’eau chaude, et qu’on en exécute le mixage, cela donne un café digne des meilleures machines Italiennes. Un peu sceptique, je demande s’il peut, moyennant une tournée de ma part me concocter sa spécialité, il ne se le fait pas dire deux fois, demande sérieux comme un pape au patron les ingrédients, prend deux cuillérées de café soluble (le plus ordinaire qui soit), deux sucres, quelques gouttes d’eau chaude, et se remet en effervescence, quelques minutes plus tard, il me présente le résultat, ça donne une épaisse émulsion marron clair, puis, religieusement, il verse doucement sur le côté du verre de l’eau très chaude sans touiller, me le tend, je goûte, extraordinaire ! Ce maniement a complètement changé le goût du produit, c’est vraiment aussi bon qu’un expresso Italien, je remercie le garçon qui est en train de s’en refaire un, règle l’orgie, et me casse à la poste acheter des timbres pour expédier des cartes postales à la Mama et aux copains.

Nouvelle embrouille, le guichetier précise que si je veux poster une carte, le message ne doit pas comporter plus de 5 mots, adresse non comprise, je lui demande pourquoi, il me répond que ce sont de nouvelles consignes. Après avoir acheté ces appareils à faire voyager des paysages, je vais négocier quelques cartes postales aux petites charrettes siégeant autour de la poste.

J’ai inventé une formule dont je suis assez content : je calcule le nombre de cartes dont j’ai besoin, et fais deux tas ; sur les courriers destinés aux personnes qui se connaissent, je rédige des formules différentes sur des cartes différentes ; pour le second lot, je choisis plusieurs exemplaires de la plus belles des cartes que je trouve, recopie autant de fois le même message, cela simplifie bien la tâche, et fait autant plaisir!

Après avoir rempli mes devoirs, je vais expédier ma prose ; dans la poste, me vient une courante qui me tord les boyaux, je demande à un préposé si je peux profiter du matériel sanitaire de l’établissement, il m’indique une porte derrière les guichets, je m’y rends illico, je suis presque rendu aux chiottes qu’un balayeur me demande ce que je fais là, je lui réponds que je dois me rendre d’urgence aux w-c, ce connard lève son balai pour m’en mettre un coup sur la tronche, aussitôt, je vois rouge, je le choppe par les revers de sa veste, le soulève, et le colle au mur, un postier arrive, demande ce qui se passe, je lui résume l’histoire, il engueule l’autre comme du poisson pourri, je le lâche et file aux cagouinces.

Si vous avez un mal de ventre, quelqu’en soit la cause , et pas de médicaments sous la main, je vais vous indiquer la façon africaine de vous soulager instantanément : vous prenez un dose d’anisette pure à 45° que vous buvez cul sec, c’est instantanné et radical !!!!!!

Je vais visiter le zoo de la ville, des artisans d’art y ont un espace pour présenter leurs métiers et vendre leurs productions. Les animaux sont assez communs à tous les zoos hormis des buffles aux cornes énormes et creuses qui leur permettent en mettant la tête en arrière de garder celle-ci au-dessus de l’eau pour traverser les rivières; dans la partie musée, je vois un fossile de crocodile d’une longueur extraordinaire.

Bien que n’ayant pas revu mes futurs associés, je décide d’aller au Nigéria voir  où en est la situation, continue ma descente jusqu’à Cotonou, vais boire un pot au Bénin palace, puis à Jonquet changer des nairas ; je prends le taxi-brousse vers Lagos, puis Lagos-Ilorin, attendant le taxi Ilorin-Kontagora, je prends une bière, je ne l’ai pas finie que le taxi, plein, s’impatiente, je tends ma bouteille à peine entamée à la pourvoyeuse de boissons fraîches qui me dit de la garder, et de rendre la consigne à sa collègue de la prochaine halte, je la remercie.

Le taxi est une 504 familiale avec huit passagers plus chauffeur, il pleut à verse, dans une descente, au sortir d’un virage, des voitures sont arrêtées au milieu de la route, notre chauffeur, les yeux exorbités bloque les freins, le véhicule part comme une savonnette en travers sur le goudron, un passager derrière moi gueule à pleins poumons quelque chose au conducteur, je saisis « brake » (freins), ce dernier lâche la pédale et réussit à rattraper l’embardée, on se regarde tous avec l’impression de revenir de l’enfer, à un cheveu près c’était le carton, je lève le pouce vers le conseiller technique pour lui signifier que j’ai apprécié son intervention.

Arrivé à Kontagora, je rends la bouteille consignée à la mama qui me fut indiquée à Ilorin, et lui demande où je peux dormir car on ne circule pas de nuit au Nigeria, çà braque trop, sans pour cela prendre un virage ! La brave femme m’indique un petit établissement en rez-de-chaussée j’y loue une pièce de deux mètres sur trois dont le mobilier se résume à un lit de fer, toutes les portes donnent sur une cour intérieure, aucun signe de présence humaine.

Après avoir acheté un peu de croque, le soir tombant, je retourne à ma   piaule, ferme à clé la porte de fer munie d’un guichet grillagé ; deux ou trois heures après, je suis réveillé par des grattements à la porte, quelqu’un essaie d’entrer et c’est sûrement pas le Père Noël, je gueule un bon coup à travers l’embrasure, ma voix résonne sinistrement dans la cour.

Je vérifie que la clé est toujours engagée, empêchant ainsi le crochetage de la serrure, et la bloque en travers, pousse le plumard contre la porte. Toute la nuit, je suis réveillé par les tentatives d’intrusion, je braille régulièrement pour avoir la paix pendant une heure, c’est pénible, surtout que mes gueulantes ne font venir personne, si les braqueurs avaient été plus virulents, ils auraient pu tranquillement me faire la peau après avoir cassé la porte.

Le lendemain, fin d’après-midi, j’arrive à Sokoto, trouver la maison du seul Français de l’agglomération n’est pas un prodige; quand les « copains » me voient, ils sont abasourdis, visiblement, ils tirent la tronche ! Coincés, ils me présentent au papa.

Le surlendemain, départ pour le Gahna dans le taxi d’un vague « frère » de la femme du paternel, elle emmène du matos pour monter un salon de coiffure. Ils s’arrêtent en route chez plusieurs marchands pour faire établir des factures bidon afin de passer aux douanes les différents matériels ; on leur demande trop cher, leur histoire tourne en eau de boudin. Plus je les vois au boulot, moins j’ai envie de bosser avec de pareils bras cassés !!

Finalement, la belle doche reste à Lagos pour ses « affaires », nous partons vers le Bénin en taxi-brousse ; à la frontière, je passe tranquille, pour les « copains », ça coince, je me retourne, le douanier, tiré à quatre épingles leur dit « dash me », la copine me traduit qu’il veut leur taper du pognon. Elle pratique un anglais parfait à ceci près que, l’ayant appris au Nigeria, elle le parle «petit nègre», l’effet est saisissant ! Je demande combien il veut, elle répond une somme équivalente à 5 FF, les copains se fendent, et les passeports réapparaissent instantanément. Il est assez déstabilisant de voir un douanier à l’uniforme impeccable, dans une guitoune super clean, planquer les papiers afin de taper froidement de l’oseille.

Il faut dire que le Nigeria est considéré comme l’un des pays le plus craignos du monde, si une personne est soupçonnée de vol sur un marché, ça hurle de partout, les braves gens mettent deux pneus autour du concerné (et consterné), cinq litres d’essence, et le feu.

Arrivés à Cotonou, il est évident que nous n’avons rien à faire ensemble, je les largue.

Je vais au Togo me renseigner sur le prix de l’or en provenance du Gahna, après avoir loué une paillote pas trop cher à la sortie de Lomé sur la route de Cotonou, je vais voir les hadji*, qui ont chacun leur place à deux pas de la frontière Gahna et attendent le client à longueur de journée sans impatience.

Je branche un vieux bonhomme en lui disant que je suis acheteur, nous restons trois jours sans voir un gramme se pointer. N’ayant pas de matériel pour tester l’or, je fais deux ou trois bijoutiers à Lomé pour me procurer une pierre de touche et de l’acide*, aucun ne peut ou veut me procurer les objets, je retourne à Cotonou, où je trouve le tout pour 5000 CFA.

A Lomé, mon hadj n’a toujours pas vu de vendeur. Cassant la croûte dans un bouiboui, je lie connaissance avec des Algériens qui commencent à descendre en Afrique noire, apparemment, les visas se débloquent en Algérie. On en vient à discuter business, je leur dis que je veux faire dans l’or ghanéen, ils sont intéressés, on se promet de se tenir au courant. Je retourne voir mon contact.

