Dépôt au SNAC n° 3-5077 du
10/10/2003
Dépôt à la SGDL n° 2004.10.0053 du
06/01/2004
YOVO, YOVO,
BONSOIR……
de
Verna
Christophe
verna@free.fr
Automne 1978, les surplus américains se
vendaient plutôt mal sur les marchés du Périgord près de Bergerac, faire le
caniche derrière les placiers et les arroser pour mendier une place merdique
commençait à me raser au plus haut point.
Ces deux facteurs, ainsi que l'hiver
pointant le bout de son nez gelé m'ont fait prêter une oreille attentive aux
propos de mon copain Doudou qui avait ramé tout l’été pour vendre ses
« véritables » souvenirs africains.
Il repart bientôt au Sénégal par la route,
en passant par la Mauritanie dans une 404 Peugeot d'une dizaine d'années ;
achetée 1000 francs Français, il la revendra, une fois arrivé, entre 600.000 et
700.000.francs C.F.A*, soit 12.000 à 14.000 FF après 10 à 15 jours de
voyage.
Dans ma tête le calcul est vite fait, je
me dis que ça rapporterait plus que les marchés, avec l'avantage de voir du
pays, d'être au chaud et de ne plus supporter les gueules d'empeignes citées
plus haut.
Il garde mon ban pendant que je vais
acheter une carte de l'Afrique du nord-ouest ; l'ayant dépliée, je lui demande
de me situer la route par où passer, je me rends compte qu’il ne sait pas lire
une carte.
Cette lacune palliée par une excellente
mémoire, je me fais expliquer le chemin, les noms des villes traversées, où
traverser la Méditerranée, enfin, tous les renseignements que je peux lui
soutirer, j'apprends ainsi que les voitures les plus cotées sont des Peugeot 404
plateau ou familiales à essence et carburateurs, ces modèles rustiques et
solides permettant de faire des taxis-brousse (premier mot africain appris en ce
frileux matin d'automne).
Dans le quart d’heure suivant, c'est
décidé, nous convenons qu'une fois mon matériel de marché vendu, je me pointerai
le voir à Saint-Louis du Sénégal avec un véhicule automobile sorti des chaînes
de la maison Peugeot, lui, se chargeant de me le vendre moyennant une
commission.
Sur ce marché, un type sympa vendait un
peu de tout, je lui propose d'acheter mon stock, il passe l'après-midi même le
voir et me fait une proposition d’autant plus honnête qu’il paie tout en
liquide!
Je demande à une amie dont le frère est
garagistes’il peut me trouver une 404 entre 1000 et
2000 francs en très bon état car la traversée de la Mauritanie comporte une bonne partie
de désert.
Le lendemain, elle me dit que j'ai de la
chance, il est disposé à me vendre sa propre 404 familiale 3000 FF, c'est cher, mais le type me
certifie qu'il s'en sert tous les jours et qu'elle fonctionne parfaitement, je
la prends, même si c'est le double de ce que je comptais
mettre.
Préparer les quelques outils dont je
disposais, glaner cinq fûts vides de trente litres chacun ; embarquer des
affaires dans la voiture, celles que je laisse hors de portée des visites
nocturnes, (car j'habite une petite maison isolée), ne me prit qu’une
journée.
Salut aux amis, dont l’un me demande
d’aller saluer son frère à Abidjan, je prends l'adresse pour lui faire plaisir
tout en me disant que j'en serais éloigné au bas mot de 1500 kilomètres, puis,
par un bel après-midi, je fais monter mon chien Athos (gros bâtard de griffon au
poil noir et dru de 35 kilos tout sec) dans la voiture, direction le
Sénégal.
Aux environs de St-Jean-de-Luz, dans un virage, le voyant d'huile s'allume,
pourtant je suis sûr d'en avoir fait le niveau avant de partir ! Après m'être
arrêté, je tire la jauge, il manque pratiquement un litre d'huile après
seulement 200 bornes, cet enfoiré de garagiste m'a refilé une belle voiture avec
le moteur lavé! Que je sois l'ami de sa sœur et l'aie achetée pour partir en
Afrique sans en marchander le prix ne l’a pas gêné, quel chien
!!!
De toutes façons, c'est parti, je continue
en me disant que le budget huile qui n'était pas prévu au programme ne va pas
m'arranger.
Dans un supermarché j'achète 5 litres
d'huile la plus épaisse possible, quelques boîtes de pâté, du saucisson ; pour
casser la croûte, la charcutaille c'est ce qu'il y a de mieux, et dans les pays
musulmans je pense avoir du mal à en trouver.
En bas de l’Espagne, traversée de la
Méditerranée par Algeciras-Ceuta; cette dernière ville
étant une enclave Espagnole en territoire Marocain, l'essence et l'alcool y sont
détaxés, je fais le plein de mes bidons d'essence, d'huile moteur et prends une
bouteille de whisky.
A la sortie de la ville, passage de la
frontière espagnole fluide, celle du Maroc par contre est encombrée de voitures
surchargées, notamment de gros électroménager, je vais à pied chercher une fiche
sur laquelle on doit noter le numéro de passeport, de voiture etc......
Je retourne à mon auto, remplis le
formulaire tout en avançant petit à petit ; arrivé devant le poste,
j’apporte cette fiche et mes papiers, le policier appose un tampon figurant une
voiture sur une page prise au hasard de mon passeport, cette pratique est
courante dans beaucoup de pays africains, avec une prédilection pour les
dernières pages dans les pays arabes. Le tampon avec la petite voiture
m'obligera à sortir du territoire avec mon véhicule.
Les douaniers ne fouillent pas l’auto, me
demandent ce que j'ai dans mes bidons, que je passe avec 150 litres d'essence
sur la galerie ne pose pas de problème, me
voilà au Maroc!
Aussitôt, je prends la route direction le
Sénégal ; Rabat, Casablanca, il y a des barrages de police régulièrement espacés
avec herses commacks. !.
Le long de la côte, les pêcheurs lèvent à
bout de bras de magnifiques poissons pour les vendre, apparemment, ce sont des
dorades et bars. Les chèvres montent dans les arbres, jusqu’au bout des plus
petites branches pour en manger les feuilles.
Après Agadir, la route devient moins
large, un camion à ridelles bourré de types en goguette et roulant à tombeau
ouvert déboule au milieu d'un haut de côte, je suis obligé de me balancer sur le bas-côté pour ne pas le prendre
en pleine tronche!
Des gens font du stop, je finis par
prendre un jeune garçon en pleine pampa, nous faisons une cinquantaine de
bornes, il me dit habiter une petite oasis et me demande de le déposer chez lui,
il m'invite à manger, la journée finissant, je me dis que ce n'est pas une
mauvaise idée.
L'oasis en question n'est pas exactement à
côté de la route, le chemin qui y conduit n'est pas des meilleurs, mais pour la
voiture c'est une petite mise en train.
Après 2 où 3 kilomètres d’une voie poussiéreuse, nous
arrivons dans un paradis de verdure et de palmiers parfaitement irrigué par de
petits canaux entrecroisés, le gamin me présente ses trois grands frères et
cousins qui, après avoir un peu tourné autour du pot, me demandent si j’ai de
l'alcool, je sors ma bouteille de whisky et nous prenons l'apéro sous les
dattiers, puis il veulent absolument m'amener voir un vieux berger qui a de
vieux bijoux à vendre, j'ai beau leur dire que je n'en ai pas besoin, devant
leur insistance, je les accompagne en râlant un peu.
Nous marchons un ou deux kilomètres dans
la campagne aride, et arrivons à une petite cabane très basse, dans un enclos de
branches d’épineux où se trouve un troupeau de chèvres et moutons, sans franchir
la barrière, mes guides tapent dans leurs mains pour appeler le maître de
céans.
Apparaît un vieux bonhomme en burnous,
canne à la main, il nous invite à entrer dans sa cahute, on s'assoit sur des
tapis, il y a un petit poêle en terre à charbon de bois sur lequel il nous
prépare un excellent thé à la menthe tout en posant des tas de questions par le
truchement des amis ; quand il demande combien j'ai mis de temps pour venir
de France, je lui réponds trois jours, il dit quelques mots comme se parlant à
lui-même, je demande la traduction, il m'est répondu qu'il pensait que la France
était beaucoup plus loin, l'interprète me disant au passage que le "vieux"
calcule en jours de marche à chameau, je ne dis rien, tout en pensant que l'un
d’eux me prend pour un gland.
Le soir tombe tandis que nous discutons en
buvant le thé, mes hôtes commencent à s'impatienter, ils disent quelques mots au
bonhomme, il sort d’un petit sac quelques bracelets, colliers, bagues,
apparemment anciens ; bien que pas très chaud, j'entame la discussion pour
lui faire plaisir tout en disant que nous ne pourrons que troquer car la route
est encore longue et que j'ai besoin de tout mon argent liquide, cela lui
convient, je choisis quelques pièces que je trouve sympas et qui s'avèreront
plus tard être anciennes et en argent massif.
Nous repartons vers l'oasis, arrivés à la
voiture, nouvelles palabres, il choisit parmi mes vêtements ce qui lui va et lui
plaît : une paire de chaussures, un ou deux tricots, une veste, deux où
trois chemises et le vieux berger est content, je pense que tout s'est bien
passé, il n'a pas été gourmand, moi pas chien ; Nous nous serrons la main pour sceller le marché, je donne une
chemise à chacun de mes hôtes car ils en ont visiblement envie, puis nous allons
tous dans une grande salle au sol couvert d’épais tapis, nous nous asseyons par
terre, on nous amène un grand plat d'un très bon
couscous.
L'ayant goûté, je demande quelle est la
viande succulente qui l’accompagne, c'est du jeune
chameau.
Après ces agapes, le pasteur retourne à
son enclos après m'avoir longuement souhaité un bon voyage ; vraiment
gentil le petit père !
Dès qu’il est parti, la bouteille de
whisky refait surface, nous nous remettons à la faire souffrir ; après lui
avoir fait un définitif mauvais sort, les amis m’invitent à dormir, ils sortent
des couvertures en poils de chameaux, raides et rugueuses, mais très
chaudes.
Tout le monde se couche sur des bas-flancs-sièges faisant le tour de la pièce, deux minutes
après, je dors comme un loir.
Le lendemain matin, réveil à l'aube, j'ai
la tronche un peu enfarinée et la lumière est dure à supporter, mais, une fois
la porte ouverte, la fraîcheur matinale, le chuchotement de l’eau circulant dans
les petits canaux d'irrigation ainsi que les piaillements de milliers d'oiseaux
ont tôt fait de me dépoisser la
menteuse.
Nous nous
promenons un peu dans l’oasis, puis on m'invite à partager le petit
déjeuner.
Nous retournons à la salle commune, plions
les couvertures que nous remisons dans les bas flancs dont le dessus sert de
couvercle ; pendant ce temps, quelqu'un charge la table basse de notre petit
déjeuner, c'est du sérieux ! Thé, dattes, miel, pain trempé dans une huile
d'olive très forte et très verte (tous ces produits cultivés et transformés sur
place), les amis se font un vrai festin, pour ma part, ça a du mal à passer,
alternant l’huile d’olive et le miel avec le thé, j'arrive tout de même à me
sustenter suffisamment pour pouvoir envisager de poursuivre mon
voyage.
Au moment de partir, la voiture se fait
tirer l'oreille pour démarrer, les bougies doivent commencer à être encrassées ;
l’un de mes hôtes me dit de ne pas insister, me demande un tournevis, défait la
durit d'air du carburateur, dit de faire tourner le démarreur tout en bouchant
l'arrivée d'air avec sa main, après quelques tours, il l'enlève d'un seul coup,
le moteur démarre comme un grand ! Je remercie et salue tout le
monde.
La route est de moins en moins empruntée,
je reste souvent sans croiser une voiture durant des dizaines de kilomètres, je
m'arrête dans les petits villages pour manger des plats sentant bon le
coriandre, essentiellement des ragoûts de mouton aux lentilles ou haricots ; Le
matin, du café au lait avec des petits pains ressemblant à nos pains au lait et
la route continue à défiler; voulant faire de l’essence, impossible d'ouvrir les
fûts, le carburant a apparemment soudé les robinets de plastique rapportés sur
le métal du bidon ; armé d'un fort couteau et d'une godasse, je pratique
une ouverture dans le haut d'un tonneau en faisant une prière pour qu'il n'y ait
pas d'étincelle ; l'opération se passe bien, en siphonnant, je régale mon
réservoir .
Les barrages se font de plus en plus
fréquents, toujours avec des herses repliables armées de pics acérés en travers
de la route. A Goulimine, je me retrouve dans une
ville en pleine effervescence : automitrailleuses, chars, camions bourrés
de soldats visiblement sur le pied de guerre, des véhicules blindés explosés,
rapatriés sur le côté de la route ; je ne m'attarde pas, à la sortie de la
ville, re-barrage, mais là, gros problème, les bidasses ne veulent pas me
laisser passer, les africains se rendant dans leur pays le peuvent à condition
d'être en convois, et encadrés de véhicules blindés ; en France, j'avais
bien entendu parler de divergences de point de vue avec le front Polisario, sur
le terrain c'est autre chose!
Je demande quand part le prochain convoi,
il m'est répondu que de toutes façons les Européens n'ont pas le droit de passer
; cela me paraissant extravagant, je demande à parler au chef de poste qui me
confirme l’information ; j'ai beau insister, je me rends compte que les
ordres viennent de beaucoup plus haut, les types obéissent aux consignes, et vu
le contexte de tension dans le coin, une dérogation ne peut pas venir du chef de
poste ; je reviens en ville, vais au quartier général, demande à parler au
big chef, il est occupé, mais à son secrétariat on me
dit que les ordres viennent directement de Rabat, et que l'autorisation ne peut
être obtenue que là ; j'insiste,
faisant comprendre que c'est un aller-retour de 1500 kilomètres, le type
est désolé, mais visiblement, ce sauf-conduit ne peut être délivré qu'à la
capitale ; le moral à zéro, je reprends la route dans l'autre
sens.
Rabat, je commence les démarches pour me
procurer le précieux document dans des bureaux qui me renvoient de l'un à
l'autre.
Je me pointe au consulat de France
pour être éclairé de ce qu'il en est exactement de la situation puisque je ne
peux obtenir aucun renseignement de la part des bureaucrates
marocains.
Si vous n'aviez besoin de rien, il fallait
aller directement au consulat de France vous étiez vite servis (je ne sais pas
si cela a changé) ; pas la peine d'y aller, vous dérangiez ces messieurs-dames qui ne connaissent rien de ce cas de figure
et n'ont absolument pas l'intention de s'en inquiéter.
Toutes ces démarches me prennent plus
d’une semaine, je dors dans la voiture près d’une plage qui, dès 17 heures est
complètement déserte ; je me fais des copains, des jeunes Marocains, puis un
Français d'une cinquantaine d'années qui vient le matin s'y entraîner au lancer
de boomerang, la solitude se fait moins sentir ; chaque jour à la fraîche, (car
au fil du temps, l'air se fait de plus en plus froid le soir et le matin) il
m’initie à son hobby.
Ma réserve de papier-cul est finie, dans les cafés, les chiottes sont
souvent très sales, ce sont des waters à la turque, à portée de main lorsqu’on
est accroupi, il y a un robinet prolongé d’un tuyau dont l’usage est évident, il
sert à se laver le cul. Je me dis que les gens du coin pratiquent de cette
manière depuis des temps immémoriaux et n’ont pas l’air de s’en porter plus mal,
il faut s’y mettre ! Comme dit l’autre, c’est le premier coup qui compte,
c’est un peu dur, mais quand c’est fini, je trouve que ce système est bien plus
efficace que le pécul, on a le derrière parfaitement
propre.
Le midi, les bureaux étant fermés, je me
promène sur les bords de mer, voyant des pêcheurs sur une jetée, je sors mon
matériel de pêche et essaie sans résultat de prendre quelque bestiole dotée de
nageoires ; cet exercice me permet de me faire un autre copain, un vieux
Français, pêcheur acharné, il est là tous les jours, mais lui, il sort
régulièrement d'assez belles pièces,
appâtant avec ce qu'il appelle des « patates » ; je ne
sais si cette chose à peu près ronde et abominablement puante quand on l'ouvre
est d'origine animale ou végétale, en tout cas morte, grosse comme un poing
d'homme, échouée sur la plage et faisandant depuis longtemps au soleil ; quand
nous les ouvrons, il en sort un peu de matière solide au milieu d'un jus
nauséabond ; accroché à l'hameçon, cela constitue le secret d’un appât de
premier ordre qui lui permet de faire ses pêches
admirables.
Tous les jours, nous nous retrouvons sur
la jetée, peu de temps après, il m'invite à manger chez lui, il est marié à une
Marocaine d'une quarantaine d'années (lui la soixante dizaine), très gentille,
nous mangeons un excellent ragoût de mouton accompagné de vin rouge Marocain le
« Chaud Soleil » que j'avais acheté dans une épicerie à côté de chez
eux. Le vin, bien que vendu avec autorisation, n’est délivré par le marchand
qu'avec réticence, entouré d’un sac de papier.
Sûrement après en avoir délibéré avec sa
femme, il m’invite à dormir, j’accepte.
Les jours passant, il devient évident que
je n'aurai jamais l'autorisation de passer par la Mauritanie ; avisant ma carte,
je trouve deux routes possibles pour le Sénégal, l’une passe par l’Algérie et le
Sahara, il faut traverser le Tanezrouft « Pays de la soif », puis Gao,
au Mali ; l’autre, beaucoup plus longue, passe par Tamanrasset, puis le
Niger, j’opte pour Gao, après, on verra…….
J'écris à ma mère pour lui taper 1500
Francs, qu’elle m’envoie en urgence, quelques jours plus tard, je reçois son
mandat ; le seul problème est que l'on me le paie en dirhams, pour voyager
en Algérie, on ne peut pas dire que ce soit ce qu'il y a de mieux !
Mon copain au boomerang se propose de
demander autour de lui afin de les changer, mais, parlant de mon affaire à mes
potes marocains, ils me disent que dans le souk il y a des marchands qui sont
payés en francs français dont ils voudraient bien se débarrasser ; nous
nous y rendons illico, dix minutes plus tard, je me retrouve avec la somme
équivalente à celle envoyée par ma mère, « tête-à-tête » comme ils
disent, c'est à dire dix dirhams pour dix francs , zéro % de perte au change,
c’est raisonnable.
Je repasse au consulat français pour
demander les vaccins obligatoires pour entrer en Algérie, une espèce de grosse
vache me répond avec un accent pied-noir à couper au couteau « j'en sais
rien moi ! Je ne suis pas le gouvernement algérien », après lui avoir
dit ma façon de penser (grossièrement, je le crains) je m'en vais en claquant la
porte.
Le lendemain matin, je vais à la plage
dire au revoir à mon ami au boomerang.
Puis je retourne chez mon copain pêcheur
charger mes bagages, les jeunes marocains sont là pour me dire au revoir.
Il me revient que lorsque je dormais
encore dans la voiture, un soir, l'un d'eux, bien que de famille pauvre m'avait
porté un bol de bonne soupe de légumes bien chaude, il habitait à côté de la
plage où je garais ma voiture pour dormir, mais il lui fallut bien faire cinq
cents mètres à pied pour venir.
Je promets d’écrire pour leur donner de
mes nouvelles, mon hôte et sa femme sont inquiets de me voir partir pour
l’Algérie.
En les voyant disparaître dans le
rétroviseur, j'en ai gros sur la patate!
Pas de problème particulier sur la route,
ni à la sortie du territoire Marocain, par contre, la douane Algérienne, pardon
! Ambiance super sèche !!
Déclaration de devises, fouille en règle
du véhicule, à côté de la bonhomie de la douane marocaine, rien à voir !
Après les contrôles, je me retrouve muni
d'un carnet de devises énumérant non seulement les espèces, mais tout ce qui
peut se vendre ou s'échanger, atmosphère de suspicion déprimante.
Enfin passé, je taille la route par Tlemcen,
il y fait un froid de canard ; les gens sont sympas, dans de petits
restaurants au long du trajet, on me demande régulièrement si j'ai quelque chose
à vendre ; apparemment il leur manque de tout et je commence à comprendre
l’intérêt du carnet de devises, je regrette un peu ma bouteille de whisky, pas
d’alcool ni de vin dans les épiceries, la bouteille d'anisette ou de whisky
s'achète minimum 300 dinars au black, le litre d'essence est à 0,65 dinars, ce
qui fait qu'une bouteille de whisky achetée 12 francs en zone dédouanée (65
francs en France) permet, après une vente rapide et facile, d'acheter près de
500 litres d'essence !
Après Tlemcen, El Aricha, Aïn-Sefra, Beni-Ounif, Béchar, Taghit, à contrario du Maroc, aucun barrage sur les routes,
Beni-Abbès, le paysage est de plus en plus
désertique.
A Kerzaz je
discute avec le fils du patron d'un petit restaurant, il veut tout acheter et
tout vendre ; n’ayant plus de bidons (j’ai dû tous les éventrer pour en
sortir l’essence), je lui dis que je dois traverser le Sahara et qu'il me faut
un gros baril pour quintupler mon autonomie de carburant, il a çà en stock.
Après avoir mangé, il m'emmène dans une remise où se trouve l'objet, c'est
exactement ce qu'il me faut bien qu’à l’horizontale il contienne moins de 200
litres, nous faisons affaire, avec le plein du réservoir avant de partir, ça
devrait suffire pour traverser le Sahara!
Depuis Beni-Abbès, entre les villes, plus de maisons, la route est
par moment encadrée de dunes dont certaines très hautes, menaçant de submerger
la route, des bandes de sable traversent la chaussée ; heureusement que je
ne roule pas trop vite quand je passe sur le premier de ces bancs car le sable
sur le goudron est presque aussi dur que ce dernier.
La réverbération du soleil très cru dans
le ciel sans nuages, la chaleur, les routes tirées au cordeau sur des dizaines
de kilomètres portent à faire la sieste en conduisant ; j’ai tendance à
avoir des pertes d’attention de plus en plus longues et répétées ; je trouve une
combine qui me sauvera plusieurs fois la mise aussi bien en Afrique qu'en
France : Ayant remarqué que quand on somnole le bras se relâche, la main
tenant le volant descend et l’entraîne de côté, carton immédiat ! Mais si
l'on tient le volant d’une main par le bas, cela permet de relâcher son
attention plusieurs secondes, la
voiture continue tout droit ; les chaussées rectilignes étant plus courantes que
les virages, ça fait la différence.
Cela dit, quand j'aurai fait plusieurs
fois la route, dès que je me sentirai l’œil vague, je m'arrêterai, les
kilomètres que l'on gagne en souffrant à rester en éveil peuvent être faits plus
tard, décontracté, après une sieste.
Siestes que je pris l'habitude dès le
début de faire pas trop loin de la route, portières verrouillées, vitres
entrouvertes, la première engagée, starter tiré, clé sur le contact, ce qui
permet un démarrage foudroyant au simple coup de démarreur en cas de problème
(précaution qui, heureusement, ne me servit jamais).
Roupillant à moitié, je crois avoir cassé
la voiture : un fossé coupe le
goudron à angle droit! Heureusement, je roulais assez vite, je pense que sinon
le train avant y restait!
Adrar, dernier poste de ravitaillement, je
parcours les rues sablonneuses, les maisons ne comportent qu'un étage avec
terrasse, peu de fenêtres, des sortes d'arcades sous les bâtiments protégeant
les entrées des maisons ou magasins du soleil, il faut dire qu'à Adrar celui-ci
cogne dur !
Les voitures ont les phares sont enduits
de graisse, c’est une protection obligatoire, sinon, ils deviendraient opaques,
dépolis par les vents de sable qui sont également responsables des bas de
caisses dont le métal est souvent à nu et brillant.
Dans une rue, je vois un type s’arrêter,
s’asseoir sur les talons, genoux écartés, visiblement, il se met à pisser ;
je reverrais souvent le système se répéter, une fois l’affaire terminée, en
général, ils prennent une poignée de sable et se sèchent vigoureusement le
pommeau avec.
Je cherche un magasin de bouffe, tous sont
de petites échoppes, un panneau précisant la spécialité de la boutique ;
écrit en arabe, ils ne me renseignent pas beaucoup !
Un passant m'indique une boutique vendant
un peu de tout, mais question
ravitaillement, à part les boîtes de sardines et légumes, il n'y a pas
grand-chose, j'en prends quelques-unes, puis cherche où casser la croûte et me
renseigner sur les autres possibilités d’approvisionnement. Je trouve un
restaurant où je mange l'habituelle soupe épicée et un ragoût de mouton ;
les clients partis, je m’informe auprès du patron devant un café ; petit homme
maigre, intelligent et sympathique, il se nomme Ramdann, me confirme qu’à part les achats déjà effectués, je
ne trouverai pratiquement rien d’autre à embarquer pour manger le long de la
piste vers Gao.
Le lendemain matin, je croise un groupe de
cinq Belges dans trois 404, ils font le voyage moitié pour le plaisir, moitié
pour le business, l’un d’eux,
Philippe, en ayant déjà vendu deux au Mali, en a récemment fait son
métier.
Il me propose de faire le descente avec
eux, ils ont assez de provisions pour une bouche supplémentaire ; ça les
arrange, car il faut former un convoi pour avoir l'autorisation de traverser le
Sahara, et quatre voitures c'est le minimum ; je ne me fais pas prier, tout le
monde y gagne, car sinon, on peut attendre plusieurs jours le nombre de voitures
requises.
Je leur dis que j'ai déjà une provision de
boîtes de légumes et sardines à partager, ils tordent le nez ; Philippe me
demande d'acheter des tomates séchées, (à cuire avec les nouilles, çà revient
très bien), des légumes frais et du pain. Je me rends au marché acheter de quoi
améliorer la croque.
Le soir, on se retrouve chez Ramdann, Philippe m'explique les grandes lignes de la
traversée, le repas terminé, nous nous écartons du centre et dormons dans nos
voitures.
Le lendemain matin, nous nous retrouvons
au petit déjeuner chez mon restaurateur préféré où nous nous approvisionnons en
eau ; après lui avoir dit au revoir, nous allons faire les pleins
d'essence.
Arrivé à la station, je choisis la pompe à
gros débit, c'est un pistolet à essence trois fois plus gros que d'ordinaire, le
pompiste me dit en rigolant de bien tenir l'appareil ; faisant attention,
j'appuie sur la gâchette, heureusement qu'il m'avait prévenu ! Un énorme jet sort de l'instrument, provoquant un
important recul, c'est impressionnant de voir l'essence sortir à une telle
vitesse ; en deux coups de cuillère à pot, mon fut est plein, je m'aperçois
alors que ça coule gaillardement dans la voiture : aux nervures du baril,
j'ai une grosse et une petite fuite, qui plus est, opposées l’une à l’autre!Je
vais en vitesse régler le gars de la station et pars presto aveugler les
entailles ; en frottant avec du savon j'arrive à colmater la petite, pour
la grosse, c'est un autre problème : Je tourne le tonneau fuite vers le
haut, puis, insérant en force de petits bouts de bois biseautés, j'obstrue du mieux que je peux la grosse fente, le
bois gonflant en s'imbibant d’essence, il y a du mieux, après avoir arasé la
réparation, je termine le boulot au savon.
Je replace mon fût, le gros bouchon en
haut, sans le serrer, pour ne pas provoquer de pression ; la fuite se
réduit à un goutte à goutte, l'essence Algérienne ayant une odeur agréable (d’où
le nom peut-être ?) ; le Sahara étant un espace dans lequel on ne
roule pas les fenêtres fermées, ça ira très bien ainsi.
Je retourne faire mon complément d'essence
et nous partons.
Après avoir vérifié que nous avons encore tout ce qui a été déclaré à l’entrée du
territoire, la douane nous reprend les carnets de devises et nous gratifie d’un
passavant valable pour faire Adrar/Bordj-Moktar,
sortie du territoire.
Route goudronnée jusqu'à Reggane, refouille, plus pour occuper l'ennui, qu'autre
chose, puis on nous lâche.
Aussitôt, c’est le sable mou, le cul des
voitures chargées d'essence frotte, il faut faire attention aux cailloux noyés dans le sable qui
pointent le nez, chaque impact marque le dessous de la voiture, abîme les
carters moteur, arrache les échappements, casse les ponts arrières, crève les
réservoirs, (toutes ces calamités font les choux gras des petits garagistes de
Gao et Niamey).
Après plusieurs dizaines de kilomètres, la
piste (avec pour repères tous les cinq où six kilomètres, des fûts de 200 litres
éventrés afin qu’ils ne soient pas volés,) devient un peu plus consistante, le
sol plus ferme, forme des plaques d’ondulations successives plus ou moins
régulières appelées « tôle ondulée », dans ces passages, tant que la
voiture n’a pas acquis une vitesse suffisante pour ne toucher que le crêtes des
ondes vibre épouvantablement. Les carcasses de bestiaux desséchées que nous
verrons tout le long de la piste commencent à
apparaître.
Philippe m’indique un truc auquel je
n’avais pas pensé, quand l’aiguille de température d’eau entre dans la zone
rouge, il faut mettre le chauffage à fond pour dissiper des calories, et ainsi le radiateur, bonjour le
sauna !
Paysage de sable plat à l'infini ; le
soir, nous nous arrêtons, dînons en regardant le soleil se coucher, il plonge
derrière l'horizon à une vitesse étonnante, le froid descend
aussitôt.
Après avoir discuté de la journée à venir,
nous nous couchons.
Le lendemain matin, casse-croûte, niveaux
d'huile et d’eau, départ.
A 600 bornes d’Adrar, Bordj-Moktar, sortie du territoire Algérien, un panneau
peint à la main figurant une vieille chambre photographique barrée d’une croix
est assez explicite, paperasserie tranquille.
La route est bonne pendant une soixantaine
de kilomètres, je vois même de petits brins d'herbe jaunâtre qui poussent quand
le terrain est un peu creux, puis on commence à rouler dans la caillasse, plus
nous gagnons en altitude, plus ça s'aggrave!
La piste est maintenant taillée dans un
paysage lunaire de roche dentelée gris foncé pointant de biais vers le ciel,
nous serpentons le long d'un chemin qui évite les pics, les suspensions sont
très malmenées car nous roulons sur un tapis de pierres qui vont de la taille
d'un poing à celle d'un ballon de football.
Enfin nous arrivons à Tessalit, cuvette de rocaille noirâtre dans laquelle se
trouvent quelques petits bâtiments.
La douane est à mi-pente à droite,
mi-pente à gauche, il y a une jolie petite maison, bureau du chef de police, en
bas, une construction rectangulaire plus grande, dans laquelle il y a un petit restaurant, une salle nue à
disposition des voyageurs, et la poste.
Les formalités sont bon enfant, nous
sommes obligés de prendre une assurance automobile d'un prix raisonnable, après,
nous allons nous désaltérer à la petite auberge, y cassons une croûte et
repartons dans la caillasse, puis c'est le sable ; cent bornes plus loin,
nous arrivons à Aguelhok, arrêt police sympa,
rapide ; encore cent bornes, la Marcouba* :
zone de sable mou d’une dizaine de kilomètres barrant la piste sans
contournement possible, le seul passage régulier est ravagé de profondes
ornières creusées par les camions qui passent bille en tête, misant tout sur
l’incroyable couple moteur des Berliet.
Cet axe est infranchissable pour les
voitures, la seule solution est de longer la piste par la droite après avoir
dégonflé les pneus. Avant d’entamer ce morceau, il ne faut pas hésiter à prendre
de l’élan et rouler vite car les portions de sable très mou sont longues, il
faut éviter les touffes d’herbes sèches aussi dures que des pierres, ce qui
n’est pas toujours possible, les amortisseurs dégustent
salement !!!!
Cent quatre-vingt kilomètres après, Anéfis ; encore deux cent trente kilomètres et nous
arrivons à Gao, ville presque
totalement construite de banko*.
Il
faut aller au commissariat avant de nous jeter une bière pourtant bien
méritée après 1300 kilomètres de désert pliés en trois jours! Nous sommes
dirigés vers une salle assez grande où un agent nous accueille, après nous avoir
invités à nous asseoir à des bureaux d’écoliers, donné une feuille blanche et
prêté un stylo à bille, il nous dicte très professoral les questions classiques
demandées aux touristes lors de leur entrée dans un pays, cet agent s'appelle
Mambi et deviendra plus tard un ami et concurrent très
sérieux à la pêche dans le Niger.
Les formalités accomplies, nous sortons,
une ribambelles de gentils gamins nous entourent, l’un d’eux, Boubacar, se
propose comme guide.
Nous allons à un
« hôtel-restaurant », bâtisse de banko
très sombre à l’intérieur, le patron de cet antre, se nomme Yarga. Il s'occupe de vendre les automobiles et encaisse le
prix des chambres (rares, chères) ou des places sur la terrasse (1000 francs
Maliens =10francs français la nuit), une tripotée de margouillats (gros lézards
de 50 à 60 centimètres de long) se promènent tranquillement à la verticale des
murs, les mâles ont de superbes couleurs, jaune, rouge, vert et bleu
flamboyants, les femelles sont plus petites, et ternes.
L’épouse du maître de céans s'occupe de
préparer tous les jours un plat différent, souvent un ragoût à base de riz,
c'est là que je sentirai pour la première fois le goût des charançons, ils sont
aussi dans la farine, les pâtes......on peut dire que chaque plat en est
parfumé, au début je sors du pain ces petits insectes un peu plus gros qu'une
puce, puis mange sans faire de chichis, content que Yarga ne me compte pas un supplément viande.
Les chiottes sont un trou dans la terre
avec 10 centimètres d’asticots surnageant et grouillant les uns sur les autres,
le puit est un peu plus loin.
Quelques jours passent, des clients
viennent régulièrement voir les voitures, en principe, on n'a pas le droit de
les vendre, mais en passant par un intermédiaire soi-disant patenté, c’est
possible, le problème est de savoir qui l'est.
Si une vente se fait, vous donnez une
commission à l'intermédiaire, c'est quand les « affaires économiques »
vous tombent dessus que vous vous apercevez que le type n'était pas autorisé à
vendre, ou n’a pas assez « fait manger » les fonctionnaires ; de
toutes façons, personne n'a de papiers, de registre de commerce ou autre statut,
le mieux est de traiter, puis de partir le plus vite possible
!
Philippe vend rapidement son auto 900.000
francs Maliens (9000ff), il faut dire qu’elle est en parfait état ; pour
voir si le moteur de la voiture est bon, les Maliens ont une technique
imparable : Ils donnent trois grands coups d’accélérateur, et vont vite
regarder les gaz d’échappement, si la fumée est bleue, l’auto consomme de
l’huile ; blanc, le joint de culasse est flingué ; noir, le mélange
air-essence est trop riche, (ce qui est le moindre
mal).
Chez le père Yarga, je fais connaissance de deux coopérants français
instituteurs en Côte-d’Ivoire qui me demandent si je peux les redescendre, ils
étaient venus passer quelques jours à Gao, mais les congés se finissant, ils
doivent retourner à Bouaké, je leur réponds que je ne sais pas encore si je
persiste à aller au Sénégal où si je continue vers le
sud.
A tout hasard ils me donnent leur adresse
pour que je passe les voir si je m'égare dans leur coin.
En face de l’hôtel Atlantide*, sous des
arcades, il y a des marchands d’objets africains très intéressants : des
pointes de flèches et haches préhistoriques ; des pipes, poignards, Takoubas*, cadenas et splendides clés anciennes souvent
cassées, tout cela de provenance Tamashek ; bien que je n’en aie pas les
moyens, je craque,
Renseignements pris, il apparaît que pour
aller au Sénégal, il faut obligatoirement faire une grande partie de la route en
mettant voiture et passager sur un train, très cher, très lent, et
abominablement inconfortable, ça fait trop, surtout que mes fonds ont bien
baissé depuis une petite semaine que je suis là !
Je décide de continuer vers le sud, les
Belges restent à Gao pour vendre les deux autres voitures, on se dit au
revoir.
Je m'entends avec un Français à la
recherche de sa nana qui s'est tirée en Côte-d’Ivoire avec un mec, je lui prends
le prix du taxi-brousse jusqu'à Niamey (capitale du Niger) en gros 450
kilomètres, c'est mieux que rien !
Gao-Labbezanga, passage de frontière, pas de problème
particulier, nous nous arrêtons pour casser une croûte dans un petit boui-boui
en planches, je vois sur l’ardoise du menu sur « Poulet Maka », je demande à goûter cette spécialité locale, le
cuistot m’amène un poulet avec des nouilles, je lui dis qu’il y a erreur, il me
répond que non, « Maka » est l’abréviation
africaine de macaronis.
Arrivée à Niamey, commissariat de police,
avec ce coup-ci des imprimés à compléter, puis nous nous dirigeons vers la
maison des jeunes où l'on peut dormir pour pas cher dans une grande salle
commune sur des lits en ferraille type armée; lorsque je veux prendre une
douche, cauchemar ! Des murs en parpaings noirs et gluants de crasse, des blocs
de ciment épars pour rester au-dessus de l'eau stagnante, dur-dur!
Le porte monnaie sonnant creux et ne
trébuchant plus, je décide de ne pas m’attarder, et d’aller en Côte d’y-voir s'il y a des amateurs de 404 familiale ; les
coopérants m'ayant dit que je trouverais sûrement preneur à Bouaké où ils sont
résidants, je vais aller tâter le terrain dans le coin, en passant par
Ouagadougou,.
Traversée de la Haute-Volta, les pistes
sont en latérite*, ce matériau a le défaut de former de longues bandes de tôle
ondulée, sur l’une d’elles, j’amorce un large virage, la voiture bringuebale de
partout, manque d'adhérence, l'arrière fait la valise, je contre-braque et
accélère, peau de balle, heureusement, la courbe se termine, j'en sors
complètement en travers, chaud!
Passant dans une forêt clairsemée, je vois
une douzaine de phacochères courir en file indienne droit devant eux en
diagonale de la route, il est évident que s'ils ne changent pas de cap ou ne
ralentissent pas, ils croiseront ma trajectoire ; ils passent ignorant la
voiture, je dois freiner, pour éviter le carton.
Ouagadougou, de très gros vautours d’un
bon mètre de haut se promènent dans les rues, qu’ils nettoient, tels d’énormes
pigeons.
Bobo-Dioulasso, puis, passage tranquille
de la frontière de Côte-d’Ivoire ; je suis étonné de constater que la base
de la bouffe africaine est le riz, les panneaux affichant les menus ont une orthographe
délirante.
Roulant de nuit le long d'une plantation,
je crois être victime d'une illusion d'optique, je m'arrête et dirige les phares
sur les cultures, les bananes poussent cul vers le
haut !!!
J’en ai marre de rouler, je rentre dans
un petit hôtel histoire de roupiller et prendre une douche. Eclairages aux néons
peints en bleu, jaune, rouge, vert ; raffut dantesque, radio pourrave à fond la caisse, gueulantes des putes ivres qui
montent des clients toute la nuit, moustiques affamés malgré les serpentins
d’herbes à brûler venant d’Asie, je ne suis pas beau à voir le
matin!
Ferkessédougou, retour sur le goudron, je démarre d'un
stop, coup de sifflet, je tourne la tête, et vois deux motards en uniforme,
allongés à l’ombre sur leurs motos B.M.W, ils me font signe de m'approcher, je
m’exécute, descends avec les papiers car ils n'ont pas l'air de vouloir se
lever ; je leur fais remarquer que j'ai marqué le stop, je ne vois pas
pourquoi ils m'arrêtent, l'un d'eux, se redressant à califourchon me dit
tranquillement que je n'avais pas mis la ceinture de sécurité, qu'il va falloir
payer 7000 francs C.F.A d'amende ; je réponds que je ne peux pas payer une
somme pareil car j'arrive de France et que je n'ai presque plus d'argent, je
dois rejoindre des amis à Bouaké et il me reste juste de quoi payer l’essence,
le type me regarde un long moment d'une drôle de façon, un peu au-dessus ou à
travers moi, et me dit un peu grand seigneur avec un signe de la main
"allez-y, c'est mon cadeaux de Noël"; peut-être le fait que j’arrive de si loin
par la «route» a-t-il joué en ma faveur.