Au bout de trois autres jours sans résultats, je commence à douter sérieusement que l’on puisse faire des affaires, je demande à mon type combien il vendrait le gramme d’or s’il lui en arrivait, il me répond 4.000 CFA (80 ff), je fais le calcul : le lingot de 1 Kg estampillé par la Banque de France  entre 70.000 et 80.000 francs dans une banque française, je comprends que j’ai perdu mon temps.

Je retourne à l’hôtel où logent les arabes pour leur indiquer le résultat de ma quête, j’y retrouve al-adji Bou Setta (Bou Setta car il a six doigts à chaque main), c’est le plus sympa, je lui confie ma déconvenue, nous cassons la croûte tous ensemble, ils sont sur une sombre histoire de mercure rouge dont j’ai déjà eu des échos, sans savoir si ce produit existe ou pas, et si oui, s’il sert à faire de la fausse monnaie ou des sacrifices plus ou moins alchimiques.

Comme je ne pense pas continuer dans la voie aurifère, je leur donne ma pierre de touche et l’acide en leur expliquant comment s’en servir.

Le lendemain, je file sur Ouagadougou, deux jours d’attente avant le départ de l’avion ; déjeunant à côté d’un Voltaïque, nous discutons de choses et d’autres, quand vient sur le tapis un sujet qui m’intéresse ; il connaît une maison hantée en ville, m’explique les phénomènes qui s’y passent, et comment y aller, le repas fini, je file voir l’évènement. Une fois sur place, je n’ai pas de mal pour trouver la maison en cause, il y a un attroupement, les manifestations ont dû commencer il y a quelques temps déjà, car il n’y a plus d’herbe alentour, la maison est gardée par deux militaires en armes ; y allant au flanc, je demande à la soldatesque si je peux entrer, autorisation accordée. Tout est cassé à l’intérieur, une sainte vierge en plâtre n’a pas été épargnée (les esprits ne respectent rien !), dans le jardin, les canaris* sont bousillés, je sors et discute avec un jeune qui habite la maison juste derrière. Il a l’air très au courant du déroulement des incidents, pour pouvoir en parler tranquillement, je l’invite dans une cabane où l’on vend le produit brassé qui fait de la mousse. Les faits ont commencé dans la maison d’en face, puis se sont déplacés dans celle-ci, des projections de pierres ont cassé systématiquement tout ce qui pouvait l’être, les gens ont été obligés de quitter leur domicile, puis retour au calme, je suis frustré d’être arrivé après coup ! Je demande à mon interlocuteur s’il ne se passe plus rien, il me répond que non, devant mon air désappointé, il me dit que par contre, chez lui se déroule quotidiennement une manifestation peu ordinaire, à partir de 16 heures, de petits cailloux invisibles descendent le long du toit, il est 15 heures, je demande si je peux y assister, il me répond que ce sera avec plaisir, je prends deux autres bières, et nous allons.

Après avoir fait le demi tour du pâté de maisons, nous entrons dans une cour, mon hôte va chercher dans la demeure une petite table et deux tabourets, nous attendons, discutant et sirotant, à 16 heures pile, rien, 5 minutes passent, je me dis que je me suis fais mener en bateau quand j’entends rouler un petit objet sur la tôle ondulée, je me lève pour mieux voir car je ne distingue pas ce qui dégringole ; vers le bord du toit, plus de bruit, et rien ne tombe !!!!!

J’entends ainsi plus d’une quinzaine de descentes, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’à l’écoute, on situe à quelques centimètres près la progression des objets (d’après le son irrégulier, ils ne sont pas ronds) le long du toit, lorsqu’ils arrivent au bord (qui est à hauteur des yeux), plus rien, et la cour en terre battue parfaitement balayée ne laisse aucune chance à un objet tombé de passer inaperçu, une supercherie consistant à gratter la tôle ondulée (comme les vaches) n’est pas possible car le dessous du toit est ouvert. Je me place en face d’une dégoulinade (qui est assez lente), encore rien, c’est hallucinant!!! Puis les coulées se font de plus en plus rares, et finissent comme elles sont venues, j’en reste comme deux ronds de flan, j’envoie un môme recharger les consignes pour arroser mon premier contact avec ce que je pense être le paranormal, comme plus rien n’est prévu au programme, je remercie de la visite, ripe les galoches.

Ouaga-Lyon, train, Bergerac, micheline, Couze et Saint Front.

 

 

                                                                                                   _Quatorzième chapitre_

 

Je trouve une 404 vieux modèle en bon état.

L’huile du moteur est propre, je ne fais pas la vidange, prends quelques outils, une roue de secours supplémentaire, et pour vendre, un moteur que j’avais enlevé d’une 404 précédente à cause d’une soupape cramée, plus un fut de 200 litres.

Pour mes déplacements en France, j’ai une 404 Diesel, afin d’éviter de payer une assurance en France, puis une autre au Mali, je peins les numéros de la plaque d’immatriculation de ma 404 Diesel sur la voiture que je vais descendre. Je prends de la peinture noire et blanche afin de repeindre les numéros originaux avant le Niger qui n’exige pas d’assurance pour les « touristes ».

Foum-el-Kheneg en Algérie, un oued d’une quinzaine de mètres de large coupe la route, deux scrapers bossent sur le site. Je fais signe aux zigs de m’aider à traverser, un scraper vient se positionner en marche arrière devant moi, le conducteur attache un câble gros comme mon poignet avec une manille du même calibre à l’arrière de son engin, me passe l’autre bout avec une attache plus petite que je fixe dans la patte d’accroche avant de mon auto ; je me dis que si quelque chose bloque la voiture, le conducteur m’arrachera tout l’avant sans même s’en rendre compte.

Sur son conseil, je bouche l’échappement avec un sac en plastique. Il me demande si je suis prêt, bien que pas très convaincu, je lève le pouce ; démarrage en trombe, entrée dans la , la voiture devient légère d’un coup, commence par flotter et à prendre l’eau par tous les orifices bas, heureusement, la traversée est très rapide, arrivé, j’ai quand même les mollets qui baignent et les fesses mouillées, quand j’ouvre la portière, une bonne quantité de flotte s’évacue.

Je remercie les scrapistes d’une demie bouteille de Ricard, enlève le plastique de l’échappement, la voiture démarre sans se faire prier.

Borj Moktar,Tessalit, 30 ou 40 bornes avant Aguelhok, nouvel oued, mais pas de passeurs, 8 à 9 mètres à traverser, et visiblement, aucun détour possible !

Il n’y a pas à tortiller, il faut passer, vu la rapidité du courant, cela ne se calmera pas de sitôt.

Je recule d’une trentaine de mètres, prends mon élan, passe la seconde ; à fond, j’entre dans la flotte, une vague géante de chaque côté, je passe en aquaplaning, l’avant de la voiture fait un mètre sur la rive sur un ou deux cylindres et cale, les roues arrière restent dans l’eau, mais le plus dur est fait !

J’ouvre le capot, dessous, c’est les grandes eaux, le moteur est complètement noyé, ce n’est pas grave car le taux d’humidité du secteur est proche de zéro, je découpe des bandes dans un  chiffon (les petites marionnettes), avec un tournevis, je les enfile dans les puits à bougies pour absorber l’eau, j’ouvre et sèche le delco au maximum, attends une demi-heure, capot ouvert.

Je remonte le tout, donne un coup de démarreur, la voiture bredouille, puis les cylindres partent les uns après les autres.

Il y a de la flotte partout, l'Adrar des Iforas est noyé, aux principaux points submergés, la piste passe par des surélévations, j'ai une pensée émue pour les légionnaires qui ont dû les construire sous un cagnard de plomb ; Arrivé à Aguelhok, je fais viser mon passeport, il y a trois camions englués de boue et pas mal de monde, ils ont eu de gros problèmes d’enlisements dus aux inondations, un Algérien  sur l’un de ses deux camions me demande si j’ai du matériel à vendre, je lui réponds : « un moteur de 404 dont une soupape est à changer, j’en veux 2000 ff », il gueule aux petits pois, je lui dis qu’à Gao, je ne manquerai pas de clients,  il m’en propose 1000 ff, je l’envoie chez plumeau, il n’est pas content du tout, surtout que la conversation se déroule devant tous les gens de son convoi, et qu’il veut faire le malin à mes frais, c’est raté.

L’autre camionneur, un Peul ayant assisté aux échanges me dit discrètement de l’attendre à la sortie du village. Tout le secteur est inondé, je desserre la courroie de ventilateur, car sinon, elle entraînerait l'eau et noierait le moteur, puis j'y vais en première.

 Il y a deux problèmes, le premier : est que l'on ne voit pas où rouler, le second : quand on desserre la courroie ventilo-pompe à eau, celle-ci ne fait plus circuler l’eau de refroidissement du moteur, qui chauffe très rapidement.

J'entre dans l'eau doucement en  prenant comme repère la piste émergée au loin, si je me souviens bien elle est droite sur ce tronçon ; je roule en restant en première accélérée pour ne pas caler sur une grosse pierre et de peur que l'eau n’étouffe le moteur en entrant dans le pot d'échappement, vu les glouglous de canot qu'il me fait, il est sous la ligne de flottaison, je fais mon petit bonhomme de chemin en cahotant, je suis à moitié du parcours que l'aiguille de température est plus haute qu'elle n'a jamais été, je continue l’œil dessus, plutôt crispé ; finalement, j'arrive sur le sec, aussitôt je descends de la voiture sans arrêter le moteur, lève le capot, la flotte de refroidissement sort à gros bouillon par le bouchon de radiateur, je retends la courroie de ventilo et attends que la température baisse, peu de temps après tout redevient normal, je complète le niveau, et attends en laissant  tourner le moulin.

Le Peul s’est dépêché d’arriver le premier, il descend de son camion, et laissant son monde, me demande s’il peut faire un bout de route avec moi, je réponds qu’il n’y a pas de problème, aussitôt qu’il est assis, je démarre, les deux autres camions arrivent plein pot.

Mon passager dit s’appeler Agali et être intéressé par le moteur, mais si je peux lui faire un prix, il serait content, je lui fais un rabais de 300ff, qui lui convient, il me paiera à Anéfis, on se serre la main pour sceller l’accord.

Il me demande si je peux lui prêter mes lunettes de soleil, une fois que celles-ci acalifourchonnent son nez, il monte sur le siège passager, passe la tête par le toit ouvrant, et tel un périscope des sables me guide pour contourner les passages engloutis, nous sommes en éclaireur, son camion et ceux de l’Algérien suivent.

Nous parvenons à Anéfis sans encombres, avant que nous n’arrivions au poste de police, je m’arrête au coin d’une ruelle, les graisseurs d’Agali déchargent le moteur, les camions de l’Algérien s’arrêtent à ma hauteur, il me demande pourquoi le moteur est par terre, je lui réponds que je l’ai vendu à Agali ; pourquoi ai-je soudain l’impression que la fumée lui sort par les trous de nez ?

Il n’est pas content…du…tout, et a l’air époustouflé que j’aie pu faire affaire sans son divin consentement.

Je lui récapitule l’histoire, je demandais 2000ff, il ne voulait pas donner plus de 1000ff, ce qui ne me convenait pas, j’ai traité avec Aguali, l’affaire est conclue, on ne revient pas dessus ; les gens de son convoi sont atterrés que je puisse lui parler ainsi, je lui dis que de toutes façons, je n’ai pas de compte à lui rendre, au milieu d’éructations diverses, il se met à me traiter de « chien de chrétien », l’expression délicieusement moyenâgeuse me ravit, je l’envoie chier en restant sur mes gardes car il écume de rage.

Là dessus, mon acheteur revient, me paie (j’apprendrai plus tard qu’il est chef d’une tribu Peule), l’autre enclume décarre.

Je pointe au poste de police, puis récupère mon guide, il me demande de le déposer quelques kilomètres plus loin, me rend mes lunettes, descend, se penchant à la fenêtre passager, il me dit que si un jour j’ai besoin de quoi que ce soit, je passe le voir dans son village qu’il me montre au loin à droite de la piste, il me dépannera toujours ; son camion attend derrière, nous nous serrons la main avec chaleur, vraiment sympa le père Agali!

Quarante kilomètres avant Gao, je m’arrête prospecter le site préhistorique, ramasse quelques tessons de poteries, morceaux de haches cassées, soudain, j’aperçois un bout de pointe de lance de silex taillée en feuille de laurier à moitié enfouie, je vais voir de plus près, en priant qu’elle soit entière, je la tire d’un coup sec, elle est intacte, quel pied (voir photo)!

Je passe au commissariat de police signaler mon arrivée à Mambi ; Boubakar me dit que Gerry a déménagé dans un nouveau camping, je lui demande de m’y conduire.

Dès que je l’ai salué, lou Gerry me fait visiter ses installations, luxe suprême, il a fait un coin douche dont je profite avec un plaisir sans mélange, le seau de flotte, même quand on a le coup de main est un peu léger pour se délester du sable de la piste. Il faut tout de même utiliser l’eau avec parcimonie car c’est un camion citerne (ce n’est pas si brillant) qui va pomper l’eau au Niger (le fleuve) afin de recharger le réservoir de la douche, et ce service est loin d’être gratuit.

Puis nous buvons une bière fraîche grâce au frigo à pétrole (qu’à Gao on fait fonctionner au kérosène), un chouette type nous rejoint dans la soirée, Rose, la cinquantaine, il a installé depuis longtemps une fabrique de sodas qu’il parfume avec des arômes qu’il fait venir d’Europe, les capsules neuves étant rares, il rachète aux gosses celles qui ont déjà servi, les redresse, et les réutilise pour boucher ses bouteilles ; quand il ne lui reste pas assez d’arôme pour faire une série complète, il mélange les reliquats, c’est souvent surprenant !

Je reste plusieurs jours à Gao, nous faisons quelques parties de pêche.

Un gros (sous tous rapports) garagiste nommé Ousmane passe chez Gerry et me demande combien je vends ma 404, je lui réponds 950.000 f Maliens, il m’en propose une autre «nouveau modèle, trois compteurs» pour 400.000 f maliens, nous allons chez lui, il me montre une pôvre chose ayant  passé 10 ans sans voir le goudron, je pense que rien que pour rigoler, ça vaut le coup d’essayer de faire une passe sur cette voiture ; quand elle tourne, les bielles jouent des castagnettes, mais je pense que c’est retapable. Je demande qu’il me trouve une crémaillère car la direction a un jeu d’un autre monde, des phares, enfin ; qu’il lui redonne un air de jeunesse, je passerai la prendre sous huitaine.

Le soir, à la fraîche, je fais part de mon plan à Gerry, lorsque nous entendons un bruit terrible dans la cour où est garée ma voiture, nous y allons, rien…….. J’ouvre la portière pour en avoir le cœur net, mon fût de 200 litres est écrasé par le milieu sur trois côtés. Après avoir réfléchi au problème, je trouve une explication : le vide créé par le carburant prélevée par le tuyau alimentant la pompe à essence est comblé par les vapeurs engendrées par les cahots et la chaleur de la journée, mais la fraîcheur du soir a provoqué la condensation de ces vapeurs qui, en redevenant essence ont provoqué un tel vide que la pression atmosphérique a écrasé le fut ; je file le tonneau à Gerry car à Gao, tout se récupère.

Le lendemain, je ripe sur Niamey, une fois sorti du Mali, je m’arrête dans le no man’s land entre les deux frontières, sors mon mathos, commence par repeindre les plaques d’immatriculation en noir, laisse sécher quelques instants en sirotant un jus de houblon, cette bonne chose faite, les plaques sont quasiment sèches, puis, je commence à  repeindre les anciens numéros, m’appliquant, cela me prend quelques temps ; soudain, le silence est rompu par un énorme bêlement juste derrière moi qui me fait sauter en l’air ; concentré sur mon boulot, je n’avais pas entendu arriver un petit pâtre et son troupeau, il me reluquait sans faire de bruit, on se dit bonjour de la main et je retourne à ma prestation graphique.

Ceci fait, je sors du chauffage la vraie carte grise de la voiture où elle était planquée, et cache au même endroit les papiers du véhicule resté en France.

J’attends encore un peu en cassant la croûte, puis humidifie les plaques, et les salis pour que les numéros ne fassent pas trop neuf ; miracle, j’entre au Niger avec une immatriculation différente de celle avec laquelle je suis sorti du Mali.

Niamey, Malanville, je m’arrête à Parakou, prends l’apéro avec des Français. Au Bénin pour que la maison ne passe pas pour radine, il faut « faire pleurer » : le dosage des alcools se faisant avec de petites répliques de choppes à bière ayant contenu des pruneaux à l'Armagnac, « faire pleurer » consiste, quand la dose est pleine au dessus du verre, à laisser couler l'alcool, inutile de préciser que l'on encourage vigoureusement la pratique et les serveuses, bonnes filles que l’on fait rigoler ne font plus attention à ce qui a pleuré, après 6 ou 7 tournées on est fait comme des rats.

Bohicon, je m’arrête boire une Bonne Béninoise au restau habituel, deux lascars un peu louches me branchent, ils disent connaître en brousse des villageois qui cherchent à acheter en commun une voiture à 500.000f C.F.A pour emmener les fruits et légumes au marché, ils veulent 50.000 pour eux, je dis banco.