J'arrive à Bouaké sans plus d’incident,
les coopérants me reçoivent en tirant un peu la tronche car ils m’y ont précédé
de peu, ayant fait la route en taxi-brousse. Il faut dire que ce genre de
transport n'est pas un pullman : 404 plateau avec une galerie hyper renforcée,
sur celle-ci, mobylettes, chèvres, tous les bagages des passagers, régimes de
bananes entiers, boîtes de cinq kilos de sauce tomate, etc....19 passagers à l'arrière, 2 places un peu plus chères
à l'avant, et le chauffeur.
Alain (le plus riche des deux, car dépêché
de France ; Sylvain ayant trouvé le job sur place est moins bien loti)
m’invite à poser mes pénates dans une chambre libre de sa maison, et propose de
me prêter de l'argent que je lui rendrai quand j'aurai vendu la
voiture.
Renfloué, je leur offre d'aller boire
l'apéro dans un boui-boui car on est en fin d'après-midi et il commence à faire
soif ; Nous nous dirigeons vers un petit bar, quelques
autres Français coopérants ne tardent pas à nous rejoindre. Le soir tombant, les
lucioles apparaissent, les moustiques nous bouffent les miches à travers les
fauteuils tressés de gros fils en plastique et la toile de nos jeans, nous
allons manger dans un petit restau, puis dodo.
Le lendemain, je vais acheter des pièces
afin de retaper le moteur. Les Libanais vendent à peu près tout ce dont on peut
avoir besoin pour entretenir et réparer les Peugeot ; je ressors de la boutique
avec les segments, pochette de joints, coussinets de bielles, chaîne de
distribution indispensables pour redonner une nouvelle jeunesse à mon moteur, le
tout à un prix raisonnable.
Je vais ensuite discuter avec le patron d'une
station-service pour lui louer un bout de terrain et les outils qui me manquent,
demande s'il ne connaît pas deux gaillards qui voudraient se faire un peu
d'argent en me donnant un coup de main, car rien que pour sortir le moteur il
faut de l'huile de coude.
Il me trouve deux costauds, je conviens
avec eux de leur rémunération et nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain
matin.
La réfection du moteur demande deux petits
jours de boulot tranquille, je paie la bouffe du midi et quelques
rafraîchissements consistant en ananas bien mûrs épluchés devant vous a la machette et dont les feuilles élaguées servent de
poignée, délicieux! A la fin de l'après-midi du deuxième jour, je suis obligé de
les engueuler car j'ai eu le tort d'acheter de la bière (bouteilles de 75
centilitres par personne) plus une bouteille d’alcool de palme avant la remontée
du moteur et ils ne veulent rien savoir pour continuer, ils pensent sûrement me
faire raquer une journée de plus si l'on ne termine pas ce soir ; je leur
dis que la journée n'est pas finie et que s'ils me laissent tomber maintenant,
je ne les paierais pas.
De toutes façons j'ai déjà refermé le
moteur, il ne reste plus qu'à le mettre en place, ce qui est vite fait, j’engage
les boulons tenant le moteur sur la boîte à vitesses et les paie, on se serre la
main, moi un peu froidos, car je pense avoir été plus
que correct et ils ont un peu trop tiré sur la ficelle.
Je finis de remettre boulons et durits,
règle le propriétaire du garage, à 20 heures, je suis de retour chez les copains
pour prendre une bonne douche et retourner boire un
coup.
Ils me disent que ma voiture intéresse
deux ou trois gros marchands, c'est bon signe !
Les acheteurs ne pointant pas le museau de
la journée, je décide d'aller le lendemain matin à Abidjan en taxi-brousse pour
dire bonjour aux parents du copain de Dordogne.
Je suis très bien accueilli, invité à
manger à midi ; au cours du repas, nous discutons de la vente de ma
voiture ; je dis compter la vendre 700.000 Francs C.F.A, mon hôte me
prévient que la spécialité Libanaise du moment pour escroquer quelqu’un, est de
lui faire un chèque (en bois bien sûr) car en Afrique il n'y a aucun recours,
puis ajoute que si je n'ai pas vendu ma voiture il est preneur à 600.000 Francs
C.F.A.
De retour à Bouaké, Alain me dit avoir
appris par la bande que Sylvain a raconté à tous les acheteurs potentiels que je
n'ai pas un rond et que je serai obligé d'accepter le prix que l'on me donnera
pour rembourser mon emprunt, c'est le meilleur moyen de me scier les pattes, il
n'y gagne rien, il avait l'air sympa, je ne pige pas……….
De toutes manières je vais voir les
quelques clients éventuels. Que des tordus ! Les Africains, "je te donne
200.000 Francs CFA maintenant, le reste un peu plus tard ", tu parles Charles!
Les Libanais eux me proposent 100.000 Francs CFA en liquide le reste en
chèque……. heureusement que les gens d'Abidjan m'avaient
prévenu car à Bouaké le coup n'est pas connu.
Après avoir perdu ma journée à commencer
d'apprendre les grosses ficelles africaines, je téléphone à Abidjan pour dire
que je marche à 600.000 Francs C.F.A,
le monsieur me demande
d'amener la voiture pour la voir.
J'invite à manger Alain au restaurant et
lui déballe la situation car je laissais chez lui l'auto (sans qu'il me l’ait
demandé) pour le rassurer sur le prêt qu'il m'avait consenti. Il assure me faire
confiance et qu'il n'y a aucun problème pour que j'aille à Abidjan réaliser la
vente.
Après le déjeuner, je retéléphone à la
capitale, mon acheteur me dit de venir le lendemain matin, de ne pas me casser
la tête pour l'hôtel, ils ont une chambre d'ami où me loger le temps de régler
la transaction.
Le lendemain, j’embarque chien et bagages
dans la voiture.
Aussitôt arrivé, visite du véhicule, le
monsieur me dit qu'il lui convient ; puisque nous sommes d’accord, je lui
demande tout de suite une partie de l'argent afin de régler mes dettes, il n'est
pas surpris car je n'avais pas fait mystère que le copain de Bouaké m'avait
dépanné en ce sens.
C’est la saison des pluies, à quatre
heures pile de l’après-midi, il pleut à seaux. Dès que la nuit commence à
tomber, les moustiques attaquent tel des stukas, j’entends zzz….toc, ils ne
finassent pas en tournant autour de la cible, ils arrivent en ligne droite
direct sur l’objectif et tapent plutôt qu’ils ne piquent tellement la charge est
brutale.
Le gardien de la maison a les dents taillées en pointe, çà fait un effet
bœuf !!! Il est armé d’un arc, de flèches et de deux
machettes.
Après une nuit de repos, je repars dans le
nord en taxi-brousse.
Bamboula à Bouaké (je devrais pouvoir
vendre ce titre à une série célèbre), règlement de mes dettes, pas rancunier je
rince aussi le connard qui m'avait chié dans les bottes ; cuite, dormir chez le
copain, petit déjeuner, adieux.
Retour à Abidjan avec la gueule de bois et
une forte fièvre, dans le taxi-brousse (pareille à celle que j'ai laissée à
Abidjan, mais avec 5 années de pistes africaines dans les rotules), 9 personnes
serrées comme des sardines, je suis assis à côté d'une adolescente qui prend un
malin plaisir à frotter ses nénés sur mon bras, avec la chaleur moite et cette
saloperie de fièvre qui me donne la chair de poule, des frissons dans le dos, et
des suées au front, je suis dans un état lamentable, la petite pétasse doit
penser qu'elle me fait un effet terrible !
Arrivé chez mes acheteurs, je suis en vrac
; mon acquéreur me dit que c’est le paludisme, si une telle crise ne guérit pas
avec l'énorme cachet que je suis
allé chercher à la pharmacie, il ne reste plus que les piquouses ;
heureusement, la fièvre et la gueule de bois passent dans la foulée. Il paraît
que la Nivaquine prise régulièrement prévient le palu.
Au cours d’un repas, mes hôtes me
racontent le déboire arrivée à une voisine française : La brave femme avant
de partir, demande au boy de ne pas oublier de faire la soupe au chien ; le soir, elle
s’étonne d’avoir du consommé, le domestique répond « c’est la soupe au
chien que tu m’avais demandé patronne !! ».
Mon acheteur fait examiner la voiture par
son garagiste ; verdict : il faut refaire le moteur ; je ne sais pas si
c'est pour me gruger, si le mécano veut se mettre les pièces neuves dans la
fouille, si c’est un incapable, ou quoi, pas moyen de lui faire entendre
raison ; hébergé gratos, je n'insiste pas.
Finalement mon hôte me rabat 100.000
francs C.F.A et je ferme ma tronche ; avec ce que m'aura coûté le voyage et le
retour, il ne va pas me rester lourd ! Enfin, je rentre en partie dans mes fonds
et ai acquis une expérience non négligeable, vu le prix des billets d’avion sur
la France et mon chien payant plein pot, je décide de rentrer par la
piste.
Adieu à mes hôtes, on promet de se revoir
en Dordogne lors de leurs prochaines vacances.
Je me pointe à la gare des taxis-brousse,
le prochain en partance pour Ouagadougou est un Saviem
SG.2 tôlé, dont les côtés ont été découpés, le problème est qu'il est vide et
que les transports ne partent qu’une fois fait le plein de passagers ; je me dis
que si l'on monte à 22 dans une 404 plateau, dans un engin pareil on doit tenir
à 35.
J'attends toute la matinée, deux autres
clients sont sur les rangs, à ce train là il va falloir une semaine pour remplir
la camionnette !
Je me renseigne à droite et à gauche pour
savoir s'il n'y a pas un autre moyen de se rendre en Haute-Volta, un mec finit
par m'aiguiller sur un camionneur qui doit partir pour Ouagadougou dans l'heure
qui suit.
Je trouve le type, nous tombons d'accord
sur 10.000 Francs C.F.A pour moi et le chien, tout va bien, sauf que, comme un
bleu que je suis en Afrique, je paie d'avance.
Le chauffeur m’invite à l'attendre dans sa
piaule qui donne sur la cour d’un quartier sordide le temps qu'il règle quelques
formalités ; notre accord ayant été passé en fin de matinée, je l'attends
jusqu'au soir sans revoir sa bobine, les boules !
Je passe la nuit dans un petit hôtel à
proximité, aux aurores je retourne à la turne du lascar, attends encore la
matinée, toujours personne ; en début d'après-midi je me rends au commissariat
du quartier. Je casse le coup au flic de service qui me dirige vers un collègue
plus gradé ; bien sûr, j'ai eu tort de payer d'avance (ce dont je conviens
volontiers), il me demande le nom et l’adresse du chauffeur pour le convoquer,
comme je n'ai aucun renseignement à lui fournir, il me demande d'apprendre au
moins le nom du type, donc je retourne là-bas et mène ma petite enquête ; pas
moyen de tirer le moindre tuyau, d'autant plus que la cour n’est louée que par
des Ghanéens patoisophones ; je me rends compte
que le mot « police » leur fiche une trouille
bleue.
Je retourne bredouille au commissariat,
retrouve le flic qui me rassure, prenant un imprimé, il rédige une convocation
pour « le chauffeur du camion », devant mon air sceptique, il me dit que je
vais être surpris du résultat, je n'ai qu'à laisser la convocation bien en vue
dans la chambre et revenir plus tard, le téléphone arabe devrait faire le reste
; O.K je fais confiance à la cuisine locale.
La cour est pleine de monde et
d'agitation, je me dirige vers une matrone qui a l’air d’être la cheftaine du
lieu et lui tends la convocation, elle se met à pousser des cris hystériques en
reculant les bras au ciel et les yeux exorbités, je me retourne et vais poser
ostensiblement le papier sur le lit du camionneur, quitte la cour dans un
brouhaha croissant de seconde en seconde.
Le soir tombant, j'y retourne, émeute
devant l'entrée de la cour!
On commence à discuter ferme (toujours
sans la présence du chauffeur qui doit être en train de faire ripaille sur le
dos du pigeon), ça commence même à franchement gueuler, je braille aussi fort
qu'eux ; subitement, un costaud commence à me tirer par le devant de ma
salopette, je me dégage et me rends compte que la nuit est tombée, dans le feu
de l'action, je n’y ai pas fait attention ; je suis entouré par une
cinquantaine d’excités écumants, prêts à me faire la peau, pour les
déstabiliser, je gueule encore un bon coup et en siffle un autre à l'adresse de
mon chien qui se pointe dans la foulée ; sur le passage de mon clebs, se
crée instantanément un chemin dans la foule (il faut dire qu’à part les sloughis
à Gao, je n’ai pratiquement pas vu de clébard en Afrique, un gros chien noir
comme lui les impressionne énormément), criant comme un sourd que la police va
venir et les menaçant de tout ce qui me passe par la tête, je profite de la
trouée pour m'arracher, je suis encore persuadé que j'étais à deux doigts de me
faire écharper, sans Athos, j'y passais !
Du coup je prends un taxi, et pas trop
fier, je retourne chez mes acheteurs qui me confirment, quand je leur conte
l'affaire, que j'ai eu beaucoup de chance.
Dernière nuit chez eux, et le lendemain
matin, de bonne heure, je prends le train Abidjan-Ouagadougou (en gros 1000
bornes).
Les wagons de ce train ont dû être
climatisés, heureusement que les fenêtres ne sont pas bloquées! Aux arrêts, les
mamas se pressent aux fenêtres pour vendre divers
mets, j’achète des morceaux de viande rôtis, de l’igname* cuit comme des frites
et des petites bananes roses ; la viande est absolument délicieuse, je demande à
mes voisins quel est l'animal fournisseur, c'est de l'agouti*, (d’après ce que
j’en ai vu, une sorte de ragondin) ; quant aux bananes, elles sont mûres au
point que leur peau semble près d’éclater, cueillies sur pied quelques heures
auparavant, un régal !
Arrivé à Ouaga,
je vais directement à la station de taxi-brousse et repart dans l'heure qui suit
pour Koupéla, puis Niamey, là, je vais louer un lit à
la maison des jeunes ; un Français y est déjà, sympa, vingt cinq ans,
maigrichon, barbiche, il me dit qu'au Bénin la vente de voiture est autorisée et
facile contrairement aux autres pays d'Afrique de l'ouest, mais qu’il y a connu
une mauvaise expérience : Arrivant à un carrefour, une voiture était
arrêtée, quand il en fut à une dizaine de mètres, son conducteur fait une marche
arrière fulgurante, provoquant un carton , ameute la police et prétend que
c'est le Français qui n'avait pas freiné, coup fourré par excellence ! Du coup,
le pauvre est reparti une main devant une main derrière, ayant dû vendre son
auto pour payer les réparations béninoises.
Le lendemain, deux nanas se pointent,
mignonnes, la trentaine, elles sont descendues avec un type qu'elles ont perdu
en route et remontent seules par la piste, nous décidons de faire un bout de
chemin ensembles.
Le jour suivant, en fin d'après-midi,
après avoir discuté le prix du voyage, nous montons dans un camion de
marchandises, direction Gao.
Chez Yarga,
plusieurs personnes attendent car il y a embargo du gouvernement Algérien sur
l'importation de moutons.
Le système consiste, pour les
transporteurs maliens et algériens, à charger des denrées vendues peu chères
dans les magasins d'état en Algérie : Riz, semoule, sucre, etc….et de les vendre plein pot à Gao ; acheter une poignée
de cerises des moutons au Mali et les fourguer un max en Algérie, je m'explique
maintenant le nombre de carcasses de moutons séchant au doux soleil du
Sahara.
Un qui se frotte les mains, c'est le père
Yarga, tous les jours d'autres personnes viennent se
planter dans le cul-de-sac qu'est devenu Gao.
Après une semaine de ce régime, je
commence à contacter divers camionneurs, mais nous sommes trop peu pour pouvoir
affréter un Berliet à vide de Gao à Adrar ; le temps passant, les coincés se
font plus nombreux, les camions immobilisés ne rapportent plus, autant de
paramètres qui rendent de jour en jour la traversée plus
négociable.
Une fois comptés les amateurs pour la
croisière, on se retrouve 17, la plupart français, il y a même un
américain.
L’un des convoyeurs pressentis, ayant des
affaires à régler en Algérie, nous demande 30.000 francs Maliens (300 francs
Français) par personne pour nous emmener à Adrar, ce qui est plus que
correct ; pour que nous soyons moins tassés, ce délicat personnage fait
installer une sorte de mezzanine de bastings posés sur la moitié avant des
rebords de la benne du camion.
De bon matin, nous partons, il fait
frisquet.
Quarante kilomètres après le départ, la
blondinette me montre une petite butte à droite de la piste quand on remonte
vers le nord ; elle me dit que le type avec lequel, elle et sa copine étaient
descendues, s'était arrêté là et qu'il y avait trouvé des tessons de poteries et
des morceaux de silex taillés, je me promets, si je repasse là un jour, de faire
une halte pour voir de quoi il retourne. En attendant, j'ai mal au cœur, et je
m'accroche à la porte arrière de la benne pour tirer une
gerbe.
La conduite des camions au Sahara est très
technique, quand il attaque un banc de sable, le conducteur passe en force sans
jamais changer de vitesse, ce qui fait qu'à la sortie des longs passages mous,
le moteur doit tourner entre deux cent et quatre cent tours minutes,
accélérateur à fond, on sent chaque coup de piston, je suis éberlué qu’il tienne
le coup! Le Berliet est un camion fabuleux, entre les mains habiles des
chauffeurs indigènes, on le croirait étudié
spécialement pour ce genre de contrées.
Lors d'un arrêt, l’Américain qui revenait
de faire son service militaire en Sierra Léone dans les « Peace Corps», trouve à ses pieds une magnifique pointe de
lance en silex très finement
taillée, tout le monde se met à chercher de droite et gauche, mais malgré
le ratissage ce fût la seule trouvaille faite.
Monté à l’avant, je remarque un panneau
que je n'avais pas vu à l'aller, il est tout rouillé on peut lire à moitié
effacé "tropique du Cancer" ; le chauffeur du camion me dit que seuls les
gens passés par cet axe ont le droit de porter le « chèche », cette
longue bande de coton que l'on met moitié sur la tête, moitié sur la bouche pour
ne pas se déshydrater ou filtrer l'air durant les vents de sable, se protéger du
soleil, s'essuyer les mains, etc.....
La nuit, il fait carrément froid, au bout
des deux jours et nuits non-stop, nous arrivons à Adrar complètement
moulus.
Après avoir salué nos transporteurs,
j’amène tout ce monde chez l'ami Ramdann, il nous dit
qu’un bus fait quotidiennement Addrar-Béchard, (500 bornes), il part le lendemain avant
l’aube, tout le monde à son invitation, dort dans son
restaurant.
Après avoir
pris le café, et remercié notre hôte, nous embarquons dans le car.
On ne me fait pas payer pour mon chien,
mais comme il n'a pas le droit de voyager en haut avec les passagers, le
chauffeur le fait monter dans les coffres à bagages s’ouvrant par l’extérieur du
car, il y monte de bon cœur et à part quelques jappements au début il n'y eut
aucun problème ; de temps en temps, le chauffeur s'arrête dans des petites
bicoques en pleine campagne où l'on peut manger une bonne soupe bien chaude
parfumée au coriandre et au laurier appelée « loubia » ou « chorba » selon qu'elle est à
base de fayots ou de lentilles, j'en profite pour laisser Athos se dégourdir les
pattes et manger avec moi, depuis qu'il sait me retrouver à chaque pause il ne
se manifeste plus.
Le car s'arrête à Kerzaz pour permettre à tout le monde de manger un plat plus
consistant, je retourne directement chez le restaurateur qui m'avait fait marron
sur le fût, comme par hasard, le jeune type n'est pas là, une fois terminé mon
plat je dis au serveur que pour la note, il aille se faire voir chez plumeau,
bien que visiblement au courant de l'histoire, il fait l’outragé, et gueule aux
petits pois (ce qui est normal vu son métier), comme je me lève pour sortir, il
me menace de la police sans conviction, au moment où je sors, mon escroc pointe
le museau, ce qui ne me fait pas frémir de terreur, je lui dis que j'ai bien
mangé mais que je ne compte pas le payer, qu'il sait très bien pourquoi, lui
aussi me menace des flics, c'est ennuyeux car si l'embrouille s'envenime, le car
(qui klaxonne déjà) partira sans moi, je fais le mec parfaitement serein et
m'arrache sans que personne ne se mette en travers de ma route.
Nous arrivons tard le soir à Béchar, dînons dans un petit restaurant dont le patron est
aimable comme une porte de prison ; à la fin du repas, nous demandons au
gargotier où dormir pour pas cher ; il propose, si cela nous convient, de
rester dans son établissement, surpris, nous acceptons en regrettant aussitôt
nos considérations sur sa physionomie ; il nous passe les clés, et s'en va
après nous avoir dit que le l’autocar pour Oran part tôt le matin et qu'il
viendra nous réveiller de bonne heure pour nous faire le
café.
Quand il se pointe, il est bien loin de
faire jour, nous prenons un petit déjeuner, puis notre hôte nous explique où
prendre le bus.
Le remerciant chaleureusement pour son
hospitalité, nous partons dans la nuit fraîche. Nous trouvons facilement l'arrêt
du bus et faisons la queue ; le copain Américain étant un peu en dehors de
la file, se prend un petit coup de matraque sur la tronche administré par un
flic qui passait par là, on se met tous à protester en chœur ; l’agent nous
dit ingénument qu'il n'avait pas vu que nous étions étrangers! Devant son air
consterné, nous comprenons que c'est pratique courante de mettre un coup de
bâton à une tête qui n’est pas alignée !
Oran, les autres s'étant égaillés au fil
de la route, nous allons, un couple de français et moi prendre nos billets pour
la France, quelques temps plus tard, nous montons dans un énorme ferry-boat, le
navire ne fera quasiment la traversée que pour nous, car, à part deux arabes,
personne d'autre n’a embarqué ; malgré cela, le navire part à l'heure ; à
cause d'une tempête, nous mettons un jour de plus pour arriver à Marseille,
plutôt chiffonnés.
Nous prenons le train ensemble ;
durant la remontée du désert, ils m'ont vanté le passage par Tamanrasset, je
leur dis que très probablement, je vais refaire rapidement une descente sur le
Bénin, ils me répondent que c'est aussi leur projet, d’ailleurs, ils seront
hébergés chez des copains pas loin du coin de Dordogne où j'habite ; nous
convenons de nous tenir au courant de nos recherches respectives d’automobiles.
Ils quittent le train un peu avant Bergerac, nous pensons sûrement tous sans le
dire que ça fait bizarre de se quitter, alors que, depuis Gao nous ne nous
sommes pas éloignés les uns des autres de plus de dix mètres.
Aussitôt arrivé, recherche d'un carrosse,
je n'ai pas beaucoup à tourner,
passant devant une station-service je vois l'objet de ma quête! Je
demande au patron si la voiture est à vendre et combien, il me répond que le
propriétaire en veut 2000 francs, bien qu'elle aie 180.000 kilomètres, selon
lui, elle est irréprochable ; nous faisons un tour, elle est
nickel, et les Maliens m’ayant appris à reconnaître un moteur lavé, je ne
risque plus de me faire avoir.
Je me rends chez le propriétaire, demande
comme si je ne savais pas, le prix de la merveilleuse machine, il me répète le
chiffre précédemment indiqué, je dis que je ne peux mettre que 1500 francs, nous
tombons d'accord sur 1700francs .
Dix minutes plus tard, je suis l’heureux
possesseur d'une berline que je sens exceptionnelle, après l'avoir assurée pour
un mois, je cours téléphoner aux poteaux ; ils me demandent si je peux venir les
voir, deux heures après, je suis chez leurs hébergeurs.
Chez les amis en question, ambiance
phacochère, visiblement, le studio est trop petit pour 4 personnes, il y a de
l'électricité dans l'air!
Nous allons visiter les voitures qu'ils
comptent acheter, à côté de la mienne, ce sont des poubelles et je ne leur cache
pas mon point de vue ; ils me répondent que vu l'atmosphère, il doivent
faire vite, je leur propose de tourner dans la région avec la mienne pour
essayer de trouver mieux, d'autant plus que les 404 courent les rues, en y
consacrant une journée, on peut leur en trouver deux en bon état avant le
soir ; mais non, ils ne veulent rien savoir, il y a des raisonnements que
je ne comprendrais jamais !
Selon eux, il est préférable de poser des
plaques de blindage sous les voitures (c’est là que j’aurai dû me méfier….),
nous convenons de nous recontacter quand tout sera
prêt.
Je les quitte, contrarié de faire la route
en compagnie de moitiés d'épaves, achetées plus chères que la mienne qui plus
est.
Chez des amis garagistes, je pose une
plaque d'acier de 4 millimètres d'épaisseur sous le carter moteur, deux jours
après avoir quitté mes co-voyageurs, je leur
retéléphone.
Ils me disent qu'ils ne disposent pas du
matériel pour mettre la plaque, de demander à mes copains s'ils peuvent venir
l’ajuster dans leur garage, un peu gêné, je transmets la demande ; çà marche
.
Deux jours après, c'est le départ, Eric,
un copain au chômage, chanteur de rock, me demande s'il peut venir avec moi car
il a envie d’aller au soleil, comme c'est un type décontract et sympa, je suis
d'accord, il n'aura que sa bouffe et son billet de retour à
payer.
Nous retrouvons les copains, il est temps
qu'il partent, ça sent le coup de couteau à brève échéance, la nana a quand même
le temps de tordre le nez parce que j’embarque un passager ; je lui fais
tout de suite comprendre que si çà ne lui plaît pas, c'est pareil, je ne me sens
absolument pas tenu de voyager avec eux, ni de passer par Tamanrasset, çà
radoucit de suite ; rapides adieux à leur hôtes qui se retiennent à deux
mains pour ne pas leur balancer les valises par la
fenêtre.
Leurs deux voitures se révèlent aussi
gourmandes en huile que ne l’était celle de ma précédente traversée, je les
rassure en leur disant que sur les autos rustiques comme les 404 ce n'est pas
très embêtant, je n'en suis pas si sûr, mais ma Maman m'a appris que plus tard
on apprend une mauvaise nouvelle, mieux on se porte ; je leur mets du baume
au cœur pour pas cher.
Traversée de l'Espagne au Maroc ; Eric a
acheté du sheet à un dealer aussitôt passé la
frontière marocaine pour fumer en route, ça ne me botte pas des masses, car se
faire coincer avec cette came en Algérie, c’est l’embrouille grave pour pas
grand chose, je lui demande de bien le planquer.
En Algérie, nous cherchons le premier
marché venu pour changer des francs au noir, les commerçants sont faciles à
brancher pour ce genre de transaction ; suivant le couple de copains,
j'aperçois qu'un gamin les colle, tenant en équilibre un plateau d’œufs ; il est
évident qu'au premier mouvement un peu brusque de leur part, il balancera le
colis par terre pour leur faire payer la casse au prix fort, je lui tape sur
l'épaule en lui faisant signe de dégager, il obtempère sans demander
son reste.
Nous changeons autant de francs Français
que nous pensons en avoir besoin (2 dinars pour 1 franc au lieu de 1 dinar pour
1,80 franc au cours officiel), et
nous voilà partis.
La chaussée est correcte jusqu’à El-Goléa,
puis le goudron devient impraticable, la "route" n'est qu'un nivellement
recouvert de 5 centimètres de macadam, un bruit court que la date de
l'inauguration par le président avait été fixée bien longtemps à l'avance et que
pour être dans l'étang (ne pas retoucher S.V.P.), les derniers 500 kilomètres
furent bâclés, l'inauguration eut lieu en temps et en heure, trois jours après,
la route était à peu près dans l’état lamentable dans lequel nous la
trouvons.
Du coup, il nous faut emprunter un chemin
qui la longe, les trous dans le goudron étant plus durs à supporter pour les
suspensions que les creux plus arrondis de la piste. Nous voyons régulièrement
des carcasses de combis WW, la plupart brûlées.
Je commence à regretter d'être passé par
là plutôt que par Gao, même l'esprit des gens est différent, la route de Tam n'étant pas dangereuse, elle est très courue, ce n'est
qu'un défilé de touristes avec leur cortège de cochonnes venant croquer de
l'exotique ; les restaurants chers et pas aimables, touristiques, alors que
peu de gens passent par le Tanezrouft et quasiment que des pros du
business ; nous allons boire un coup dans un restaurant
« typique », le patron, vautré dans un fauteuil, joue les hommes bleus
avec son attirail complet de colifichets touaregs, takouba* comprise, il est entouré d’Allemandes en pâmoison,
quel clown !!!!!
Les autos des copains commencent à donner
des signes de plus en plus nombreux de fatigue, les moteurs ne tirent plus, les
ensablements sont de plus en plus fréquents, mes amortisseurs n’ont pas résisté,
mettant la gomme pour passer une plaque de fech-fech*,
après plusieurs rebonds, l'avant de ma voiture se vautre sur une grosse pierre
fichée au milieu du sable, heureusement que j'ai suivi le conseil de poser la
plaque de blindage, celle-ci est complètement défoncée, le carter moteur est
tordu mais pas percé, la traverse avant du châssis est complètement écrasée et
remontée de 10 centimètres, le radiateur rehaussé m’empêche de refermer le capot
qui s’est ouvert sous le choc, je vire la protection désormais
inutile.
Tamanrasset, nous allons visiter une
source au fond d'une grotte très fraîche, on y puise l'eau à même une grande
cuvette apparemment naturelle creusée dans le sol, une dizaine de vieux sont
assis autour, et bavardent
tranquillement, cette caverne est à tout le monde, nul n'a tenté de la
monopoliser comme on pourrait s’y attendre en France ; Nous nous envoyons deux ou trois rasades de cette eau
naturellement gazeuse, puis, après avoir salué l’assistance nous sortons, coup
de bambou du soleil !
La copine branche un couple de Français à
pied qui va à Niamey, ils se mettent d'accord pour payer leur participation au
prix du taxi-brousse, le lendemain, nous repartons direction le
Niger.
Le soir, nous tombons sur un spectacle
dantesque ! Deux énormes autocars sont ensablés jusqu'à l'os, des tous-terrains
6x6* monstrueux essayent de les dégager avec des câbles et des plaques de
désensablage type terrain d’aviation américain de la dernière guerre ; ces
cars ont des compartiments donnant sur l’extérieur comme des boîtes de
80x80centimètres sous l’espace des sièges, visiblement ce sont les
couchettes ; rugissements de moteurs, gueulantes, le tout éclairé par de
puissants projecteurs ; prudemment, nous prenons quelques distances car si un
câble de cette taille se rompt, il vous tue sur le
coup !
Nous nous
arrêtons à côté d'autres personnes et regardons le spectacle en mangeant
tranquillement, dans le lot il y a une fille dotée d’un léger strabisme
convergeant (mon faible) (accompagnée), ce qui ne nous empêche pas de bavarder
tout le repas, elle me dit avoir entendu un bruit selon lequel, pour rentrer à
tarif préférentiel (pour le moins), il faut prendre par Air-Afrique un billet d’avion Ouagadougou-Niamey, faire semblant de dormir à Niamey, la
station d'après est Paris!
Bien que n’y croyant pas, je retiens la
combine ; le lendemain matin, la nana me donne son adresse, puis, au revoir tout
le monde, direction I-n-Guezzam, sortie
d'Algérie.
Les autorités conseillant de s’accompagner
d’un guide pour ne pas s’égarer, je prends un touareg qui descend vers le Sud.
Ce bougre, ayant l'habitude de voyager sur un chameau, en me guidant par signes
me fait ensabler à plusieurs reprises, rouler sur des branches armées d'énormes
épines, me conduit dans des culs-de-sac pour voitures, je finis par lui faire
comprendre que je vais me passer de ses conseils, de plus, quand on est
ensablés, sa seigneurie ne daigne pas donner un coup de main. Nous marchons dans
les cramcrams* qui se mettent partout et nous piquent, ils sont très durs à
désincruster des vêtements.
Plusieurs fois, nous manquons nous entrecartonner car le terrain est couvert de buissons de
plus en plus hauts et que pour ne pas bouffer le sable du véhicule précédent,
nous ne nous suivons pas : roulant de front à 60 à l'heure à cause du sol
mou, cachés par ces buissons, nous nous croisons plusieurs fois au sortir d'un
fourré, malgré plusieurs frôlements nous arrivons sans plus d’incidents à Arlit où commence le bitume.
Arlit-Agadez, revêtement correct, arrivés en ville, le
copain et sa femme décident de faire refaire le moteur d'une des voitures, je
leur dis que probablement à Niamey ils auront des garagistes moins chers et une
meilleur disponibilité de pièces détachées, rien à faire, ils se sont fait
embobinés par un type qui dispose d'une cour et d'un seau d'outils, une journée
passe, je vais visiter le copain pour voir où çà en est, le moteur est en
morceaux ; ce qui n'est pas gênant en soi, mais par terre, dans la
poussière, ce qui est plus embêtant, le "mécano", s’appuyant sur une pierre, est
en train de mettre des coups de pointeau dans les coussinets de bielles, je lui
demande l'intérêt de cette modification, il se lance dans une théorie fumeuse à
laquelle je comprends que dalle, je lui dis que si les ingénieurs de la maison
Peugeot ne jugent pas utile cette pratique, c'est qu'elle ne sert à rien et que
je la pense plus nuisible qu'autre chose, le lascar se met à fulminer, je
m'esbigne en me disant, que les copains se sont emmanchés dans une histoire d'où
ils ne sont pas prêts de sortir.
Retournant au campement où nous avons
installé nos pénates, je casse l'histoire à Eric, nous décidons de continuer
seuls, car le camping coûteux est obligatoire, les restaus chers et nous ne
sommes pas trop ferrés.
Le soir, j'annonce la nouvelle aux autres,
ils tirent une tronche de quinze mètres de long, je leur dis qu’avant de
commencer cette réparation, ils auraient pu m'en parler, leur explique notre
prochain dénuement, et leur fait comprendre que de toutes façons, la décision
est prise et que nous partons au matin prochain.
Leurs passagers proposent de continuer
avec nous, c’est d'accord, à condition qu’ils règlent ça avec leurs convoyeurs
actuels.
Départ le lendemain avec deux passagers en
plus (comme l'ours), les copains font la gueule, ce qui ne me dérange pas plus
que ça, car je n'ai pas le choix.
J’ai convenu avec nos passagers de
partager les frais d'essence, ils sont gagnants car c'est moins cher et plus
confortable que le taxi-brousse.
Les pneus commencent à crever
régulièrement car les épines dans lesquelles j'avais roulé sous la conduite de
mon fumeux touareg passent petit à petit à travers l'enveloppe du pneu, à ce
rythme mes provisions de rustines fondent à vue d’œil, nous nous relayons pour
regonfler les pneus à la pompe à main, à la fin nous en avons vraiment ras le
bol, je finis par déchirer une couverture en quatre bandes que je plie entre la
chambre à air et chaque pneu, il y a du mieux.
Tahoua, Birnin-Konni, puis Dogondoutchi,
Dosso, mon pote me dit qu’ici eut lieu un fameux
concert l’année précédente, nous continuons de crever
régulièrement….
Niamey, nous allons nous déclarer au
commissariat central.
Il faut que je trouve un garagiste
susceptible de me redresser la traverse avant car ma voiture a vraiment une sale
tronche, il vaut mieux régler ce problème avant d’arriver au
Bénin.
Je lâche donc les copains à la maison des
jeunes et vais vadrouiller pour trouver le carrossier d'élite qui pourra me
réparer le malheur ; un quart d’heure plus tard, j'ai trouvé l’homme qu’il
me faut, nous nous entendons sur le prix, il est censé se mettre au travail
immédiatement, me demande de payer d'avance, mais fort de mon expérience
ivoirienne, je refuse tout net mais lui accorde une avance, lui laisse l'auto
sans les clés, le Neimann position
« Parking » (qui laisse le volant libre, mais ne permet pas de
démarrer la voiture), je rejoins les copains et me prends une bonne douche, 2
heures après je reviens avec les amis pour voir où en est l'affaire, le soir est
tombé, et nous projetons de casser une croûte dans l’un des petits restaurants
indigènes qui pullulent dans le secteur.
Arrivé au garage, surprise, depuis que je
suis parti, rien n'a avancé, aussitôt que j'ai tourné le dos, le type a lâché
les outils et s'est éclipsé faire la fiesta avec mon oseille, je dis aux
alentours que je vais dîner et que s'il n'a pas repris le boulot quand je
reviendrai, j'irai à la police et demanderai à récupérer mon
pognon.
Petit repas sympa, je retourne voir où en
est mon affaire, la traverse déposée, mon loustic tape dessus gaillardement pour
la redresser, je lui fais livrer une bière par un gamin pour
l’encourager.
Le lendemain, petit déjeuner dans la rue,
puis, je me pointe chez mon réparateur d'élite qui est en train de souder les
pièces retapées.
A midi, la réparation est finie, je règle
le solde, retourne à la maison de jeunes, mes covoituriers décident de continuer avec nous sur le
Bénin.
Route tranquille, la frontière Nigèro-Béninoise
est matérialisée par le fleuve Niger ; entre les deux frontières, il
y a de grands singes genre rapides à canines de fauves, sale tronche, après
avoir fermé les fenêtres, nous passons juste à côté sans qu’ils ne bougent, ce
n'est pas près rassurant.
Arrivés au poste Béninois, corrida
!
Les douaniers fouillent la voiture, plus
pour faire leur marché, que pour réprimer les introductions
illicites.
Faisant la sourde oreille à leurs
sollicitations à peine voilées, je laisse mes passagers se faire taxer, une fois
que tous les douaniers ont tous eu un petit quelque chose, nous pouvons
repartir.
Bonne route jusqu’à Parakou, nous nous arrêtons dans un petit hôtel-restaurant
dont Nestor, le patron (petit, front bombé, pète-sec) a vécu pas mal de temps en
France, et tient solidement son établissement, les chambres sont chères, nous
prenons l’option de dormir sur la terrasse pour 1000 francs CFA (20 francs
français).
Le soir, nous allons en ville pour manger
chez les mamas, un flic me choppe, et veut me mettre
une prune car un feu rouge arrière ne fonctionne plus, je remplace l’ampoule,
mais il persiste à vouloir me ponctionner ; avant de payer, j’exige un
reçu, le flic n’insiste pas en me disant, une note admirative dans la voix, et
qui plus est, devant les copains « vous, vous êtes trop
fort ! ».
La piste reprend à la sortie de Parakou, dans chaque ville ou village dans lesquels nous
nous arrêtons, les enfants nous saluent en scandant « Yovo, yovo, bonsoir, çà va bien,
merci…. » à maintes reprises, et sur tous les tons.
Dassa, nous discutons avec le patron d’un
boui-boui en buvant une « Béninoise », bière nationale faite avec ce
que les brasseurs ont sous la main lors du mélange, ce qui fait qu’elle n’a
jamais le même goût.
Le bistrotier et ses potes nous disent
qu’un Ecossais est parti dans les collines sacrées interdites, que l’on voit à
gauche en face de sa buvette et qu’on ne l’a jamais revu, je pense en mon for
intérieur que des lascars ont dû lui faire la peau. Reprise du goudron à la
sortie de ce gros village.
Bohicon, carrefour de l’igname, nous y cassons la
croûte.
Entrée de Cotonou, un panneau géant au
dessus de la route principale "MORT AUX TRAITRES". Pas besoin de se déclarer au
commissariat de police.
Nous renseignant pour savoir où loger,
nous atterrissons à l’hôtel "Babo", énorme bloc de
béton de cinq étages (sans ascenseur bien sûr), avec une dizaine de chambres
chacun, nous en prenons une pour quatre personnes, renseignement pris, les transactions
automobiles se font au « Bénin palace », je m'y rends après la
douche.
Les ventes de voitures se font légalement
au Bénin, mais le racket local rend quasiment obligatoire une "commission" à des
"intermédiaires" qui se trouvent sur place. Les clients potentiels se pointent
au Bénin palace , ils sont aussitôt pris en main
par les "intermédiaires" qui organisent la visite, toutes les autos (pour la
plupart françaises) sont là pour ça.