Nous emmanchons la route d’Abomey, quelques kilomètres avant la ville, nous tournons à gauche sur une piste encadrée de brousse épaisse, une dizaine de bornes plus tard, nous arrivons dans un village où les habitants portent des vêtements conçus sur place, ils vivent visiblement en autarcie, les toits des maisons sont en végétaux alors que partout ailleurs sévit la tôle ondulée, je demande aux intermédiaires ce que je viens faire ici, les types me disent de ne pas m’en faire.

Ils partent chercher le chef, une ribambelle de gamins s’approchent, d’abord timides, ils me parlent doucement la langue du coin sans crier, ils ne connaissent pas « Yovo, yovo, bonsoir, ça va bien, merci ».

Peu de temps après, mes loustics reviennent, me demandent de les suivre ; ils me présentent le chef du village qui ne parle que son idiome, petit vieux très doux, nous nous serrons les mains, le chef me conduit dans une grande case sombre, sort d’un coffre en bois une cassette, et me fait signe de prendre l’argent pour la voiture, puis il me laisse seul. M’asseyant sur un tabouret bas, et posant la cassette sur une petite table, je commence à compter les billets ; en Afrique, pour simplifier le comptage de l’argent, on fait des tas de dix billets dont le dixième rabattu par le travers sur les neufs autres permet de mieux faire la comptabilité.

 Je commence à recompter le tout, les tas ne comportent que 6 à 8 billets, me demandant si c’est une embrouille, j’appelle le chef, et par le truchement de mes accompagnateurs, j’essaie de lui faire comprendre que les paquets ne sont pas réglementaires, il a l’air de s’en foutre comme de l’an quarante !

Laissant tomber, je retourne au turbin ; autre problème, il n’y a pratiquement que des billets de 500 et 1000 f C.F.A soit 10, et 20 ff.

Vidant la cassette sur la petite table, je pars à la pêche des quelques billets de 5000 f C.F.A, les mets de côté. Puis reprenant les billets de 1000 je fais des paquets conformes, les billets ayant changé de mains des centaines de fois, sont dans un état de dégradation avancé, crasseux et froissés, je prépare 450.000 CFA pour moi, et 50.000 CFA pour mes indicateurs, refais des tas corrects pour le Pépé-chef, laisse le tout sur la table, l’appelle, lui montre ce que je prends, sans préciser qu’une partie est pour mes guides, lui demande si c’est bien ce qui était convenu, il me fait confiance les yeux fermés, à croire que les Français du Dahomey laissèrent une bonne impression, car depuis, on dirait que le temps s’est arrêté !

Je demande au vieux de me faire raccompagner, ce sont mes deux termédiaires  qui s’en chargent avec d’autant plus de plaisir qu’ils attendent leur pincée.

Arrivés à Bohicon, nous montons au restaurant qui domine d’un étage le carrefour, je paie une  B B, et .

Cinq minutes plus tard, je suis dans un taxi-brousse qui part vers le Nord.

Labbezanga, frontière Nigéro-Malienne.

Cassant la croûte dans un petit restaurant tout en planches au bord de la route, je demande une écuelle pour mettre mes os de poulet, le maître de céans me regarde l’air ahuri, et me répond en désignant la fenêtre « tu jettes loin ! », je jette loin, des  viennent aussitôt faire le ménage.

Un grand Touareg (pléonasme) mange à côté de moi, il a pris un poulet entier, ce qui n’est pas un exploit pantagruélique car les poulets bicyclette (appelés ainsi car ils sont toujours en train de courir à fond la caisse) ont la taille d’un gros pigeon, ils ont les os extrêmement durs et pointus tels nos gibiers français quand ils ne sont pas trop dégénérés, _à ce propos, n’essayez pas en Afrique de casser un œuf dur de poulet bicyclette sur la tête du voisin, vous lui feriez la bosse du siècle ! _Pour en revenir au Touareg, il dévore sa volaille en totalité, c'est-à-dire qu’il détache une cuisse, la mâche, l’os compris, s’ensuit un bruit terrible, quand il a fini, il ne reste rien, ça, ça s’appelle manger un poulet !

J’attends à la douane un transport qui m’avancerai sur Gao, rien ne se pointe durant la journée, en fin d’après-midi, un Berliet délabré dont la caisse a été élargie et rallongée passe, je vois une plaque d’immatriculation qui, bien que de travers et dans un état déplorable est manifestement malienne, je fais de vigoureux signes au chauffeur qui arrête son engin dans d’épouvantables grincements de frein et de suspension, je lui demande s’il va vers Gao, il me répond que c’est son terminus, hosanna ! Nous tombons d’accord sur le prix de mon passage : 10.000 f Maliens (100ff), je règle ma croisière, après avoir jeté mon sac en haut de la benne, j’escalade les ridelles, le chargement est constitué de grand sacs d’ignames, en écartant quelques uns, je me fais un creux, nous repartons à l’allure Malienne qui ne risque pas l’excès de vitesse.

La nuit tombe, avec elle, une légère fraîcheur, je sors mon sac de couchage, m’allonge dessus, je contemple les étoiles si nettes, il fait doux, mon plan marche bien, je suis riche, pas pressé ; je m’endors bercé par le tangage et les grincements du camion, dans un état proche de la félicité.

Nous arrivons le lendemain soir, je passe saluer Mambi, puis vais poser mes pénates chez Gerry.

Le lendemain matin, je retourne discuter avec le père Ousmane, je le trouve dans sa cour affalé dans un fauteuil ; bien sûr, il n’a rien fait sur la voiture, il me dit de chercher ce dont j’ai besoin en pièces détachées dans son bordel. Les phares rouillés, les fauteuils défoncés, je remplace tout ; au moment de faire les papiers, il me demande de garder la carte grise Malienne dont les droits de douanes sont acquittés (ce qui lui permettra d’en malienniser une autre d’un coup de peinture sur les plaques), s’il me trouve une carte grise Française ça ne pose pas de problème (pour tout dire, ça m’arrange, car les voitures africaines n’ont pas la cote).

Je repars de chez lui avec mon nouveau carrosse, les ailes arrières sont de guingois par rapport au toit, mais les Africains ne s’arrêtent pas à si peu de chose !!

Je commence par changer la crémaillère de direction, puis ayant fait tourner le moteur, je me rends compte qu'il ne pourra pas tenir jusqu'à Niamey, il claque trop, je décide une autopsie : le tomber et l'ouvrir n'est pas une opération nouvelle pour moi, quand je vois la tête du vilebrequin, mon optimisme naturel en prend un coup, je n’ai jamais vu un carnage pareil, il est profondément rayé, et il n'y a pas besoin de pied à coulisse pour s'apercevoir qu'il est ovalisé au dernier degré ; il faut le faire rectifier, changer les coussinets de bielles, les segments etc..., je ne pourrai réaliser ça qu’à Niamey. Comme je ne peux remonter les coussinets sans rattraper un minimum de jeux, je découpe des cales dans des boîtes de conserves en laissant un trou pour laisser passer l'huile vers les hauts de cylindres, pose celles-ci derrière les coussinets après avoir en usé les bords de façon à en diminuer le diamètre, en serrant, tout se met en place, je referme le moteur, verse dans le carter de l'huile algérienne (de bonne réputation à condition de faire la vidange tous les cinq cents kilomètres), avec un peu de chance je peux parvenir à Niamey.

Je me laisse vivre encore une petite semaine chez le père Jerry, l'après-midi nous allons à la pêche, de temps à autre l'ami Mambi nous accompagne, nous parions la bière (sauf  Mambi qui doit être musulman), j’en suis chaque fois de ma tournée.

Après mes adieux à tout le monde, je ripe les galoches vers Niamey.

Un passeur de voitures rencontré à Cotonou décide de partir avec moi, ce qui m'arrange, car si le moteur lâche en route, c'est toujours mieux d'être deux ; la piste est défoncée comme jamais par les camions du fait des pluies, je suis obligé de solliciter le moteur plus que de raison, mais il tient le coup, j'arrive à Niamey, me gare de nuit directement devant le garage du mécano chez qui je fais réparer habituellement les échappements ou autres organes lacérés par la traversée du désert.

Mon coéquipier, s’inquiétant de l'ampleur des travaux, ne veut pas s’attarder, nous nous donnons rendez-vous au Bénin palace.

Le garagiste me réveille à huit heures du matin, je vais casser la croûte à la table qu'une mama a dressé de l'autre côté de la rue, elle a fait des choux farcis délicieux que j'accompagne de riz et de vin rouge ; cette cuisinière d’élite me décide à goûter la « sauce gombo* », je n’ai jamais pu mettre ce condiment dans mes plats, car, gluant et filandreux, il ressemble fortement à de la morve, après avoir tâté du bout des lèvres, je suis converti, c’est excellent, et, d’après  les Africains, plein de vitamines, à) l’avenir, je regarderais si les sauces y sont.

Après avoir pris un café pour pousser le tout, je suis en forme pour attaquer le morceau.

Nous discutons avec mon miraculeur d'autos de ce qu’il veut m’engourdir pour : sortir le moteur, le mettre en pièces, et quand je l'aurai retapé, le remettre en place, nous tombons d'accord sur 12.000 C.F.A ( 240 f.f), aussitôt, ses mécanos attaquent la bête, à 11 heures 30, l'intérieur de mon moteur dans un carton, je me rends en taxi chez « Niger-Soudan », la boîte de rectification pour une grande partie de tout le Nord -Ouest africain, dix minutes plus tard, je suis dans les bureaux de l’entreprise, demande à la secrétaire combien il faut de temps pour rectifier le vilebrequin, elle me dit que c’est l’affaire du tourneur ; je vais dans l'atelier où officie le personnage, il est affairé sur un gigantesque tour, j'attends qu'il relève la tête pour lui poser la question, il me répond qu'il pourra commencer quand il aura expédié les dix mètres de pièces qui sont alignées par terre, je demande si deux mille francs C.F.A dans sa fouille peuvent faire activer le mouvement, il appuie aussi sec sur un bouton de la machine qui s'arrête, sort la pièce en cours, la remplace par mon vilebrequin et se met en devoir de lui refaire une santé ; une demi-heure après, nous examinons le résultat, ce n'est pas brillant, le métal ayant été arraché sur une forte épaisseur, à la dernière cote de rectification possible, il manque encore des zones d'acier sur les manetons et tourillons. Les bagues d’axes de pistons sont complètement ovalisées, comme il n'a plus de temps à me consacrer, je les sors, en place des neuves, et les alèse assez serrées car les axes que je ne change pas ont du creux à l’endroit de portée, cela terminé je lui cigle les deux mille C.F.A promis, le remercie et retourne voir la secrétaire qui est revenue de son casse-croûte ; j’achète un jeu de segments, les coussinets de bielles dernière cote correspondant à la rectification du vilebrequin, quand je demande les joints il y a tout sauf  le joint de culasse, c'est gênant, mais avec un peu de chance, le vieux conviendra.

Taxi, je pose mes pièces au garage, ils ont du mal à croire que tout à été fait en si peu de temps, ils ne doivent pas souvent arroser le tourneur ! Je m'accorde une petite demi-heure pour casser la graine en face puis je reviens gonflé à bloc. Le soir à huit heures je repars vers Cotonou ; douze heures pour retaper un moteur, je vais pouvoir m’inscrire aux 24 heures du Mans de la 404!

Hélas, au fil des kilomètres le moteur, se remet à claquer, pourtant l'indicateur de pression d'huile n'est pas dans le rouge, à Parakou je loue un morceau de cour et redémonte mon engin, rien de visible, je ne comprends pas ! D’autant plus qu'une fois en place, il ne claque plus durant quelques temps, y aurait-il un fantôme Vaudou dans mon moulin ?

Je retrouve à Cotonou le copain de l'équipée sauvage Gao-Niamey, il n'a pas perdu son temps car il a vendu sa 404 600.000 C.F.A, il faut dire qu'elle était de toute beauté.

Mon moteur reclaque, j’ai peur de tout casser, démontage, remontage, je ne trouve toujours pas la cause de mon tracas !

Buvant un coup au Bénin palace avec deux Français, je leur parle d'un projet que je mijote depuis quelques temps, aller acheter des diamants au Ghana, ils me disent qu'ils iraient bien goûter l'herbe ghanéenne, mon coéquipier de Gao y a déjà été et y retournerait bien, çà ne me plaît pas trop car il est radin comme un pou, lorsque c’est son tour de payer une tournée, il a toujours autre chose à faire, mais je n’ai pas le cœur à le rembarrer.

Je branche un black qui touche un peu à tout, si je l’embarque gratos, il se propose de me guider chez des vendeurs de diams, ça marche.

Le bruit court qu'il faut prendre des bons d'essence à la frontière car tout est rationné au Ghana, j'achète de l'huile alimentaire et des oeufs, du sel, de la moutarde car j'ai bien l'intention de me faire une cure de langoustes qui sont, paraît-il, abondantes en bord de mer.

Quand je demande au copain où acheter les bons d'essence, il m’affirme que ce sont des racontars, O.K.

Nous partons un beau matin tous les cinq, à la frontière Togo-Ghana nous changeons des C.F.A  contre des cedis au marché noir treize fois moins cher que le cours officiel, c'est une affaire qui part sur les chapeaux de roues ! Je prends beaucoup de cédis, en planque les neuf dixièmes, ainsi que mes CFA dans le chauffage à côté de la carte grise de ma voiture française.

Au passage de la douane, on nous tamponne tous les objets, savons compris.

Aussi passé la frontière, la route est défoncée, les stations service carrément abandonnées, on se croirait dans un pays en guerre, je renifle mal le coup de l'essence, d'autant plus que, vu le cours du Cedi, je n'ai pas fais le plein à Lomé!

Quand nous arrivons à Sogakofe, quelques stations services sont ouvertes,  je m'arrête à l'une d'elles et demande le plein, le pompiste me répond « no problem, yours tickets, sir » je fais celui qui ne comprends pas bien l'Anglais (ce qui n'est pas tout à fait inexact ) et remonte dans la voiture, j’engueule copieusement mon informateur puis cogite sur la manière d’en sortir, les autres ne voyant pas de solution, je leur dis : "je vais vous montrer", ce faisant, je m'arrête à une station de taxis-brousse, vais voir le premier chauffeur venu et lui demande combien vaut l'essence, il me donne un prix très voisin de celui que j'avais vu affiché sur la pompe, je lui demande de lui en acheter, il me répond que ce n'est pas possible à cause du rationnement, je lui propose le double, il sort de son coffre un jerrican et le vide dans mon réservoir ; me retournant vers Madame Soleil, je lui dis de raquer, si c'est moi qui règle, il se retrouve à pied, (il avait changé le minimum pour ne pas trop dépenser son bon argent), je le regarde mettre son sang par terre, et nous repartons lestés d'à peu près vingt cinq litres d'essence de mieux. Nous rechargerons une autre fois de cette façon au long de la route, mais en partageant les frais.

Le soir nous nous arrêtons pour dîner ; la lumière des lucioles clignote alors qu'en Côte-d'Ivoire elles est fixe ; au cours du repas je m’engueule avec le black qui devait me présenter un vendeur de diams, il veut que je le rapproche des fournisseur sans que je les rencontre, acheter pour moi et s'en mettre une bonne pincée dans la fouille au passage, peut-être même garder les plus belles pièces, il pense qu'en faisant le forcing il m'imposera son point de vue ; un facteur qu'il n'a pas pris en compte est que mon grand-père était breton, et que j’en ai hérité d’une sacré tête de cochon, je lui rappelle ce qui était convenu : je lui offre l'aller-retour gratos pour son business, moyennant quoi, il me branche avec les mecs, (ce qui de mon point de vue est correct), mais visiblement, il est devenu gourmand, et me prend pour une pomme à l'eau, je le sèche illico en disant que ce sera comme prévu ou pas du tout, il se tire, disant qu’il va dormir chez des amis .

Après le restaurant bien arrosé, les passagers achètent de l’herbe, et se roulent des pétards comme les autochtones, c'est-à-dire énormes et sans tabac.

A côté, nous trouvons un hôtel ; à la réception, embrouille : le cerbère nous demande de payer et de donner les passeports, mes passagers, faits comme des rats étalent leurs liasses de billets en s'esclaffant grassement, moi ne fumant jamais, j'ai l'esprit un peu plus clair, je vois tout de suite la tronche du mec s'allonger, augurant mal de la suite, je récupère mon passeport et me casse dans la voiture, les laissant patauger dans leur merde, je regarde de loin évoluer la situation, ils sont décomposés car le cerbère demande les feuilles de change, et menace d'appeler la police ; finalement, le pipelet, (correct soit dit en passant) qui connaît parfaitement le cour du cedis au marché noir, multiplie le prix de la turne par treize, délivre un reçu, consternation dans les rangs!

Ils reviennent prendre leurs affaires, moi, je dors dans la bagnole.

Le lendemain, j'ai un mot sur le pare-brise m'informant que mon intronisateur en diams me laisse tomber, le billet est rédigé en un Français irréprochable avec un " quant à moi " dont le « t » m’éblouit.

Deux jumeaux que j’ai connus au Bénin palace construisent un voilier à Elmina , je me dis que, faute de guide chez les diam’s boys, ils pourront peut-être me tuyauter.