Nous restons trois jours sans que j’aie de
touche sérieuse, nous décidons d’aller au Togo voir si les acheteurs y sont plus
intéressés par les Peugeot.
Lomé, nous allons nous déclarer au
commissariat. Les hôtels sont affreusement chers ; le coin est trop
européanisé, pas d’hôtel Babo.
A la recherche d’un gîte abordable, nous
tournons un peu dans la périphérie, pas mèche !!
De nuit, en pleine pampa, nous crevons
encore une fois.
Nous ne pouvons dormir sur place à cause
des moustiques à percussion. Nous frappons à la porte d’une maison isolée, un
boy nous ouvre, une Anglaise arrive, je n’ai pas le temps d’en placer une
qu’elle nous supplie de partir tout de suite car son mari va rentrer,
visiblement, il la terrorise ; le boy ne parlant pas Français, j’en profite
pour demander si elle a besoin d’un coup de main ou un message à faire parvenir
à quelqu’un, elle ne veut que nous voir disparaître, après tout, c’est son
affaire……….
A la lueur des phares, bouffé par les
insectes, je retape la chambre à air, bientôt, elle sera trois fois plus lourde
que l’originale !
Dans une banlieue, nous demandons à louer
une chambre, nous trouvons rapidement ; nous n’avons pas fini de nous
installer que déboule une voiture bourrée de flics armes à la main, embarquement
immédiat au commissariat principal de Lomé.
Nous y restons toute la nuit sur des bancs
en bois.
Le lendemain, le commissaire arrive (pas
de bonne heure, bien sûr), heureusement que nous nous étions signalés, la
populace nous ayant dénoncés comme mercenaires, sans cette précaution, c’était
la tôle directe, et en Afrique, on sait quand on y entre, pour en sortir, c’est
une autre paire de manches !!
Sortis, nous allons déguster d’excellentes
salades qui nous filent une chiasse carabinée, puis décidons de retourner au
Bénin car il n’y a pas moyen de vendre la brouette par
ici.
Je lâche tout le monde à l’hôtel Babo, puis retourne au Bénin Palace.
Tous les midis, l’électricité est coupée à
deux reprises, pour faire sauter les parties de flippers en cours et que
l’assistance puisse se régaler de l’Internationale qui précède l’un des
magnifiques discours enregistrés de Matthieu Kérékou*,
le soir, même topo, ce sont toujours les mêmes harangues (de la Baltique) qui
reviennent.
Je vends rapidement la carriole sans
donner une trop forte commission, me restent 420.000 francs C.F.A (8400 francs
Français).
Il était temps de conclure !! J’ai dû
céder mon appareil photo, et taper du pèze à mes passagers pour finir la route,
et le mec (c'est lui qui argente) tord le nez.
Aussitôt de retour à l’hôtel, je rends
illico son flouze à mon créancier, et, avec Eric, on va se taper une bonne cuite
; il se fait draguer par une petite Ghanéenne craquante comme tout, ils
roucoulent durant les trois jours que nous « durons » encore à
Cotonou, vu l'argent qu'il me demande de lui prêter pour les adieux, il est
content de ses services, ce sont ses oignons, touchant ses allocations en
France, il me remboursera plus tard.
Nous tenons toujours la colique rapide qui
tord le ventre, Eric, se rendant à une pharmacie achète sans ordonnance de
l’élixir parégorique (interdit à la vente libre en France), l’effet est
radical.
Nous allons le soir déguster de petites
soles éclatées dans l'huile de palme bouillante, de l’igname avec de la sauce,
quelques fruits, tout cela à la lueur de petites lampes à pétrole faites dans
des canettes de bière artistement découpées dont le dessus soudé, est doté de
petits manchons pour tenir la mèche, il fait doux, je suis riche, les gens sont
cools, tout est bien.
J’achète un chouette fauteuil
de bois massif 15.000 francs CFA (300ff), le faire expédier en avion me
coûte 900ff.
Le lendemain, vers le port, je vois une
librairie dont la vitrine est principalement réservée aux petits livres rouges
de Mao Tsé Toung, ainsi qu’à
de petites broches émaillées représentant Lénine, Staline et toute la
clique.
Réfléchissant sur le moyen de remonter en
France, je me dis que je n'ai aucune envie de me retaper la piste pour le retour
; Cotonou-Paris par Aeroflot coûtant entre 5 et
6000ff, la conversation avec la petite nana de Tamanrasset me revient en
mémoire, j'en parle aux copains, personne ne croit à l'histoire, mais Eric me
dit que si je risque le coup, il le tente avec moi.
Nos passagers n'ont pas l'air de vouloir
nous lâcher, le mec a des connaissances à Ouagadougou ; depuis Tamanrasset
il nous rebat les oreilles d'une fameuse recette culinaire dont il se propose de
nous faire profiter, ce sera l’occase ; Nous nous
rendons à Jonquet, énorme station de taxis-brousse qui
en partent à toute heure pour toutes les destinations, nous prenons un Cotonou-Lomé, car pour aller à Ouagadougou, le plus directe
est de faire Lomé-Ouaga (voir carte).
Lomé, nous allons boire un coup
à l'Abreuvoir, un des bars où se retrouvent les touristes ; des
balançoires pendues au plafond remplacent les tabourets de comptoir, nous
éclusons une excellente bière allemande, la «Eku», les
Ghanéennes de service sont fidèles au poste, il faut dire qu'à la frontière
Togo-Ghana il y a des changeurs qui donnent entre
quinze et vingt fois le cours officiel C.F.A/Cedi, je soupçonne mon copain
d'avoir donné pour trois jours de Nirvana l'équivalent de deux ans d'émoluments
d’un fonctionnaire Ghanéen.
Lomé-Ouagadougou, à peu près huit cent bornes en 404
plateau, toujours 19 personnes derrière et 3 devant.
Arrivés à Ouaga,
Eric et moi, trouvons un petit hôtel pas cher et sympa en rez-de-chaussée avec
une petite cour au centre, style atrium sur laquelle donnent toutes les portes
des chambres, nous gardons les bagages de nos coéquipiers qui partent en taxi
chez leur copain, ils doivent revenir nous chercher pour les agapes promises
depuis Tam.
La journée passe, personne ; en fin
d'après-midi, arrivée en trombe du passager qui vient récupérer les affaires, il
n'a pas le temps de nous en dire plus ; en fait, il file comme un pet sur
une toile cirée se taper le ragoût sans nous, nous ne les reverrons ni l’un ni
l’autre.
Le lendemain, je passe chez madame Air-Afrique prendre des billets Ouagadougou-Niamey ; 36000 francs C.F.A les deux,
soit 360 francs français par tête de pipe, si ça marche, c’est
raisonnable !!!!.
Nous attendons deux jours en bronzant dans
la cour pour éblouir les copines de Dordogne car là-bas c'est encore
l’hiver.
Le soir d'embarquement, il fait une
chaleur épouvantablement moite, l'aéroport est un tohu-bohu indescriptible, nous
attendons, Artaban ne craint pas de concurrence de notre
part !!
Au guichet, premier écueil : le mec
veut mettre ma valise en soute, j'aurais dû y penser !! Si celle-ci
débarque à Niamey, elle est perdue ; j’y tiens car elle contient des
pointes de flèches de silex taillé, bracelets anciens, poignards et autres
achetées aux Touaregs croisés sur la piste ou aux marchands de souvenirs; je dis
que j'ai oublié de confier un objet à quelqu'un, retourne avec mon pote sur le
parking, jette la valise, des vêtements, sac de couchage et tout ce qui n'est
pas achats typiques de ce voyage ; quand je reviens, je ressemble à
Bibendum, malgré la température infâme, j'ai passé deux pulls et des chemises
auxquels je tenais particulièrement, des bracelets de bronze-argent énormes autour des poignets, malgré mes
manoeuvres, je retombe sur le même employé à l’enregistrement qui ne me
reconnaît pas!
Nous embarquons, trouvons deux places côte
à côte, je suis côté hublot, l'avion décolle.
Le plan prévoyant de faire semblant de
dormir, nous nous y employons avec beaucoup de conviction. Vingt minutes plus
tard, les hôtesses se penchent sur chaque passager et lui demandent quelque
chose que nous ne parvenons pas à saisir, arrive notre tour, la fille essaie de
réveiller Eric, bien sûr, peine perdue ; il devient vite évident, à son ton
insistant, qu'il lui faut absolument une réponse, faisant semblant de me
réveiller péniblement, je lui dis pour justifier notre profond sommeil que nous
sommes malades et lui demande ce qu'elle veut, elle désire savoir si nous
descendons à Niamey où Paris, je remarque qu'elle tient une planchette avec des papiers tenus par une pince,
supposant qu'elle pointe les billets, je lui réponds que nous descendons à
Niamey, sur quoi elle nous tend deux fiches à remplir par personne, l’une pour
la douane l’autre pour la police Nigérienne.
Consternation à Landerneau ! Dès qu'elle
est passée, mon pote revient à la vie et s’inquiète de la suite des opérations,
je lui dis « tant qu'on ne nous vire pas à coups de pompe au train, nous
restons dans l'avion, le plan continue » ; à tout hasard nous remplissons
les papiers puis les glissons dans les poches devant nous, l'avion pique
maintenant sérieusement du nez, ça sent l'atterrissage imminent, nous reprenons
notre somme en serrant furieusement les miches.
Atterrissage, les portes s'ouvrent, les
gens sortent, une chaleur torride envahit la carlingue; quelques temps après, il
n'y a plus de passagers dans le zingue, dix minutes passent, bien que nous ayons
coulé dans nos sièges au maximum, l'hôtesse revient et commence à nous secouer
l'un après l'autre de plus en plus fort, inutile de dire que nous ne bronchons
pas! Finalement elle se lasse, dit « tant pis » et s'en
va.
Nous restons ainsi pendant une bonne
heure, situation inconfortable s'il en est ! Puis de nouveaux passagers
commencent à monter ; apparemment, les places que nous occupons ne sont pas
louées car il n'y a pas de réclamation, les portes se ferment, l'avion se met en
bout de piste et roulez petits bolides !!!
Malgré la tension, nous parvenons à dormir
pour de bon.
Le lendemain matin, l'hôtesse (toujours la
même) un plateau de petit déjeuner à la main, nous réveille beaucoup plus
facilement, nous mangeons comme des gorets, les émotions çà creuse
!
L'avion descend sur la France, la vie est
belle malgré un reste d'inquiétude.
Une fois avoir atterri, nous nous levons,
avançons petit à petit derrière les gens dans la travée pour sortir, Eric me
tape discrètement dans le dos et me fait signe de regarder derrière lui, je vois
un type genre P.D.G qui me regarde, le pouce levé, une lueur amusée dans le
regard ; derrière nous dans l'avion, il avait assisté à notre prestation,
d'un air faussement modeste je lui fais « Hé!».
Nous sortons de l'appareil, passons douane
et police, c’est seulement à ce moment qu’on peut dire que l'affaire est réussi,
nous poussons un grand ouf, mais nous avons eu chaud, et je me promets de ne
recommencer qu’en dernière extrémité !
De retour en Dordogne, j’envoie une carte
à la petite nana de Tam pour lui dire que le système
d’Air-Afrique
fonctionne bien.
Recherche d'un appareil à brouter du
bitume, un présumé copain connaît une 404 en parfait état, pas chère, mais je
dois lui rétribuer le renseignement, je l’envoie se faire téter les
yeux.
Dans un camp de gitans on me propose une
404 commerciale blanche, la caisse un peu rouillée, la mécanique en excellent
état, depuis les déboires de mon premier voyage, j'inspecte soigneusement
l'outil à traverser le désert ! La différence entre la commerciale et le break
est que ce dernier est mieux équipé, et pour les
nouveaux modèles un tableau de bord trois compteurs qui plaît beaucoup aux
Africains.
1000 francs demandés, je fais baisser à
600, baluchon, départ ; curieuse impression d'être une flèche tendue vers
l'Afrique, ce coup-ci, je ferai Alméria-Mélilla, Mélilla est une enclave Espagnole au Maroc, l’anisette et le
whisky y sont cinq fois moins chers qu'en France ; j’avais remarqué qu'une
fois défait la garniture de portière, une bouteille de whisky carrée entourée de
journaux se coince parfaitement au fond de cet espace, d’où la dizaine de
vieilles publications glanées sur ma route.
Je m’arrête dormir en Espagne, me réveille
par un froid de canard 4 heures plus tard, il y a une couche de glace sur les
vitres à l’intérieur de la voiture, je démarre le moteur, mets le chauffage,
gratte une meurtrière pour voir une portion de route, et pars, toujours
emmitouflé dans le sac de couchage ; quelques kilomètres après, je
m’aperçois que la température d’eau du moteur attaque la zone rouge, et que le
chauffage n’évacue pas de calories, j’en déduis que toutes les canalisations et
sûrement le radiateur sont gelés, je me gare. Un quart d’heure plus tard, je
remets le contact, l’aiguille de température est descendue, je continue,
rebelote, m’arrête à nouveau, je ne regrette pas d’être resté dans mon
cocon !
J’arrive à rouler ainsi jusqu’à un
restaurant qui, malgré l’heure tardive est toujours ouvert, je m’extirpe, et
entre dans l’établissement à assouvir les faims et soifs, commande un
casse-croûte, un verre de rouge et un café.
Une heure plus tard, le chauffage est de
nouveau opérationnel, apparemment, pas de dégâts.
Mélilla, attendant le bateau, je croise un
Français grand, brun, Corse, que j’ai déjà
entrevu à Cotonou, visiblement, il s'apprête à faire la traversée, on se
salue, il passe par Gao, c’est un bon, nous décidons de faire un bout de route
ensemble.
On se retrouve sur le pont le lendemain
matin, pendant la nuit, il a trouvé moyen de tringler une grosse Allemande. Nous
faisons nos provisions de route et d'alcool à Mélilla,
au passage je lui montre le truc des bouteilles de whisky, du coup, il en prend
trois de plus.
Passage de la frontière Marocaine toujours
aussi tranquille, mais à la sortie, problo pour moi,
je n'ai pas changé la carte grise par économie, et le douanier me cherche des
poux dans la tête car je n'ai qu'un acte de vente signé pour justifier que je
suis propriétaire du véhicule.
C'est le soir, le big-chef ne viendra que le lendemain matin, lui seul pourra
prendre une décision ; le copain lui, n'est pas emmerdé car il a pris la
précaution de faire légaliser la signature du vendeur.
Le processus de légalisation consiste à
accompagner le vendeur à la mairie, il signe l'acte de vente devant la personne
habilitée qui appose tampons et signatures certifiant que l'acte a été signé
devant elle par le propriétaire ; en y réfléchissant, je trouve logique que
le douanier m'ait arrêté, mais je n'ai pas l'intention de retourner en Dordogne
pour réparer la bévue, je dis au copain qu'il ne m'attende pas, mais il préfère
rester pour voir ce que ça va donner, je n'insiste pas outre mesure
!
Le petit matin arrive, le chef
aussi ; bref conciliabule entre douaniers, le gradé vient me voir, je lui
dis avoir appris seulement cette nuit l’existence de la légalisation de
document ; il est sympa, après avoir discuté un peu, il me tend mes papiers
en nous souhaitant bonne route. Plusieurs fois par la suite je me rendrai compte
que les affaires bancales se règlent en Afrique par le dialogue et le contact
humain (on pourrait prendre modèle en France!).
Passage de la douane Algérienne toujours
aussi rigide, nous nous séparons à Tlemcen où mon compatriote a des affaires en
cours.
Pas de pompe à essence ouverte ou
approvisionnée sur la route, je pense en trouver plus tard, hélas, à Sebdou, la pompe est à sec, 40 bornes avant El Aricha, l’horizon est totalement désertique et enneigé,
alors qu’en France, il faisait doux ; l’aiguille d’essence bloquée sur le
zéro depuis longtemps, je vois enfin une maison isolée, je vais taper à la porte
et demande au type qui vient de m’ouvrir s’il peut me vendre de l’essence,
il me dit « bouge pas » ; il revient peu de temps après
avec un bidon d’une dizaine de litres à moitié plein, je fais une transfusion à
mon réservoir, rends la consigne à mon sauveur, lui demande combien je lui dois,
il me dit « rien du tout », je lui serre la main en remerciant
énergiquement.
Je cède mes bouteilles au fil de la route,
notamment dans les stations d’essence, car les pompistes demandent
systématiquement si l’on a quelque chose à vendre. Les mecs sont sympas, n’ayant
pas besoin de beaucoup de dinars, je vends les bouteilles 200 dinars en faisant
remarquer que je leur fais une fleur, et que la prochaine fois, ce sera le tarif
syndical soit 300 dinars, la rareté du produit fait que l’on peut demander ce
qu’on veut en étant chien.
L’accélérateur s’enfonce très facilement
sur les 404, c’est pénible, car je ne peux pas reposer le pied dessus, je palie
le désagrément à l’aide d’un tendeur sous la pédale.
Adrar, je vais manger un ragoût chez Ramdann, il me rempli 2 bidons d'eau de 10 litres puis je
vais à la station charger 250 litres d'essence.
Reggane, il n’y a pas de gens en attente d’un
convoi, j’y vais au flanc comme si je ne savais pas qu’il fallait passer en
groupe, les douaniers à la vue des tampons de mes différents passages me
laissent partir seul.
300 bornes plus loin, je m’arrête pour
siphonner du carburant, je suis surpris d’entendre du bruit en ouvrant le
bouchon, je tends l’oreille, l’essence est en train de bouillir, je ne sais pas
si la cause en est la chaleur ambiante ou le frottement du fond du réservoir sur
le sable brûlant, je me fais du soucis, ayant peur que cette évaporation ne
diminue mon autonomie en combustible. Il est difficile, vu les différents
terrains traversés de faire le calcul, au résultat, je ne pense pas que la perte
par évaporation soit très importante.
Passage de la frontière Malienne cool, 30
ou 40 bornes après Anéfis, je crève, je suis en train
de resserrer la roue, quand, derrière moi, j’entends « bonjour »,
lorsque je me suis arrêté, il n’y avait rien à tous les horizons, et maintenant,
un Peul* qui traverse d’est en ouest me salue, je lui rends son salut en
essayant de ne pas avoir l’air trop estomaqué ; il est vêtu d’une courte
tunique, d’un saroual (large pantalon) et porte une guerba* moitié plate sur le dos, il ne s’arrête pas pour
discuter, et continue son chemin d’un pas allègre.
Aux alentours de la Markouba*, des Tamasheks me font signe de m’arrêter, (ce que
tout le monde fait religieusement dans ces régions désolées), pendant que je
leur donne de l’eau, ils me font la manche, mais je n’ai que du mathos de première nécessité dont je ne peux me
défaire.
40 bornes avant Gao, je retrouve
facilement le petit monticule aux vestiges archéologiques, bien qu’il soit peu
surélevé, dans la platitude du panorama, il est parfaitement repérable, je
trouve des tessons de poteries décorés de dessins géométriques réguliers, la
tranche de la cassure est brun clair avec une épaisseur gris foncée au milieu,
je ramasse un morceau d’os, il offre au toucher deux parties, une froide, et
l’autre chaude, tapant dessus avec la lame d’un couteau, je m’aperçois qu’une
moitié est fossilisée, l’autre pas. Je ne m’attarde pas, car ces trouvailles ne
sont pas extraordinaires.
Gao, Niamey, 20 bornes après la sortie de la ville,
un caillou me pète le pare-brise, je fais demi-tour pour aller au marché des
pièces d’occasion changer le morceau, à l’entrée de l’agglomération, les flics
m’arrêtent et commencent à dire :
_ « Vous allez payer car vous
roulez avec le pare-brise cassé. »
_Moi : « Chut….écoutez, ça vient
d’arriver ! », et je tends le doigt vers le pare-brise, on l’entend
encore craquer, les flics doivent en convenir, et me laissent
passer.
Après la pose à la ficelle d’un pare-brise
d’occase, je reprends ma route.
De nuit, un troupeau de moutons ou chèvres
dont je ne vois que les yeux s’est approché de la piste, ce défilé de lumignons
dans l’obscurité totale est impressionnant.
Je dors au camping de Kandi dont les chambres sont absolument immondes, des
animaux de toutes sortes et de toutes tailles sortent de la brousse proche et
viennent patrouiller le secteur, de plus, l’ampoule de 25 watts pendue au
plafond ne permet pas de faire l’inspection des lieux, je mets mon sac de
couchage sur le matelas crade et sans draps, écarte du mur le lit en ferraille
pour m’éviter des visites intempestives, et en écrase comme un
sonneur.
Cotonou, le Bénin-palace, l’un des intermédiaires m’emmène chez une
mama-Benz*qui fait du business de tissus. Nous tombons
rapidement d’accord sur le prix et convenons d’un rendez-vous dans l’après-midi
au Q.G pour régler l’affaire.
L’après-midi passe, personne, au soir, un
type me demande, l’air de se prendre très au sérieux, me tend une carte de
visite et se dit le frère de la mama, il l’excuse car
elle ne peut venir, il faut que je me présente à son bureau le lendemain matin
pour conclure la vente.
Le lendemain, je me pointe, sa seigneurie
me fait patienter, au bout de dix minutes, je dis à la secrétaire que je m’en
vais, comme par hasard, il devient disponible, me fait entrer et asseoir dans
son bureau, demande la carte grise pour faire rédiger l’acte de vente par son
employée, et m’explique que le prix convenu avec sa sœur n’est plus de mise, me
tend le dit acte de vente à signer, la somme convenue amputée de 1500 francs
C.F.A.
Je me lève, ôte le trombone qui tenait le
feuille dactylographiée et la carte grise ; empoche cette dernière, déchire
de haut en bas le bel acte de vente tout neuf, tout en lui disant qu’il ne sera
jamais un homme d’affaire, que quand on se met d’accord sur un prix, on s’y
tient, que dans les temps anciens, les chevaliers retournaient volontairement
chez l’ennemi quand ils n’avaient pu réunir la totalité de leurs rançons pour se
faire couper la tête, et respecter ainsi la parole donnée ; sur ces bons
mots, je sors en claquant la porte.
Comme tous les passeurs un peu secs, je
vais au petit restaurant malien situé en face du Bénin palace, ce n’est qu’une
cahute de planches dans laquelle pour trois fois rien on peut manger un plat. La
bouffe y a toujours un fort goût de détergeant, au début, je suppose que, faute
d’eau courante, les assiettes sont mal rincées; j’apprendrai plus tard que
les mamas, pour évacuer les œufs de mouches, lavent la
viande à la lessive.
C’est pas tout ça, il faut que je largue
vite fait mon os.
Je branche Doudou, petit Malien sympa,
intermédiaire au Bénin palace et nettement plus intelligent que la moyenne de
cette engeance, lui dis que j’ai l’intention d’aller prospecter à Porto-Novo distant d’une soixantaine
de kilomètres vers le Nigeria, cette ville étant moins saturée de voitures à
vendre ; je préfère l’emmener et être tranquille, lui filer une commission
sur laquelle nous nous entendons au préalable, plutôt qu’avoir des embrouilles
avec les mecs du cru, et donc la police de Porto-Novo.
Une demi-heure après être arrivé, la
voiture est vendue 450 .000 C.F.A, nous nous arrachons illico en
taxi-brousse dans lequel je file sa com’ à Doudou, il
s’arrête avant Cotonou car il a une copine dans le coin.
Un habitué du Bénin-palace me dit qu’il a fourgué sa 504 break
complètement destroy au « frère » de la mama-Benz 600.000 CFA, le connard n’a rien vu ! Je suis
désolé pour la gentille mama, car le frangin a dû
vouloir jouer au plus malin pour s’en mettre au passage une poignée dans les
fouilles.
A l’hôtel Babo,
je fais connaissance de deux
Hollandais, Hans et Jöss, pour ce dernier,
c’est la première traversée, il a déjà fourgué sa caisse en route, nous sommes
en train de discuter en buvant une B.B (bonne Béninoise), quand un des fils du
Babo’s hôtel dit à Hans qu’il y a des Nigérians intéressés par sa 504, nous
descendons, trois mecs entourent une noire mince et élancée dans un
extraordinaire habit vert et jaune de grande prêtresse, elle est coiffée d’une
mitre comme en portent les évêques des mêmes couleurs ; Hans, parlant
parfaitement anglais, attaque la discussion. J’observe l’Eminence Noire, elle a
un charisme fabuleux, deux types s’occupent de la palabre, la vestale devise
tranquillement avec le troisième, les problèmes bassement matériels n’ont pas
l’air de la concerner.
Quelques instants plus tard, Hans et ses
interlocuteurs se mettent d’accord, l’argent change de main, les types sortent
d’un sac des plaques minéralogiques et les fixent sur les pare-chocs, tout le
monde se salue ; après avoir acheté une bouteille de whisky et de la glace,
nous remontons dans nos piaules arroser la transaction.
La combine du moment pour rentrer à un
prix raisonnable en France consiste à acheter la monnaie nigériane à Jonquet ou à la frontière moitié moins cher que la cote
officielle, et prendre une ligne régulière à Lagos avec donc 50% de réduction,
ce qui donne (avec le taxi-brousse à 10.000 C.F.A par tête pour aller à
l'aéroport) un retour entre 2500 et 3000 francs français selon le cours, ce qui
reste raisonnable.
Il faut un visa pour passer au Nigeria,
deux jours de délai.
Après avoir récupéré les passeports, nous
louons un taxi, un Français, Hans, Jöss et moi, nous
changeons ensemble notre argent pour avoir un meilleur
taux.
A la frontière Béninoise, le chauffeur du
taxi engage un peu le capot de la voiture sous la barrière, un gendarme arrive,
furieux, gueulant comme un porc qu'on égorge, le conducteur semble terrorisé,
discuter n'y fait rien, le militaire se penche à la portière et nous demande de
descendre, car «le véhicule est saisi par la
gendarmerie».
De la main, le chauffeur nous fait
discrètement signe de ne pas bouger, ce geste tranquille contraste étonnamment avec son air
affolé, il descend de la voiture, la polémique s'engage ; bakchich, le
gendarme avec un sérieux extraordinaire nous annonce officiellement que
« le véhicule est dessaisi par la gendarmerie».
Aussitôt après, la douane nigériane :
« hight speed », des gens passent à pied du
matériel de toute nature du Bénin vers le Nigéria, et
inversement ; cela à cinq ou dix mètres des douaniers sans qu’ils semblent
s'en apercevoir, un type tente de passer avec un énorme rouleau de tissus sur la
tête, juste après la douane, côté nigérian, il est encadré par cinq gus qui
commencent à tirer sur le rouleau pour lui chouraver, ils opèrent avec un
naturel déroutant, tout se passe sans bruit, sans une parole, le type résiste,
alors, ils commencent à le tabasser avec des bâtons, dix secondes plus tard, le
mec est en sang, détroussé, personne n'est intervenu, il repart vers le Bénin,
sans se plaindre, son fatalisme est saisissant ! Les formalités accomplies,
nous repartons, barrages partout, les militaires ont des mitraillettes Thomson
de calibre 45 comme au temps de la Prohibition, de grands boucliers de lames de
bois tressées et des lances type Massaï.
Aéroport de Lagos, le chauffeur nous
avait prévenus qu'il fallait sortir à toute vitesse de la voiture car si elle
stationne plus de trente secondes, les flics qui pullulent devant l’entrée
matraquent le capot, nous nous extirpons de l'auto rapidos, prenons les bagages
dans le coffre, il démarre plein pot sans même dire au revoir.
Dans le hall, nous attendons l'affichage
des destinations qui nous intéressent ; prenons des billets sans problème,
le cash est le seul mode de paiement accepté, ayant des destinations
différentes, les Hollandais sont les premiers à partir.
Puis c'est le passage police-douane, il y a des coups de gueule pour un rien,
l'atmosphère est chargée d'électricité, les passagers sont pressés et bousculés,
les douaniers refouillent les voyageurs avant la rampe conduisant à l’avion,
plus pour leur soutirer quelque chose que pour découvrir d'éventuelles armes, le
Nigeria est vraiment craignos !
Nous survolons le Sahara durant deux
heures, je me dis qu’il faut être dingue pour avoir traversé cette immensité,
seul, dans une bagnole à 600 balles.
Arrivée à Paris, ouf ! Un petit bonjour à
la famille, puis retour en Dordogne.
Je trouve une 404 berline nouveau modèle,
boîte en H, tableau de bord trois compteurs, légalisation de l'acte de vente,
descente.
Adrar, le soir, je mange chez le père
Ramdann, j’y fais connaissance d’un Français étrange,
la cinquantaine, il connaît bien les mœurs autochtones, et furette un peu
partout en Algérie durant sa descente, il me montre des petits papiers qu’il a
été chercher à l’écart de la ville, ce sont des formules magiques écrites en
arabe exprimant des vœux et enterrées dans des tessons de poteries à un endroit
susceptible de faire se réaliser les souhaits. Comme il est trop tard pour
passer la douane, nous nous écartons un peu de la ville afin de dormir dans nos
voitures, cette agglomération absolument déserte la nuit, et non éclairée, est
sinistre.
Le lendemain, je vais remplir le fût de
200 litres que j'ai mis à la place du siège arrière, deux vieux pneus en guise
de berceau.
Le douanier chargé de la fouille de sortie
(toujours le même depuis mes premières incursions) ne visite plus que
symboliquement ce que j’ai dans l’auto, il me demande, l’air de pas y toucher,
des «revues», doux euphémisme pour désigner des livres et revues pornos, comme
il n’est plus regardant sur les pièces inscrites au carnet de devises, je lui
dis que la prochaine fois, je penserai à lui.
Reggane, trois voitures attendent une quatrième
pour faire convoi, nous partons ensemble, pas d’incidents notables jusqu’à 90
bornes avant Anéfis, là, des convoyeurs Algériens sont
en train de désosser fiévreusement une 404 immatriculée en France, il n’y a déjà
plus de phares, portières, feux arrières, pare-brise, etc…. tout le monde s’y met, les
sièges sont enlevés, pour ma part, je prends le bloc portant les pédales avec le
servofrein ; les Algériens mettent la voiture sur le flanc pour sortir plus
vite moteur et boîte à vitesses, l’un d’eux me dit qu’ils se dépêchent car les
proprios comptent vendre la voiture aux policiers d’Anéfis.
Apparemment, les transporteurs étaient là
quand la Peugeot d’un convoi est tombée en rade, les Français ont fermé leur
voiture à clé comme sur les Champs Elysées, empruntant
le reste du convoi. Une fois tout ce beau monde disparu à l’horizon, les
Algériens se mirent à la besogne. Après quelques menues autres ponctions, je dis
aux copains qu’il vaut mieux abandonner vite fait la curée car les indigènes
connaissant bien le terrain, vont contourner le poste d’Anéfis, par contre, nous, nous sommes obligés d’y passer
pour avoir le tampon prouvant notre passage à ce gros village
Touareg.
Anéfis, les flics sont avec les Français, des
jeunots, tous sur le point de repartir avec les véhicules restants du convoi
pour aller chercher la voiture laissée en arrière, l’agent en poste nous dit que
ses collègues ont déjà acheté la 404 abandonnée sur la piste, la tronche qu’ils
vont faire !!!
Vingt kilomètres avant Gao, nous croisons
un vieux en scooter qui nous fait signe d’arrêter, il remonte vers le Nord, un
peu épaté, je m’arrête, les autres continuent ; le type me demande de
l’eau, entre deux gorgées, il dit remonter en France à travers le Sahara par ce
moyen hors du commun.
Il est couvert de furoncles, et conduit
son engin sur une fesse, ayant une énorme pustule sur l’autre, son short est
collé par le pus ; je lui explique qu’il n’a aucune chance d’y parvenir avec son
tromblon Italien, que bientôt, il va attaquer le sable mou, il ne veut rien
savoir, dit être un ancien légionnaire, que rien ne peut arrêter. Il n’a qu’une
besace de vivres, un petit jerrycan d’essence, j’insiste, lui redis qu’il a 1200
bornes à s’appuyer, qu’il lui va falloir continuer 100 kilomètres plus loin avec
son Vespa sur le dos car il n’aura plus d’essence, lui montre la carte, rien à
faire, ce barjot est indécrottable, et la bière qui m’attend bien fraîche à
l’Atlantide….. je lui laisse
mes bidons de 10 litres d’eau à peine entamés, et continue sur
Gao.
Je retrouve les copains au commissariat de
police, salue Mambi, remplis ma copie comme un grand,
et vais m’en jeter deux de 75 centilitres glacées dans le
cornet.
Sur le marché aux « souvenirs »,
après avoir marchandé des pointes de flèches et haches préhistoriques de silex,
je m’interroge devant l’hésitation du marchand à prendre la monnaie, je saurai
plus tard la raison de cette circonspection : je tendais mon argent de la
main gauche, celle utilisée en Afrique
pour les ablutions anales.
Gao, Niamey, frontière Béninoise, les
douaniers toujours aussi speed, mais maintenant, je les connais, ils font du
cinéma derrière leurs lunettes miroir tels des tontons macoutes, quand ils ont
« mangé un peu », ils redeviennent calmes, ne pas se laisser
impressionner, et ça passe.
Le matin, je vois à deux reprises des
caméléons finissant de traverser la route, surpris, je n’ai pas le temps de les
chopper.
Je dors à l’infâme « camping »
de Kandi, de bonne heure, je vais prendre un petit
déjeuner sur la place où s’arrêtent les taxis-brousse, café au lait, tartine de
confiture et margarine.
Etape à Parakou,
cuite avec quelques passeurs de voitures que j’ai pour la plupart déjà aperçu au
Bénin-palace.
De nuit après Kokoro, un python de deux mètres venant de la droite
traverse la piste juste devant la voiture, je braque à droite en freinant sec,
tire le frein à main, il a déjà la tronche dans les herbes du côté gauche de la
route, quand, lui sautant sur le râble, je l’attrape derrière la tête, ma
voiture s’arrête un peu plus loin. Les pythons que l’on voit en Europe sont
mous ; quand ils sortent de brousse, c’est un autre genre d’outil !
Celui-ci se roule instantanément sur lui-même, je me retrouve avec une énorme
boule dure comme du boa (ne pas retoucher S.V.P.), un peu comme une balle de
tennis géante, la tête et la queue à l’intérieur, pas moyen de le faire sortir
de cette position, ni de le lever, il pèse un âne mort, je le caresse, ses
écailles sont douces hélices (ne pas retoucher S.V.P.), rien à faire, il ne
bronche pas, à croire qu’il n’a pas confiance ! Finalement, je le roule dans la
végétation qui borde la piste car je ne sais pas quand il sortira de cette
position stratégique, et je ne voudrais pas qu’il se fasse
cartonner.
Il faut dire qu’au fil du parcours, à
partir de 50 bornes après Bordj-Moktar, la
végétation recommence à pointer le
museau, d’abord de petites touffes éparses d’herbe jaunâtre, un épineux rabougri
par ci, puis deux par là, le Niger est un intermédiaire sahel-brousse ; à partir de la frontière Béninoise, la
végétation est souvent luxuriante.
Passant à Bohicon, je me dis qu’un petit crochet par Abomey* serait
peut-être intéressant car les passeurs, près d’arriver à Cotonou ne pensent pas
à essayer un autre débouché si près du Bénin-palace.
Je me fais un copain qui tient un petit
restaurant près du marché, Johnny, expansif, trapu, une grosse bille ronde,
c’est un spécialiste en omelettes de toutes sortes, il a un affreux roquet de
chien rusé comme un fennec appelé Pilate, quand il me regarde, je ne résiste pas
au plaisir de lui demander « à quoi tu penses, Pilate ? » ou
quand il court, « où tu fonces, Pilate ? », le soir, avec un autre Français
rencontré en cours de route, nous faisons une belote Africaine contre Johnny et
un pote à lui ; la belote Africaine, c'est la belote Française, à part
qu'on a le droit de tricher, mais pas de se faire prendre, l'enjeu : la
bouteille de whisky qui est là sur cette table et qui est déjà bien entamée, on
est tous bourrés à la clé, car avant de manger les fameuses omelettes, on a
largement pris l'apéro et bu du rosé portugais pour pousser tout çà, il faut
dire qu’au Bénin l'alcool est trois ou quatre fois moins cher qu'en France, il
n'y a pratiquement pas de taxes sur les importations, pas d'impôts à payer,
quand vous ouvrez une boutique, vous ne devez rien à personne, tout ce qui tombe
dans la caisse est pour vous ; nous sortons de chez Johnny tard dans la
nuit.
Nous avons élu domicile à la maison des
jeunes travailleurs, la journée de piaule (propre) est à 500 C.F.A, j'en sors le
lendemain matin avec la bouche en fond de cage à perroquet, passe voir le père
Johnny qui se porte comme un charme, il a déjà fait son marché et est en train
de nous mitonner un ragoût de derrière les fagots, le temps qu'il me prépare le
café au lait avec tartines, je vais au marché pour acheter de l'aspirine
fabriquée au Nigeria, m'en enfile deux avec le petit déjeuner, puis repart sur
la place histoire de me dégourdir les jambes, toutes les mamas proposent leur articles en souriant, les odeurs sont
très fortes, les mouches sur la viande ne dérangent personne, (au bout de
quelque temps je n'y ferai plus attention non plus); un marchand de grigris a un
étalage incroyable d'animaux séchés, caméléons, têtes et mains de singes, peaux
de serpents, bottes d’épines de porc-épic, amulettes de toutes sortes, pots
contenant des mixtures de toutes les couleurs ; de l’ensemble, se dégage une
puanteur insupportable! Je lui achète une botte d'aiguilles de porcs-épics après
un solide marchandage, le soleil est haut, je recommence à avoir faim, le mal de
tête s’est un peu estompé, je retourne chez Johnny casser la
graine.
Pendant que nous grignotons avec un doigt
de rosé, un Béninois costaud, la trentaine, se pointe, il est habillé d'un
boubou de cotonnade imprimée aux couleurs vives avec chapeau tronconique du même
métal, il me demande si je désire vendre le véhicule, je lui dis que si nous
tombons d'accord sur le prix çà peut se faire, lui paie un coup de pinard pour
que nous puissions discuter à égalité.
Nous allons faire un tour pour qu’il
puisse juger de l'état de la voiture, c'est pas pour vanter la camelote, mais il
faut dire qu'elle fonctionne aussi bien qu’à sa sortie des chaînes de montage de
monsieur Peugeot 200.000 kilomètres auparavant ; la chaîne de distribution
nous fait un petit solo, mais pour l'instant ce n'est qu'un léger
gratouillement ; en partant de France, elle me chuchotait déjà à l'oreille,
et des fois qu'elle se soit mise en colère en cours de route, j'ai préféré en
prendre une autre, d'occase soit, mais pas trop usée.
Nous tombons d'accord sur le prix, le type
l'achète pour faire le taxi en ville, il faut que j'attende jusqu’au lendemain
pour qu'il puisse réunir le pognon, l'hôtel n'étant pas cher, le restaurant de
Johnny pas ruineux, l'ambiance bonne, rien ne presse, banco.
Je reste le lendemain sans nouvelles, ce
n'est pas bon car j'ai dit à d'autres clients que la voiture était vendue, la
parole en Afrique ne valant pas grand-chose, je me demande si mon acheteur ne
veut pas me faire un coup à l'envers !
Enfin, il se pointe, mais accompagné, ce
qui ne m'inspire pas confiance…..
J'ai eu le nez fin, le type en question
est un mécano, et bien que jeune, un fameux ; il connaît les Peugeot sur le
bout des doigts ! Bien qu'il ne la ramène pas, je sens tout de suite qu’il va me contrarier, car, bien
évidemment, le client l'a amené
pour trouver l’argument qui fera baisser du prix convenu, il demande à
faire un essai, je m'exécute, nous faisons un petit tour de ville, revenons, il
appuie sur les ailes pour juger des suspensions, passe sous la voiture et tapote
la caisse pour voir si elle n'est pas pourrie ou rafistolée au mastic, j’ouvre
le capot, fais tourner le moteur, il s’exprime sur le cliquettement de la chaîne
de distribution, je lui dis que j'en ai une de rechange, il demande à voir, la
secoue à son oreille pour juger de son état (je pense que si elle cliquette
c'est qu'elle est usée), il donne les trois coups d'accélérateur rituels et va
voir la couleur des gaz d'échappement, je ne crains rien et suis bien placé pour
savoir qu'elle ne consomme pas d'huile.
Le mécano fait son rapport à mon client en
dialecte pour que je ne puisse pas comprendre, malgré cela je saisis "dynamo
plus (+) de sûreté" , je fais celui qui n'a rien compris, mais retient ce
renseignement comme argument d’une vente future, j'attends le verdict, le client
se tourne vers moi et me dit que la chaîne de distribution est foutue, qu'il
faut la remplacer, gnagnagna et gnagnagna......ce à quoi je réponds que :
pour la chaîne, je lui en fournis une, la voiture est irréprochable, d’ailleurs,
nous avons déjà décidé du prix, que s'il n'en veut plus, qu’il le dise, ce ne
sont pas les clients qui manquent, il est visiblement contrarié de ma fermeté,
il voulait me la faire à l'africaine, mais maintenant, je connais les cordages,
je sais que je tiens le bon bout; j'ai fais 5000 kilomètres dont plus de 2000 de
désert et de piste pour amener ce magnifique engin en parfait état de marche, ce
n'est pas le moment de mollir!
Je lui dis courtoisement, mais fermement
que je n'ai pas l'habitude de discuter trois fois le prix, c'est oui ou non,
verrouille les portes et retourne boire une "béninoise" bien
fraîche.
Après quelques palabres avec son
auxiliaire, il revient chez Johnny pour me payer, je tends la main, il sort un
gros paquet de billets, je recompte, empoche les coupures, paie une tournée
générale, il s'en va au volant de mon ex-berline ; bon, me voilà riche et
piéton, je finis l'après-midi à me torcher avec Johnny et le collègue, le copain
me demande ce que je compte faire, je lui explique comment remonter par Lagos,
que c'est actuellement le meilleur moyen de retourner en France, comme il n'a
pas eu de clients sérieux et que sa voiture commence à être un peu trop connue
ici, nous décidons de descendre sur Cotonou et partons le lendemain
matin.
Au Bénin palace, une histoire marrante
circule : il y a une grande forêt entre Porto-Novo et le Nigeria appelée
« la forêt des voleurs » car elle sert de passage à tous les trafics
illicites entre ces deux pays, et des types s’y sont fait prendre à essayer de
passer un réacteur d’avion volé!!!
Je vais à l’ambassade du Nigeria ;
hélas, il faut une page vierge pour y mettre le placard qu’est le visa, j’essaye
d’insister, mais le mien est gavé, rien à faire.
Au Bénin Palace, je confie mon embarras à
un descendeur confirmé, il me dit qu’il suffit de prendre les nairas à Jonquet, d’acheter à l’aéroport de Cotonou le billet Cotonou-Lagos. A la descente de l’avion à Lagos, on vous
demande « transit ou Lagos », dire « transit », descendre
les escaliers, aller dans cette salle à gauche, attendre qu’il n’y ait plus
d’affichage de partances, à ce moment, les douaniers et policiers s’esbignent de
leurs guitounes, on passe en zone internationale prendre le billet, puis on
revient en transit, le tour est joué.
O.K, va pour le plan, j’achète un magnum
de Chivas pour arroser ma prochaine visite à Paris,
puis des nairas à Jonquet, le billet à l’aéroport de
Cotonou, et pars en avion.
Lagos, premier problo, un cordon sanitaire demande les carnets de
vaccination, sur le mien, le choléra est périmé!
Je ne parle pas trop bien anglais, là, je
ne m’exprime qu’en Français, en désespoir de cause, ils me font accompagner par
un loustic vers le chef de police, nous descendons un grand escalier, traversons
un hall que je pense être la salle de transit, car s’y trouve l’affichage des
départs, à la sortie à droite, un large couloir, le cerbère me dit d’aller taper
à la porte d’un bureau où deux de
ses collègues fonctionnent, et me lâche les baskets.
A trois mètres du bureau, je me baisse,
fais semblant de regarder dans mon sac, me retourne, mon ange gardien repart au
cordon sanitaire sans me reluquer, demi-tour, direction la salle de transit, le
coup est rattrapé.
J’attends, les affichages n’indiquant pas
de départs avant quelques temps, comme prévu, les douaniers et policiers ripent
les galoches, je passe les guichets ; dans la zone internationale j’attends
en sirotant une « Trois Couronnes », une demi-heure plus tard,
toujours pas de départ annoncé sur la France, un Européen pointe se désaltérer,
nous engageons la conversation avec mon anglais approximatif car mon
interlocuteur est Ecossais.
Il travaille sur une plate-forme
pétrolière, et retourne chez lui, de fil en aiguille, nous étant mutuellement
offert le liquide brassé qui réjouit les cœurs, je lui révèle ma combine, je le
vois brusquement soucieux pour ma pomme, quand je lui demande la raison de son
tracas, il me désigne un black qui attend à l’écart, et me dit « je suis en
situation régulière, et ce type est payé par ma compagnie, uniquement pour
faciliter mon embarquement ».
Il me propose d’en parler à son
lubrificateur de passage, je demande s’il est sûr de lui, il m’assure qu’il n’y
a pas de problème, c’est son métier, et s’il me balance, il sait très bien qu’il
sera viré, je lui donne le feu vert ; l’Ecossais appelle le black et lui
casse le coup en anglais, au fur et à mesure que ce dernier comprend la
situation, il vire au gris, je commence à
m’inquiéter !
Le passeur se lance dans une longue et
vigoureuse explication que me rapporte le copain car je n’ai rien pigé. Entre la
couverture du passeport et la première page, il préconise que je mette une
liasse de nairas pour la police, et après la dernière, la même somme pour la
douane, le tout correspondant à un peu plus que le prix d’un billet d’avion,
cela accompagné de la condition que ces messieurs daignent accepter mon
offrande !
Je réfléchis un peu, demande à l’Ecossais
s’il peut garder quelques minutes mon sac.
J’ai décidé de traiter le problème bille
en tête :
Je prépare plusieurs paquets de CFA de
divers montants dans mes poches, puis me pointe au guichet de police, montrant
le bureau du chef plus loin derrière ), je dis au
fonctionnaire que je dois aller parler au responsable, le type un peu surpris me
donne le feu vert, les douaniers n’émettent pas plus d’objection à mon passage,
je fais un crochet de façon que si le chef me voit arriver par la vitre, il
croira que je viens de la zone de transit.
Je tape à la porte, salue, explique que
j’arrive de Cotonou, que je dois aller rendre visite à mon frère qui travaille à
l’ambassade de France, que je n’ai pu obtenir de visa car mon passeport est
saturé ; que faut-il faire pour sortir ?
Le chef en civil derrière son bureau dit
quelques mots à voix basse à un type en uniforme debout derrière lui, celui-ci
me fait signe avec sa British badine de venir discuter dans un angle du
bureau : je dois donner 25.000 C.F.A, je réponds qu’il ne m’en reste que
15000, il faut que j’en garde un peu pour le taxi qui me conduira à l’Ambassade,
on finit par tomber d’accord sur 6500 C.F.A (130ff), je sors l’oseille de la
poche à 15.000, en compte 6.500 qui sont dirigés, ainsi que mon passeport vers
le chef, qui prend un tampon, et, trouvant un espace à peu près libre à la
dernière page, en met un bon coup, marque quelque chose dessus, et me rend le
passeport, je lis «transit pass 48 h Cotonou » (voir photo), le
problème est résolu.
Repassant les guichets, avec mon visa
provisoire tout neuf, je retourne voir l’Ecossais et son bras cassé de pilote,
présente mon autorisation temporaire et leur dit : « and this, it is chicken ? », je crois que l’Ecossais n’est pas
encore revenu du coup. Je paie une tournée pour fêter l’évènement, le copain,
ayant son avion annoncé s’arrache en me souhaitant bon voyage, je lui
retourne son souhait.
Attendant mon avion, un Nigérian me
demande si je veux acheter un billet à tarif réduit pour Paris, je demande à
voir l’objet, il me tend le retour d’un Paris-Lagos/Lagos-Paris au nom de
« Herpin », je lui dis que ce n’est pas mon nom, il
répond qu’il n’y a pas de problème, qu’il s’occupe de tout, le prix étant des
deux tiers du tarif normal, je suis d’accord, mais ne paierai dans la zone de
transit qu’une fois passées police et douane,il accepte. Il n’y a pas d’avion
pour Paris avant le lendemain, on se donne rencard avant l’heure
d’embarquement.
En fin de matinée, un colonel de
légionnaires à la retraite se pointe au comptoir, nous discutons pour passer le
temps ; il me raconte que, du temps où il était opérationnel en Mauritanie,
il est tombé sur des sites extraordinaires, notamment des forêts entières
d’arbres fossilisés, des secteurs couverts de silex taillés ; lors d’une
halte prolongée, ses hommes, pour se distraire ont fait des dessins au charbon
de bois dans des grottes ; plus tard il en a retrouvé des reproductions
dans des livres traitant de préhistoire qui donnaient pour authentiques ces
délires légionnairo-rupestres. Vers 13 heures, il
embarque.
A plusieurs reprises, on m’aborde pour me
proposer l’hospitalité à l’extérieur de l’aérogare, probablement pour me faire
la peau ; montrant mon visa à la police et à la douane, je demande à me
replier dans la zone de transit, ce qui m’est accordé, j’y serai
tranquille.
Le soir, j’en sors, et ayant du coup des
nairas de rab, je vais au restaurant de l’aéroport ; superbes couverts,
mais la bouffe pas géniale.
Le lendemain, comme convenu, mon type se
pointe, enregistre le billet, me fait passer avec mon sac ; une fois dans la
salle de transit, il devient nerveux, je lui dis de me suivre dans les chiottes,
nous nous y enfermons, je sors l’argent de mon calbar, ce qui ne le choque pas
outre mesure, compte le prix convenu, il me demande un supplément pour la taxe
d’aéroport, je l’envoie chez Plumeau. A Paris je sors de l’aéroport sans
anicroches.
Ma mère étant en vacances, je prends le
train direct sur Bergerac.
Lalinde, à la gendarmerie, je déclare mon
passeport perdu afin de le garder en souvenir et m’en fait établir un
autre.
Après quelques orgies périgourdines, je
décide de passer voir la Mama en banlieue parisienne,
un copain me demande de l’emmener, je prends le magnum de Chivas conservé précieusement depuis Cotonou; à Epinay, je
gare la voiture au pied de l’immeuble, prends mon sac, au quatrième, je pose le
bagage devant la porte, sonne, ma mère ouvre, j’avance pour l’embrasser, le
copain prend le sac, lui fait faire 50 centimètres, le pose…….et casse la
bouteille.
Le nouvel appareil à dévorer du kilomètre
à qui je me propose de faire voir du pays est encore une 404, un vieux modèle
avec un seul compteur et vieille boîte, mais comme on me la donne, je ne demande
pas la monnaie.
Ce coup-ci, comptant sur mon douanier
Algérien, je vais descendre un maximum de matériel : je charge des
crémaillères de direction, des démarreurs, des dynamos, enfin, toutes les pièces
détachées de 404 sur lesquelles je peux mettre la main.
Je trouve une combine dont je ne suis pas
peu fier, pour ne pas transvaser l’essence du fût au réservoir en siphonnant, je
perce le gros bouchon fermant le bidon de 200 litres, fais passer, et braser à
travers un petit tube de métal, le but du jeu est qu’une fois le réservoir de la
voiture vide, je relie avec un tuyau souple la pompe à essence directement au
tonneau, je prolonge le bout de tube en fer donnant à l’intérieur du baril par
un tuyau de plastique lesté d’un boulon pour aller au fond, ainsi mon deuxième
réservoir sera de 200 litres, pas de siphonage, de manipulations ni
d’évaporation……. la perfection.
Regardant le prix des bouquins pornos, je
suis horrifié par le coût exorbitant de la luxure, je fais
l’impasse.
Une fois parti, quand je traverse les
villes, je reluque sur les poubelles des paquets de revues style « Jours de
France, Paris-Match etc….», les gens en font souvent
des piles soigneusement ficelées, je n’ai qu’à descendre de la voiture et les
balancer dans le coffre arrière, mon plan est qu’arrivé à la douane d’Adrar, je
tendrai les revues à mon douanier libidineux d’un air innocent, il ne pourra pas
mettre les choses à plat en me disant qu’il voulait des bouquins
pornos.
Plutôt que faire Algesiras-Ceùta, je continue de passer par Alméria-Mélilla, l’économie kilométrique de trois cent
bornes, et d’une demie journée de conduite compensent largement la différence de
prix du billet ; de plus, je peux prendre des douches et me raser, ce que
je ne peux refaire en principe qu’à Tessalit avec un
seau d’eau.
A la douane Algérienne, il me faut tout
déclarer comme d’habitude, je ne me fais pas de soucis de ce côté, un douanier
me demandant l’air de rien si j’ai des « revues », pour rigoler, je
lui réponds oui, son œil s’allume, je ne sais pas si c’est la joie de coincer un
passeur d’ouvrages illicites, ou celle de mettre la main sur cette si rare
littérature ; avec le plus grand sérieux du monde, je lui montre les
Paris-Match et autres, consternation, comme je ne bronche pas, et garde mon air
tranquille, il me dit « c’est bon.», je lui en donne deux ou trois, ce qui
est tout de même un beau cadeau, car ces publications sont rares et chers dans
le secteur....
Tlemcen, je m’arrête sur la place
principale, je suis immédiatement abordé par des amateurs de pièces de 404, je
vends tout en deux coups de cuillère à pot, pour voir si les gens du coin sont
honnêtes, je laisse un type partir avec un démarreur afin qu’il l’essaie, et
revienne me payer ou le rendre, dix minutes plus tard, il est de retour avec les
300 dinars convenus.
Aïn-Sefra, je m’arrête chez un restaurateur où je
mange régulièrement, l’après-midi est bien avancée, il m’invite à prendre
l’apéro dans son appart dans l’arrière boutique, nous tortillons les
trois-quarts d’une bouteille de Ricard qui me restait, je lui vends du
Whisky mais lui laisse l’argent en
dépôt car, ayant vendu les pièces, j’ai bien assez de dinars.
C’est un pète-sec, mais visiblement, il
est content que je passe le voir, on se prend souvent de bec, mais on se
respecte.
En partant, il insiste pour me laisser son
numéro de téléphone, pour lui faire plaisir, je prends le bout de papier qu’il
me tend, et le balance dans la boîte à gants.
J’arrive à Adrar sans une seule des pièces
de rechange marquée dans le carnet de devises, j’en fais un peu exprès pour
savoir jusqu’où je peux mouiller le douanier.
Bonjour à Ramdann, pleins d’eau et d’essence, et décontracté, je me
pointe à la douane.
Déception, je ne vois pas mon douanier,
première fois qu’il n’est pas à son poste !
C’est un type en civil qui me demande le
carnet de devises, avant d’y jeter un oeil, il m’explique qu’il a été déplacé de
Oran à Adrar pour faire cesser tous les trafics, apparemment, il n’est pas ravi
de cette promotion, et ça le rend teigneux, le bougre!
Quand il voit le grand vide dans le coffre
et les cinq lignes de matos sur le carnet de devises, il fait les pieds au
mur !
On revient au poste, il me pique
passeport, carte grise, pognon, clés de voiture, me gratifie d’une amende de
mille dinars, plus l’estimation à venir des pièces vendues ( il m’en dit le
prix, je n’ai pas vendu cher !) multipliée par deux, le tout assorti de la
feuille de change certifié du montant des sommes réclamées, la voiture est
également saisie ; Ayant changé officiellement 200 francs à l’entrée du
territoire, il est plus qu’évident que j’ai trafiqué, j’ai traversé l’Algérie,
mangé, chargé trois cent litres d’essence, et j’avais 500 dinars en poche pour
le prochain passage.
Il me confisque tout mon bon pognon, je
sollicite de quoi manger, payer l’hôtel et téléphoner pour pouvoir appeler en
France et me faire ainsi envoyer de l’argent, royal, il me vote 20 de mes
dinars. Le reste de mes diverses espèces est mis dans une enveloppe fermée et
tamponnée, il m’en donne un
reçu.
Je demande à prendre des affaires
personnelles, il m’accompagne, m’ouvre la portière et me surveille étroitement,
la seule chose qui m’intéresse vraiment est ce petit bout de papier jeté
négligemment dans la boîte à gants à Aïn-Sefra, je
parviens à l’attraper discrètement, prends quelques affaires de toilettes pour
donner le change, remercie ; le lascar est sec, mais correct, c’est moi qui
ai fait le con, il n’y a pas de doutes !
Je quitte la douane pas trop fiérot, vais
directement à la Poste, les guichets sont fermés, mais dans le Sud, comme il n’y
a rien à faire, les gens ne sont pas chiens sur les horaires, je tape au
carreau, dis au préposé que je dois absolument téléphoner à Aïn-Sefra, il m’ouvre la porte, me désigne une cabine,
retourne à ses occupations.
Aussitôt que mon pote reconnaît ma voix,
il s’exclame : « toi, tu as encore fait le con ! » je lui raconte
le topo, il me recommande : «va voir de ma part un certain X qui tient tel
commerce à Adrar, et raconte-lui tout, si la chose est faisable, il te sortira
de l’embrouille », je le remercie et pars chercher le certain
X.
Ce n’est pas une chose très difficile que
de le trouver vu son commerce. Je lui résume l’histoire, il me dit de le suivre,
ferme la boutique, et nous allons chez lui.
Moi, plutôt tendu, je le prie d’agir tout
de suite avant que le rapport ne sorte de la douane d’Adrar, il me répond que
l’on ne peut pas aller sur le champ chez la personne susceptible d’intervenir,
il faut être très discret car l’affaire est chaude! Il me propose de
commencer par manger un bon couscous en attendant l’heure idoine, ce que nous
faisons en discutant de choses et d’autres.
Tard dans la nuit, nous allons par les
rues sombres, il s’arrête, je dois l’attendre dans sa voiture. Une bonne
demi-heure passe, il revient, le type qu’il a contacté est bien placé et a eu un
rapport de mon coup d’éclat.
Il embraie d’entrée : « tes bières,
tu fais une croix dessus (deux packs de 24) il faudrait également que tu trouves
deux bouteilles de whisky , je demande « c’est tout ? », il
me dit que de toutes façons, le type me sort de l’embrouille car je viens de la
part de mon pote d’Aïn-Sefra et de la sienne, ce qu’il
me demande n’est qu’un geste de remerciement, pas un bakchich, je réponds
que cela ne doit pas poser de problème, il est un peu étonné car le whisky est
une denrée rare dans l’extrême Sud algérien.
Nous retournons chez lui, je file à pince
direct chez le père Ramdann, il est très tard, mais à
force de tambouriner à la porte de son restaurant, il finit par ouvrir, je lui
raconte le coup de la douane, et lui demande s’il peut me prêter deux bouteilles
de Johnny Walker, il me fait entrer, cinq minutes
après, il descend avec les deux clés de ma
désincarcération.
_ «Je ne pourrai te les rendre qu’à
ma prochaine descente », « te casses pas la tête », je lui dis
qu’il me sauve la mise et lui serrant la main, à
bientôt.
Retour chez mon avocat, en voyant les deux
biberons arriver si rapidement, je vois qu’il est satisfait du bon déroulement
de l’opération.
Nous retournons à l’adresse de mon sauveur
inconnu, X se fond dans le noir avec les deux boutanches de distillats. Une
dizaine de minutes, il est de retour, « demain, tu vas à la douane, tu te fais
engueuler, tu ne la ramènes pas, tu laisses : 1° passer l’orage, 2° tes
bouteilles de bière, le reste ira tout seul ».
Je dors chez lui, le lendemain matin, café
au lait puis il me souhaite bonne chance, je lui demande de remercier pour moi
le copain d’Aïn-sefra puis je
trisse.
Je fais un détour pour saluer Ramdann, et lui dire que s’il ne me revoit pas, c’est que
les choses se sont bien passées, salut mon frère !
Le petit douanier en civil est là, je n’ai
pas besoin de me forcer beaucoup pour avoir l’air penaud ! Il est furax, à
sa place, je le serais aussi, il me dit qu’exceptionnellement, la douane me fait
une fleur, mais que la prochaine fois, même s’il ne manque qu’une boîte
d’allumettes je n’y couperai pas. Il me rend les papiers, le peu d’argent
français qui me reste, me dit que les devises algériennes ne devant pas quitter
le territoire, il les garde au coffre, à mon prochain passage, je devrais présenter le reçu
dont il me gratifie, on me restituera mon pécule, je lui réponds que je n’en
doute pas un instant (ce qui est vrai), demande où je dois mettre les bières, il
me désigne du bout des lèvres un recoin, je fais la livraison, et…je…
m’arrache !!!!!
L’homme est ainsi fait qu’il n’est jamais
satisfait, aussitôt délivré, je regrette de ne pas avoir une petite douzaine de
bières pour traverser le Sahara ; j’ai à ce propos trouvé une
combine : emmailloter une 25cl dans un chiffon mouillé, la coincer goulot
en bas dans la banane du pare-chocs avant, avec l’évaporation hors du commun
dans le secteur, dix minutes plus tard, la bouteille est quasiment glacée, le
chiffon tout sec, prêt à resservir, les plus forts bonds de la voiture n’ont
jamais délogé les canettes de leur logement, j’en ai pourtant traité un
paquet !
Aussitôt que le moteur hoquette par manque
d’essence, je stoppe, débranche et bouche la durit provenant du réservoir avec
un boulon de diamètre approprié pour que le sable n’entre pas à l’intérieur,
dispose le gros bouchon percé du tuyau de fer sur le fût, installe le tuyau
souple prévu pour relier le bidon et la pompe à essence, avec la chaleur, le
carburant est toujours sous pression dans les réservoirs, le système fonctionne
comme sur des roulettes !!!
Au milieu du désert, je fais une halte,
trouve une vipère à cornes, morte, elle a été butée il n’y a pas longtemps, le
sang est encore frais, ce n’est vraiment pas un animal sympathique, une
soixantaine de centimètres de long, la queue qui se termine en boudin, deux
excroissances derrière une grosse tête (d’où son nom).
J’ai entendu une histoire à Gao à propos
d’un serpent de cette espèce : Un patron de camion trans-saharien se fait
mordre par l’une d’elles ; en principe, on en meurt dans l’heure qui suit,
le mec ne s’affole pas, dit à ses graisseurs de lui préparer du thé, s’adosse à
une roue du camion sur une natte, et boit tranquillement ce qu’il pense être son
dernier verre, un jour passe, puis deux (pendant lesquels il est malade comme un
chien), à la fin du troisième jour, il recommence à émerger, et s’en sort
définitivement.
La boîte à vitesses
ancien modèle n’est pas pratique, surtout quand il faut rétrograder en
catastrophe dans les plaques de fech-fech.
Vingt bornes après Aguelhok, un type à pied en uniforme me demande de l’emmener
un peu plus loin, c’est un garde-chasse armé d’un vieux 12 simplex de la
manufacture de St Etienne, chemin faisant, il me propose des dents
d’Hippopotame, je lui réponds que je n’ai pas une tune à investir dans ce genre
d’objet, comme il n’en veut que 5000 francs Maliens (50 ff), je demande à voir, quelques dizaine de kilomètres
après, il me demande de tourner à droite, il n’y a plus de piste, plus de
traces, mais le terrain est assez consistant, nous roulons un peu, et arrivons à
une cabane esseulée dans laquelle vivent ses femmes et enfants, après avoir dit
bonjour à tous, il me montre les objets, nous faisons affaire, puis je me
casse.
Roulant de nuit sur une portion surélevée permettant de circuler
quand la piste est inondée, je vois sur la droite une fusée rouge dans le ciel,
aussitôt, je tourne la voiture dans la direction et fais des appels de phares, rien, pas un
signe, j’attends une dizaine de minutes, laissant les phares allumés, pas de
réactions, me vient soudain une mauvaise sensation, je me dis que le coin est
complètement paumé, idéal pour un traquenard, je repars
rapidos.
Gao, Niamey, puis le Bénin, je suis encore
à sec d’argent, je pense passer à Abomey dire bonjour au père Johnny et renifler
la température.
Bohicon, je croise Cécile, garçon sympa et
intelligent avec qui j’avais déjà discuté de vente d’autos plus au Nord à Glazoué lors d’une précédente descente ; Cécile est
intermédiaire, il a 25 ou 30 ans, grand, mince, les yeux proéminents, il me
présente Bernard qui doit avoir 10 ans de plus comme son « second »,
c’est à dire apprenti ou lieutenant, celui-ci a l’air franc comme un âne qui
recule !
Nous discutons de sa commission
éventuelle, il est beaucoup moins gourmand que ses collègues de Cotonou qui
demandent jusqu’à 10 %, quand ils vous amènent directement chez un client qui
achète bien et vite ; vu ce que coûte l’hôtel, c’est rentable, mais
souvent, ce sont des branleurs qui se font balader à l’œil et cherchent les
clients au hasard en cours de route.
Intermédiaire est un vrai boulot, il faut
se faire une clientèle d’acheteurs sérieux, ayant du cash en permanence à la
maison, quand ils amènent un vendeur, l’affaire ne doit pas traîner :
visite de l’objet, entente sur le prix, papier de vente ou pas, compter oseille,
donner carte grise, et au revoir. Souvent, il doit bousculer l’acheteur car
celui-ci a du mal à sortir l’artiche. Il risque également de se faire
court-circuiter par un propriétaire de voiture indélicat, qui, faisant semblant
de ne pas accepter le prix, revient en douce chez son client; d’autres fois,
l’affaire conclue, les vendeurs se font tirer l’oreille pour régler la
commission, les africains ne sont pas les seuls à faire des
embrouilles !
Nous entamons la tournée d’éventuels
acheteurs ; aux coins des rues, il y a souvent des fétiches, sortes de
masses tronconiques aux sommets arrondis sur lesquelles des plumes, morceaux de
tissus, et d’autres choses indéfinissables sont englués par le sang des poulets
égorgés au cours des divers sacrifices, une tôle ondulée protège l’idole les
outrages de la pluie ; Bernard
me demande de le laisser chez sa femme, il y reste 2 minutes, nous repartons en
prospection, me tournant vers l’arrière pour effectuer une manœuvre, je croise
le regard fuyant du « second », je me dis « cet emplâtré m’a fait un
coup à l’envers », je réfléchis à ce que je trimbale derrière, un sac en peau de
chameau avec des affaires minables, mon couchage, les dents d’hippo, quelques souvenirs, ce doit être ça….. J’arrête la
voiture, fouille dans mon bagage dans lequel manque un joli petit éléphant en
ébène (voir photo)
acheté à Niamey.
Je remonte dans la voiture et dis à
Cécile : « ton second m’a volé une
statuette».
Il se retourne vers le Bernard, celui-ci
nie tout ce qu’il peut, mais ne trompe personne.
Je demande à Cécile ce qu’on fait, il est
visiblement enquiquiné, je dis « bon, on va à la police », je prends
un chemin un peu long pour y aller car moins on voit les flics, mieux on se
porte, ce con de Bernard ne bronche pas, merde! Pour ralentir le mouvement et
laisser Cécile le convaincre car il sent que je ne vais pas lâcher le morceau,
je m’arrête à une station-service prendre de l’essence (dont je n’ai pas un
besoin urgent), j’en prends pour 1000 C.F.A (20 francs Français, ce qui ne
choque personne en Afrique), il ne me reste que 2000 francs CFA ( quarante francs), même pas de quoi aller à
Cotonou !
Une fois l’essence réglée, je redémarre,
Bernard me dit « toi, tu es trop fort », mais je n’ai pas envie de rigoler,
je lui réponds : « et toi tu es un adjoton
(voleur en Béninois) », je retourne chez sa femme, il descend, revient avec
l’éléphant, je le lui prends des mains, _ « Tu ne remonteras plus
jamais dans une de mes voitures », et le plante là.
Nous repartons avec le père Cécile draguer
l’acheteur, deux adresses plus tard, nous faisons affaire, je demande à
l’acquéreur de nous laisser chez Johnny.
Je paie la tournée générale, donne son dû
à Cécile, il ne tarde pas à riper les galoches sur Glazoué, me laissant avec mon restaurateur aboméyen préféré, le soir nous cassons la croûte, puis une
bonne belote africaine, cuite, dormir à la maison des jeunes
travailleurs.
Après un petit déjeuner chez lou Johnny, je vais visiter le musée d’Abomey qui est le
palais du grand roi Béhanzin dont les murs sont ocre rouges, le guide indique
que cette couleur provient du liant utilisé : le sang des ennemis vaincus
et sacrifiés, pour moi, c’est dû à ce qu’il doit être fait en latérite, mais
laissons la légende impressionner les foules ébahies……. Le siège du roi est posé
sur les crânes de 4 chefs ennemis vaincus. Des artisans vendent des
« Toiles d’Abomey » faites de découpes de tissus aux couleurs vives
figurant les phases importantes de l’empire des rois du royaume d’Abomey,
notamment, de l’arrivée des premiers Portugais sur de grands voiliers.
Après la visite, je dis au revoir à lou Johnny, retour à Bohicon,
train pour Cotonou, ambassade du Nigeria pour le visa, le surlendemain, départ
pour prendre l’avion à Lagos avec un couple de Hollandais dont la femme cache
l’argent dans sa culotte et un compatriote, changer des nairas au marché noir,
passage des frontières, aéroport.
Au dernier contrôle avant de pénétrer dans l’avion, un douanier, avec un geste
d’une rapidité inouïe, tire sur le cordon de la petite sacoche touareg que je
portais autour du cou, et dans laquelle j’avais placé mon argent, (je la croyais
invisible car très plate), et
commence à extirper ma fortune !
Je couvre aussitôt sa main de la mienne
pour coincer les billets, il appelle ses collègues qui me saisissent chacun par
une aile, me soulèvent, et veulent m’écarter des autres passagers pour pouvoir
me soulager plus discrètement.
Heureusement, j’étais au milieu d’un
groupe de mama-Benz* partant acheter du tissu en
Hollande, elle bloquent le groupe de rapteurs, et
commencent à les assaisonner à coups de sacs à main vociférant « It’s his money », chaque mama
pesant minimum le double d’un gabelou, ceux-ci ne tardent pas à me lâcher, nous
repartons rapidement vers l’avion, moi, les remerciant
vigoureusement.
Discutant un jour avec un type ayant vécu
la situation, l’affaire se règle ainsi : une fois le billet enregistré, si
les douaniers vous choppent avec de l’argent, ils vous retiennent sous un
prétexte quelconque : vérification des billets, de feuilles de devises (que
personne ne remplit avec la somme réelle qu’il possède de peur de se faire
dépouiller par les fonctionnaires), que sais-je….., le principal étant de vous
retarder, au bout d’un certain temps, l’avion part sans vous, et vous avez perdu
votre billet, vos bagages sont dans la soute de l'appareil qui est déjà loin, il
faut alors repasser douane et police, revenir dans la zone internationale,
racheter des nairas pour reprendre un autre billet, et ces chiens galeux jouent
là dessus. De plus, vous n’avez plus d’argent acheté au black et il faut changer
plein pot, c’est la galère !
En général, l’affaire est vite bâclée, le
voyageur reprend ce qu’ils veulent bien lui laisser, et repart la queue entre
les jambes. Le Nigeria est le pays des braquages à tous les
étages.
Au Bénin-Palace,
un Africain m’a raconté que, se trouvant dans un taxi-brousse un peu tard le
soir sur la route de Lagos-Cotonou, son taxi s’était
fait coincer à la mode nigériane.
Cela consiste, le soir tombant, (la nuit,
au Nigeria, en principe, personne ne se hasarde sur les routes) à tendre en
travers de la voie un câble d’acier entre deux camions dont les freins ne sont
pas trop serrés, le taxi roulant trop vite pour apercevoir à temps l’obstacle,
se prend dedans, les camions absorbant le choc jusqu’à l’arrêt total du
véhicule. Aussitôt, les bandits sautent sur les passagers, les tuent ou les
dépouillent intégralement, ne leur laissant que leurs sous-vêtements quand ils
en ont ; lui, s’étant retrouvé dans ce cas, et en slip, demanda à l’un de
ses détrousseurs de lui laisser 5000 francs C.F.A pour pouvoir rejoindre
Cotonou, ce que l’autre, grand seigneur, lui
accorda.
J’achète un break 404 bronze métallisé
nouveau modèle à des Hollandais qui habitent une vieille maison dans un village
proche de chez moi, 2000 francs après discussion, çà me va, nous allons à la
mairie du patelin faire certifier la vente, vu la tête de la secrétaire, c'est
une formalité qui n'est pas souvent sollicitée!
Je charge trois fûts de 200 litres car
l’essence se vend très bien à Gao, plus des pièces
Peugeot.
Un nouveau crayon à bille magique est
apparu sur le marché, il est prodigieux en ce sens qu’il dispose d’une gomme qui
efface l’encre, je décide d’en faire bénéficier la douane
d’Adrar.
En Espagne, j’achète des melons et des
pastèques, au fur et à mesure de mes consommations, j’en garde les pépins, car,
ayant repéré une petite zone d’herbe pelée avec des embryons de calebasses entre
Bordj-Moktar et la frontière Malienne, je projette d’y
semer ces graines, si ça marche, tant mieux, sinon, le coût de l’opération
n’aura pas été excessif !
Alméria-Mélilla, je case 4 bouteilles de Whisky dans les
portières comme d’hab, plus deux bouteilles
d’anisette, j’en mets une devant, une dans le coffre, on verra bien si çà
passe !
Oujda, douane Algérienne sitôt passée,
j’entreprends d’effacer les pièces mécaniques que j’avais inscrites sur le
carnet de devises avant que l’encre ne sèche trop, consternation, le papier, de
très mauvaise qualité, s’arrache à l’endroit où je passe la gomme, de plus, le
document teinté en jaune devient beaucoup plus clair, je fais au mieux en
limitant les dégâts au maximum.
En cours de route, je vends une bouteille
de whisky et une bouteille de Ricard 300 dinars chacune, il me faut des ronds
pour acheter des pièces neuves Peugeot et Berliet que je larguerai à
Gao.
Je vends des pièces dans un garage, en
demande d’autres de rebut, je reconstitue ainsi un stock que je couche dans le
carnet de devises.
Le joint de culasse doit avoir un petit
coup dans l’aile car j’ai de l’huile dans l’eau du radiateur, j’en achète un
neuf.
Arrêt à Aïn-Sefra chez le copain pour le remercier et lui narrer mes
tribulations de la traversée précédente ; arrive le soir, il m’invite à
manger avec ses amis dans l’arrière boutique, la soirée est dédiée au football,
c’est la demie-finale de Coupe du Monde entre
l’Allemagne et la France, une bouteille de whisky est sacrifiée à cette
événement, elle ne suffit pas, une bouteille de Ricard prend le relais ; je
m’aperçois lors de ce match que les Algériens sont de parti pris éhonté pour la
France. Déchiré, je dors chez lui, le lendemain matin, j’entends un raffut
terrible dans la cour arrière du restau, je vais voir, un mouflon balèze fait
son exercice qui consiste à prendre de l’élan et à courir à la verticale sur
trois murs.
Adrar, je vais rembourser ma dette en
whiskys et manger chez Ramdann, il a posé le genou sur
un scorpion en réparant un frigo, voyant que je m’inquiète à la vue de la taille
de l’engin, il me dit de ne pas m’en faire, il a l’habitude, ça fait un peu plus
mal qu’une piqûre de guêpe !
A quelques petites phrases entendues çà et
là, je me rends compte que tous les gens qui habitent aux portes du désert n'y
vont jamais, et en ont une trouille bleue.
Je vais à la douane chercher mes sous pour
faire les pleins, retrouve l’abominable, toujours aussi sec, un peu étonné de me
revoir si rapidement ; contre mon reçu, il me restitue scrupuleusement les
dinars.
Je passe saluer le Monsieur qui m’avait
aidé lors de l’embrouille du voyage précédent, puis, vais patrouiller en ville
afin de trouver un garage où changer le joint de
culasse.
J’en trouve un sans problo, déchargeant la voiture pour atteindre mes outils, je
vois le garagiste loucher sur les pièces détachées ; considérées comme mortes au
nord, elles ne le sont pas forcément au sud, moins bien achalandé.
Je lui dis de se servir, mais qu’il me
remette l’exact équivalent en pièces nazes car j’ai rempli le carnet de devises
avec ces pièces récupérées, « pas de problème », je mets illico les
pattes dans le cambouis, je me presse, car la douane ferme à 16 heure et je
compte arriver au dernier moment pour bousculer les
formalités.
La réparation effectuée, les pleins faits,
je glisse la carte grise dans le passeport, me resalis les mains sur le moteur,
prenant ma feuille de déclaration de devises, je laisse des traces de doigts
cambouissées à tous les endroits où le papier est
abîmé pour camoufler les écorchures faites par la gomme.
A la douane, mon tyran m’y attend, l’œil
en tire-bouchon. Je présente mes papiers et la feuille de devises, j’ai tartiné
allègrement la couverture en plastique de mon passeport de cette gadoue,
j’explique que, voulant partir le soir même, j’ai fait aussi vite que j’ai
possible.
_Voyant le carnage, le douanier ne se sent
plus de joie,
_Il ouvre un large bec, et gueule aux petits pois.
Traiter ainsi un carnet de devises est un
procédé qu’il a du mal à
assimiler!
Frisant l’apoplexie, il fulmine comme j’ai
rarement vu quelqu’un le faire, il me prend pour le dernier mécréant de la
terre! Après divers échanges de points de vue, nous allons visiter la
voiture.
Une pompe à essence manque à l’appel,
je lui baratine que je suis tombé en panne de cet organe avant Adrar, et
qu’après l’avoir remplacée par une pièce de secours, je l’ai balancée sur le
bas-côté.
Avec un plaisir non dissimulé, il me dit
qu’une pompe à essence vaut une fortune, et que pour passer la douane, il me
faudra la retrouver. O.K, partant sans papiers, je prends la direction du nord,
fais un grand détour pour revenir en douce au garage dans lequel j’avais
effectué ma réparation, je demande au patron s’il n’a pas une pompe à essence
foutue, il me répond de fouiller dans le tas de ferraille, je trouve l’objet
précieux entre tous, le roule dans le sable, et repointe à la douane.
Le douanier ne me fait pas le coup du
« il est trop tard », et continue son inspection, je dois sortir tout
ce que contient la voiture, après pointage, il manque une culasse (très gros
poisson), comme dans un film, je revois le mécano la prendre, le bougre ne
l’a pas remplacée!
Le coup de sang me prend, j’avais si bien
calculé mon affaire que me faire poisser à cause de ce con de garagiste me fait
sortir de mes gonds, le douanier est surpris, un doute lui venant, il m’en
accorde le bénéfice et décide de vérifier si je l’ai bien oubliée au garage (ce
qui est un peu vrai).
_« Vous allez chercher la culasse au
garage, accompagné d’un agent », je ne biche pas
trop !
Il appelle, mon douanier lubrique sort,
monte à côté de moi, je démarre, je lui tends bas le poignet (j’ai toujours les
mains cradot) pour le saluer sans que l’autre voit le geste, il le serre, c’est
bon signe !
Me vient alors une idée méphistophélique,
je lui dis : «vous savez, je me suis fait prendre à la frontière
d’entrée d’Algérie avec vos « revues », ils m’ont gardé trois
jours! », il devient tout pâle, « vous n’avez pas dit que c’était pour
moi ? » moi, grand seigneur : « mais non, ne craignez
rien ».
Arrivé chez le garagiste, je pourris
celui-ci d’importance en lui désignant mon passager, il comprend le problo, et me trouve une culasse dans la seconde qui suit,
le douanier devenu sourd et aveugle, j’aurais pu maquiller ce que je
voulais.