En chemin nous nous arrêtons devant un magnifique paysage, une anse que nous surplombons d'une cinquantaine de mètres, quelques anciens sont déjà là contemplant le panorama, assis sur un énorme canon 18ème, qui sert de banc depuis des générations, je n'en crois pas mes yeux, il mesure plus de trois mètres de long et doit peser 3 tonnes ; nous assistons au départ d'une gigantesque pirogue partant à la pêche, maniée par une vingtaine de baraqués ; ils la portent du sable sec au bord de l'eau sans efforts apparents ; au signal, car il y a une grosse vague à franchir, ils la poussent à la baille, sautent dedans et pagayent avec tant de conviction qu'elle fait un bond en avant sous l’impulsion parfaitement synchronisée des rames, l’embarcation enfonce chaque fois au ras de l'eau.

Dans l'après-midi, nous arrivons à Elmina, au centre de la ville, il y a une maison fétiche, d’un étage aux volets clos, dont la terrasse est extraordinairement décorée de personnages sculptés et peints montés sur des vaisseaux à voiles style 18 ème siècle, un homme à la proue regarde dans une longue vue, il est plus grand que nature, le tout haut en couleurs, on peut dire que ça en jette ! Au coin des rues, de magnifiques vieilles boîtes à lettres datant visiblement de la colonisation anglaise.

Laissant un gus dans la voiture pour la garder, je pars à la recherche des jumeaux, je n'ai pas de mal à trouver leur chantier, l’un des deux est au boulot, un énorme pétard à la bouche, ce n'est pas celui que je rencontre le plus souvent au Q.G, mais on a déjà bu quelques coups ensemble ; bonjour, présentations, il nous invite à visiter son chantier, je lui dis que l'on ne peux pas s’attarder car un copain garde la voiture à cause d’une vitre qui ne remonte pas, il me répond qu’il n’y a aucun risque de vol. Revenus à l’auto, comme je n'ai rien de très précieux dans mon sac, je tente l'expérience de le laisser en vue, nous tassons les autres valises dans le coffre arrière que je ferme à clé.

Le bateau est bien avancé, c’est un voilier, à vue de nez il jaugera une petite dizaine de tonneaux, le chantier dure depuis deux ans, il faut dire que l'herbe ghanéenne rend les siestes bien longues! Au cours du C.F.A-cedis, je suggère qu’il vaut mieux acheter un bateau, ça n’accroche pas, construire est un truc sympa, ça les regarde.

Au passage, je lui demande s'il connaît quelqu’un qui fait dans le diam', il me répond que non, je suis un peu étonné, mais s'il ne veut pas me renseigner, ce n'est pas en insistant que je lui soutirerais une information car c’est peut-être leur business ; je demande où louer une baraque pour une semaine, ça il connaît, nous retournons à la voiture, effectivement, malgré la vitre ouverte, personne n'a touché à mon sac.

Nous nous pointons à l’adresse indiquée, et, pour un prix insignifiant, louons une piaule face à la mer ; après notre installation, je demande au proprio de la turne s’il connaît un pêcheur de langoustes, il promet de m’en envoyer un. Quelques temps plus tard, celui-ci se présente, je lui demande s'il peut me fournir des langoustes cuites, de quelle taille, et à quel prix ; pour l'équivalent de trois francs français pièce (merci Mr. blackchange), il peut me fournir des langoustes d'une quarantaine de centimètres, je lui en commande dix.

Le lendemain, il est là, quelques pièces n’ont pas toutes la taille , mais je ne lui en veux pas ; je demande s'il connaît quelqu'un pouvant me vendre de l'alcool de palme, il me promet de m'envoyer le spécialiste.

Ces bonnes choses faites, je retourne voir le copain sur son chantier, blancs et noirs sont déjà à la fumette, il me dit qu'il faut absolument que j'aille voir le fort portugais qui protégeait le secteur à partir du quinzième siècle ; j'ai l'estomac dans les talons, je retourne à la cabane, me fais une mayonnaise de derrière les fagots, avec mes colocataires, nous cassons les dix langoustes ; tout cela donnant faim, nous allons chercher un petit restaurant. Pas terrible, il n'y a que du poisson, la sauce est tellement épicée que quand elle dépasse des lèvres, elle brûle la peau du visage, de plus, pour pousser le tout il n'y a que des boissons gazeuses dégueulasses à deux parfums, et épouvantablement chères.

Nous allons visiter le fort qui vaut la peine d’en monter la pente abrupte ; il est en parfait état de conservation, pour entrer il faut passer sur un petit pont-levis surplombant les douves dans lesquelles ont été jetées des pierres tombales brisées ; je descendu pour les voir de près, le granit n’a aucunement été altéré par les ans, la plupart, du 15ème siècle portent des noms portugais.

Nous pénétrons dans une petite cour, puis montons sur les remparts, les canons d'époque sont toujours là, mais pointés vers le ciel car posés moitié sur les créneaux, moitié par terre, les affûts d’origine étant pourris depuis longtemps.

Nous passons quelques jours tranquilles, tous les soirs, un petit vieux passe m'apporter ma bouteille d’un peu moins d’un litre d'alcool de palme, assis sur le tronc couché d’un cocotier, nous nous la repassons (en silence car je ne parle pas Ghanéen) jusqu’à épuisement en contemplant les somptueux couchers de soleil sur la mer,.

Me promenant sur une plage avec le procréateur de bateau, je suis étonné de la multitude d'étrons constellant le sable, il me répond que c'est le chiotte du coin, effectivement, nous parvenons à la hauteur d'un type accroupi en plein office, il nous salue de la main avec naturel, cette condition, tellement humaine ne gêne personne.

Le lendemain, sur une autre plage (peu parsemée de déjections car éloignée des habitations et que les gens viennent s’y baigner), passe un mec, une petite caisse tenue autour du cou par une lanière tel un marchand de glaces en France, mais lui, vend de l'herbe en rouleaux de papier bible de six centimètres de diamètre sur vingt de long, pour utiliser, no problèmo : vous ouvrez, faites un tas triangulaire de l’herbe sur le papier, vous roulez le tout, léchez le bord pour coller, vous vous retrouvez avec un pétard impressionnant type cône de glace en Europe, vous allumez le gros bout…….et rouler petits bolides !

Quatre jours de ce régime, je me dis qu'il faut que je me remue le popotin si je veux réaliser mon plan diams ; prenant le taureau par les cornes, je vais me balader en ville, m’arrêtant au marché, je vois un type habillé en chemise et pantalon à contrario des autres gens vêtus à l’indigène, je me dis qu'il doit parler anglais, je l'aborde sous prétexte de lui demander s'il sait où l'on peut acheter de la lessive, (denrée contingentée, rarissime, vendue sous le manteau), ce sera mon test pour embrayer sur le but de mon voyage ; il me guide dans l’arrière d’une petite boutique en bois, je l'étudie pendant qu'il traite l'affaire, il a l'air de prendre soin de mes intérêts.

La transaction faite, je lui propose d'aller boire un coup à côté pour continuer à discuter, ce que nous faisons quelques minutes devant une bouteille d'alcool de palme, puis je me dis que c'est maintenant ou jamais, je lui déballe l'affaire, pas plus étonné que ça, il me dit que je tombe bien car il a un cousin qui est mineur au nord, sur la route de Koumasi.

Il m’explique comment s'y prendre, car il faut passer deux barrages de l'armée. D’abord, laisser ma voiture près du marché, puis prendre le taxi-brousse ; j'ai décidé de lui faire confiance, alors allons-y ; je commence par aller dans un coin tranquille pour sortir tous les cedis planqués dans le chauffage avec ma carte grise Française et mes CFA, cela fait, nous allons à la station de transports en communs, montons à l'arrière d'une 404 plateau déjà bourrée, nous roulons un bon moment en brousse, de temps à autre je vois d'énormes pirogues sur le côté de la route attendant leur transfert vers la mer ; soudain, mon guide me dit que c’est le moment de passer sous le banc, il parle rapidement aux mamas qui s’écartent, et me cachent sous leurs boubous, je deviens invisible, la voiture s'arrête, petite palabre, nous repartons, mon guide me dit de ne pas bouger, deux kilomètres plus loin rebelote, puis mon coach m’avertit que je peux réapparaître, je remercie à la ronde, visiblement l'épisode a amusé tout le monde, une demi-heure après, arrêt, nous sommes les seuls à descendre, un signe de la main pour adieux, on me répond de même avec de grands sourires.

Nous allons devoir attendre dans une case dotée d’une table et de deux bancs ouverte à tous qui est un peu en retrait de la piste dans la végétation car les mineurs ne sont pas encore revenus du boulot.