Le reste n’est que
formalités.
Reggane, les douaniers me laissent partir seul,
ça commence à devenir une habitude.
Avec l’essence (+ de 600 litres, des
jerrycans et le plein), la voiture est très chargée, l’arrière frotte beaucoup,
mais finalement, passés les premiers bancs de sable, je pense que c'est
jouable.
La nuit tombant, les ombres rasantes
faussent la notion que l'on peut avoir des reliefs, je m’arrête pour becqueter
jusqu'à ce que la nuit soit bien noire.
Je repars, il faut être attentif car la
piste est faite de milliers de traces qui se croisent les unes les autres dans
tous les sens, y compris par le travers, pour ne pas me tromper, je dérive
sciemment légèrement sur la droite puis sur la gauche quand les traces se font
plus rares, en faisant ces longs zigzags, je peux garder le
cap.
Les phares de la 404 ne sont pas très
puissants, après quelques tâtonnements, je pallie ce défaut : en jouant sur
le comodo code-phare, j'arrive à laisser la manette
entre les deux, les codes et phares fonctionnent ensemble, je bénéficie ainsi un
somptueux éclairage, durant quelques minutes, j'ai peur que les filaments ne
crament, mais non, ça tient ; j’évite au maximum les gerboises qui viennent se
jeter sous les roues, attirées par la lumière des phares, j'abats ainsi un bon
bout de désert, puis m'arrête pour dormir, avant de couper le moteur, je le
laisse tourner un moment au ralentit accéléré pour recharger la batterie ;
voulant me lever un peu tard le matin je me couche à droite de la voiture, ainsi
le soleil levant ne me réveillera pas.
Je me glisse dans mon sac de couchage, mon
blouson comme oreiller calé contre la roue avant, j’écoute le silence uniquement
troublé par les craquements du moteur et de l’échappement qui refroidissent. Le ciel est d'une pureté fabuleuse, on dirait
que l'on a fait plein de trous d'épingle dans un papier noir et mis un
projecteur derrière, on voit même passer les satellites artificiels
!
J'ai pris la précaution de m'écarter de la
piste, car bien que l'horizon porte à l'infini je me méfie ; peu de temps
auparavant, il y a eu un carton terrible, deux camions s'apercevant au loin se
prennent en ligne de mire pour pouvoir se dire bonjour en passant, mais au
moment de se croiser, tournent du même côté, face à face à cinquante ou soixante
kilomètres-heure, une dizaine de personnes par véhicule, carnage! Le comble est
que les deux camions appartenaient au même transporteur.
Les camions Sahariens sont de véritables
navires, avec mécanicien, graisseur, chauffeur, grouillots, outillage complet,
pièces de rechange, marchandises et passagers ; sur les côtés sont pendues
les plaques de désensablage, de grosses chambres à air pleines d'eau pour le
camion et les ablutions, des guerbas pour boire,
quatre à six fûts de deux cent litres de gas-oil, de la bouffe, bref, absolument
tout ce dont on peut avoir besoin dans ces coins
déshérités.
Dès que le camion stoppe, chacun descend
et s'attelle à sa tâche, en général le patron et le chauffeur font descendre les
nattes et se mettent à l'ombre sous le véhicule qui tourne toujours au ralenti
pour laisser gentiment retomber la température du moteur, l’un sort un réchaud à
charbon de bois, et fait le thé, certains se mettent à préparer le repas pour
tous, les autres font leurs ablutions avant la prière, çà s'active de tous
côtés.
Le lendemain, je laisse chauffer le moteur
en cassant la croûte car je peux être obligé de lui demander tout ce qu'il a
dans le ventre vingt mètres après avoir démarré.
Sur la piste, je rattrape un convoi de
plusieurs voitures descendant de France, l’une est plantée jusqu’à l’os, je
dépasse le point mou, et revient à pied en arrière pour
aider.
Une petite boulotte félliniesque dans une robe rose avec des volants, s’abritant
sous une ombrelle encourage les mecs qui s’échinent.
Une fois la caisse sortie, on discute un
peu, puis je les largue car je leur sens d’autres ensablements à venir et je
n’ai pas que ça à faire.
Anéfis, un Bedford bourré de Nigérians qui
remontent vers Reggane est en rade depuis une
semaine ; dans le poste de police, un flic, réprobateur, me montre l’un des
passeports ; Nom : Rasta ; Prénom : Rasta ;
Adresse : Rasta, tout le reste à l’avenant, il me dit qu’il ne peut rien
faire car le passeport a l’air authentique. Pour le rasséréner, je lui dis
qu’arrivé en Algérie, le possesseur du document humoristique va regretter son
manque d’imagination.
J'arrive à Gao lors d'une pénurie
d’essence raisonnable, je vends les pièces détachées, 450 litres d'essence à 500
francs Maliens (5 francs Français) le litre tout en gardant le plein pour aller
jusqu'à Tillabéri au Niger qui est le prochain point
sûr de ravitaillement, je ne suis pas mécontent de l'opération, d'autant que je
n'ai pas profité de la conjoncture car le litre d'essence aux temps d'abondance
est aux alentours de 600 F.M, et en cas de manque, au dessus de 1000 F.M ;
par moments, même à 2000 F.M, il est impossible d'en trouver, de plus elle est
souvent allongée de kérosène, je suis soulagé du problème pécuniaire, ce n'est
pas souvent le cas !
Chez Yarga,
parmi d’autres touristes, il y a une petite Anglaise et son copain français,
quand elle le cherche, elle demande avec un accent à couper au couteau
« t’as pas vu mon frog ?
».
Discutant du paludisme avec un Français
habitué aux descentes, je lui dis que je ne prends plus de Nivaquine car cela me
laisse la tête lourde et des vertiges en permanence comme un début de crise,
il me dit qu’il a résolu le
problème, quand il sent venir la crise, deux Quinimax,
une bière de 75 centilitres, et l’affaire est réglée.
Niamey, Parakou,
je m’arrête pour manger au restaurant de Bohicon, le
patron me dit qu’un ami à lui cherche une auto, mais qu’il « a
voyagé », si je peux attendre trois jours….
Arrivé à Cotonou je trouve le Bénin Palace
bondé de vendeurs potentiels, ça va être dur de larguer rapidement la
caisse !
En cas d’abondance, il faut savoir
jongler, car si l'on attend trop, l’écart entre une mauvaise vente rapide et
d’une bonne vente qui tarde est largement absorbée par le coût de la chambre
d'hôtel, sans compter que les intermédiaires mangent à tous les râteliers et
surveillent si l'on prend des bières, si l'on va au petit restaurant Malien
situé en face du Bénin Palace dix fois moins cher que celui-ci, il peuvent ainsi
renseigner les clients qui veulent vous prendre à la gorge que tel ou tel n'a
plus une tune, et qu'il est mûr pour vendre à prix
minimum.
Les Français que j’ai rencontrés sur la
piste passent au Bénin palace, on s’en jette plein pour arroser les
retrouvailles ; voulant rester quelques temps, ils décident de louer une
maison plutôt que d’aller à l’hôtel.
Trois-quatre jours plus tard, je n’ai
toujours pas dérouillé, je décide d’aller à Bohicon
voir si le copain du restaurateur est revenu de «voyazer».
L’un des types croisés dans le Tanezrouft,
(petit brun sec, moustache à la Zappata) et retrouvés
au Bénin-palace demande à
m’accompagner.
Tout le long du voyage, il fume l’herbe
locale, je suis obligé de laisser les fenêtres fermées car c’est la saison des
pluies, dès Ajohoun, nous sommes déchirés, on se marre
comme des bossus ; les crapauds sortent sur la route, j’essaie de les
éviter, mais, à la fin, à force de faire des zigzags sur la route mouillée, je
manque me planter, je renonce à faire des écart importants, puis, l’herbe
commençant à nous taper furieusement sur la calbombe, on se met à les écraser
exprès, souvent, ils collent à la roue et viennent cogner dans les ailes avant,
c’est le délire !!
Bohicon, le restaurateur ne me rebranche pas, je
lui demande si son client est revenu, réponse négative,
merde !!
Nous n’avons aucune envie de moisir dans
le secteur, si nous allons à Abomey voir Johnny, il faudra y passer la nuit, ça
ne nous tente guère, aussi, après une tripotée de BB (Bonne Béninoise),
décidons-nous de repartir.
Nous faisons un bout de route de jour, les
crapauds sont partis, il pleut toujours, la nuit descend, sortent alors les
crabes de cocotiers, cette fois-ci, ce sont eux qui
dégustent !!
Je ramène le copain à la maison qu’ils ont
loué près de la place de l’Etoile Rouge, on se donne rencart pour prendre le petit
déjeuner.
Le lendemain matin, patacaisse, quelqu’un les a dénoncés comme espions ou
mercenaires, descente de police ; des types en civil aux mines patibulaires,
lunettes miroir, fouillent partout, je demande aux copains ce je peux faire pour
les aider, _ « rien ».
Avec deux habitués du Bénin-palace, nous allons sur une plage jouxtant la
capitale, un adolescent tente de me racketter contre l’assurance que personne ne
touchera la voiture, je lui répond que si elle est intacte à mon retour, je lui
donnerai 200 francs CFA, puis nous allons nous baigner ; il y a cinq ou six
épaves de gros cargos rouillés pas loin au large.
Je décide d'aller vendre à Porto-Novo,
auparavant, je fais un rinçage du radiateur à la lessive africaine car de
l’huile vient toujours se mélanger à l’eau, apparemment, le joint de culasse
n’était pas déficient, c’est la culasse qui est légèrement
fendue.
Porto-Novo, je m’arrête dans un petit
restaurant pour prendre un café, comme prévu, le patron me branche, je lui dis
que si je trouve un acheteur correct je suis vendeur, il envoie un gamin
prévenir un type qui se pointe quelques temps plus tard, je lui fais faire un
tour, chemin faisant, le pékin se présente comme chef douanier, à tous les
coups, il va essayer de trouver un moyen de me faire une embrouille pour avoir
la voiture moins cher que le prix (gonflé) annoncé, çà ne loupe pas, le tour
terminé, il me demande si le numéro
du moteur correspond à celui du châssis, je lui réponds que le moteur a très
bien pu être changé, nous regardons, et je vois avec soulagement qu’il est
d’origine, et que les numéros moteur-châssis sont les
mêmes. Je suis bien content de refourguer à cette emplâtré une voiture avec la
culasse flinguée, si le moteur n’avait pas eu les mêmes numéros que ceux de la
plaque du châssis, il m’aurait emmerdé en faisant usage de sa fonction pour que
je lui fasse pratiquement cadeau de mon carrosse, trois quart d’heure, après, je
retourne à Cotonou en taxi-brousse, lesté de 550.000 C.F.A.
Je passe deux jours à attendre le visa pour embarquer du
Nigeria ; au Bénin-palace, des françouses se plaignent : ils ont visité les maisons
sur pilotis des pêcheurs du lac de Ganvié, et les
femmes leur ont balancé des poissons pourris ; en aparté, je pense que
c’est tout ce qu’ils ne méritent, aller regarder sous le nez eux des gens
pendant qu’ils bossent est d’une incorrection hors du commun !!!..
Aéroport de Lagos, douane-police, au dernier barrage avant d'entrer dans
l’avion, fouille, j'ai planqué mon oseille dans mes clarks en daim souple, un douanier me fouille, descend,
arrive aux chaussures, les presse légèrement, les billets craquent, le type me
regarde avec des yeux bizarrement flous, refait craquer les billets, tout en
continuant à me regarder de cette curieuse façon, je ne bronche pas, il se
relève, et me dit doucement avec un petit signe de la main, d’y
aller.
Lalinde, le pharmacien se fait tirer
l’oreille pour me vendre du Quinimax je suis obligé
d’expliquer que j’en besoin lors de mes voyages africains, mon passeport avec
ses multiples tampons fait le reste.
J’achète une 504 berline bleue, le vendeur
pensant que le pont arrière est mort la vend 6000 ff,
je tente le coup, au pire, si cette pièce est vraiment défectueuse, on la trouve
facilement d’occase.
Finalement, seuls les silentblocs sont
cassés, après les avoir changés, tout rentre dans l’ordre, on ne peut pas dire
que la réparation m’aie donné beaucoup de mal!
Sur la route, c’est un régal, 11cv,
carburateur double corps, de super reprises, sans consommer plus qu’une
404 ; ayant des ratés en cours de route, je dois gratter les vis platinées
avec un petit caillou plat, elle ne m’embêteront plus ; j’arrive à Almeria
sans m’en rendre compte.
L’embarquement se fait le soir, il y a
toujours les arabes guettant les retardataires pour vendre les pesetas beaucoup
plus chères que le cours normal.
J’ai ôté le siège arrière pour y loger un
fut de 200 litres, le gros bouchon de transvasement d’essence récupéré lors du
voyage précédent est prêt à reprendre du service.
Douane Algérienne, un couple de jeunes
Italiens est déjà à la fouille des bagages, le douanier en dévissant le cul
d’une bouteille thermos trouve des francs Français, quand je repars des bureaux,
ils y sont encore ; je ne pense pas que cette histoire ira bien loin, mais
les fonctionnaires vont les emmerder un bon moment.
Je distribue des revues glanées sur les
poubelles de France, je fais plaisir avec tout au long de la route, j’en garde
quelques unes pour la douane Béninoise.
Arrêt habituel à Aïn-Sefra.
Adrar, un Algérien me demande de le
prendre en stop pour traverser le Tanezrouft, il est habillé en tenue de ville,
petites chaussures de cuir, petit sac contenant quelques affaires, je lui dis
que le stop n’existe pas, que je lui prend 250 francs français, il prétend ne
pas avoir cet argent, nous transigeons à 300 dinars que je planque pour la
prochaine fois dans le caoutchouc du pare-brise.
Passage à la douane, les fonctionnaires
l’entraînent dans une pièce close pour une fouille au corps (ce qui ne m’est
jamais arrivé), j’attends dans la voiture, il sort peu de temps après,
visiblement contrarié.
Nous partons, il me raconte que les
douaniers ont trouvé 500 francs
français dans son portefeuille, je lui reproche de m’avoir bourré le mou, pas
gêné, il continue de râler : les douaniers ont fouillé son portefeuille,
ils n’avaient pas le droit, c’est une honte, etc.……….
En boule, je lui
explique :
_1° Qu’il avait des francs français non
déclarés sur lui, donc trafic.
_2° Qu’ils les lui ont laissés, et donc, qu’ils ont été
gentils.
_ 3° Qu’il s’en tire bien, ils auraient pu
le garder pour lui faire les pieds.
Reggane, les douaniers ne me parlent plus de
passer en convoi, il est maintenant admis que je traverse seul, sitôt le
réservoir de la voiture vide, je branche le fût de 200
litres.
Comme d’hab, je
roule une bonne partie de la nuit, mon passager râle car je freine et fais des
détours pour éviter les petites gerboises, il me dit « pourquoi tu freines,
ce n’est rien »; ça commence à faire beaucoup, sur une suggestion de ma part, il finit
par la fermer.
Dans le sable, la voiture est un vrai
tapis volant, la largeur des pneus et la puissance font que je ne m’ensable
qu’une fois ; comme je n’ai pas de pelle pour désensabler, ni de plaques, je
prends les tapis de sol de l’auto pour nous en sortir.
Sur les passages de tôle ondulée, le
nombre de chevaux me permet
d’atteindre rapidement la vitesse qui me maintient sur le haut des ondes, ainsi
la voiture n’est pas trop secouée.
Le commodo de
phares ne peux se mettre en double alimentation codes-phares, ça me
manque.
Après Borj-Moktar, j’emmanche la piste de Timiaouine, à mon avis, il doit y avoir pas mal de types qui
prennent cet axe pour faire du trafic car les traces sont nombreuses alors qu’on
ne peut pas dire que Timiaouine soit une station
balnéaire ! Faisant demi-tour, je retrouve rapidement le bon
cap.
50 bornes après, la piste tourne à angle
droit vers la droite, je vois un objet au loin, me dirige dessus, ce sont quatre
demies cylindres en acier d’à peu près quatre vingt dix centimètres de large sur
un mètre vingt de haut, avec des plaques soudées en travers des
extérieurs ; cela semble être un système qui une fois deux parties réunies
autour des roues motrices des camions, leur donnait un profil de roues à
aubes ; pour passer les bancs de sable, ce devait être redoutable !
Anéfis, un convoi est aux formalités, les choses
tardent car l’un des chauffeurs s’étant engueulé avec sa coéquipière (celle-ci
après avoir répondu à une petite annonce d’un canard Français réputé pour ce
genre de contacts a payé son voyage 2000 balles), l’a larguée en plein
désert ; heureusement un autre de l’expédition, à la suite, l’a aperçue et
récupérée ; le chef de poste, un colosse en uniforme impeccable est en
train de sermonner le coupable en un Français suranné d’une grande pureté ;
avec un calme impressionnant, il développe la faute commise ; explique que si le
suiveur n’avait pas été dans les traces, il aurait pu la manquer, avec les
conséquences presque à coup sûr mortelles que cela implique dans ces régions
désertiques. Contournant le groupe, je vais faire tamponner mon passeport par un
adjoint, et me tire.
Une centaine de bornes avant Gao, je
rétrograde dans une plaque de fech-fech, ce sable
pourri entre dans l’embrayage qui se met à patiner ferme, je me dis que ça va
passer, petit à petit, effectivement, à force de tourner à vide, l’embrayage
élimine le sable qui s’était vitrifié sur le disque.
Gao, je passe au commissariat, Mambi me dit qu’il a déjà assez de fiches me concernant dans
ses placards, je dois juste laisser mon passeport pour le tampon, je largue le
connard qui lui,doit remplir sa feuille d’entrée, vais
chez Yarga.
Ce dernier a déménagé, Boubakar me guide, il n’y a pas un chat, je casse la croûte,
et le soir tombant, je loue un bout de terrasse pour dormir, je n’ai pas
commencé à fermer le quart de la moitié du dixième d’un tiers d’œil que des
escadrilles de moustiques m’attaquent, j’ai l’impression que ma tronche
s’appelle Pearl Harbour !
Fatigué, malgré la chaleur, je me mets
dans le sac de couchage pour limiter les dégâts, et
m’endors.
Le soleil, les coqs et les aboiements de
clébards me réveillent, je suis piqué de partout, mais curieusement, c’est
surtout mon bras droit qui a morflé, celui-ci devient très enflé et dur sous les
grattements que j’essaie pourtant de réfréner. Je comprends pourquoi il n’y
avait personne dans ce piège!
Comme par hasard, le tenancier n’est plus
là, l’enfoiré doit dormir en ville.
Je dis à sa femme ce que je pense de
l’auberge, et file acheter une moustiquaire.
Cet article n’existe pas tout fait, mon
guide préféré me mène au marché couvert où un couturier officie sur Singer à
pédale dont le modèle frisant la perfection n’a pratiquement pas changé durant
un siècle. Je lui demande s’il est capable de me faire une moustiquaire,
« bien sûr patron », nous discutons du coût de la réalisation d’un
modèle assez large, puis, nous allons acheter sur le marché les éléments
nécessaires à l’élaboration de l’objet. Je reviens deux heures plus tard, ce
couturier est le Cardin de la moustiquaire, je lui règle son dû, avec un
supplément pour montrer ma satisfaction, je plie mon armure anti-moustiques,
vais boire une bibine, puis décarre sur Niamey.
Dans la campagne, les ânes sont entravés
avec des liens qui relient les deux pattes avant avec un écart d’une trentaine
de centimètres pour limiter leurs escapades, une variante consiste à leur passer
un large collier fait d’une corde tenant un bois venant cogner les pattes avant.
Pour se reposer, ils se mettent l’un en face de l’autre, et, posent chacun leurs
têtes sur le cou du vis-à-vis, j’ai observé cette combine asinienne du Maghreb à
l’Afrique noire.
Niamey, attroupement de curieux à l’entrée
de la ville, je ralentis pour voir la cause de l’émoi, les flics sont en train
d’installer un radar, on aura tout vu !
Moins rigolo, le « grand
marché » a entièrement brûlé, il y a eu beaucoup de morts, car les
commerçants, pour protéger leurs boutiques de bois armées de tôles de bidons y
enferment les gardiens à clé toute la nuit, et les pauvres types n’ont pour la
plupart pas pu sortir.
Je dors au « camping », un
Français vient me voir, il a des ennuis avec le moteur de sa 404, il a tout
essayé pour la régler, sans résultat, je jette un œil sans rien voir
d’extraordinaire, après avoir
réfléchi, je lui demande s’il a acheté de l’essence de contrebande
provenant du Nigeria comme on en voit sur le bord des routes, sur sa réponse
positive, je lui dis de faire la vidange du réservoir, car les marchands
successifs, pour augmenter le bénèf ajoutent chacun du
kérosène moins cher que l’essence. Peu de temps après, il revient le sourire
jusqu’aux oreilles.
Le lendemain, le pauvre type se retrouve
sans son portefeuille contenant tous ses papiers et argents ; tu parles, il n’y
a qu’à voir la tronche du gardien, quand il vient se faire payer, il a les yeux
montés sur cardan pour pister où est remisé le pognon, et quand les gens dorment
sous la tente, la nuit, lui ou des comparses, sachant où se trouve le magot,
coupent le tissu de l’abri pour s’en emparer.
Comme d’habitude, inutile de compter sur
l’Ambassade ou le consulat, quand vous êtes dans la merde, vous n’avez aucune
aide à en attendre, que ce soit pour les papiers, argent, coup de fil en France,
Wouallllou !!!!!
Le bruit court qu’un Français ayant voulu
récemment dormir en brousse aux alentours de Niamey s’est pris plusieurs coups
de machettes et a été complètement dépouillé ; allez donc savoir si ce sont
des ragots ou pas ! Il faut dire que des Nigérians passent souvent la
frontière pour couper quelques têtes et organes génitaux masculins, à fin de
faire des sacrifices ou grigris, (en principe, les Européens ne sont pas
concernés par ces prélèvements, la magie africaine ne fonctionnant pas avec
cette engeance incrédule) de là à braquer des voitures isolées…...
Vente rapide de la voiture à Portonovo 650.000 CFA nets, retour à Cotonou où je vais
prendre un visa pour le Nigeria.
A l’aéroport, je demande un Lagos-Bergerac, évidemment ça n'existe pas, mais j’arrive à
sortir un Lagos-Paris/Paris-Bordeaux ce
qui me permet d'aller voir mes parents en banlieue parisienne, et, avec
l’équivalent des cent francs que j'ai mis de mieux dans le billet, faire plus
tard Paris-Bordeaux dans un petit avion, ce qui me
semble très abordable.
Pour me faire des sous, je vais faire les
vendanges près de Bergerac, les viticulteurs chez qui je travaille sont
adorables, ce doit être de génération en génération, car les ancêtres ont pensé
aux transpireurs en plantant régulièrement du muscat,
afin qu’ils y fassent une petite halte, et s’en
désaltèrent.
La récolte finie, les patrons enjolivent
la paie de 6 bouteilles de vin blanc, et 6 de rouge d’années précédentes qui ne
font pas long feu, me restent cinq bouteilles de blancs, je décide de les
emporter, car, en ayant goûté une, elle se révèle un excellent
anti-roupillon.
Recherche d’un appareil à transporter
l’homme, je trouve une 404 break bronze métallisé exactement comme celle achetée
aux Hollandais, à part qu’elle a été cartonnée, tout l’avant est très enfoncé, les deux longerons avant
sont tordus, 55.000 kilomètres d’origine (ce qui est peu) ; hormis le
carton, elle est comme neuve.
J’en parle à un copain garagiste et
carrossier chez qui je bricolais mes charrettes, après avoir vu les dommages, il
me dit qu’il y a beaucoup de boulot, mais que c’est du classique : Il faut
démonter toute la mécanique, couper tout l’avant au marteau et au burin,
longerons compris, faire la même chose sur une autre non accidentée, présenter
la nouvelle pièce et souder l’ensemble sur un marbre (forme qui permettra à la
voiture de ne pas sortir en vrille), remonter, repeindre. J’achète la bête 600
francs.
Découper des voitures à la hache
destination la ferraille, afin qu’elles prennent moins de place, j’avais déjà
pratiqué, c’est beaucoup plus facile qu’il n’y paraît.
Un copain artiste peintre, costaud, m’aide
à couper l’avant d’une 404 repérée à la décharge, cela nous prend, nous
relayant, trois heures un après-midi. Puis je découpe proprement au burin tout
l’avant de mon acquisition juste sous le pare-brise, longerons
compris.
Le copain carrossier soude le tout au
chalumeau, puis, je remonte la mécanique. Son frère, grand spécialiste en
peinture automobile transforme ma citrouille en carrosse (d’où le nom de
carrossier, je suppose).
Entrée d’Algérie, un gros 4X4 militaire
kaki est devant moi, récemment repeint, avec des pèpelles attachées précieusement sur les flancs par des
courroies, des plaques de désensablement en aluminium, rutilantes, des
jerricans, et tout, et tout, et tout… tout bien propre, c’est un couple
d’Allemands avec môme, le mec est très énervé, apparemment, il craque déjà,
j’augure mal de la suite de leur expédition…….
Tlemcen ; je m’apprête à entrer dans
un restaurant quand un type en sort, du sang partout, soutenu par ses copains,
une serviette éponge pour contenir l’hémorragie, il vient de prendre un coup de
rasoir dans la tronche ; je vais manger un peu plus
loin.
Maintenant, pour les pièces, je ne me
casse plus la tête, je les vends dans les garages où j’ai déjà sévi. La plupart des garagistes connaissent la
contrainte du carnet de devises, et savent qu’il faut que je ressorte les mêmes
pièces (fichues ou pas) que celles inscrites, je demande donc de faire un
échange standard avec leurs matériels défectueux, ça passe très
bien.
Aïn-Sefra, repas chez l’ami, nous sifflons une bouteille de
blanc.
Adrar, je vais au dispensaire me faire
vacciner gratos contre le choléra ; pour remercier les infirmiers de leur
obligeance, je fais comme le maréchal, (j’offre) mon dernier demi litre de
Ricard, tout heureux, ils me donnent deux boîtes de 500 comprimés, l’une
d’aspirine, l’autre de quinine, je les prends pour ne pas les vexer sans savoir
ce que je vais en faire!!
Puis je passe chez Ramdann, il a une curieuse façon de faire le café : Il met
la dose dans une grande cafetière type cow-boy, de l’eau, fait bouillir, quand
le café monte, il le stoppe avec un verre d’eau froide, c’est prêt.
Lors de la descente précédente, j’ai
discuté au Bénin Palace avec des Français qui ont eu des emmerdes à propos du
change officiel de dinars, les douaniers ont calculé le montant de l’essence du
voyage jusqu’à Adrar, plus celle contenue dans les bidons, le trafic est patent,
amende en francs Français…..ça sent l’affreux Jojo qui
m’avait coincé !!! Il est virulent l’animal, me souvenant qu’il y a un
poste d’essence à Reggane, je tente le coup de
planquer des dinars roulés dans le caoutchouc du pare-brise et d’y charger mon
essence, c’est un peu kamikaze, car des fois, cette station n’est pas
approvisionnée et il faut revenir de nuit à Adrar en faisant un très grand
détour dans le sable pour éviter de se faire voir par les douaniers qui ont une
vue imprenable sur la platitude du sud et en repartir de
même.
Je passe la douane en souplesse malgré
l’habituel tyran, 130 bornes, heureusement, la dernière station avant Gao est
ravitaillée, je razlagueule mon fut de 200 litres, et
me pointe au poste de Reggane qui a pour seule
fonction de contrôler les passavants et former des convois (pour les
autres).
Passant de nuit devant Bidon V, je vois
des lumières, ce sont des Allemands qui arrosent Noël ; passant dans des
pays musulmans, je n’avais pas fait attention à la date. Partageant ce que l’on
a à manger et à boire, (nous finissons à l’occasion les bouteilles de blanc), on
fait la bamboula enroulés dans les sacs de couchage à cause du
froid.
Aguelhok, je vais voir un religieux musulman que
j’avais connu lors d’une précédente descente, et lui refile la moitié des
médicaments reçus des infirmiers algériens après lui avoir expliqué leur
utilisation, je distribuerai le reste à Gao.
Gao, comme d’hab, je passe dire bonjour à Mambi
pour qu’il m’inscrive dans le livre des entrées, maintenant, les formalités sont
pour moi réduites à l’inscription dans ce registre, un agent me met le coup de
tampon d’arrivée en ville sur le passeport, et c’est
plié.
Chez Yarga, pas
mal de monde, et chose pas très courante, il y a des voyageurs blacks, ce sont
des Guinéens, ils me branchent, me disant que les gens de l’ambassade de Guinée
à Bamako cherchent une voiture comme la mienne ; généralement, ce genre
d’information pue, car, comme par hasard ils y vont, et que je pourrais au
passage, les y amener gratos.
Quelques jours passent, je me décide à
tenter le coup.
Un guide de chasse doit se rendre sur
Mopti, nous partirons ensemble, deux Lyonnais en 504 nous suivent. Le lendemain
matin, avec les indigènes, il y a une demi-douzaine de voitures qui attendent le
bac pour traverser le Niger (fleuve), nous nous inquiétons, car l’embarcation
est limitée en places de véhicules, et si l’un de nous reste sur le carreau, les
autres devront attendre au moins trois heures sur l’autre rive sous la cagnasse
le prochain passage du bac (c’est pas drôle), ou partir sans lui (c’est pas
gentil !).
Le bac arrive, les voitures venant d’en
face en descendent, elles sont à peine sorties, qu’un flic dans sa 404 plateau
perso passe en trombe par la gauche, et monte le premier sur la barge. Nous
avons les boules, mais finalement, tout le monde arrive à se
caser.
Après avoir gagné la berge opposée,
l’odieux part comme une fusée.
Prenant notre temps, nous roulons
peinards, de grosses sauterelles suivent la voiture en vol stationnaire sur une
centaine de mètres, cent trente kilomètres plus loin, l’agent et sa jeune femme
ont la tête sous le capot, à notre approche, il nous font signe
d’arrêter.
Ce connard n’a pas regardé le niveau d’eau
avant de partir ou crevé le radiateur, ça fume de tous les côtés. Le guide de
brousse (apparemment un branleur fini) ouvre prudemment le bouchon du radiateur,
et me faisant un clin d’œil, y verse de l’eau, la culasse émet des craquements
épouvantables, sérieux comme un pape, il dit au flic «essaie de démarrer»,
celui-ci s’exécute, il n’y a plus de compression, et de l’eau sort par le pot
d’échappement, je trouve le coup salaud car il lui a sciemment niqué la culasse,
mais l’autre abruti l’a bien mérité.
Je lui conseille de garder sa voiture, car
sinon, 2 heures après il n’en restera rien. Pendant ce temps-là, le guide
discute avec la nana, celle-ci, devant se rendre à Bamako monte avec lui, nous
repartons.
La nuit, nous cassons la croûte, puis dodo, le chevalier servant de la
femme du flic la fait gueuler toute la nuit, nous rigolons comme des bossus.
Le lendemain, il y a de nombreux
ensablements, l’un des Lyonnais nous fait une grosse dépression, (j’ai à ce
propos remarqué que beaucoup de gens, en s’enfonçant au sud en terrain inconnu,
angoissent et se laissent aller à une déprime incompatible avec l’allant
nécessaire à la traversée d’espaces désertiques) je le retrouve vautré dans un
banc de sable qu’il aurait dû passer tranquillement avec sa 504, quand j’ouvre
sa portière, il est à moitié en train de chialer en disant qu’il n’a plus la
force d’appuyer sur l’embrayage, en attendant, tout le monde doit s’y mettre
pour sortir cette lope. Une fois que nous avons sorti son trognon, je le choppe
et lui dis que la prochaine fois, il se démerdera tout
seul.
Arrivée de nuit à Mopti, au barrage, un
militaire voulant fouiller les voitures demande si j’ai une lampe électrique,
ouvrant le haillon arrière, je lui répond non, il me dit « ce n’est pas
grave, je vais vous torcher », cette bonne chose faite, nous allons dîner
dans un restaurant un peu classe car c’est le seul endroit ayant de la bière
fraîche.
Il y a déjà 5 ou 6 Belges et un couple de
Français : Dominique et Lien, tous deux ont vendu leurs voitures et
continuent vers la capitale.
Après quelques verres, tout le monde est
de bonne humeur, les belges vont aussi à Bamako pour vendre leurs
oignons.
Nous partons tous ensemble le lendemain
matin, pendant le voyage, les blacks que je trimbalais à l’œil depuis Gao
cassent le coup de l’ambassade de Guinée aux Belges, je suis
fumasse !!!
Bamako, je largue mes passagers, les
Belges vont dans un hôtel-restaurant climatisé pour Européens, les Lyonnais et
moi optons pour un bouiboui local appelé « Au paysan », nous y
trouvons trois Français.
Je laisse passer quelques jours en
cherchant mollement des clients, ceux-ci trouvent mon véhicule magnifique, mais
n’ont aucune intention de payer les 20.000ff que je demande en prix
d’attaque.
La nuit, les mômes font leurs devoirs
scolaires dans la rue, à la lumière des réverbères.
J’apprends que les Belges sont allés à
l’ambassade de Guinée, et, afin de fourguer une de leurs 504, ont dit que
j’avais déjà vendu mon os ; je suis mort de rire, car cette voiture, ainsi
que les autres, achetées par des Libanais, ont en grande partie été payées en
chèques.
Je décide d’aller tout de même à
l’ambassade voir de quoi il retourne. Les fonctionnaires, en voyant ma voiture
font les pieds au mur, l’information était bonne, c’est ce modèle qu’ils
cherchaient, malgré l’acquisition de la 504 belge 900.000 f Maliens (aux
trois/quart payés en chèque), ils sont d’accord pour prendre la mienne à
1.600.000 f maliens. Ils n’ont plus de liquidité, ne leur restent que des
chèques, je réponds que je suis désolé, je ne prends que du sonnant et
trébuchant, ils me disent d’attendre, et envoient un mec chercher du liquide,
une heure plus tard, ils me paient.
Retour triomphal « au paysan »,
tournée générale, le patron, très sympa, nous fait toujours de la bonne bouffe,
souvent de la viande de brousse, phacochère, agouti,
bisse*.
Allant faire un tour au marché de Bamako,
je vois un fusil de brousse, crosse en bois faite à la main, le canon a été réalisé dans
une barre de direction de 2 CV, le vendeur est le forgeron concepteur de l’objet ; c’est un
vieux qui fait une tête de plus que moi, une carcasse de colosse, super gentil,
il demande 30.000 francs maliens de l’outil à se procurer de la chair fraîche,
je n’ai pas le cœur à marchander, il m’accorde avec, de la poudre et quelques
amorces. Je lui demande quelle quantité de poudre il faut pour une charge,
sortant la baguette située sous le canon, il me montre qu’une fois celle-ci dans
le tube, elle arrive exactement à ras de la bouche, puis il lève la baguette de
la hauteur de trois de ses doigts (4 des miens) et me dit que c’est la dose
idéale, je le paie avec les grands billets maliens ; j’achète plus loin une
grosse kora*.
Quand j’ai vendu une voiture, je ne
m’attarde jamais longtemps dans le secteur.
J’en parle aux autres ; l’un n’a pas vendu
sa 404 plateau, mais n’est pas trop décidé à la céder car, l’ayant achetée neuve
en France afin de carder les matelas dans les villages de l’Ariège, il n’en
aurait jamais tiré la moitié de sa mise de fond, les autres, ayant déjà fait
affaire, les décider à remonter ensemble ne fut pas un tour de
force.
Ils sont trois, plus Lien et Dominique, un
Ivoirien recruté par lui pour préparer des voitures en France et moi, sept, pour
une 404 plateau, bagatelle !
En fin d’après midi, nous réglons et
remercions notre hôte de l’excellent séjour que nous avons passé chez lui.
Devant nous appuyer 3000 kilomètres de désert et de piste, Dominique suggère que
nous dormions une nuit dans un hôtel grand standing, chambres climatisées, dans
lequel ils ont passé quelques jours ; quand il nous dit le prix exorbitant
de la chambre, moi et les autres, ne sommes pas d’accord ; Dominique a une
idée démoniaque : lui et sa femme, louent une chambre, une fois qu’ils ont
la clé, Lien redescend nous donner le numéro de la piaule et de l’étage, deux
par deux, à intervalles réguliers, tout le monde prend l’ascenseur, et s’y
retrouve, il y a une grande baignoire et une douche dont nous abusons à tour de
rôle.
Redescendant par petits groupes, tout
propres, tout roses, nous nous retrouvons au restaurant, et mangeons comme des
gorets.
Nous faisons notre blanchissage dans la
baignoire. Les lessives africaines, sont d’une efficacité redoutable, pas besoin
de frotter, il faut laisser tremper le linge dix minutes maximum, rincer
abondamment, les couleurs ont déjà bien morflé au
passage.
Le sol recouvert d’une chouette moquette,
nous dormons par terre dans nos sacs de couchage, laissant le lit au copain et
sa femme.
Le lendemain matin, petit déjeuner
dantesque, jus d’oranges, café, croissants, chocolat à volonté, prix
forfaitaire, nous nous en mettons jusque là !
Puis nous remontons, reprenons une
dernière douche vite fait, divisons le prix de la nuitée, versons chacun notre
écot, descendons avec nos bagages, quelques instants après, Dominique et Lien
paient la chambre.
L’arrière de la voiture est fait d’une
caisse tôlée fabriquée par l’artisan pour protéger son matériel, nous y
pratiquons une meurtrière de chaque côté, puis montons dans la 404, et fouette
cocher!
Ségou, nous buvons une bière sur les bords
du Niger, j’achète deux petits pistolets entièrement faits à la main (voir
photos), l’ignition de la poudre se fait comme au 17 et 18 ème siècles avec des silex pris dans une petite pince qui,
en se rabattant produit une étincelle ; des gosses viennent bavarder
et faire une manche discrète, ils nous montrent des poissons qui, en se
gonflant, triplent ou quadruple de volume comme les
poissons-lunes.
Après San, sur le bas-côté de la route
nous voyons de gros volatiles pas farouches (sûrement des outardes), je me dis
que c’est le moment d’essayer le fusil !
Voulant tester la solidité de l’outil
avant de l’utiliser, nous nous écartons de 200 mètres en brousse ; je sors
l’arquebuse, la charge, tasse la poudre avec du papier, la coince et
l’attache dans la fourche d’un
arbre, et déroulant une ficelle nouée à la gâchette de façon à m’éloigner lors
de la mise à feu, je tire un coup sec, raffut d’enfer, nuage de fumée d’un autre
monde, l’artillerie, bien qu’amarrée est tombée, mais le canon n’a pas
explosé !
Je recharge, demande aux copains de me
faire des plombs avec ce qui leur tombe sous la main ; à l’aide d’une paire
de tenailles, ils me coupent en petits morceaux des bouts de cuivre et de plomb
qui traînaient dans la voiture, je bourre le tout avec des mouchoirs en papier,
nous reprenons la route, je pointe par la meurtrière de la voiture, voyant un
groupe d’oiseaux, le conducteur ralentit, je tire, un recul monstrueux me ravage
l’épaule nord ; nous allons au résultat, persuadés d’en trouver trois ou
quatre sur le carreau, peau de balle et balais de crin, pas un seul au tapis,
nous refaisons un essai plus loin, sans plus de
chance !
Cent bornes après Mopti, nous attaquons la
piste, les copains m’ont préparé un paquet de munitions, je charge le tromblon
des plus gros projectiles.
Plus tard, nous apercevons une mère
phacochère et son petit ; obliquant, nous partons à leur poursuite,
malheureusement, nous les perdons de vue ; deux montent sur le toit pour
les repérer, ce qui ne tarde pas, la poursuite reprend, malgré les arbustes
rabougris, nous les rattrapons rapidement, guidés par nos vigies qui râlent car
elles prennent des branches d’épineux dans la tronche, on ne les écoute
pas ; arrivé à la hauteur du petit, je lui envoie une décharge pratiquement
à bout portant, ce qui n’a pas l’air de le déranger outre mesure, au bout d’un
moment, ils se séparent, nous nous acharnons sur le marcassin ; épuisé, il
finit par s’arrêter au pied d’un arbuste, les autres, restant dans la voiture,
me disent d’aller l’achever, je descends, pas trop fiérot, car si la mère
revient, elle me fait la peau, je donne un coup de crosse sans conviction au
bestiau, s’il ne tenait qu’à moi, on se barrerait, l’excitation de la chasse
passée, j’ai plus envie de lui foutre la paix, qu’autre
chose !
Les trois copains, habitués à la vie à la
campagne, n’ayant pas ma sensiblerie de citadin descendent de la voiture,
empoignent le petit, et lui font la peau au couteau en deux temps trois
mouvements, puis ils le pendent par les pattes arrières, le dépouillent, et le
vident vite fait pendant que nous guettons le retour éventuel de la mère. Nous
repartons, je suis un peu barbouillé !
Le soir, nous nous arrêtons, allons
chercher du bois, faisons un feu et cuisons le foie du phaco avec des nouilles, puis allons nous coucher ;
Marcel, l’Ivoirien reste à entretenir le feu, je lui demande pourquoi il ne va
pas dormir, il me répond qu’où il y a des phacochères, il y a des lions, j’ai
beau lui dire avoir lu que les lions ont plus peur des hommes que l’inverse, il
tient à veiller et entretenir le feu toute la nuit. Finalement, il a sûrement
raison, car à l’aller, nous avons discuté avec des gardes-chasse pourchassant
une lionne qui avait dévoré une femme partie faire sa lessive au bord du fleuve.
A Gao, Dominique et Lien retrouvent un type sympa, genre baba cool, il est fauché, et
vit avec une Malienne qui fut danseuse quelques années au Crazy Horse Saloon et subsiste de la petite retraite versée
régulièrement de France pour ses prestations
parisiennes.
Ils demandent si on peut le ramener en
France, bien sûr, pas de problo.
Chez Yarga,
toilette au seau (rapide, car il fait froid), nous négocions le restant du petit
phaco avec la femme de notre hôte contre deux repas
chacun, nous faisons connaissance d’un Français nommé Gerry qui vient de
débarquer à Gao, il a l’intention d’y monter un camping.
Le lendemain matin, départ, nous passons
prendre le baba chez la nana, il y a de l’émotion dans
l’air !
Durant le voyage, la peau de la calebasse
de ma kora se fendille de partout sous la sécheresse.
Passage des frontières, il fait de plus en
plus froid, j’ai égaré ou échangé mes affaires chaudes durant la descente car je
pensais remonter par Lagos ; à Beni-Ounif,
j’achète une djellaba râpée d’occasion en poils de chameau tissée à la main,
bien que peu épaisse, elle est très chaude, et la pluie glisse
dessus.
Mécheria, les copains, ayant changé du pognon au
black vont dormir à l’hôtel, je préfère rester et garder la voiture. Au petit
jour, je sens le pick-up osciller sur le côté, j’aperçois deux mains accrochées
à l’ouverture latérale droite, il y a une pompe à main pour gonfler les pneus
fixée sur la cloison avant par des sangles, c’est elle qui est visée, une main
commence à défaire la première des deux courroies qui la tiennent ; pour ne
pas faire tanguer la voiture, je me dirige doucement avec le sac de couchage
dans les guibolles vers les mains convoitrices, la
première sangle défaite, il faut bien que le type passe le bras plus avant pour
défaire l’autre, quand le brandillon est bien engagé, je l’attrape, et le plie
vers le bas pour le bloquer, le voleur se débat comme un beau diable, tout cela
en silence, je me rends immédiatement compte d’après la taille de l’abatis qu’il
appartient à un moufflet, et que s’il continue à se
débattre comme ça, il va finir par se faire mal, je lâche, et passe la tête par
l’ouverture : c’est un môme fortement choqué, il est à terre sur le côté,
les jambes pédalant dans le vide, il a dû croire avoir affaire au diable, je
l’insulte copieusement en Arabe, ce qui est le meilleur moyen de lui montrer que
je suis pas un djnoun ou un chettab (esprit) ou (diable). Les copains arrivent de
l’hôtel au même moment, voyant le tableau, ils sont écroulés de rire.
La remontée ne pose pas de problème
particulier, à part que le copain baba cachait (sans nous le dire) de l’huile de
shit dans le rebord de son bonnet, et à la douane espagnole, les gabelous lui
demandent de les suivre dans une pièce à l’écart ; il réussit à balancer sa
cargaison discrètement dans une poubelle. Il ressort quelques instants plus
tard, il a les boules, il comptait se refaire avec le shit qu’il a balancé, et
les douaniers ont simplement examiné son passeport sans le fouiller, vu le
nombre de fonctionnaires croisant dans le coin, il ne peut se permettre de
récupérer son huile, nous nous arrachons vite fait avant que quelqu’un ne tombe
dessus.
Ariège, près de Foix,
le village squatté par les copains est perdu dans la montagne, ils y ont des
chèvres et des femmes en commun, ça paie !!!
Nous remémorant le voyage, nous calculons
qu’il y une semaine, nous étions à Bamako, nous étant relayés au volant, la
moyenne est plutôt bonne, le voyage nous est revenu à 500ff chacun (gratos pour
le baba).
Le lendemain, je leur demande de me
redescendre en ville pour prendre le train, nous nous adieusons, Michel me fait la bise, gentil
mec !
Quelques mois plus tard, de nouveau ruiné,
j’en viens à taper dans un lot de sardines remontées d’Algérie, ce genre
d’aliment sature très vite, pour changer, j’essaie de les passer à la poêle,
génial, une fois réchauffées, on croirait des fraîches !!! Mais il faut que
je réattelle……...
Je trouve l’appareil à manger du
kilomètre, une 404 berlines d’un modèle rare, 7 Cv, alors que les autres font 9
Cv, caisse, boîte à vitesses modernes, mais avec un seul compteur ; le pont
arrière grogne salement, j’en vérifie le niveau d’huile, il y a ce qu’il faut,
il tiendra bien jusqu’à Cotonou. Je l’achète car elle est en très bon état, bien
que n’avoir que 7 Cv sous le capot me chiffonne, j’ai peur que ce soit un peu
léger pour passer les bancs de sable.
Je n’ai plus un outil disponible, pas même
une paire de pinces, mais je connais bien la piste maintenant, et décide de
jouer le coup ainsi.
Je prends une roue de secours en plus, un
fût de deux cent litres et son kit nourrice, quelques jerrycans de plastique
aimablement consentis par les pharmaciens, le réservoir moitié plein, je ne
dispose que de 1.200 ff pour descendre jusqu’au Bénin,
ça frise l’incorrection, d’autant plus que la traversée de la Méditerranée
me coûtera entre 400 et 500 ff ! Le gros de l’affaire
sera de passer en Algérie avec le maximum de bouteilles d’anisette ou de whisky,
du moment qu’il reste deux cents francs à changer à la frontière pour prendre de
l’essence et une assurance, les douaniers à l’entrée du territoire ne cherchent
pas plus loin. Une fois en Afrique noire, si on ne fait que traverser les
villes, si l’on mange chez les mamas, à part l’achat
d’essence, la vie ne coûte pratiquement rien ; ce sont les chambres
d’hôtels climatisés pour Européens ramollis qui sont chers, les terrasses
exposées aux intempéries sont aux environs de 10 à 20ff la
nuit.
Attendant le bateau à Melilla, je
rencontre deux types qui descendent en R12, c’est la première fois que je vois
faire le business avec cette marque!
Le passager, un brun genre zonard, sort un
Opinel, et me dit qu’il vient en Afrique pour enlever un œil à sa copine qui s’y
est fait la belle avec un type, il me la décrit pour que je la reconnaisse si je
la croise.
Le proprio de la voiture, un blond, mince,
me révèle qu’il a au Mali, une commande de montres à quartz, que cette camelote
y est très recherché, ah bon! Je suis bien placé pour savoir que les produits
nouveaux venant de Chine, Japon ou Taiwan débarquent en Afrique par le Nigeria,
et de là, se répandent sur tout le continent bien avant d’arriver en France,
j’essaie de lui en toucher deux mots, mais il est déjà descendu une fois, il
sait mieux que moi, ah bon !
Je lui suggère de charger des bouteilles
de whisky dans les portières, il me dit non, que les montres y sont
cachées.
Nous franchissons ensemble les frontières
de nuit, je passe le premier sans problème. Quand le tour des collègues arrive,
les douaniers algériens deviennent plus durs, il faut dire que le brun a
vraiment une sale gueule ! Je les attends et assiste à la fouille de leur
voiture, un gabelou ouvre la portière arrière, en écarte la garniture, dirige la
lampe électrique à l’intérieur, je vois très nettement le reflet du chrome des
montres, le douanier, lui, ne voit
rien!!!
Nous roulons de concert quelque temps, à
Tlemcen, nous nous séparons car je ne tiens pas à traverser le Sahara avec ce
genre de voiture et de lascars ; de plus, je veux vendre mes pièces
détachées sans mouiller mes acheteurs.
Plus je descends, plus le compteur de
température d’eau monte, ça, c’est pas bon.
Aïn-Sefra, bonjour au copain, je lui emprunte
quelques outils et démonte le calorstat des fois que ce modeste appareil soit la
cause de ce réchauffement de mauvais aloi ; pas
d’amélioration.
Je démonte le radiateur, puis, nous allons
chez un spécialiste, j’assiste au solo du détartreur ; le type commence par
dessouder tout le haut du bloc, dans un râtelier portant des tringles de
différents calibres, il choisit le modèle idoine, et se met à ramoner
gaillardement mon appareil à évacuer les calories.
Une fois l’opération terminée, il rince
abondamment la pièce, la retourne, et ressoude la partie
supérieure.
Le radiateur reconstitué et refroidi, il
adapte au bas de ce dernier un morceau de
chambre à air de vélo ou mobylette fermé par un nœud, verse de l’acide
jusqu’à la moitié de la partie récemment reposée, et se servant de la chambre à
air comme d’une poire, fait circuler le liquide quelque temps. Il récupère
l’acide, rinçages, me voilà avec un radiateur comme neuf, l’opération est un peu
chère, mais réglée en dinars.
Je remonte le tout, fais des essais
concluants.
Un peu tôt dans la soirée, nous cassons la
croûte, puis je continue ma route, j’aime bien dormir dans la campagne et
attendre de tomber de sommeil pour ce faire.
Visite à lou
Ramdann, départ de la douane, maintenant que l’on me
connaît, malgré tous mes coups tordus, ils ne m’embêtent plus, il faut dire
aussi que je suis rôdé, et pour me prendre en défaut, maintenant, il faut se
lever de bonne heure.
Reggane, je rends mon passavant, la voiture tire
mieux que je ne craignais dans le sable mou, mon moteur ronronne, j’ai une
pensée émue pour toutes les pièces en mouvement, aux bielles, soupapes, pistons,
arbre à cames, tout cela lubrifié en permanence par la pompe à huile,
l’automobile est une machine magnifique !
La nuit, je m’égare sur la route de Timiaouine, ça commence à devenir une habitude ! Je
m’en aperçois assez rapidement à l’étroitesse de la piste, demi tour ; dès que
je croise des traces nombreuses, je prends à gauche, et retombe sur le large et
habituel enchevêtrement d’empreintes de pneus.
Cent bornes avant Gao, un petit touareg me
fait signe, je m’arrête, il me montre sa main bleue et gonflée comme un gant de
vaisselle dans lequel on aurait soufflé, il me dit « scorpion », l’un
de ses rares mots français, je pointe mon index sur lui, puis vers le sud, dis
« Gao », il comprend que je veux l’emmener, mais refuse, j’insiste en
vain ; n’ayant rien pour le soulager, je repars en louchant le rétro des
fois qu’il change d’avis.
Un vent de sable rasant se lève une
quarantaine de kilomètres plus loin, je m’arrête un peu, mais crevant de chaud,
et ne sachant pas combien de temps cela durera, je finis par repartir, les
traces deviennent de moins en moins nombreuses et visibles, je me fixe sur l’une
d’elles récente et profonde, au détour d’une grosse touffe d’herbe sèche, je la
perds ; le sable est mou, ne pouvant m’arrêter sans m’ensabler, je tourne
large pour retomber sur mes pattes, plus rien, tout a été nivelé par le vent,
qui s’arrête quelque temps après.
Dès que le sol est un peu consistant, je
m’arrête pour réfléchir, la petite montre du tableau de bord indique 11 heures,
le soleil est à gauche, je suis donc dans le bon axe.
Je continue en me référant à l’ombre du
montant de pare-brise, une demi-heure après, je regarde la pendulette,
consternation et désolation, elle n’a pas bougé depuis que je l’ai
consultée ; depuis le départ elle n’a eu aucune défaillance, le sable,
s’infiltrant partout, a dû la bousiller.
Stoppant le concentré de génie humain, je
monte sur le toit pour apercevoir quelque signe pouvant me guider, pas de trace
de poussière soulevée, le silence est total, je vois une éolienne à l’horizon,
me souvenant qu’il y en a une quelques dizaines de bornes à gauche de la piste
avant Gao, je décide de me diriger vers elle.
Je roule assez vite car je n’ai rien pour
m’aider à désensabler si je me plante. Dépassant le sommet d’une dune, le
versant descendant n’est plus stabilisé par les touffes d’herbes sèches, la
voiture s’enfonce à mi-roues dans le sable mou, et se met en crabe, j’accélère,
et m’en sors, chauds les marrons !
J’arrive à l’éolienne, celle-ci est
immense, je n’en avais jamais vu de près, c’est
impressionnant !
En tout cas, la piste menant à Gao n’est
pas au rendez-vous, je grimpe en haut par les échelons prévus à cet effet,
arrivé sur la plate-forme du sommet, je regarde dans tous les azimuts, pas de
piste, pourtant, je vois très, très loin ! À l’horizon, une autre éolienne,
je décide d’aller y jeter un œil. Arrivé à cette dernière, toujours pas de
piste, une fois grimpé, je vois une autre éolienne, j’y vais…..Je croise des gazelles ; au bas du monument, il y a un
manche de hache dont la boule percée permet d’y glisser le fer selon le système
classique en Afrique, je le balance derrière les sièges de la voiture, monte, encore
rien.
Je me dis que là, ce n’est plus un
margouillat, c’est un crocodile ! Je décide de revenir sur mes
pas.
Je reprends mes traces jusqu’à une dune
molle que je ne peux remonter, la contourne, ne retrouve pas la marque de mes
pneus, j’ai beau tourner, rien, je ne sais plus du tout où je suis, si la piste
est devant, derrière, à droite ou à gauche, quelle
galère !
Regardant mes traces arrières et
l’éolienne au loin, j’en déduis la direction probable de mon ancien itinéraire,
et conservant tant bien que mal l’angle de route avec l’ombre du montant du
pare-brise je roule, roule, et fini par retomber sur des traces de pneus plus
larges que les miens, je les suis sur une trentaine de kilomètres, puis tombe
sur un petit camp touareg de quatre tentes, n’oubliant pas les usages, je
m’approche et frappe dans mes mains. Un Tamashek* sort, je lui demande la route
de Gao ; Gao, il connaît, il m’indique les traces qui m’ont mené jusque là,
et dit, « Gao » à plusieurs reprises, je le remercie, et repars,
quelques temps après, je croise le plus merveilleux spectacle qu’on puisse
imaginer : la piste, large comme plusieurs boulevards, je l’emboîte à
droite, trois quart d’heure après, je suis devant lou
Mambi, cinq minutes plus tard, je m’enfile une 75 cl
cul sec, et en redemande une autre pour pousser la
première.
Ce devoir élémentaire accompli, Boubakar m’informe que Gerry a monté son camping, et m’y
conduit. Pendant que celui-ci prépare la tambouille, je lui fabrique un système
à assassiner les moustiques : je tresse comme un ancien panier à salade en
fils de fers, dont un rang sur deux est branché sur un pôle 220 volts, le
second, sur l’autre, le tout tenu sur une armature en petit bois par de la
ficelle pour éviter un court-circuit. Je pousse le vice jusqu’à alimenter ce
piège par une ampoule électrique en série, ce qui fait qu’en cas de court-jus,
l’ampoule s’allumera, sans autre dommage.
J’adjoins à l’intérieur de mon piège une
autre lampe qui servira d’appât et d’éclairage pour la table au-dessus de laquelle je
pose mon traquenard. J’attends avec impatience qu’un moustique vienne se
pointer, bien sûr, il n’en vient pas. Je choppe une grosse sauterelle pour voir
sa réaction au contact de l’embuscade et la lâche dessus, les deux pattes
arrière se détachent instantanément de l’animal, je crois que les moustiques
n’ont qu’à bien se tenir !
C’est l’époque des cantharides, ces
charmantes bestioles, réputées pour leurs vertus (je ne sais sous quelle forme)
aphrodisiaques, ont une prédilection pour les atterrissages dans le cou, (on ne
les sens qu’au volume qu’elles prennent sous la chemise), une fois posées, elle
lâchent un acide extrêmement virulent qui vous fait de grosses cloques en deux
coups de cuillère à pot, si l'ulcération crève, le suc en refait une série plus
bas.
Je vends quelques pièces de 404, mais,
n’étant pas trop ferré, je ne m’attarde pas à Gao, et le lendemain matin, je
droppe sur Niamey.
Arrivé, j’envoie une tripotée de cartes
postales car j’ai remarqué que ce petit bout de carton fait très plaisir
lorsqu’il arrive, et que son émission ne coûte pas beaucoup de temps et
argent.
A la frontière Béninoise je donne deux
bidons de plastique de 10 litres ayant contenu mon eau pour la traversée du
Tanezrouft et gardés pour la circonstance.
Je roupille au camping de Kandi, démarre tôt le matin ; vers 9 heures, j’attrape
deux caméléons sur la route, ce n’est pas un tour de force: quand ils sont sur
le goudron, ils essaient de faire vite, mais faire vite pour un caméléon est
très relatif, ils font deux ou trois basculements avant/arrière avant de pouvoir
progresser efficacement. Quand ils se sentent en danger, ils arrivent à faire
des pas successifs mais hésitants et en chaloupant fortement. Je les mets sur
les revers de ma chemise, ils n’en bougent pas.
Parakou, Nestor a été retrouvé il y a deux jours,
mort dans son lit, le ventre tellement gonflé qu’il a fallu l’enterrer dès le
lendemain avant qu’il n’explose, ça sent l’empoisonnement à plein
pif !!
Son frère a déjà chaussé ses bottes, sa
femme et son restaurant ; il pérore comme un paon derrière le comptoir, je
ne vais pas m’attarder.
Le soir, pendant le dîner me vient un
début de palu : suées au front, chair de poule sur les bras, raideur dans
le cou, difficulté pour les yeux de faire le point, je bondis tel le fauve sur
le tube de Quinimax, m’en enfile deux que je pousse
d’une BB, finis de dîner, et vais pieuter sur la terrasse. Le lendemain, bien
que retapé, je reprends deux cachets à tout hasard au petit déjeuner, et dégage
l’antre.
Je m’arrête chez un menuisier, achète pour
trois francs, six sous de sciure ; ayant entendu dire que les marchands de
voitures, après la guerre, en mettaient dans l’huile pour étouffer le bruit des
ponts usés, ça n’y change rien !
Arrivé à Bohicon, je m’arrête manger au restaurant qui surplombe la
route, un mec averti par un tiers se pointe pour acheter ma
voiture.
Je tape 600.000 CFA, Quelques temps après
avoir fait ronflé le moteur, nous tombons d’accord sur 550.000, il me dit qu’il
revient me payer.
Un quart d’heure après, il est de retour
avec le garagiste à qui j’ai déjà eu à faire à Abomey, il demande à faire un
tour du quartier ; avec le pont arrière niqué, il va falloir jouer
fin!
Je fais semblant de piquer une grosse
colère, leur dis de monter ; la transmission se mettant à s’exprimer à partir de
trente à l’heure, je parle en surveillant le compteur de vitesse, le mécano me
demande d’accélérer, justement, nous arrivons sur de la piste (comme par
hasard), jouant toujours le gros énervé, je pousse les rapports sur la latérite,
avec les cahots, ils ne peuvent pas entendre le bruit du pont arrière. Je
reviens à toute allure en choisissant soigneusement des routes de terre, nous
revenons au restaurant ; maintenant, il faut qu’ils réfléchissent car je
pars sur Cotonou, conciliabule, je fais semblant de ne plus m’intéresser à eux,
sur les conseils de son mécanicien, l’acheteur ne veux pas mettre plus de
500.000 CFA, faisant l’ulcéré, je dis banco du bout des lèvres ; le type me
règle dans la foulée.
J’ai fait d’une pierre deux coups, 1°
fourgué mon os, 2° décrédibilisé le garagiste (j’ai honte, il fait bien son
boulot, mais sa prestation me nuit chaque fois que j’ai affaire à
lui).
Je paie l’addition, puis, vais prendre le
train direction Cotonou.
Arrivée à l’hôtel Babo, salut à toute la compagnie, Raymond, un des fils du
patron est sympa, il a acheté une superbe Nissan Patrol volée au Nigeria, Hans et Jöss sont là, ayant déjà vendu leurs
oignons.
Les Hollandais sont les gens qui se rapprochent le plus
des Français, ce sont des démerdards, ils aident s’ils le peuvent les collègues,
et ne balancent pas les autos à n’importe quel prix comme les Allemands, les
Anglais viennent uniquement se promener, on ne voit quasiment jamais d’autres
nationalités européennes.
Jöss me choppe à part : Raymond a fait
l’acquisition d’un grigri pour ne pas se faire prendre à la frontière française,
et compte passer une grosse valise bourrée d’herbe grâce à ce merveilleux outil,
Jöss me demande de l’aider à l’en dissuader, nous
tapons à la porte de sa chambre, j’essaie de le convaincre que les grigris
marchent très bien en Afrique, mais pas en Europe, rien à faire, il est persuadé
que son amulette le fera passer comme une lettre à la poste! J’insiste, puis
abandonne, car il commence à se fâcher, ses croyances, et le monde pragmatique
que j’essaie de lui faire pressentir sont à des
années-lumière l’un de l’autre.
Avec mon passeport presque neuf, je vais à
l’ambassade demander un visa pour le Nigeria, les deux hollandais et un français
y ont déjà déposé les leurs.
Je vais faire un tour au Bénin palace,
c’est la journée commémorant le courage des soldats Béninois : lors d’une
descente de mercenaires, il paraît que deux de ces derniers restés sur le
carreau, sont exposés chaque année sous le pont de Cotonou, cela me paraît
curieux, les cadavres ne supportant pas trop bien le climat, mais j’ai déjà
entendu plusieurs fois cette histoire.
Le passage au Nigeria étant toujours un
rodéo, les copains attendent deux jours de mieux afin que nous partions
ensemble.
Au Bénin Palace, je fais connaissance de
deux Français qui se sont associés pour passer des bagnoles par bateau (cette
pratique en se généralisant, devient une concurrence sérieuse) ; ils ont
loué une maison près de la plage et hébergent le Corse qui m’avait indiqué le
coup des légalisations de cartes grises, ce dernier est rentré avec une
Ghanéenne qu’il a ramonée jusqu’à l’aube et la fille commentait vigoureusement
en direct les pratiques qu’il lui faisait subir au grand dam de l’obèse.
Nous jouons un peu à la belote, l’autre
associé me raconte qu’il s’est fait facilement une poignée d’oseille ; engagé
comme mercenaire, il a touché une confortable avance, puis est parti en avion
pour le Congo sous le couvert d’un reportage, avec caméra et tout le
tremblement. Au questionnaire douanier, il écrit :
métier : « mercenaire», que venez vous faire ?
« un coup d’état », expulsion par l’avion
suivant. De toutes façons, il n’avait aucune envie de participer à un coup de
main en Afrique, il visait uniquement l'acompte!
Un autre personnage a fait son apparition
chez Basile (le patron du Bénin palace) : Big Jo, un Béninois dodu qui commence à passer des voitures,
il est marrant comme tout, et malin comme un singe.
Il a fait imprimer en France des
formulaires d’assurance auto à un nom bidon avec tampons, ceux-ci lui permettent
de faire la France-Cotonou sans débourser un liard de
ce côté.
Je lui achète deux formulaires tamponnés
vierges, ce qui m’évitera de prendre l’assurance à la frontière
malienne.
Hôtel Babo, un
couple me demande où acheter des vélos chinois car ils veulent aller à
Ouagadougou à bicyclette, j’essaie de les décourager ; venus en avion, ils
ne connaissent pas les routes et pistes africaines, rien à faire, une heure plus
tard, ils ont acheté deux engins flambant neufs.
Deux jours après, ils sont de retour à
l’hôtel, et me demandent à qui fourguer leurs clous, je n’en sais rien, et n’ai
pas le temps car nous partons ; à Jonquet, nous changeons des nairas, et louons un taxi 404
berline.
Le voyage s’effectue sans problème
particulier, j’ai mis les sous de la voiture et du passage dans mon
calbar ; dans ma sacoche Tamashek autour du cou, mon passeport, deux petits
bracelets d’ivoire et 500ff changés à un françouze.
Il pleut, l’atmosphère est très lourde,
durant le voyage, je pose sur la plage arrière du taxi la sacoche qui me colle à
la peau.
Arrivée à l’aéroport de Lagos, toujours de
la pluie, l'air est chargée d’électricité, les flics gueulent de dégager, le
chauffeur nous dit de sortir presto, nous nous arrachons du véhicule, prenons
nos sacs dans le coffre, le taxi part en trombe, nous sommes toujours sur le
trottoir lorsque je me rends compte que j’ai oublié ma sacoche sur la plage
arrière, Jöss me dit que le taxi va revenir, je lui
réponds de ne pas y penser, il y a les bracelets, les sous, il ne reviendra pas,
ce passeport, ne m’aura pas servi longtemps !
Nous entrons dans l’aéroport, les copains
sont consternés (du moins Hans et Joss, le français
s’en tamponne le coquillard, il faut dire que c’est une grosse
tache).
Je les rassure en leur racontant
brièvement l’histoire de mon voyage sans visa, et précise que mon but est
d’arriver en zone de transit, après, ça ira tout seul.
Nous attendons dans la zone internationale
jusqu’au soir sans que les douaniers et policiers ne bougent de leurs guichets,
nous prenons quelques bières et sandwichs ; il y a de moins en moins de
monde, j’étudie les paramètres pour gérer au mieux ma situation, c’est bon de
sentir les deux hollandais à mes côtés, et qu’ils prennent mes patins à
fond !
Il ne faut pas trop s’attarder, car
lorsque nous serons seuls dans l’aéroport, nous deviendrons le point de mire des
fonctionnaires.
Les affichages n’annoncent plus de départ
imminent, je dis aux copains que c’est bientôt le moment, quand je leur donnerai
le feu vert, nous essaierons de passer dans la zone de transit, nous nous
approchons discrètement du .
Une dizaine de minutes plus tard, les
douaniers et policiers se cassent, j’attends un peu, et donne le top, sans
hésiter, mes compères passent, je suis dernier à la suite du Français quand
un policier sort et nous demande où
nous allons ; Joss et Hans expliquent en anglais
que pour la nuit, nous voulons aller dormir dans la zone de transit, le flic
demande à examiner les passeports, il regarde les trois premiers (et seuls)
visas, et nous dit de passer.
Le lendemain matin, je leur donne mes
nairas, afin qu’ils me prennent un billet, puis qu’ils présentent mon bagage au
guichet d’embarquement, à partir de là, il faut qu’ils improvisent, et me
rapportent le tout dans la zone de transit que je ne compte pas quitter. Ils se
débrouillent comme des chefs, et tout se déroule bien, quelques temps après, on
se sépare, car leur vol précède le nôtre.
Atterrissage de nuit à l’aéroport de
Paris, tout le monde a un passeport sauf moi ; l’impression d’être le petit
vilain canard, je demande au flic français comment on fait pour sortir sans ce
document, le fonctionnaire se fait relayer pour m’accompagner au bureau du chef
et ne me lâche qu’une fois le colis réceptionné, je ne peux pas rééditer le coup
de Lagos.
Le chef est un petit rondouillard en civil
qui fume la pipe, il me demande ce qui m’arrive, je lui narre brièvement mon
histoire de sacoche, il me dit pensif : « c’est chaud le
Nigeria », nous discutons de choses et d’autres, puis il me demande de
remplir une petite fiche : nom du père, nom de jeune fille de la mère etc……pas grand-chose, une fois cette fiche remplie, je la
lui tends, il me dit : « vous pouvez y
aller ».
Réfléchissant plus tard, je comprends que
le chef flic, en discutant de choses anodines, a fait un diagnostic
rapide : 1° que j’étais bien français, 2° que mon air tranquille l’a assuré
que je n’avais rien à me reprocher, analyse rapide, initiative
personnelle ; chapeau !
Nouvelle déclaration de perte de
passeport, nouveau passeport.
Dominique me demande de le descendre en
Algérie car il doit faire du business avec un Algérien d’Adrar qui avance les
fonds en francs français, mais son correspondant à Paris se fait tirer l’oreille
pour lâcher l’oseille.
Il me narre son dernier périple :
descente avec Lien, traversée à peu près sans problèmes, arrivés à Kandi, le chef de la police pique tous les papiers pour leur
soutirer de l’argent ; plusieurs jours de tractations plus tard, la
situation n’a pas évolué.
Dominique, voyant que les fenêtres du
commissariat sont un peu symboliques, va, de nuit, le visiter et récupère ses
papiers ; au camping, il laisse entendre qu’il s’est arrangé en sous-main
avec l’un des flics, et ils s’arrachent.
Personne ne connaît la fin de l’histoire,
ni comment les comptes se sont réglés, mais ça a dû être
saignant !
Après avoir vendu leurs voitures au sud,
ils remontent par la route, malgré le coup du commissariat encore brûlant, ils
passent le barrage de Kandi sans problème. Le
taxi-brousse s’arrête un moment sur la petite place du centre ville pour que des
passagers descendent, il va falloir attendre que le taxi soit à nouveau plein
pour repartir.
Vient à Dominique la courante (comme tout
le monde en Afrique), il cherche désespérément un coin où poser le colis
encombrant, il aperçoit une toute petite cahute en dur de 2 mètres sur 2 dans la
végétation de la place, espérant un
chiotte public, il demande au chauffeur du taxi à quoi sert cette guitoune, l’autre lui
répond que tout ce qu’il en sait est qu’elle est hantée, et que personne n’y va
jamais.
Ce n’est pas le genre d’argument qui
puisse arrêter le loustic, la flore le cache un peu, en faisant basculer sur le
côté les planches un peu pourries du bas de la porte, il les sort une à une de
leurs rainures ; aussitôt entré, soulagement de l’individu. Sa vue s’étant
adaptée à l’obscurité du local, il jette un œil alentour : une demie
douzaine de lourds fusils de brousse sont accotés au
mur.
Il sort, refermant soigneusement le bas de
la porte.
Sachant que j’aime bien ce genre
d’articles et que je suis assez vicelard pour pouvoir les remonter, il me fait
part de sa découverte.
Almeria, Melilla, je fais mon plein de bouteilles
de Whisky dans les portières, j’en
ai marre de passer par la douane de Oujda, j’ai entendu dire qu’à Figuig, les
douaniers sont moins tatillons. En plus des 4 bouteilles planquées dans les
portières, je prends 3 bouteilles d’anisette; après avoir vidé une petite partie
de l’une d’elles, je la mets dans mon sac aux pieds de Dominique, la deuxième
planquée sous des vêtements sur la plage arrière, la dernière dans le coffre
arrière, on a le droit d’en passer une officiellement, ça devrait aller.
Effectivement, les douaniers sont moins
teigneux qu’à Oujda !
Nous passons les doigts dans le nez et les
mains dans les poches……..
Visite au copain d’Aïn-Sefra.
Arrivant le soir à Béchar, nous discutons avec un jeune de 17-18 ans qui
trafique un peu de tout, je lui vend deux bouteilles de Whisky 400 dinars (il
faut bien encourager le petit commerce), il nous invite à manger le couscous
chez lui, banco.
Nous redescendons deux heures plus tard,
je trouve mon pare-brise sous la voiture, le joint a été découpé ; lunettes de soleil,
fringues, papiers chouravés, heureusement, j’avais mon pognon sur moi, et mes
quelques outils à l’arrière !
Le môme fait le désolé, mais je suis
persuadé que c’est cet enfoiré qui a monté le plan.
J’attrape l’indélicat, et lui fais
comprendre que je ne réclame rien de ce qui a été volé dans ma voiture hormis
les papiers, car sans eux, je suis coincé, que, si cette nuit, ils ne me sont
pas rendus, demain, j’irai à la police, que je devrai préciser les circonstances
du vol et serai obligé de l’impliquer, il joue l’outragé, mais je n’en attendais
pas moins de lui. Dominique me dit déjà qu’il ne va pas pouvoir rester avec moi,
vu que je suis planté sans papiers.
Je ne bouge pas la voiture du bas de
l’immeuble, remets le pare-brise en place pour nous protéger du froid, nous
roupillons inconfortablement sur les sièges avant.
Le lendemain, miracle, mes papiers sont
posés sur le capot. Je pose le pare-brise à l’arrière sur le baril, nous partons
le nez au vent chez le premier marchand de pièces détachées du coin, j’achète un
joint de pare-brise, le remonte à la ficelle.
Je largue Dominique chez ses copains
d’Adrar, vais saluer l’ami Ramdann.
Traversée du Tanezrouft sans complications
particulières, au crépuscule, je m’arrête à Bidon 5 pour laisser la nuit
descendre, les petites gerboises qui pullulent me grimpent dessus pour manger le
pain que je tiens à la main comme si je n'existais pas, je les repose à
terre ; aussi sec, elles me ré escaladent , pour être tranquille, je sème
plein de miettes autour de moi, puis entame un très petit roupillon, car les
bestioles non rassasiées me courent sur la tronche, et commencent à me grignoter
les oreilles, taïaut……..
Tessalit, il y a du schprountz, le chef de la police, désirant la voiture d’un
convoi qui m’a précédé bloque tous les passeports pour l’acheter 1000 ff, je suis heureux de voir que tout le monde soutient le
propriétaire de l’objet convoité ; pour repartir, il nous faut tous
attendre le bon plaisir du sinistre personnage.
Plus de bière sur place, il m’en reste
quelques unes que je mets à fraîchir dans un chiffon mouillé ; je n’ai plus
que 15 ff en poche, heureusement que j’ai une des
assurances achetées à Big Jo. Je vais voir le préposé
aux postes (nous sommes copains depuis que je lui apporte des graines de légumes), lui
demande combien coûte un télégramme pour la France, s’il est possible d’en
envoyer un avec si peu, il me répond que pour cette somme, j’ai droit à 8 mots,
adresse comprise, de plus, je dois fournir 5 litres d’essence pour le groupe
électrogène.
Je lui fournis la quantité requise du sang
de la terre, puis tronçonne odieusement l’adresse de ma mère : celle-ci
habitait à cette époque, avant de s’en faire déloger par les sarrasins, un petit
H.L.M sympa, l’adresse en était: Madame Verna H…., 3 square du Bois Rouault
93800, Epinay sur Seine.
Je la transforme en : Verna square
dubois Rouault Epinay 93800, le message: O.K
Christophe. De toutes façons, à 93800, il n’y a qu’un Epinay :
Epinay/Seine, je me dis qu’Epinay/Orge, à côté n’a sûrement pas le même code
postal. J’avoue compter sur la conscience professionnelle des postiers français
devant l’adresse d’un télégramme provenant d’un coin désolé de la planète, et
comportant une adresse approximative.
Le préposé verse les 5 litres de carburant
dans un réservoir géant, titille un pointeau, ouvre des robinets, tapote sur la
cuve d’un carburateur en bronze, empogne à deux mains une poignée fixée sur un
énorme volant de fonte, lui imprime un mouvement de rotation, une fois que le
volant tourne assez vite, il libère le blocage d’une soupape sortant du cache
culbuteurs, le moteur commence à pétarader ; il va rapidement à une table sur
laquelle se trouve un manipulateur Morse, et commence à émettre ; il attend
quelques Bips-bips de l’accusé de réception, se lève, coupe le moteur du groupe
électrogène, et me dit que c’est parti ; discrètement sceptique, je le
remercie.
De retour à Paris, je calculerai que le
télégramme a mis 2 heures pour arriver ; ma mère l’avait reçu avant que je
n’aie quitté Tessalit, somptueux !!!!Un H de mon
prénom ayant disparu lors de la transmission, je n’envisageais pas pour autant
d’attaquer les PTT maliens.
En attendant, l’autre tordu nous plante
une journée entière, j’en profite pour faire de la publicité à Gerry, le
lendemain matin, une délégation monte à la jolie petite maison (datant
visiblement du temps des colonies) abritant le bureau du chef de police véreux,
et lui fait comprendre que cela ne peut durer, qu’il faut nous relâcher, une
heure après, tout le monde est libéré.
Il y a beaucoup de monde chez lou Gerry, quasiment que des Français, on boit sec, on
rigole.
J’ai des nouvelles des types en R12,
l’embrayage ayant lâché sur la piste, le proprio est remonté en abandonnant la
caisse, le brun s’est démerdé, a réussi à la ramener et la négocier à Gao, l’un
des deux Lyonnais est redescendu (pas la lope) avec un camion dont il a cassé le
carter du pont arrière sur une pierre, il a terminé la route avec un seau
dessous pour récupérer l’huile et la réintroduire
régulièrement.
Je vends des pièces Peugeot neuves
achetées en Algérie.
Quelques jours plus tard, nous partons à
plusieurs autos sur Niamey ; à la sortie de Gao, au barrage, un militaire
qui veut faire du zèle bloque tout le monde car une des voitures roule carrément
(comme souvent) en échappement libre ; un conducteur en queue de caravane
demande en gueulant « qu’est-ce qui se passe ? », l’autre le
renseigne sur la cause de l’arrêt, le gueulard répond « files-lui un
bidon », entendant cela, je me dis qu’il va y avoir des problèmes, je suis
immédiatement rassuré quand j’entends le fonctionnaire demander « il y a
des bidons ? ».
Une partie du convoi reste à Niamey, je
continue avec trois d’entre eux, un couple et leur ami dans deux
voitures.
Malanville ; un photographe ambulant nous
immortalise entourés de petits Béninois j’achète le Polaroïd (voir photo), la femme
se fait refourguer un petit singe adorable dont les doigts sont plus fins qu’une
allumette (voir regards
attendris).
Nous éloignant de la frontière, nous nous
arrêtons pour boire une BB, le patron de la buvette a construit un
transatlantique de deux mètres cinquante de long avec des matériaux de
récupération, le résultat est magnifique!
Arrêt au « camping » de Kandi, après avoir acheté 10 litres de vin portugais (pour
quatre, ça devrait suffire), nous trinquons avec des étudiantes en médecine
béninoises venues étudier sur place l’onchocercose qui rend aveugle une partie
des paysans.
je vais repérer,
tant qu’il fait jour la guitoune aux fusils, je la trouve très facilement, il
est étonnant qu’avec des alentours aussi fréquentés, elle n’ait pas été
visitée !
Dans la foulée, j’achète un lampe torche made in China
et des piles.
Nous mangeons copieusement et buvons de
même.
La nuit tombée, je prend ma lampe, sort
discrètement, et file à la cahute.
Ayant sorti les planchettes, j’éclaire par
terre pour ne pas marcher dans les traces de Dominique, il ne reste rien de son
passage, même le pécul a disparu ! J’entre,
cachant en partie la lumière avec mes doigts de façon qu’on ne me voit pas de
l’extérieur, je découvre les fusils, ils sont toujours là, et apparemment,
depuis longtemps, mais ce ne sont pas de petits modèles, je décide de les
laisser sur place, et de les prendre le jour où je remonterai par la
piste.