Une heure passe, un car s'arrête, un type en descend, mon mentor le branche, me fait signe de les rejoindre ; le quidam sort, sans se faire prier, une petite bouteille de verre, avec un diamant baignant dans un liquide translucide ; n'en ayant jamais vu, je suis étonné par la grosseur du morceau, il fait un bon centimètre de haut, en forme de cube-losange, les faces légèrement arrondies et striées, je lui demande combien il en veut, il me donne un prix que je divise par deux pour entamer la discussion comme l'on fait en Afrique francophone ; il me fait non de la tête pas fâché, un autre bus arrive, il monte sans que j'ai eu le temps de faire une autre proposition, nous retournons dans la petite case pour attendre, car, si un véhicule de l'armée passait par là je me ferais embarquer illico pour trafic ; au bout d'un long moment, les mineurs, prévenus commencent à se pointer, je me suis assis sur un banc, la table devant moi ; chacun d’eux me propose un petit lot de diamants dans un papier plié d’une façon spécifique ; ils sont beaucoup  plus petits (+ ou - la taille d’une tête d’allumettes) que celui que j'ai vu en premier, de toutes formes, toutes couleurs, n’en ayant jamais vu auparavant, ils pourraient me refiler des éclats de pare-brise, je n'y verrais que du feu, au début je fais des contre-propositions trop basses, et les mecs repartent sans insister, pas contrariés, les Ghanéens sont vraiment cools ! Puis je prends le rythme, je baisse un peu le prix proposé, empoche le lot, et paie le vendeur en ponctionnant mon tas de billets posés sur la table.

De temps à autre me vient l'idée qu'ils pourraient me faire la peau et me dépouiller, je suis tout seul, et personne ne sait que je suis là.

La transaction s’est faite relativement vite, le dernier mineur passé, j'ai claqué une très grande partie de mes cedis.

Sur un signe, un taxi s’arrête, nous montons dedans, bizarrement, mon guide me dit que ce n’est pas la peine de se cacher pour le retour, que lorsque nous franchirons les barrages, si l’on me demande quelque chose, je déclare que je viens du nord ; ça passe comme une lettre à la poste. A Esiam, nous montons dans une vieille camionnette anglaise entièrement refaite en bois, sans vitres, absolument magnifique ; les gens me sourient. Le soir, nous sommes de retour au marché d'Elmina, je demande à mon compère combien je lui dois pour ses services, il me faut insister ; il me dit un prix, mais il ne me reste plus de quoi lui régler la totalité, je lui donne tout les cédis qui me restent, il me donne son adresse pour que je lui dise bonjour si je repasse par chez lui, c'est vraiment un brave type, j’ai été enchanté de le connaître, on se serre la main.

De retour à la piaule, je suis accueilli par un nuage de fumée d'herbe, je montre ma pêche, notre prédécesseur au Ghana me dit en avoir acheté lors de son dernier voyage, mais beaucoup plus petits que les miens, je biche comme un pou, il n'empêche que le souvenir du premier vu dans la petite bouteille, me reste en travers du gosier.

Maintenant que j'ai fait mon coup, je ne pense plus qu'à gicler, reste le problème de l'essence, j'en parle à la demie partie de la paire de jumeaux, qui m’informe : « ici, il n'y a que du mélange pour moteur hors bord à 5% d'huile deux temps », je dis que cela ira très bien ; demandant la participation de mes passagers j'en achète 40 litres puis nous reprenons la route direction Lomé.

Au moment de traverser de la frontière, mes passagers flippent car ils ont peur que le black qui était avec nous à l’aller nous ait balancé ; je les raisonne : «s'il l’a fait, il a grillé son business», peine perdue ; il fait noir et lourd, je m’arrête cent mètres avant la douane, ils partent à pied.

Une demi-heure après, je tente le drop, et passe comme une lettre à la poste, je les récupère derrière la frontière, nous dormons à Lomé où ils décident de rester, le lendemain je suis de retour à Cotonou, il faut que je redémonte mon moteur qui claque à nouveau depuis un bon moment. Je pratique l’opération dans une petite cour à côté du Bénin palace, je lui ressors les tripes, constate de nouveau que les axes de pistons n'ont pas de jeu, les bielles pas davantage, je dois être comme Gliani (maudit) !

De retour au Q.G, je trinque avec un Français trop curieux, rouquin, légèrement barbu, il traîne là sans raisons apparentes n'ayant rien à vendre, pas de boulot, enfin, c'est pas mes oignons! Devant une bière, nous discutons de mon problème, il me demande si j'ai vérifié les rampes de culbuteurs, effectivement la chose ne m'était pas venue à l'esprit, je lui avoue mon scepticisme tout en me disant que cela fait trois fois que je j’étripe ce putain de moulin sans trouver l’origine du bruit inquiétant ; à tout hasard, je vais essayer. Une fois les culbuteurs isolés, je vois que le type avait raison, les bagues en sont usées au dernier carat, ce que je n'ai pas pu voir car rampes et culbus se sortent d’un bloc ; lors des remontages précédents, je faisais les réglages, tout allait bien, puis en fonctionnant, l'ovalisation regagnait et les claquements avec.

J'achète le bout d’occase 5000 francs C.F.A au patron de la cour, pendant sa mise en place, passe un type folklo en habits chamarrés avec une large ceinture rouge dotée de crochets auxquels sont suspendus des gourdes et petits gobelets de laiton (comme on dit à l’Est), il a les yeux complètement injectés de sang, l’assistance me suggère de payer un coup, toujours curieux de spécialités autochtones, j’arrose tout le petit monde qui fait cul sec, vient mon tour, je fais de même, trichloréthylène !!!!!! Impossible d’en recracher une goutte, car j’ai tout expédié dans le fond suivant la pratique locale, le trichloréthylène n’est pas ma tasse de thé !!!!!!

Pour en revenir aux pièces détachées de 404, il est étonnant de constater que la maison Peugeot ait pu se faire supplanter aussi rapidement en Afrique par les constructeurs japonais, cette maison était enracinée depuis des décennies, les Africains connaissaient et aimaient cette mécanique simple et robuste………… ?????????????

La nouvelle rampe installée, tout redevient normal, les boules ! Enfin, je saurai qu'un joint de culasse peut être démonté et remonté plusieurs fois, sans inconvénients.

De retour au Q.G, je paie la tournée pour éponger le trichlo et remercier mon tuyauteur, puis m’occupe de larguer mon os ; le hic est que des types ont dû se faire poisser à vendre des voitures volées, car, pendant mon séjour au Ghana, est passée une directive selon laquelle toute voiture vendue doit subir une inspection  au commissariat de police qui vérifiera les numéros de  châssis, carte grise, etc...... On peut dire que cela n'arrange pas mes bidons ! Je me sens plutôt à l’étroit dans mes baskets avec la carte grise d’Ousmane !

Le lendemain matin, de bonne heure, j'informe les intermédiaires que je vends la voiture 400.000 C.F.A ce qui est peu cher pour un nouveau modèle, aussitôt ils me disent avoir un acheteur, que je la mette de côté, c’est d'accord, je reviens à 11 heures du matin. Un copain Libanais, ami de Mohamed, louant une grande maison, m'avait proposé gratos une de ses piaules libres, ce qui ne se refuse pas, je retourne chez le pote, lui dis que je vais vendre la voiture et partir directement sur le Togo ; on se dit au revoir.

Je plie mes bagages, les laisses sur place. Maintenant il s'agit de jouer fin, car la prison au Bénin, c'est pas la joie : Doudou qui a eu une embrouille peu de temps auparavant en est ressortit avec des taches blanches partout et m’a décrit l’endroit : une pièce avec une tôle ondulée sur le toit, peu haute pour que l'on ne puisse pas se tenir debout et tellement bondée que personne ne peut s'allonger, une sortie d’une demi-heure par jour pour s'abreuver et se laver en moins d’une minute car il n'y a qu'un robinet pour tout le monde. A ce moment, j’ai déjà un pied dedans.

Il faut que je joue ma partition au millimètre ! J'arrive à la terrasse du Bénin palace à midi moins dix en disant que je m'excuse, mais j'ai un client pour la voiture, consternation du client et des intermédiaires qui voient la commission leur passer sous le nez ; ils cherchent à me faire changer d'avis, j'écoute leurs arguments tout en regardant ma montre, car je me suis renseigné, le commissariat ferme à midi et demi, à midi vingt, succombant finalement à leurs raisons, je prends les billets en chipotant, leur disant que nous devons aller au commissariat ensemble, il est fermé ? Ah bon, nous irons après le repas ; je laisse les papiers et les clés de la voiture à son nouveau propriétaire.

Je demande au garçon avec ostentation de m’apporter le plat du jour dans la salle climatisée ; le client s'arrache avec son nouvel engin, les intermédiaires vont dans un coin s'écharper pour la commission, je vais aux toilettes pour me laver les mains, et déguerpis par la cour de l'hôtel qui donne sur le côté, Basile ne va pas être content, mais je n'ai pas le choix.

Aussitôt je vais prendre mes fringues, Jonquet, taxi-brousse direction Lomé ; passée la douane Togolaise, je respire (j’apprendrai lors de ma descente suivante que les intermédiaires et le client m’avaient poursuivi et que j’avais franchi la douane Togolaise sous leurs yeux) !

A Lomé, le prochain taxi pour Dapaong est une 404 plateau, j’attends tout l’après midi avant qu’il ne soit plein, et prêt à partir.

Quand tout le monde a payé son écot, le propriétaire laisse au conducteur de l’argent pour l’essence (le chauffeur part avec l’essence calculée au plus juste, et doit trouver son salaire et le montant du carburant sur les places du retour), nous montons dans l’auto, le moteur part, pas moyen de passer la première. Le patron a l’air de trouver ça normal, il dit aux passagers de descendre, au chauffeur d’enclencher la vitesse, tout le monde revient à bord, la voiture démarre ; j’augure mal des 750 kilomètres à venir.

Nous roulons toute la nuit, aux arrêts, avant de remonter dans l’auto, les gens attendent désormais que le chauffeur ait passé la première, après, tout va bien ; le problème est que le châssis de la voiture doit être cassé, la voiture surchargée, il plie, de ce fait, il est impossible de passer la première.

Après Sokodé, la route grimpe, le taxi, dont le moteur est fatigué, refuse de monter en seconde, le chauffeur se met à faire patiner l’embrayage pour avancer, ça commence à sentir le cramé, je lui dis d’arrêter, car s’il fume l’embrayage, le voyage dans ce véhicule est , il faudra en trouver un autre, et repayer la course, on n’est pas sorti de l’auberge !

Je gueule par l’ouverture permettant de parler au chauffeur, le bougre ne veut rien savoir ! y passant carrément la tête, je finis par lui éructer dans les oreilles «arrêtes, tu vas bousiller l’embrayage», il finit par consentir à stopper en pleine montée.

Tout le monde descendu, impossible de passer la vitesse, je dis au chauffeur que je vais l’aider à l’enclencher à la main par en dessous, je demande un chiffon et  me glisse sous la caisse vers les tringles de vitesses, à deux, nous parvenons à l’engager ; par hasard, mes yeux se posent sur l’arbre de transmission, la canalisation de freins qui court sur sa longueur a été coupée, il devait y avoir une fuite de liquide aux freins arrières, pour résoudre le problème, un petit malin a sectionné et replié le tuyau pour qu’il n’y ait plus de fuite ; 22 personnes et une demie tonne de fret ne sont arrêtées que par les freins avants.

Tout ce petit monde remonte dans la voiture, et nous parvenons à Dapaong sans plus d’incident.

Changement de taxi à Koupéla, puis Ouagadougou, je vais direct chez « Point-Air » prendre mon billet, en sortant, je retrouve un mec vu au  Bénin palace, un peu spécial, Français, maigre, grand front dégarni, des idées délirantes, mais pas méchant, il garde l’appartement d’un compatriote, si je veux dormir chez lui, il y a un lit pour moi dans la piaule, je dis banco, nous passons le reste de la soirée à manger et boire de la bière, puis nous allons dormir.

Nos deux lits se font face, vers trois heures du matin, je suis réveillé par un cri, suivi d’un rire démoniaque, le type est assis dans son pieu, et pousse des hurlements qui me font dresser les cheveux sur la tête (à l’époque, j’en avais), j’ai le cœur en vrac ! J’allume ma lampe électrique, il a les yeux révulsés, c’est affreux ! Puis, il retombe en arrière d’un bloc, la crise est finie, j’ai un peu de mal à rendormir (ne pas retoucher).

Le lendemain matin, nous allons prendre le petit déjeuner dans une gargote, je lui demande s’il a bien dormi, il me regarde d’un air étonné, « oui, pourquoi ? » Je ne lui dis rien, après tout, ça n’a pas l’air de le déranger, autant ne pas l’inquiéter.

L’avion est à l’heure, Lyon.....

 

 

_FIN_

 

     

 

 

C’était une époque sympa, je pouvais partir tranquille avec 2000 francs, aller de France au Bénin avec seulement mon passeport, pas besoin de visas, dans des voitures coûtant trois francs six sous, je rencontrais des gens sympas, nos cuites étaient bercées par Bob Marley et consort (comme on dit en Afrique), des fois, ça coinçait un peu, mais en général, l’affaire s’arrangeait.

Je referai d’autres voyages avec des Berliet, puis une 504, mais ces histoires sont moins drôles, une autre fois peut-être…     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

_Glossaire_ 

 

 

Abomey : Fut la capitale du Dahomey, dernier roi : Béhanzin

Agouti : Mammifère rongeur de la taille d’un lièvre et haut sur pattes

Atlantide : Hôtel le plus classe de Gao, le seul qui ait l’électricité.

Banko : Briques de limon du fleuve mélangé à de la paille, des copeaux de bois ou n'importe quel végétal, du limon encore en guise de ciment et vous avez une maison fraîche et relativement solide dont la terrasse-toit est faite de troncs de palmiers fendus.

Béhanzin : 1844-1906, dernier roi du Dahomey, fils de Gléglé.

Bisse* (prononciation africaine pour biche, (antilope)).

Canaris : grosses poteries poreuses mi-enterrées, la porosité du matériau permet une évaporation qui tient l’eau contenue fraîche.

1978, C.F.A : 100 francs C.F.A = 2 francs Français = 0,304898 €uros

Cora : Instrument de musique doté les multiples cordes, et dont la caisse de résonance est une calebasse.

Cramcrams : Sortes de boulettes végétales munies de crochets et de piquants.

El adj : Notable musulman supposé avoir fait le voyage à la Mecque (pluriel al Hadji)

Fech-fech : Sable pulvérulent.

Francs 1978 : 100 francs maliens =  1 franc français ; 50 francs CFA= 1 franc français 

Gombo : Fruit d’une plante des régions tropicales ressemblant à un cornichon anguleux, condiment.

Guerba : Peau de chèvre servant d’outre, on vide la viande et les os par le cou et les pattes, puis, on traite la peau avec des herbes, la peau restant légèrement perméable, l’évaporation fait que l’eau reste fraîche.

Hadj (hadji au pluriel) : Sage ou notable musulman, initialement, un hadj est une personne qui s’est rendue en pèlerinage à la Mecque.

Igname : Plante ressemblant à une grosse betterave à vache, à chair blanche, se cuisine comme la pomme de terre.

Latérite : Matériau ocre rouge régulièrement utilisé pour ses propriétés mécaniques à la confection de pistes.  

Mama-Benz : Appelées ainsi par les africains parce que grandes, riches, solides, très enveloppées, d’où le parallèle avec Mercedes-Benz ( ce sont des businesswomen averties).  

Marcouba : « herbe à moutons », 6 à 7 kms de sable mou.

Naira : monnaie du Nigéria

Pierre de touche : Pierre de jaspe noir  servant à tester les métaux de bijouterie au « touchau », on frotte le métal pour laisser une trace, ensuite on le teste aux acides différemment dosés comme l’eau régale (1/3 nitrique, 2/3 chlorhydrique).

6X6 : Les voitures ou camions ayant plus de 2 roues motrices sont indiquées par le nombre de roues total suivi de « X », puis du nombre de roues motrices, ex : 6X4=2 roues libres+4 roues motrices, dans le cas qui nous occupe, les 6 roues sont motrices.

Takoubas : Epées tamashek plates à bout rond très tranchantes.

Tamashek : Touareg Malien.

 

 

 


 

Table des matières

 

Premier chapitre  …………………………………………………………………………          1

Deuxième chapitre   …………………………………………………………………………    14

Troisième chapitre   …………………………………………………………………………    21

Quatrième chapitre   …………………………………………………………………………    24

Cinquième chapitre   …………………………………………………………………………   29

Sixième chapitre   ……………………………………………………………………………    35

Septième chapitre…………………………………………………………………………         38

Huitième  chapitre   ……………………………………………………………………… …    41

Neuvième chapitre   …………………………………………………………………… ……   46

Dixième chapitre   ……………………………………………………………………… ……   51

Onzième chapitre   ………………………………………………………………………… …  56

Douzième chapitre   …………………………………………………………………………    60

Treizième chapitre   ……………………………………………………………………… …   63

Quatorzième chapitre   ………………………………………………………………………   67

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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