Revenu au camping, je me rassois à table
et reprends les hostilités où je les avais laissées. Tant que les dix litres ne
sont pas pliés, nous entonnons le jus de treille portugaise,
rideau….
C’est le soleil, déjà haut dans le ciel
qui me réveille ; vautré par terre, au milieu de la cour, j’ai la casquette
en peau de locomotive et un bon coup de soleil, les moustiques ne m’ont pas fait
de cadeau. Une des étudiantes est assise sur les marches du plot central portant
le drapeau béninois, ses pieds de chaque côté de ma tête, elle est penchée sur
moi et dit avec un sourire de cannibale et une conviction extraordinaire,
« Christophe il est cassé, il est cassé jusqu’aux …dents ! », je
la supplie de parler doucement, c’est vrai que je suis cassé, le diagnostic est
juste, docteur!
Les copains restent quelques temps à Kandi, moi, je ripe, ce n’est pas un coin dans lequel j’aime
m’attarder, y ayant déjà laissé un permis de conduire français à un flic lors
d’une précédente descente (il comptait là-dessus pour que je me pointe au
commissariat me faire saigner le larfeuille).
Parakou, chez feu Nestor, bien que cette fois-ci
je n’en aie pas, les serveuses m’appellent « Monsieur
caméléon ».
Kokoro, arrêt bibine, des artisans sculpteurs,
curieusement coiffés de bonnets phrygiens me proposent leurs sculptures,
j’achète un hippopotame très sympa pour la Mama.
Avant Ouéssé, un
énorme lézard à gros ventre (comme on en voit, pour la boucherie, vivants, les pattes liées dans le dos sur les
marchés africains, celui-ci fait plus d’un mètre de long) traverse la piste
juste devant ma voiture, ce genre d’animal court très vite, il ne me vient pas à
priori l’idée d’essayer de l’attraper, mais ce couillon, une fois la piste
traversée s‘arrête, la tête dans un fourré, tout le corps dépassant, j’arrête
doucement la voiture, prends une chemise, et m’approche tel le Sioux. Je
l’attrape d’une main par une patte arrière, comme prévu, il se retourne pour me
mordre, je lui jette la chemise de façon à lui encapuchonner la tête et la
partie haute du corps et le tiens derrière le cou cloué au sol, il se débat
comme un beau diable, mais pour me faire lâcher prise, il peut toujours
attendre ! Nous nous battons quelques temps, je
le maintiens de façon qu’il ne puisse pas se retourner, car les griffes sont
longues et acérées, puis, haletant, il se calme, je sais que je vais le
relâcher, mais je ne peux jamais résister au plaisir de capturer un
animal ; sa peau écailleuse est très douce et souple, trop ample pour son
locataire. Calmé, il ne bouge plus, mais je ne m’y fie pas, une fois que j’ai
savouré ma petite victoire, je le lâche en m’écartant vivement, il part comme
une flèche avec ma chemise, mais je ne regrette pas
l’épisode.
Tchaourou, je tourne dans une petite rue pour
pisser, dans le fossé, je trouve un petit canon ancien en fonte de 60 à 70
centimètres de long, je le soulève par un bout, il pèse un âne mort ! Je
repère l’endroit me disant qu’il doit être là depuis un bon bout de temps, et
remet à une prochaine fois son rapatriement en France.
Dassa, je fais la connaissance d’un Français
maître nageur ; il ne sait comment, ni où vendre sa 404 break, je lui dis que
j’ai l’intention d’aller pointer à Abomey, s’il veut, il peut m’accompagner, vu
que nous n’avons pas la même marchandise, nous ne nous tirerons pas dans les
pattes, ça lui convient, le lendemain matin, à la fraîche, nous
dégageons.
Abomey, chacun prend une piaule au foyer
des jeunes travailleurs, puis, direction Johnny pour l’omelette, la belotte africaine et la
cuite.
Le lendemain matin, nous retournons
montrer nos trognons chez Johnny car son
restaurant jouxtant le marché est la meilleur vitrine pour exposer les
voitures sans trop avoir l’air de racoler.
Petit déjeuner-aspirine nigérian, vers midi, entre dans le restau
un loustic entièrement recouvert d’un habit de raphia avec deux
adjoints, on ne lui voit pas un brin de peau , il gesticule comme un
forcené, pousse des gueulantes épouvantables, tous les Africains sont terrorisés
Johnny y compris, il me dit en aparté que c’est un revenant sorti de sa tombe,
qu’il faut faire tout ce qu’il ordonne, sinon, il va arriver un grand malheur ;
le « trépassé » fait agenouiller les gens un par un en appelant chacun
par son prénom (ce qui prouve une préparation élaborée), débite des incantations
bénéfiques à l’intention de chaque
prosterné, il faut jeter devant lui un peu d’argent que ses acolytes ramassent.
Chacun d’eux a un long bâton dont il se sert pour écarter les fibres voltigeant
de l’habit du décédé, car une personne effleurée par l’une d’elles tomberait
foudroyée sur place ; prenant un peu de recul, je considère la scène et me
rend compte que même les aides croient au truc, ils ne lâchent pas l’esprit des
yeux, et remplissent avec beaucoup de sérieux leur office, en faisant très attention
de ne pas être eux-mêmes touchés.
Chacun ayant donné son obole, le cortège
s’en va faire la manche sur le marché, provoquant sur son passage des hurlements
de terreur.
Je vends ma voiture 450.000 CFA assez
vite, le copain n’ayant pas eu de touche sérieuse, nous décidons de partir sur
Cotonou, réglons les chambres du foyer, adieux à Johnny.
Au Bénin Palace, il y a un jeune Français
qui cherche à vendre sans résultat une Renault "Prairie" plateau des années 50,
moteur 2,4 litres, 14 Cv, 200.000 CFA, je me dis que ce serait un bon moyen de
remonter, cela me reviendrait au prix d’un billet d’avion, (sans les aléas de
l’embarquement à Lagos), arrivé en Dordogne, me resterait l’auto ; de
plus, en cours de route, je pourrais remonter les fusils de brousse et le
canon.
Après avoir examiné l’engin, je l’achète
sans marchander ; me retrouver acheteur me fait une curieuse impression, le
type me laisse l’assurance qui est encore valable deux mois. Un autre me propose
une innovation assez surprenante remplaçant un cric : c’est un sac de forte
toile plastifiée de la grosseur d’un sac de marin, mais plus court qui se gonfle
par l’intermédiaire d’un tuyau à la sortie d’échappement ; quand on est
ensablé, il faut le mettre sous la voiture, la pression des gaz lève celle-ci.
En guise de démonstration, il le place sous une 404, demande au chauffeur
d’accélérer un peu, l’auto se retrouve les deux roues arrière en l’air
instantanément, un clapet débrayable empêche les gaz de ressortir, si bien que,
même le moteur coupé, la voiture reste dans cette position plusieurs minutes,
j’achète.
Ayant vendu sa trapanelle, le copain me demande si je peux le remonter, et
combien je lui prends, me souvenant du prix que chacun avait déboursé au retour
de Bamako, je lui dis 25.000 CFA, il me réserve une place, un autre Français,
barman, est partant au même tarif.
Le lendemain, départ vers le Nord, je
m’aperçois que mon oignon consomme beaucoup d’essence. Pour amoindrir la
consommation, je bouche en partie le gicleur principal avec les petits brins de
cuivre d’un fil électrique, après plusieurs tâtonnements, en enlevant et en
remettant, j’arrive à une consommation raisonnable tout en gardant des chevaux
sous le capot.
Arrivée à Tchaourou, je cherche le petit canon, calamitas, il a
disparu!!!!!
Nous dormons à Parakou, partons tard dans la matinée car je compte
m’arrêter au camping de Kandi.
Là, j’attends le soir, dis à mes covoituriers que j’ai besoin de leur aide, leur explique
succinctement le plan, nous allons à la cahute, j’écarte les planches, les
fusils sont toujours là, je les passe un par un à mes aides, nous les rapatrions
sans problème dans la piaule, le lendemain de bonne heure, je donne le signal de
départ.
La nuit, nous croisons ou doublons des
charrettes montées sur des essieux de vieilles autos, quand tout va bien, elles
ont une petite lanterne rouge à l’arrière, le type est toujours couché et
roupille sur les marchandises, laissant le bourricot tailler la route vers le
marché, je n’en ai d’ailleurs jamais vu s’arrêter ou s’écarter de la droite du
chemin.
Niamey, je casse la croûte chez une mama, un Nigérien me montre son bras gauche couvert de
profondes cicatrices, il me dit que c’est tout ce qui lui reste d’une Prairie
comme la mienne avec laquelle il a fait trois tonneaux ; je récupère divers
souvenirs laissés chez le copain d’un des frères garagistes chez qui je
préparais mes voitures en Dordogne.
La piste est défoncée par les camions, 40
bornes après Tillabéri, une lame de suspension avant
casse, la voiture devient bancale, puis le moulin indique une surchauffe
anormale ; j’arrête, lève le capot, les silentblocs de moteur ont cassé, le
ventilateur en remontant dans un cahot a frotté sous la réserve d’eau du
radiateur, et l’a percée.
Les bidons d’eau prévus pour la traversée
du désert sont vides, je vois le Niger refléter la lune dans la nuit, décide
d’aller y puiser de l’eau, l’un de mes passagers m’accompagne, le troisième
garde l’auto.
La lune est assez pleine pour que les
yeux, une fois habitués à l’obscurité, nous voyions où nous allons, mais le
fleuve est beaucoup plus loin qu’il n’y paraissait, croisant un petit campement
Touareg de six tentes, je tape dans les mains pour essayer de leur acheter de
l’eau, seules les chèvres et des moutons dans leur enclos d’épineux nous
répondent, ce n’est pas rassurant du tout, surtout que les Touaregs ont la
défense rapide !
Sur la rive, nous ne remplissons pas le
bidon complètement, vu la route de retour à faire.
A l’aller, nous apercevions le fleuve pour
nous diriger, mais il est moins aisé de garder une direction avec le fleuve dans
le dos! Un peu sceptiques sur la direction à suivre, nous attendons bouffés par
les moustiques, puis, les phares d’une voiture passant au loin sur la piste nous
orientent.
Deux bonnes heures après être partis, nous
retrouvons la piste, on en a plein les bottes ! Maintenant, nous ne savons
pas si nous devons aller à gauche ou à droite, j’opte pour la droite, un demi
kilomètre après, nous réveillons le copain.
Je remets parcimonieusement de l’eau juste
au dessus des tubulures de refroidissement du radiateur, puis repars ;
après plusieurs remises à niveau, nous arrivons à Ayorou, dormir.
Le lendemain matin, recherche de
silentblocs et d’un gus capable de réparer le radiateur. Je trouve des
silentblocs, ils sont un peu hauts, ronds au lieu d’être rectangulaires, mais
l’esthétique n’est pas de mise ! Jouant du cric, je lève le moteur, et les mets
en place, pendant ce temps, un soudeur me retape le radiateur, en 2 heures, les
malheurs sont réparés.
Arrivés à Gao, nous allons poser nos
pénates chez Gerry, il paraît que les lames de ressort se ressoudent à l’arc,
pourquoi ne pas essayer ?
Boubakar me conduit dans les fonds de Gao chez
l’homme de l’art ; il a l’air très compétent, mais me prévient que c’est
sans garantie.
Je démonte le bloc de lame de ressort,
sort la pièce cassée, le ferronnier la soude à l’aide d’un groupe électrogène mû
par un moteur de 404.
Gerry est sur son 31, et affûte ses
fourneaux, le Paris- Dakar passe bientôt à Gao.
J’achète un fût, y mets 200 litres
d’essence, complète de deux jerrycans de 20 litres chacun, de l’eau dans deux
autres de dix litres, et c’est parti !
Mon acquisition se comporte mieux que je
le pensais dans le sable mou, peu de temps après, la lame de suspension
recasse.
Mon sac à lever les voitures fonctionne à
merveille, nous nous rions des ensablements, pour sortir la voiture, même
enfoncée jusqu’à l’os, il suffit de creuser de quoi glisser le sac plat,
démarrer, gonfler, l’avant ou l’arrière se lève instantanément de 40
centimètres, il n’y a plus qu’à combler avec du consistant sous les roues, et
l’affaire est règlée ; béni soit l’inventeur de cette
merveille !!!!!
Un peu avant Tessalit, nous commençons à croiser les motards du rallye
qui m’arrêtent pour demander de l’essence car ils se sont paumés, et ont peur de
ne pas en avoir assez pour finir l’étape, je leur en donne, mais je suis obligé
de filtrer l’essence à travers un chiffon car le fut acheté à Gao est
plein de merdes, ils trépignent et repartent après n’avoir pris que quelques
litres (qu’ils n’ont jamais proposé de payer soit dit en
passant !).
Plus loin, un accident vient de survenir,
un Suisse dans une belle combinaison blanche est étendu, d’après les premiers
secours, il a les vertèbres cervicales en miettes, le copilote a la clavicule cassée, la voiture, en résine est explosée.
Selon le coéquipier, c’est un autre concurrent, qui, lors d’un passage étroit
leur a fait une queue de poisson. Il y a du monde sur place, ils me font rigoler
à jouer les aventuriers alors qu’ils sont assistés comme pas permis ! On
s’arrache, nous croisons de loin en loin d’autres
concurrents.
40 bornes avant Borj-Moktar, une superbe moto BMW est sur béquille centrale,
une paire de gants sur la selle, personne autour.
Arrivée à Adrar quasiment à sec d’essence,
bonjour à Ramdann, je lui dis que cette fois-ci, je
remonte, impression fugitive qu’il me croit un peu fou. Il se remet du passage
de la compétition, et n’a pas grand-chose à manger, nous arrivons tout de même à
nous caler les gencives, puis repartons.
Nous passons la douane à Figuig, faisons
Melilla-Almeria, en France, je largue mes passagers
dans les villes qui leur conviennent.
Arrivé tard dans la matinée à Lalinde,
j’entre crade dans le bistrot de « la Grande », et lui commande les
œufs sur le plat qu’elle fait à merveille, malgré l’air penché de mon os, les
flics ne m’ont jamais arrêté (hors barrages et frontières) de Cotonou, à chez
moi….
Je trouve une berline ancien modèle en
très bon état, pas chère, j’en fais l’acquisition car, ayant ratissé le secteur,
je n’en trouve pas de plus récente.
Dominique et Lien, descendant en 504, nous
décidons de voyager de concert.
A l’embarquement d’Alméria, nous rencontrons des Français allant en Afrique
noire, ils se joignent à nous.
En Algérie, nous vendons des bouteilles de
whisky, et des pièces détachées d’auto.
Gavés de dinars, nous allons manger le
soir dans un restaurant d’état pour touristes dans lequel on peut boire du vin,
nous prenons quasiment une bouteille par personne, chacune d’elle a un goût
différent des autres, mais très bon ; nous en sortons tard. Dominique
connaissant une cascade, nous décidons d’aller y faire un tour. Le fond de l’air
est frais, mais c’est trop tentant avant le désert pour faire l’impasse ;
pistant les alentours, nous nous foutons tous à poil, passons sous la chute
d’eau, et nous baignons rapidement.
Béchar, nous nous garons sur une grande place,
allons déjeuner, puis, cherchons des clients chacun de notre côté pour larguer
les pièces qui restent. Çà donne dur, nous nous croisons à plusieurs reprises
pour aller livrer.
Revenant à ma voiture, je vois plein de
flics autour de celle de Dominique, lui et Lien serrés, je monte discrètement
dans la mienne et la gare dans une petite rue éloignée, puis, faisant des
détours, je vais chez chacun de leurs clients à qui je conseille, s’ils ont du
piston, de faire intervenir rapidement afin d’étouffer l’affaire, car sinon, ils
vont subir une perquisition, que visiblement, nous avons tous été dénoncés. En
les mouillant ainsi, je les oblige à sortir s’ils le peuvent Lien et Dom du
merdier, puis je leur dis que çà pue pour moi dans le secteur, et que j’attends
les potes à quelques bornes après la sortie sud de la ville, l’un d’eux me dit
«toi, tu connais les ficelles !», tu parles, Charles, avec mes embrouilles
précédentes à la douane d’Adrar, je pourrais donner des cours
!
Je fais quelques kilomètres, stationne en
retrait de la route à droite, attends trois bonnes heures, le soir tombe, je
casse la croûte, toujours personne, je mets un petit feu de position latéral
pour être visible, sort le sac de couchage, peu de temps après ils arrivent,
suite aux interventions de leurs clients, les flics les ont lâchés, on se
congratule, puis, on se casse.
Passage d’Adrar et du Tanezrouft sans
grosses difficultés, à Gao, réparant mes deux roues de secours dans la cour de
Gerry, je dis à Dominique de réparer la sienne (il n’en a qu’une), il me répond
qu’il n’y a pas urgence, j’insiste, lui proposant s’il la sort de réparer sa
chambre à air, sans résultat.
Quelques jours plus tard, nous quittons
Gao, direction Niamey, un copain malien me demande de descendre son cousin sur
le Niger, pas de problème, je fais un peu chauffeur de maître car mon passager
doit s’asseoir à l’arrière ; pour innover, j’ai démonté le siège passager,
et mis le fut de 200 litres à la place, ceci afin d’équilibrer les poids lors de
la traversée du Sahara.
La nuit, sur la piste, 40 bornes avant
Tillaberi, Dominique s’arrête ; sa roue arrière
est à plat, il sort le cric, se glisse sous la voiture pour le placer, il se
relève comme un ressort en disant qu’il s’est couché sur une épine, on regarde
son dos à la lampe électrique, rien, mais comme a l’air secoué, éclairant
l’endroit ou il s’est allongé, j’écarte les feuilles avec la manivelle, apparaît
un petit scorpion blanc-transparent d’à peu près huit
centimètres de long, après lui avoir fait un sort, je le balance dans la
brousse.
Le père Dom décline à vue d’oeil, et ce
con qui n’a pas de roue de secours !
Je mets le cric en place, sors la roue,
démonte la chambre à air, en obture le trou, la replace dans le pneu, repose la
roue sur la voiture, demande à mon passager de la gonfler avec ma pompe à pied
en même temps que je revisse les boulons (10 minutes en
tout).
Une fois que ceux-ci sont à peu près
bloqués, je dis à Lien que je vais partir avec le boulet en éclaireur pour
essayer de trouver de quoi le secourir en ville, ils n’ont plus qu’à gonfler
suffisamment le pneu, sortir le cric, éventuellement, vérifier le serrage des
boulons, ils sont assez grands pour se débrouiller tout seuls, on se retrouvera
plus tard.
J’aide mon colis à monter derrière, et
drope vers Tillabéri ; arrivé au barrage d’entrée
de la ville, un militaire me demande les papiers, je lui oppose qu’il n’en est
pas question, que j’évacue un blessé par piqûre de scorpion, il faut que je voie
un médecin le plus vite possible.
Je dois être convainquant, (j’entends mon
Dominique râler qu’ « il sent sa vie qui s’en va », le
connaissant je me doute qu’il en rajoute, mais c’est tout de même inquiétant),
ils me laissent passer.
Un môme propose de me conduire au
dispensaire, je lui dis de monter sur l’aile avant, et nous voilà partis par les
rues noires de Tillabéri.
Un peu plus tard, le gamin me fait signe
de tourner sur la gauche, je vois la petite lumière d’une lampe à pétrole, nous
sommes arrivés, je donne une pièce à mon guide qui s’en va tout
content.
J’entre dans une grande salle au milieu de
laquelle se trouve une petite table haute où sont posés des instruments
nickelés, à côté, un tabouret, personne à l’horizon.
J’appelle, une voix venant des chiottes me
demande ce qui se passe.
Je réponds que j’ai un client scorpionnisé à réparer, on me dit, « installez-le sur
le tabouret ».
Je vais chercher Dom, il est affalé, je
dois passer son bras autour de mon cou pour le sortir de la voiture, il n’est
pas gras, mais plus grand que moi et lourd l’animal ! Je l’engueule un peu
pour qu’il réagisse, il fait un petit effort, nous arrivons ainsi dans la
salle ; un grand black vêtu d’une blouse et d’un bonnet d’un blanc
immaculé, finit de s’essuyer les mains à côté du tabouret sur lequel je pose le
copain.
Nous nous
saluons, puis, en deux mots, je lui narre l’histoire, en même temps, il relève
la chemise de Dominique qui présente, au milieu du dos, à droite de la colonne
vertébrale, un énorme croissant violacé en relief, la peau est grainée de chair de poule.
Le requinqueur
du genre humain n’a pas l’air étonné, moi, je suis impressionné, le type prend
une seringue posée sur la tablette à instruments, et commence à pomper le
liquide d’une petite fiole.
Chose curieuse, il demande à son patient
où il a mal, alors que cela me paraît évident ; Dominique mettant sa main dans le dos
nous désigne un endroit 10 centimètres plus bas que le méchant
croissant.
Le médecin se tourne vers moi, et me
demande « qu’est-ce qu’on fait ? », n’en sachant trop rien, je
lui suggère d’injecter une moitié où c’est pas beau, et l’autre où ça fait
mal.
Le praticien s’exécute, le temps que le
produit agisse, je lui fais part de mon étonnement de l’avoir vu si fin prêt, il
me répond «quand il y a pleine lune, et du vent comme ce soir, je sors une dose
de vaccin du frigo, car les scorpions surgissent de partout». Je le félicite
pour son expérience et du sérieux de son intervention.
Quelques minutes plus tard, le moribond
reprend goût à la vie, il faut un peu l’aider pour qu’il se lève, mais il tient
debout, je demande comment le vaccin peut agir si vite, le spécialiste répond
qu’il comporte un analgésique.
Je demande à combien se monte la
prestation, c’est gratuit, je trouve tout cela admirable ! Me disant que je
ne peux partir comme un chien, je lui donne un billet de 500 CFA en l’invitant à
boire une bière à la santé de Dominique dont il s’est si bien occupé, il accepte
le modeste billet avec les mêmes gentillesse et simplicité dont il a fait preuve
depuis le début.
Après l’avoir remercié chaleureusement,
nous repartons ; sur la rue principale, nous nous arrêtons à la hauteur de la place du marché où
les mamas officient pour rassasier les voyageurs de
passage ; le Dominique, ressuscité a furieusement faim et
soif.
Mettant la voiture en vue pour que les
autres nous retrouvent facilement, nous attaquons chacun un demi poulet
bicyclette avec riz, sauce et bière.
Les mamas se
plaignent de la girafe du gouverneur ; il a acheté l’animal tout jeune en
brousse, et l’a lâché sur le marché
pour qu’il se serve en tomates, salades et primeurs sur les étalages, au début,
çà faisait rire, mais, elle en a pris l’habitude, et devenue grande s’est mise à
manger comme telle, le gouverneur trouvant
la combine pratique, lâche la bête tous les matins pour qu’elle aille se
sustenter sur le dos des pauvres vendeuses de légumes qui font restauratrices le
soir, et pas question d’expulser la bestiole qui est protégée par la
police.
Tout en finissant de casser la croûte, je
narre à Lien et à mon passager le rafistolage de Dom. Sur la fin du repas, mon
passager, se lâchant un peu, me confie qu’il est déserteur, que son parent a
pensé qu’il lui serait plus facile de sortir du Mali dans une voiture de
« touriste », je tords le nez, car ils m’ont mouillé dans leurs
histoires sans me prévenir.
Niamey, je largue mon insoumis. Accompagné
de Dominique, je vais rendre visite au Français chez qui je laisse mes souvenirs
africains, puis nous retournons aux voitures, Lien s’est entre-temps fait piquer
les papiers et une partie du pognon qui étaient dans une sacoche : Un môme
s’est pointé en disant négligemment « votre roue de secours est
détachée », Lien va à l’arrière, rien à signaler, revient, plus de sacoche,
elle a eu droit à une variante de la roue arrière poinçonnée à laquelle j’ai
déjà eu droit, sans me faire taxer.
Vu comment Dominique a réagi quand j’étais
planté à Béchar lors de la dernière descente, je ne
prends pas trop de gants pour lui dire qu’il m’est inutile d’attendre ses
nouveaux papiers, de plus, il lui reste un peu d’argent, après de brefs adieux,
je continue vers le Bénin.
La roue avant gauche crevée, je m’emploie
à la changer, quand une bonne odeur de viande grillée me vient aux
narines ; cinq minutes plus tard, je trouve un type accroupi devant un
cratère creusé dans la latérite de la piste, il surveille un foyer autour duquel
rissolent à la verticale des brochettes de tripes tout à fait appétissantes, je
lui en prends trois, et commence à me régaler, voyant qu’elles sont fourrées, je
demande au Vattel du barbecue ce qu’il a mit dedans, il me répond « Bah,
c’est la merde, patron » ; après avoir grignoté l’extérieur de mon
repas, j’en balance la farce.
Un peu avant Bembéréké, je gaule deux caméléons ; à quelques bornes
de Parakou, j’éclate un splendide oiseau dont les
plumes ont des magnifiques reflets bleus comme ceux des grands papillons
exotiques.
Je fais halte chez celui que je soupçonne
d’avoir envoyé Nestor ad patres ; le gardien, voyant l’oiseau bleu, me
demande ce que j’en fais, je réponds que je garde les plumes, nous passons un
deal: il me met les plumes de côté et garde le reste ; je choisis de dormir
sur la terrasse bien que ce soit la saison des pluies ; le matin, comme
prévu, je me réveille à l’humide, mais sous ces latitudes, la température le
permet.
La nouvelle expression Africaine du
moment est « nous sommes conjoncturés ».
Le lendemain soir, après avoir mangé chez
les petites mamas de Kokoro,
fatigué, je décide de faire un roupillon ; après la ville, m’écartant de la
piste, je m’engage dans la végétation, (pas très loin, car la brousse est vite
impénétrable), comme d’hab ; je m’arrête en
position de départ à l’arraché.
Je dors très mal, bien que je fasse brûler
un serpentin anti-moustiques, ceux-ci viennent faire leurs prélèvements sans-gains (ne pas retoucher), de plus, les singes, et
autres animaux font un boucan infernal, une demi-heure après, je retourne à
Kokoro, me retire derrière les boutiques des mamas, et en écrase comme un
sonneur.
Au matin, je vais chez les petits
marchands de café au lait qui officient avec gravité.
Une fois lesté (avec un N, çà le
ferait), je reprends ma route en me
tâtant si je fais un tour ou pas à Abomey ; après tout, même si je n’y fais
pas affaire, je verrai la bonne trogne de Johnny.
Après avoir été le saluer, je vais boire
l’apéro à l’hôtel, il y a quatre Français ; deux frères, dont l’un, Rouge
vif, est venu voir comment ça se passe dans un pays marxiste-léniniste, il a
acheté toute la panoplie de petites broches à l’effigie des leaders communistes
(Staline, Lénine, etc..) venant probablement de Russie ; et un couple dont la
nana est passablement allumeuse, ils ont tous vendu leurs voitures sur la piste,
et viennent visiter la capitale du roi
Béhanzin, nous buvons un coup, je fais colocataire avec les
frangins.
Je rentre après avoir mangé et beloté tard
chez Johnny, sur un petit carreau de la porte de l’hôtel, je vois une énorme
mante religieuse, je pense ne rien risquer en la prenant par le dos comme les
crabes, cette salope me détrompe immédiatement, rotation de l’abdomen tel une
tourelle de char d’assaut, elle me plante une pince sous la peau de l’ongle du
pouce, surpris, je la jette par terre sur le ciment, sans que cela ait l’air de
la gêner, puis la balance au loin dans la végétation, j’avais qu’à ne pas
l’embêter !
Quelques jours plus tard, le frère
communiste s’en va en train visiter un autre bled, je l’emmène avec son frangin
à la gare de Bohicon ; quand nous arrivons, il y
a un patacaisse d’enfer, des militaires partout. Une
fois qu’il est parti, nous nous attardons pour savoir ce qui s’est passé, une
petite fille a été trouvée la poitrine ouverte, le cœur arraché : Un
sorcier a promis à un bossu de le soulager de son infirmité s’il lui apportait
un cœur humain, le contrefait a entraîné la fillette dans l’un des fourrés qui
touchent la gare, et l’a opérée à deux pas des parents qui attendaient le
convoi.
Le lendemain, je ripe les galoches sur
Cotonou.
Au Bénin-palace,
il paraît que le Point air vient d’ouvrir une ligne faisant Ouagadougou-Lyon pour 1800 ff,
puis Lyon –Paris en car gratuit pour les intéressés, je sens que ce sera mon
prochain mode de retour au pays !!
Les marchands vendent des montres à quartz
comme je n’en verrai que cinq ans plus tard en France, elles font réveil, et
ont un grand choix de sonneries,
dont le chant du coq et la Marseillaise.
Un intermédiaire prétend avoir un client
dans un petit village de brousse à une dizaine de bornes de Cotonou ;
arrivés sur les lieux, il y a répétition de concert vaudou, mon type me drive
dans une case un peu à l’écart de la place où se tient l’orchestre, me dit que
le chef du village est l’acheteur potentiel, il faut que j’attende là, car je ne
dois pas assister à la prestation (de métro). Il m’amène une Béninoise tiède
pour me faire patienter, je m’assois dans un fauteuil en tiges de feuilles de
bananiers, la cérémonie bat son plein, les chants, les tamtams très puissants,
un sifflet à roulette déchirant ; très impressionnant, j’en ai le poil qui se
hérisse !!
Je reste ainsi une bonne plombe ; ma
bière pliée depuis longtemps, mon entremetteur revient me demander si je peux
encore attendre, je lui dis qu’il n’en est pas question, j’en ai ras le bol, que
nous rentrons sur Cotonou, j’ai l’impression que le loustic m’a prit pour
taxi.
Tournant avec un copain dans les arrières
de Cotonou pour appâter l’acheteur d’auto, nous nous asseyons dans une gargote,
commandons deux B.B ; près de nous un Allemand obèse plutôt crado est en
pleine consultation, il est muni d’un énorme bouquin de médecine dans lequel
sont répertoriées et décrites toutes les maladies, en marge, sont indiqués les
médicaments correspondants. Apparemment, il fait des tournées régulières, les
malades se pointent tel jour à telle heure dans tel bistrot et racontent leurs
petites misères, après avoir écouté les symptômes, il consulte son bréviaire,
rédige une ordonnance, éponge un billet. Entre deux clients, on discute avec le
Teuton ; après trois tournées de BB, celui-ci nous confie qu’il n’est pas
plus docteur que moi, ayant acheté ce livre sur un marché africain, il a
commencé à rendre service à droite et à gauche, puis, le bouche à oreille
fonctionnant, il a institué une tournée, maintenant, son affaire roule toute
seule.
Le lendemain, je vends ma voiture à
Porto-Novo ; revenu à Cotonou, le soir, je vais manger chez un Français qui
tient un restaurant sympa assez classe près du bord de mer (sans en avoir la
vue), après avoir bu l’apéro avec des confrères, nous allons manger dans
l’arrière salle, il y a un couple attablé, je ne sais pas si ce sont des bribes
de leur conversation entre-entendues d’une oreille
distraite, ou la description que m’en avait faite son chevaucheur précédent,
mais je suis subitement persuadé
que c’est la nana poursuivie par le furieux à l’Opinel.
A Jonquet, je
prends le Cotonou-Lomé ; deux jours avant, un
taxi 404 plateau (22 personnes, plus les bagages) faisant cette ligne s’est
planté de nuit dans un rouleau compresseur que les ouvriers du chantier de
réfection de la route (rongée en permanence par la mer) avaient laissé en plan
sans signalisation après la débauche, résultat : la moitié des passagers et
le conducteur morts sur le coup, et les autres en charpie. L’habitude africaine
pour signaler des obstacles sur la chaussée est de couper des branchages et de
les poser cinquante ou cent mètres en avant, dans le cas présent, il ne devait
pas y avoir de végétation dans le
coin……..
Lomé, je déjeune de croupions de dindes
fumés, achète une statuette et deux bracelets d’ivoire rose, quelques heures
après, je suis en partance en 404 plateau pour Ouaga.
Tout se passe bien à part que (j’ai pris
l’option 1ère classe à l’avant) ce con de chauffeur a
dû tirer comme un fou toute la journée car il s’assoupit, je m’en aperçois
rapidement, et le secoue, je lui dis « passe-moi le volant », il ne
veut rien savoir, et continue la route à roupiller en conduisant, à la fin, il
m’énerve trop, je le surveille en permanence, et lui mets des calottes derrière
la tronche à chaque fois qu’il pique du nez.
Dapaong, frontière, il est tard, je casse une
croûte dans un boui-boui, puis vais roupiller à l’endroit d’où partira le
lendemain un taxi vers Koupéla ou Ouaga, pas un chat dehors ; bien sûr, pas d’éclairage
urbain, le coin est sinistre, j’étends ma natte par terre, et me glisse dans mon
sac de couchage. Le lendemain matin, ma lampe torche a
disparu.
Arrivée à Ouagadougou, je pose mes
affaires au petit hôtel sympa dans lequel nous étions descendus avec Eric, puis
demande à un taxi de me mener aux bureaux du Point-Air, y demande un billet, toutes les places sont
prises, je dois prendre un Ouaga-Lyon dont le numéro
donne priorité chronologique si des places se libèrent, pour les autres, c’est
remis à la semaine prochaine, bonjour
l'appréhension !
J’ai de la chance, nous arrivons de nuit à
Lyon, je prends le train pour Bergerac.
Une 404 break m’attendait, désespérant de
voir un jour le soleil africain, je la prends par la poignée de portière, et
nous partons ensemble vers le sud.
Arrivé à Adrar, repas chez Ramdann, puis je vais faire les pleins, deux Français type
zonards m’abordent, et me demandent si je peux les emmener, réponse habituelle,
250 ff par tronche, ils tordent le nez, apparemment,
ils sont arrivés jusqu’ici sans sortir une tune et me prennent pour le père
Noël, je leur explique que :
1° Les transporteurs sont rares et plus
chers que moi.
2° Je ne les étrangle pas, je peux
quasiment demander ce que je veux car c’est ça ou rester planté on ne sait
combien de temps.
3° Que c’est moins cher que la
SNCF.
4° Que 150 kilos de plus dans la voiture
ne l’arrangeront pas.
5° Que leur équivalent en poids d’essence
me rapporterait le double à Gao.
Je leur dis qu’ils réfléchissent le temps
que je mette en fût le jus à régaler les carburateurs.
Cette bonne chose faite, je retrouve mes
loustics, ils me disent qu’ils ne peuvent pas me payer tout de suite, car leur
argent est enregistré sur le carnet de devises, je leur réponds que ce n’est pas
un problème, ils me règleront à Gao, ils se regardent, je comprends qu’ils
veulent me faire marron, ils sont un peu jeunes !
En plein Tanezrouft, je
demande :
_Vous n’entendez
rien ?
_ Non.
_ J’ai une roue qui se
dégonfle.
J’entends très distinctement à
chaque tour de roue « Pschit, Pschit, Pschit, Pschit »
Il faut dire que je suis perpétuellement
sur le qui-vive, toujours un œil sur la température d’eau et le voyant d’huile,
un son inhabituel m’alerte immédiatement, et selon le type de crevaison, avec
une oreille affûtée, on peut entendre le bruit que fait l’air en s’échappant
d’un pneu crevé, je peux changer celui-ci avant qu’il ne soit complètement à
plat.
Arrivé à Gao en fin d’après-midi, tous les
gosses autour du commissariat m’appelle par mon prénom, Mambi est heureusement surpris et content de me voir en
bonne santé car un bruit court que lors de ma dernière descente, j’ai passé
l’arme à gauche ; je laisse les lascars remplir leur feuille d’entrée, vais
en les attendant, m’en jeter une ou deux, peut-être trois à
l’Atlantide.
Après les avoir récupérés, nous arrivons
chez Gerry, des touristes sont attablés dans la cour, Gerry, lui aussi surpris
de me revoir se lève d’une table, et, me désignant dit à ses convives :
« vous n’avez qu’à lui demander !», un peu interloqué, je demande ce
qui se passe, il me désigne un
loustic au milieu de nanas, « monsieur affirme qu’il est impossible de faire
Adrar-Gao en deux jours, je lui suggère de demander à
mes passagers ; après que nous nous soyons congratulés, je m’installe à
côté de Gerry, me mets au casse-croûte ; j’apprendrai que le coco
interpellé traverse en Land-Rover, qu’il a joué les baroudeurs auprès de ses
passagères pendant les trois jours pleins de leur descente, du coup, il passe
pour un clown.
A la fin du repas, je demande à mes deux
passagers de me payer, ils s’exécutent en tirant la
tronche.
Le lendemain matin, je fais connaissance
d’autres petits groupes, la plupart sympas et branleurs dont un de chasseurs,
ils sont venus de France avec des fusils de gros calibre pour casser de la pôvre (ne pas retoucher) bestiole de
brousse.
Après le repas du soir, nous allons tous boire un coup dans les
bars de Gao, l'Oasis, la Casa, le Twist-Bar, l'hôtel
l'Amitié, nous finissons dans la seule boîte de nuit « le
Désert », les autres sont plus vite bourrés que moi car ils fument du shit
acheté au Maroc, ne fumant pas, et ne voulant pas être de reste, je leur tape
une boulette que je mâche, cela devient comme du chewing-gum, que je finis par
avaler tout rond. Toute la soirée, j’en ai des renvois, c’est dégueulasse !
Nous finissons déchirés comme des cartables.
Le lendemain, pêche avec Mamby et Gerry ;
toujours aussi mauvais, j’en suis de ma tournée.
Gerry se fait du souci pour ses superbes
sloughis, car la police jette un peu partout des boulettes empoisonnés pour tuer
les clébards errants qui vont dans le cimetière déterrer et bouffer les morts la
nuit. Le problo, est que les chiens du copain vont se
balader à leur gré dans Gao, hélas, ils y passeront tous, car ces animaux n’ont
jamais connu de laisse, et ne la supporteraient pas.
Quelques temps plus tard, je file au Bénin
faire adopter ma voiture moyennant une modeste
contribution.
Ayorou, il y a un bordel terrible, c’est le
grand marché annuel aux bovins, il y a des bestiaux partout, y compris au milieu
de la route, il faut avancer doucement, car ces animaux sont à moitié
sauvages ; ceux qui ont les cornes peintes en rouge ont au moins une mort
humaine à leur actif, mais, ces bêtes, ayant une grande valeur marchande, ne
sont pas abattues pour autant.
Avant Niamey, je vois des Allemands en
rade sur le bord de la route, leur 504 refuse de fonctionner, elle a beaucoup de
mal à démarrer, et quand elle le veut bien, s’arrête au bout de quelques
kilomètres, pour couronner le tout, c’est une Diesel ! Je me penche un peu
sur le malheur, et voyant que le gas-oil n’arrive pas bien, je leur demande s’il
y a longtemps qu’ils ont remplacé le filtre, ils me disent l’avoir changé à
Tahoua, et que ça n’a rien amélioré, je ne vois qu’une chose : la crépine
du réservoir doit être encrassée, démontant le tuyau avant le filtre à gas-oil,
je mets une pompe à gonfler les pneus au bout, et leur demande de l’activer,
puis remonte le tout, pompe le gas-oil, la cacugne se
met à tourner du premier coup, on va arroser ça à leurs frais car je suis un peu
ruiné. C’est leur première descente, et ils me demandent où il est le plus
facile de trouver un acheteur, je leur dis que j’ai l’habitude de larguer mes
oignons au Bénin, ils demandent à me suivre, je n’y vois pas d’inconvénients
s’ils ne me ralentissent pas.
Après la frontière Béninoise, nous allons
boire une BB ; en face de la cahute, une 404 est basculée sur les portières, un
berceau de pneus en protection, un mec ressoude l’échappement, apparemment,
c’est la technique locale pour réparer cet organe.
Nous voyageons de concert jusqu’à Parakou, j’arrive chez
feu Nestor avec un caméléon au revers de la chemise et sec comme un coup
de trique.
Les Allemands ne m’ayant pas lâché la
grappe, je décide de les taper, ils me passent un peu du l’arzent (ne pas retoucher), je paie une tournée, une des
petites serveuses me désigne discrètement un couple de jeunes Français au fond
du restau, et me dit qu’ils n’ont pas mangé depuis deux jours, qu’ils sont
plantés et attendent un mandat de France.
Je vais leur demander si c’est vrai,
« Oui », je retape mes Allemands, et leur paie à
bouffer.
Nous restons quelques temps à Parakou pour essayer de larguer nos trognons respectifs, les
mômes reçoivent leur pognon et me remboursent, du coup, je leur tape de
l’oseille pour apurer ma dette
auprès des Allemands qui commencent à me peser.
Le lendemain, nous nous arrachons sur
Cotonou, le père de la nana travaille à Sokoto, au Nigeria, il est marié à une
Ghanéenne qui compte faire du trafic d’or venant de son pays, je leur dis que le
truc m’intéresse, s’il cherchent un quatrième, je suis partant, nous décidons de
faire la prochaine descente ensemble, et de continuer sur Sokoto après avoir
vendu nos trapanelles, prévenu, le paternel pourra
préparer le terrain.
A Cotonou, nous échangeons nos adresses
pour que je puisse les rembourser, nous promettons de nous tenir au courant de
nos trouvailles automobiles une fois revenu en
France.
Au Bénin palace, quelques copains et
Basile sont heureux de me revoir, cette rumeur que j’ai clabotté s’est vraiment répandue tous azimuts.
Un matin, je me fais agrafer par deux
flics car j’ai dépassé le temps accordé pour dédouaner ou ressortir le véhicule
du Bénin, je n’ai pas une tune à leur filer pour me sortir de leurs pattes, ils
montent dans la voiture, et m’ordonnent de driver sur le commissariat pour
confisquer l’auto, je me débrouille pour passer devant chez Mohamed, un copain
Libanais, il tient la boutique de tissus au mètre «Chic-choc» ; lorsque je suis
à la hauteur de son échoppe, j’arrête la voiture, sors les clés du contact, et
dis au flics « je reviens », me rue à l’intérieur, je casse le coup à
Mohamed, et lui tape 3000 francs CFA pour régler l’affaire, soudain, des
gueulantes nous parviennent du dehors, c’est un voleur qui est aux prises avec
ses victimes et qui tente de s’échapper, les flics sortent presto de ma 404 pour
l’interpeller, il se débat comme un beau diable, voyant le tableau, je dis
« à tout à l’heure » à Mohamed, monte dans ma voiture, et m’arrache,
là, ça m’a frisé les moustaches !!
Après avoir vendu ma moulinette à
kilomètres, je passe à Jonquet, direction Lomé, puis,
dans la foulée, un Lomé-Ouaga, le taxi-brousse part
l’après-midi, le soir venant, le taximan s’aperçoit que les phares ne
fonctionnent pas, déjà que les routes sont dangereuses, là, ça fait
beaucoup ; épaulé par un étudiant en médecine allant à Paris faire ses
études, je persuade le chauffeur de s’arrêter avant que nous prenions un camion
dans la tronche ; je coupe sous le capot un fil électrique non essentiel au
fonctionnement immédiat de la voiture, fais une jonction directe de la batterie
sur les codes.
Après Dapaong,
frontière Togo/Haute-Volta, 7 heures du mat’, tout le monde descend, le prochain
taxi en partance pour Koupéla est un petit Toyota,
nous attendons toute la matinée ; à midi, deux places ne sont pas prises,
je propose un deal à l’étudiant, payer à nous deux au taxi driver l’une des deux
places libres, ce qui permettra de partir, car l’avion s’en va vers 11 heures ce
soir, et ce connard va nous le faire rater.
J’explique le coup au cocher des
chevaux-vapeur :
- « Nous te réglons une place, tu
trouveras toujours des gens à prendre le long de la route pour compléter les
deux places libres, cette place payée jusqu’à Koupéla
sera tout bénéfice pour toi ».
Cette tête de cochon ne veut rien savoir,
quitte à nous faire attendre trois jours, il veut partir voiture
pleine !
Vers 12h30, une 504 plateau se pointe,
avant que son conducteur ne rentre dans la maison devant laquelle il s’est
arrêté, je le choppe, lui explique en deux mots la situation et lui demande s’il
peut nous amener l’étudiant et moi jusqu’à la prochaine ville, nous proposons le
tarif taxi-brousse, il est d’accord, venu voir sa mère, il n’en a pas pour
longtemps.
¾ d’heures plus tard, il sort, le marché
tient toujours, nous montons, les autres passagers nous voyant, demandent s’ils
peuvent venir aussi, notre cocher n’y voit aucun inconvénient, toute la fournée
du taxi se retrouve dans la 504.
Je dis au chauffeur qu’il aurait dû
accepter notre proposition, que maintenant…etc…..,
l’insulte africaine épouvantable à cette époque était « imbécile »
avec un « m » très
prononcé ; énervé, je conclus ma diatribe en le traitant de la sorte, et le
taxi démarrant, l’étudiant reprend « immmbécile », un autre passager, puis deux, puis trois,
à la fin, tout les gens montés avec nous, de plus en plus fort et en
coeur : « immmbècile, immmbècile, immmbècile,
immmbècile, immmbècile, immmbècile,
immmbècile, immmbècile ».
Curieusement, le taximan disparaissant à
l’horizon me regarde l’air mécontent ! En attendant, tout le monde se tord
de rire.
Tenkodogo, notre guide nous dépose, il ne veut pas d’argent, nous lui payons une
bière pour le remercier de nous avoir sortis de cette embrouille, puis, nous
prenons un taxi pour Ouagadougou ; attendant à un barrage, je regarde
passer une charrette avec des herbes dont les racines portent des bulbes, ce
sont des arachides, j’apprends ainsi que les cacahuètes ne poussent pas dans les
arbres !!!
Nous prenons nos billets, ce n’est qu’une
fois dans l’avion que nous pouvons souffler, à une demi-heure près, nous rations
l’appareil à effacer les distances.
Arrivé en France, je profite du voyage
Lyon-Paris en car pour aller visiter ma famille, deux
jours plus tard, à Epinay, un copain de mon frère ayant appris ma mort ses
condoléances.
Les jeunots me rejoignent en Dordogne,
j’attendais une copine de Bordeaux pour lui dire au revoir ; ne pouvant pas
attendre deux heures, ils se tirent, nous nous donnons rendez-vous à Adrar chez
Ramdann.
J’arrive à la fin du ramadan chez Ramdann (elle est bonne celle-là), les « copains »
sont passés la veille et ne m’ont pas attendu.
Ramdann est avec un pote à lui qui chauffe le car Adrar-Oran, j’ai du vin espagnol, de la bière, il me reste
du Ricard, nous attaquons l’apéro vers 11 heures le matin, restons à table
jusque vers minuit, déchirés ; le copain de Ramdann me dit qu’à Adrar il y a tout un réseau d’eau avec
des ouvertures en surface pour puiser, des poissons sans yeux y vivent, mais
depuis que l’eau est distribuée en canalisations par l’Etat on n’entretient plus
ces puits qui commencent à se boucher, je trouve cela désolant, nous nous
proposons d’y aller faire un tour, mais la soirée continuant, on passe à autre
chose, nous rigolons comme des bossus, Ramdann a le
chech de travers sur la tête.
Le lendemain, je démarre tard, allez donc
savoir pourquoi !
La 404 plateau n’est pas géniale pour
passer dans le sable, les suspensions arrière sont très raides, les roues
arrière, ne portant pas beaucoup, patinent facilement. De plus, la cabine, très
petite, ne laisse pas circuler l’air.
Quelques dizaines de kilomètres après
Anèfis, je vois dans le rétro l’horizon noircir
rapidement, c’est un vent de sable comme je n’en ai jamais connu : Extrêmement
compact,on dirait qu’un château fort immense avance dans la même direction que
la mienne, mais plus vite que moi, j’essaie d’accélérer, peine perdue, je vois
d’immenses murailles de sable me rejoindre, puis grignoter l’arrière de la
voiture qui disparaît dans le rétro ; d’un seul coup, obscurité complète,
je stoppe en souplesse, il fait plus noir dans la cabine que de nuit, je ne vois
pas ma main devant mes yeux, chaleur étouffante ! Je tire le frein à main,
enclenche la première, sort de l’auto avec mon sac de couchage, le passe
tête-bêche pour faire filtre à air, me couche devant la voiture, et roupille
comme un loir ; quand je me réveille, je ne sais pas combien de temps est
passé, (à vue de nez deux ou trois heures), le vent de sable est
loin.
Une centaine de bornes avant Gao, les
bielles commencent à claquer, j’essaie de ne pas trop tirer sur la bête, mais
j’arrive l’embiellage dans le sac.
Passage au commissariat, puis je vais chez
Gerry.
Le lendemain, Sadou l’aveugle, déjà au courant de mes avatars passe me
voir ; il a un client à 1.000.000 de francs Maliens (500.000 CFA) nets pour moi,
il a la réputation d’avoir négocié des affaires sans que les services
économiques n’aient fait d’embrouilles, je dis banco, une heure plus tard,
l’affaire est pliée, je suis payé à peu près moitié en CFA, moitié en francs
maliens.
Le soir, Gerry me montre une DS 19 qui
stationne dans sa cour depuis déjà un bon moment, il écarte une ouverture dans
un siège, en sort de l’herbe avec laquelle il se roule un joint comack ; des gens de passage lui ont demandé de garder
cette caisse bourrée de drogue, les proprios doivent revenir pour la remonter en
France, à mon avis, ils se sont dégonflés et elle finira en pièces.
Le lendemain matin, je passe au
commissariat déclarer que je vais vers le Niger sans m’étendre davantage sur mon
moyen de transport (j’aurais dû ressortir du Mali avec mon véhicule), Gerry me
laisse au barrage de sortie de la ville, quelques temps après, un camion
moyennant quelques menus argents me voyage (ne pas retoucher)
jusqu’à Niamey.
Le matin, je vais à l’une des tables dressées sur
le trottoir prendre un petit déjeuner. Je m’assois à côté d’un client qui est en
train d’exécuter un vigoureux tatouillage, après avoir
passé ma commande, je m’enquiers de la cause de cette puissante manipulation, le
type m’explique que quand on prend du café en poudre, du sucre, qu’on humecte le
tout d’un tout petit peu d’eau chaude, et qu’on en exécute le mixage, cela donne
un café digne des meilleures machines Italiennes. Un peu sceptique, je demande
s’il peut, moyennant une tournée de ma part me concocter sa spécialité, il ne se
le fait pas dire deux fois, demande sérieux comme un pape au patron les
ingrédients, prend deux cuillérées de café soluble (le plus ordinaire qui soit),
deux sucres, quelques gouttes d’eau chaude, et se remet en effervescence,
quelques minutes plus tard, il me présente le résultat, ça donne une épaisse
émulsion marron clair, puis, religieusement, il verse doucement sur le côté du
verre de l’eau très chaude sans touiller, me le tend, je goûte,
extraordinaire ! Ce maniement a complètement changé le goût du produit,
c’est vraiment aussi bon qu’un expresso Italien, je
remercie le garçon qui est en train de s’en refaire un, règle l’orgie, et me
casse à la poste acheter des timbres pour expédier des cartes postales à la
Mama et aux copains.
Nouvelle embrouille, le guichetier précise
que si je veux poster une carte, le message ne doit pas comporter plus de 5
mots, adresse non comprise, je lui demande pourquoi, il me répond que ce sont de
nouvelles consignes. Après avoir acheté ces appareils à faire voyager des
paysages, je vais négocier quelques cartes postales aux petites charrettes
siégeant autour de la poste.
J’ai inventé une formule dont je suis
assez content : je calcule le nombre de cartes dont j’ai besoin, et fais
deux tas ; sur les courriers destinés aux personnes qui se connaissent, je
rédige des formules différentes sur des cartes différentes ; pour le second
lot, je choisis plusieurs exemplaires de la plus belles des cartes que je
trouve, recopie autant de fois le même message, cela simplifie bien la tâche, et
fait autant plaisir!
Après avoir rempli mes devoirs, je vais
expédier ma prose ; dans la poste, me vient une courante qui me tord les
boyaux, je demande à un préposé si je peux profiter du matériel sanitaire de
l’établissement, il m’indique une porte derrière les guichets, je m’y rends
illico, je suis presque rendu aux chiottes qu’un balayeur me demande ce que je
fais là, je lui réponds que je dois me rendre d’urgence aux w-c, ce connard lève son balai pour m’en mettre un coup sur
la tronche, aussitôt, je vois rouge, je le choppe par les revers de sa veste, le
soulève, et le colle au mur, un postier arrive, demande ce qui se passe, je lui
résume l’histoire, il engueule l’autre comme du poisson pourri, je le lâche et
file aux cagouinces.
Si vous avez un mal de ventre, quelqu’en soit la cause , et
pas de médicaments sous la main, je vais vous indiquer la façon africaine de
vous soulager instantanément : vous prenez un dose d’anisette pure à 45°
que vous buvez cul sec, c’est instantanné et
radical !!!!!!
Je vais visiter le zoo de la ville, des
artisans d’art y ont un espace pour présenter leurs métiers et vendre leurs
productions. Les animaux sont assez communs à tous les zoos hormis des buffles
aux cornes énormes et creuses qui leur permettent en mettant la tête en arrière
de garder celle-ci au-dessus de l’eau pour traverser les rivières; dans la
partie musée, je vois un fossile de crocodile d’une longueur
extraordinaire.
Bien que n’ayant pas revu mes futurs
associés, je décide d’aller au Nigéria voir où en est la situation, continue ma
descente jusqu’à Cotonou, vais boire un pot au Bénin palace, puis à Jonquet changer des nairas ; je prends le taxi-brousse
vers Lagos, puis Lagos-Ilorin, attendant le taxi Ilorin-Kontagora, je prends une bière, je ne l’ai pas finie
que le taxi, plein, s’impatiente, je tends ma bouteille à peine entamée à la
pourvoyeuse de boissons fraîches qui me dit de la garder, et de rendre la
consigne à sa collègue de la prochaine halte, je la
remercie.
Le taxi est une 504 familiale avec huit
passagers plus chauffeur, il pleut à verse, dans une descente, au sortir d’un
virage, des voitures sont arrêtées au milieu de la route, notre chauffeur, les
yeux exorbités bloque les freins, le véhicule part comme une savonnette en
travers sur le goudron, un passager derrière moi gueule à pleins poumons quelque
chose au conducteur, je saisis « brake »
(freins), ce dernier lâche la pédale et réussit à rattraper l’embardée, on se
regarde tous avec l’impression de revenir de l’enfer, à un cheveu près c’était
le carton, je lève le pouce vers le conseiller technique pour lui signifier que
j’ai apprécié son intervention.
Arrivé à Kontagora, je rends la bouteille consignée à la mama qui me fut indiquée à Ilorin, et lui demande où je peux
dormir car on ne circule pas de nuit au Nigeria, çà braque trop, sans pour
cela prendre un virage ! La brave femme m’indique un petit établissement en
rez-de-chaussée j’y loue une pièce de deux mètres sur trois dont le mobilier se
résume à un lit de fer, toutes les portes donnent sur une cour intérieure, aucun
signe de présence humaine.
Après avoir acheté un peu de croque, le
soir tombant, je retourne à ma
piaule, ferme à clé la porte de fer munie d’un guichet grillagé ;
deux ou trois heures après, je suis réveillé par des grattements à la porte,
quelqu’un essaie d’entrer et c’est sûrement pas le Père Noël, je gueule un bon
coup à travers l’embrasure, ma voix résonne sinistrement dans la
cour.
Je vérifie que la clé est toujours
engagée, empêchant ainsi le crochetage de la serrure, et la bloque en travers,
pousse le plumard contre la porte. Toute la nuit, je suis réveillé par les
tentatives d’intrusion, je braille régulièrement pour avoir la paix pendant une
heure, c’est pénible, surtout que mes gueulantes ne font venir personne, si les
braqueurs avaient été plus virulents, ils auraient pu tranquillement me faire la
peau après avoir cassé la porte.
Le lendemain, fin d’après-midi, j’arrive à
Sokoto, trouver la maison du seul Français de l’agglomération n’est pas un
prodige; quand les « copains » me voient, ils sont abasourdis,
visiblement, ils tirent la tronche ! Coincés, ils me présentent au
papa.
Le surlendemain, départ pour le Gahna dans le taxi d’un vague « frère » de la
femme du paternel, elle emmène du matos pour monter un salon de coiffure. Ils
s’arrêtent en route chez plusieurs marchands pour faire établir des factures
bidon afin de passer aux douanes les différents matériels ; on leur demande trop
cher, leur histoire tourne en eau de boudin. Plus je les vois au boulot, moins
j’ai envie de bosser avec de pareils bras cassés !!
Finalement, la belle doche reste à Lagos
pour ses « affaires », nous partons vers le Bénin en
taxi-brousse ; à la frontière, je passe tranquille, pour les
« copains », ça coince, je me retourne, le douanier, tiré à quatre
épingles leur dit « dash me », la copine me
traduit qu’il veut leur taper du pognon. Elle pratique un anglais parfait à ceci
près que, l’ayant appris au Nigeria, elle le parle «petit nègre», l’effet est
saisissant ! Je demande combien il veut, elle répond une somme équivalente
à 5 FF, les copains se fendent, et les passeports réapparaissent instantanément.
Il est assez déstabilisant de voir un douanier à l’uniforme impeccable, dans une
guitoune super clean, planquer les papiers afin de taper froidement de
l’oseille.
Il faut dire que le Nigeria est considéré
comme l’un des pays le plus craignos du monde, si une personne est soupçonnée de
vol sur un marché, ça hurle de partout, les braves gens mettent deux pneus
autour du concerné (et consterné), cinq litres d’essence, et le
feu.
Arrivés à Cotonou, il est évident que nous
n’avons rien à faire ensemble, je les largue.
Je vais au Togo me renseigner sur le prix
de l’or en provenance du Gahna, après avoir loué une
paillote pas trop cher à la sortie de Lomé sur la route de Cotonou, je vais voir
les hadji*, qui ont chacun leur place à deux pas de la frontière Gahna et attendent le client à longueur de journée sans
impatience.
Je branche un vieux bonhomme en lui disant
que je suis acheteur, nous restons trois jours sans voir un gramme se pointer.
N’ayant pas de matériel pour tester l’or, je fais deux ou trois bijoutiers à
Lomé pour me procurer une pierre de touche et de l’acide*, aucun ne peut ou veut
me procurer les objets, je retourne à Cotonou, où je trouve le tout pour 5000
CFA.
A Lomé, mon hadj n’a toujours pas vu de
vendeur. Cassant la croûte dans un bouiboui, je lie connaissance avec des
Algériens qui commencent à descendre en Afrique noire, apparemment, les visas se
débloquent en Algérie. On en vient à discuter business, je leur dis que je veux
faire dans l’or ghanéen, ils sont intéressés, on se promet de se tenir au
courant. Je retourne voir mon contact.
Au bout de trois autres jours sans
résultats, je commence à douter sérieusement que l’on puisse faire des affaires,
je demande à mon type combien il vendrait le gramme d’or s’il lui en arrivait,
il me répond 4.000 CFA (80 ff), je fais le
calcul : le lingot de 1 Kg estampillé par la Banque de France entre 70.000 et 80.000 francs dans une
banque française, je comprends que j’ai perdu mon temps.
Je retourne à l’hôtel où logent les arabes
pour leur indiquer le résultat de ma quête, j’y retrouve al-adji Bou Setta (Bou Setta car il a six doigts à chaque main), c’est le plus
sympa, je lui confie ma déconvenue, nous cassons la croûte tous ensemble, ils
sont sur une sombre histoire de mercure rouge dont j’ai déjà eu des échos, sans
savoir si ce produit existe ou pas, et si oui, s’il sert à faire de la fausse
monnaie ou des sacrifices plus ou moins alchimiques.
Comme je ne pense pas continuer dans la
voie aurifère, je leur donne ma pierre de touche et l’acide en leur expliquant
comment s’en servir.
Le lendemain, je file sur Ouagadougou,
deux jours d’attente avant le départ de l’avion ; déjeunant à côté d’un
Voltaïque, nous discutons de choses et d’autres, quand vient sur le tapis un
sujet qui m’intéresse ; il connaît une maison hantée en ville, m’explique
les phénomènes qui s’y passent, et comment y aller, le repas fini, je file voir
l’évènement. Une fois sur place, je n’ai pas de mal pour trouver la maison en
cause, il y a un attroupement, les manifestations ont dû commencer il y a
quelques temps déjà, car il n’y a plus d’herbe alentour, la maison est gardée
par deux militaires en armes ; y allant au flanc, je demande à la
soldatesque si je peux entrer, autorisation accordée. Tout est cassé à
l’intérieur, une sainte vierge en plâtre n’a pas été épargnée (les esprits ne
respectent rien !), dans le jardin, les canaris* sont bousillés, je sors et
discute avec un jeune qui habite la maison juste derrière. Il a l’air très au
courant du déroulement des incidents, pour pouvoir en parler tranquillement, je
l’invite dans une cabane où l’on vend le produit brassé qui fait de la mousse.
Les faits ont commencé dans la maison d’en face, puis se sont déplacés dans
celle-ci, des projections de pierres ont cassé systématiquement tout ce qui
pouvait l’être, les gens ont été obligés de quitter leur domicile, puis retour
au calme, je suis frustré d’être arrivé après coup ! Je demande à mon
interlocuteur s’il ne se passe plus rien, il me répond que non, devant mon air
désappointé, il me dit que par contre, chez lui se déroule quotidiennement une
manifestation peu ordinaire, à partir de 16 heures, de petits cailloux
invisibles descendent le long du toit, il est 15 heures, je demande si je peux y
assister, il me répond que ce sera avec plaisir, je prends deux autres bières,
et nous allons.
Après avoir fait le demi tour du pâté de
maisons, nous entrons dans une cour, mon hôte va chercher dans la demeure une
petite table et deux tabourets, nous attendons, discutant et sirotant, à 16
heures pile, rien, 5 minutes passent, je me dis que je me suis fais mener en
bateau quand j’entends rouler un petit objet sur la tôle ondulée, je me lève
pour mieux voir car je ne distingue pas ce qui dégringole ; vers le bord du
toit, plus de bruit, et rien ne tombe !!!!!
J’entends ainsi plus d’une quinzaine de
descentes, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’à l’écoute, on situe à
quelques centimètres près la progression des objets (d’après le son irrégulier,
ils ne sont pas ronds) le long du toit, lorsqu’ils arrivent au bord (qui est à
hauteur des yeux), plus rien, et la cour en terre battue parfaitement balayée ne
laisse aucune chance à un objet tombé de passer inaperçu, une supercherie
consistant à gratter la tôle ondulée (comme les vaches) n’est pas possible car
le dessous du toit est ouvert. Je me place en face d’une dégoulinade (qui est
assez lente), encore rien, c’est hallucinant!!! Puis les coulées se font de plus
en plus rares, et finissent comme elles sont venues, j’en reste comme deux ronds
de flan, j’envoie un môme recharger les consignes pour arroser mon premier
contact avec ce que je pense être le paranormal, comme plus rien n’est prévu au
programme, je remercie de la visite, ripe les galoches.
Ouaga-Lyon, train, Bergerac, micheline, Couze et Saint Front.
Je trouve une 404 vieux modèle en bon
état.
L’huile du moteur est propre, je ne fais
pas la vidange, prends quelques outils, une roue de secours supplémentaire, et
pour vendre, un moteur que j’avais enlevé d’une 404 précédente à cause d’une
soupape cramée, plus un fut de 200 litres.
Pour mes déplacements en France, j’ai une
404 Diesel, afin d’éviter de payer une assurance en France, puis une autre au
Mali, je peins les numéros de la plaque d’immatriculation de ma 404 Diesel sur
la voiture que je vais descendre. Je prends de la peinture noire et blanche afin
de repeindre les numéros originaux avant le Niger qui n’exige pas d’assurance
pour les « touristes ».
Foum-el-Kheneg en Algérie, un oued d’une quinzaine de
mètres de large coupe la route, deux scrapers bossent sur le site. Je fais signe
aux zigs de m’aider à traverser, un scraper vient se positionner en marche
arrière devant moi, le conducteur attache un câble gros comme mon poignet avec
une manille du même calibre à l’arrière de son engin, me passe l’autre bout avec
une attache plus petite que je fixe dans la patte d’accroche avant de mon
auto ; je me dis que si quelque chose bloque la voiture, le conducteur
m’arrachera tout l’avant sans même s’en rendre compte.
Sur son conseil, je bouche l’échappement
avec un sac en plastique. Il me demande si je suis prêt, bien que pas très
convaincu, je lève le pouce ; démarrage en trombe, entrée dans la , la voiture devient légère d’un coup, commence par
flotter et à prendre l’eau par tous les orifices bas, heureusement, la traversée
est très rapide, arrivé, j’ai quand même les mollets qui baignent et les fesses
mouillées, quand j’ouvre la portière, une bonne quantité de flotte
s’évacue.
Je remercie les scrapistes d’une demie bouteille de Ricard, enlève le
plastique de l’échappement, la voiture démarre sans se faire
prier.
Borj Moktar,Tessalit, 30 ou 40 bornes avant
Aguelhok, nouvel oued, mais pas de passeurs, 8 à 9
mètres à traverser, et visiblement, aucun détour
possible !
Il n’y a pas à tortiller, il faut passer,
vu la rapidité du courant, cela ne se calmera pas de
sitôt.
Je recule d’une trentaine de mètres,
prends mon élan, passe la seconde ; à fond, j’entre dans la flotte, une
vague géante de chaque côté, je passe en aquaplaning, l’avant de la voiture fait
un mètre sur la rive sur un ou deux cylindres et cale, les roues arrière restent
dans l’eau, mais le plus dur est fait !
J’ouvre le capot, dessous, c’est les
grandes eaux, le moteur est complètement noyé, ce n’est pas grave car le taux
d’humidité du secteur est proche de zéro, je découpe des bandes dans un chiffon (les petites marionnettes), avec
un tournevis, je les enfile dans les puits à bougies pour absorber l’eau,
j’ouvre et sèche le delco au maximum, attends une demi-heure, capot
ouvert.
Je remonte le tout, donne un coup de
démarreur, la voiture bredouille, puis les cylindres partent les uns après les
autres.
Il y a de la flotte partout, l'Adrar des
Iforas est noyé, aux principaux points submergés, la
piste passe par des surélévations, j'ai une pensée émue pour les légionnaires
qui ont dû les construire sous un cagnard de plomb ; Arrivé à Aguelhok, je fais viser mon passeport, il y a trois camions
englués de boue et pas mal de monde, ils ont eu de gros problèmes d’enlisements
dus aux inondations, un Algérien
sur l’un de ses deux camions me demande si j’ai du matériel à vendre, je
lui réponds : « un moteur de 404 dont une soupape est à changer, j’en
veux 2000 ff », il gueule aux petits pois, je lui
dis qu’à Gao, je ne manquerai pas de clients, il m’en propose 1000 ff, je l’envoie chez plumeau, il n’est pas content du tout,
surtout que la conversation se déroule devant tous les gens de son convoi, et
qu’il veut faire le malin à mes frais, c’est raté.
L’autre camionneur, un Peul ayant assisté
aux échanges me dit discrètement de l’attendre à la sortie du village. Tout le
secteur est inondé, je desserre la courroie de ventilateur, car sinon, elle
entraînerait l'eau et noierait le moteur, puis j'y vais en
première.
Il y a deux problèmes, le premier :
est que l'on ne voit pas où rouler, le second : quand on desserre la
courroie ventilo-pompe à eau, celle-ci ne fait plus
circuler l’eau de refroidissement du moteur, qui chauffe très rapidement.
J'entre dans l'eau doucement en prenant comme repère la piste émergée au
loin, si je me souviens bien elle est droite sur ce tronçon ; je roule en
restant en première accélérée pour ne pas caler sur une grosse pierre et de peur
que l'eau n’étouffe le moteur en entrant dans le pot d'échappement, vu les
glouglous de canot qu'il me fait, il est sous la ligne de flottaison, je fais
mon petit bonhomme de chemin en cahotant, je suis à moitié du parcours que
l'aiguille de température est plus haute qu'elle n'a jamais été, je continue
l’œil dessus, plutôt crispé ; finalement, j'arrive sur le sec, aussitôt je
descends de la voiture sans arrêter le moteur, lève le capot, la flotte de
refroidissement sort à gros bouillon par le bouchon de radiateur, je retends la
courroie de ventilo et attends que la température baisse, peu de temps après
tout redevient normal, je complète le niveau, et attends en laissant tourner le
moulin.
Le Peul s’est dépêché d’arriver le
premier, il descend de son camion, et laissant son monde, me demande s’il peut
faire un bout de route avec moi, je réponds qu’il n’y a pas de problème,
aussitôt qu’il est assis, je démarre, les deux autres camions arrivent plein
pot.
Mon passager dit s’appeler Agali et être intéressé par le moteur, mais si je peux lui
faire un prix, il serait content, je lui fais un rabais de 300ff, qui lui
convient, il me paiera à Anéfis, on se serre la main
pour sceller l’accord.
Il me demande si je peux lui prêter mes
lunettes de soleil, une fois que celles-ci acalifourchonnent son nez, il monte
sur le siège passager, passe la tête par le toit ouvrant, et tel un périscope
des sables me guide pour contourner les passages engloutis, nous sommes en
éclaireur, son camion et ceux de l’Algérien suivent.
Nous parvenons à Anéfis sans encombres, avant que nous n’arrivions au poste
de police, je m’arrête au coin d’une ruelle, les graisseurs d’Agali déchargent le moteur, les camions de l’Algérien
s’arrêtent à ma hauteur, il me demande pourquoi le moteur est par terre, je lui
réponds que je l’ai vendu à Agali ; pourquoi
ai-je soudain l’impression que la fumée lui sort par les trous de
nez ?
Il n’est pas content…du…tout, et a l’air
époustouflé que j’aie pu faire affaire sans son divin
consentement.
Je lui récapitule l’histoire, je demandais
2000ff, il ne voulait pas donner plus de 1000ff, ce qui ne me convenait pas,
j’ai traité avec Aguali, l’affaire est conclue, on ne
revient pas dessus ; les gens de son convoi sont atterrés que je puisse lui
parler ainsi, je lui dis que de toutes façons, je n’ai pas de compte à lui
rendre, au milieu d’éructations diverses, il se met à me traiter de « chien
de chrétien », l’expression délicieusement moyenâgeuse me ravit, je
l’envoie chier en restant sur mes gardes car il écume de
rage.
Là dessus, mon acheteur revient, me paie
(j’apprendrai plus tard qu’il est chef d’une tribu Peule), l’autre enclume
décarre.
Je pointe au poste de police, puis
récupère mon guide, il me demande de le déposer quelques kilomètres plus loin,
me rend mes lunettes, descend, se penchant à la fenêtre passager, il me dit que
si un jour j’ai besoin de quoi que ce soit, je passe le voir dans son village
qu’il me montre au loin à droite de la piste, il me dépannera toujours ;
son camion attend derrière, nous nous serrons la main avec chaleur, vraiment
sympa le père Agali!
Quarante kilomètres avant Gao, je m’arrête
prospecter le site préhistorique, ramasse quelques tessons de poteries, morceaux
de haches cassées, soudain, j’aperçois un bout de pointe de lance de silex
taillée en feuille de laurier à moitié enfouie, je vais voir de plus près, en
priant qu’elle soit entière, je la tire d’un coup sec, elle est intacte, quel
pied (voir photo)!
Je passe au commissariat de police
signaler mon arrivée à Mambi ; Boubakar me dit que Gerry a déménagé dans un nouveau
camping, je lui demande de m’y conduire.
Dès que je l’ai salué, lou Gerry me fait visiter ses installations, luxe suprême,
il a fait un coin douche dont je profite avec un plaisir sans mélange, le seau
de flotte, même quand on a le coup de main est un peu léger pour se délester du
sable de la piste. Il faut tout de même utiliser l’eau avec parcimonie car c’est
un camion citerne (ce n’est pas si brillant) qui va pomper l’eau au Niger (le
fleuve) afin de recharger le réservoir de la douche, et ce service est loin
d’être gratuit.
Puis nous buvons une bière fraîche grâce
au frigo à pétrole (qu’à Gao on fait fonctionner au kérosène), un chouette type
nous rejoint dans la soirée, Rose, la cinquantaine, il a installé depuis
longtemps une fabrique de sodas qu’il parfume avec des arômes qu’il fait venir
d’Europe, les capsules neuves étant rares, il rachète aux gosses celles qui ont
déjà servi, les redresse, et les réutilise pour boucher ses bouteilles ;
quand il ne lui reste pas assez d’arôme pour faire une série complète, il
mélange les reliquats, c’est souvent surprenant !
Je reste plusieurs jours à Gao, nous
faisons quelques parties de pêche.
Un gros (sous tous rapports) garagiste
nommé Ousmane passe chez Gerry et me demande combien je vends ma 404, je lui
réponds 950.000 f Maliens, il m’en propose une autre «nouveau modèle, trois
compteurs» pour 400.000 f maliens, nous allons chez lui, il me montre une pôvre chose ayant
passé 10 ans sans voir le goudron, je pense que rien que pour rigoler, ça
vaut le coup d’essayer de faire une passe sur cette voiture ; quand elle
tourne, les bielles jouent des castagnettes, mais je pense que c’est retapable. Je demande qu’il me trouve une crémaillère car la
direction a un jeu d’un autre monde, des phares, enfin ; qu’il lui redonne
un air de jeunesse, je passerai la prendre sous
huitaine.
Le soir, à la fraîche, je fais part de mon
plan à Gerry, lorsque nous entendons un bruit terrible dans la cour où est garée
ma voiture, nous y allons, rien…….. J’ouvre la portière
pour en avoir le cœur net, mon fût de 200 litres est écrasé par le milieu sur
trois côtés. Après avoir réfléchi au problème, je trouve une explication : le
vide créé par le carburant prélevée par le tuyau alimentant la pompe à essence
est comblé par les vapeurs engendrées par les cahots et la chaleur de la
journée, mais la fraîcheur du soir a provoqué la condensation de ces vapeurs
qui, en redevenant essence ont provoqué un tel vide que la pression
atmosphérique a écrasé le fut ; je file le tonneau à Gerry car à Gao, tout
se récupère.
Le lendemain, je ripe sur Niamey, une fois
sorti du Mali, je m’arrête dans le no man’s land entre les deux frontières, sors
mon mathos, commence par repeindre les plaques
d’immatriculation en noir, laisse sécher quelques instants en sirotant un jus de
houblon, cette bonne chose faite, les plaques sont quasiment sèches, puis, je
commence à repeindre les anciens
numéros, m’appliquant, cela me prend quelques temps ; soudain, le silence
est rompu par un énorme bêlement juste derrière moi qui me fait sauter en
l’air ; concentré sur mon boulot, je n’avais pas entendu arriver un petit
pâtre et son troupeau, il me reluquait sans faire de bruit, on se dit bonjour de
la main et je retourne à ma prestation graphique.
Ceci fait, je sors du chauffage la vraie
carte grise de la voiture où elle était planquée, et cache au même endroit les
papiers du véhicule resté en France.
J’attends encore un peu en cassant la
croûte, puis humidifie les plaques, et les salis pour que les numéros ne fassent
pas trop neuf ; miracle, j’entre au Niger avec une immatriculation
différente de celle avec laquelle je suis sorti du Mali.
Niamey, Malanville, je m’arrête à Parakou,
prends l’apéro avec des Français. Au Bénin pour que la maison ne passe pas pour
radine, il faut « faire pleurer » : le dosage des alcools se
faisant avec de petites répliques de choppes à bière ayant contenu des pruneaux
à l'Armagnac, « faire pleurer » consiste, quand la dose est pleine au
dessus du verre, à laisser couler l'alcool, inutile de préciser que l'on
encourage vigoureusement la pratique et les serveuses, bonnes filles que l’on
fait rigoler ne font plus attention à ce qui a pleuré, après 6 ou 7 tournées on
est fait comme des rats.
Bohicon, je m’arrête boire une Bonne Béninoise au
restau habituel, deux lascars un peu louches me branchent, ils disent connaître
en brousse des villageois qui cherchent à acheter en commun une voiture à
500.000f C.F.A pour emmener les fruits et légumes au marché, ils veulent 50.000
pour eux, je dis banco.
Nous emmanchons la route d’Abomey,
quelques kilomètres avant la ville, nous tournons à gauche sur une piste
encadrée de brousse épaisse, une dizaine de bornes plus tard, nous arrivons dans
un village où les habitants portent des vêtements conçus sur place, ils vivent
visiblement en autarcie, les toits des maisons sont en végétaux alors que
partout ailleurs sévit la tôle ondulée, je demande aux intermédiaires ce que je
viens faire ici, les types me disent de ne pas m’en
faire.
Ils partent chercher le chef, une
ribambelle de gamins s’approchent, d’abord timides, ils me parlent doucement la
langue du coin sans crier, ils ne connaissent pas « Yovo, yovo, bonsoir, ça va bien,
merci ».
Peu de temps après, mes loustics
reviennent, me demandent de les suivre ; ils me présentent le chef du
village qui ne parle que son idiome, petit vieux très doux, nous nous serrons
les mains, le chef me conduit dans une grande case sombre, sort d’un coffre en
bois une cassette, et me fait signe de prendre l’argent pour la voiture, puis il
me laisse seul. M’asseyant sur un tabouret bas, et posant la cassette sur une
petite table, je commence à compter les billets ; en Afrique, pour simplifier le
comptage de l’argent, on fait des tas de dix billets dont le dixième rabattu par
le travers sur les neufs autres permet de mieux faire la comptabilité.
Je commence à recompter le tout, les tas
ne comportent que 6 à 8 billets, me demandant si c’est une embrouille, j’appelle
le chef, et par le truchement de mes accompagnateurs, j’essaie de lui faire
comprendre que les paquets ne sont pas réglementaires, il a l’air de s’en foutre
comme de l’an quarante !
Laissant tomber, je retourne au
turbin ; autre problème, il n’y a pratiquement que des billets de 500 et
1000 f C.F.A soit 10, et 20 ff.
Vidant la cassette sur la petite table, je
pars à la pêche des quelques billets de 5000 f C.F.A, les mets de côté. Puis
reprenant les billets de 1000 je fais des paquets conformes, les billets ayant
changé de mains des centaines de fois, sont dans un état de dégradation avancé,
crasseux et froissés, je prépare 450.000 CFA pour moi, et 50.000 CFA pour mes
indicateurs, refais des tas corrects pour le Pépé-chef, laisse le tout sur la table, l’appelle, lui
montre ce que je prends, sans préciser qu’une partie est pour mes guides, lui
demande si c’est bien ce qui était convenu, il me fait confiance les yeux
fermés, à croire que les Français du Dahomey laissèrent une bonne impression,
car depuis, on dirait que le temps s’est arrêté !
Je demande au vieux de me faire
raccompagner, ce sont mes deux termédiaires qui s’en chargent avec d’autant plus de
plaisir qu’ils attendent leur pincée.
Arrivés à Bohicon, nous montons au restaurant qui domine d’un étage le
carrefour, je paie une B B, et
.
Cinq minutes plus tard, je suis dans un
taxi-brousse qui part vers le Nord.
Labbezanga, frontière Nigéro-Malienne.
Cassant la croûte dans un petit restaurant
tout en planches au bord de la route, je demande une écuelle pour mettre mes os
de poulet, le maître de céans me regarde l’air ahuri, et me répond en désignant
la fenêtre « tu jettes loin ! », je jette loin, des viennent aussitôt faire le
ménage.
Un grand Touareg (pléonasme) mange à côté
de moi, il a pris un poulet entier, ce qui n’est pas un exploit pantagruélique
car les poulets bicyclette (appelés ainsi car ils sont toujours en train de
courir à fond la caisse) ont la taille d’un gros pigeon, ils ont les os
extrêmement durs et pointus tels nos gibiers français quand ils ne sont pas trop
dégénérés, _à ce propos, n’essayez pas en Afrique de casser un œuf dur de poulet
bicyclette sur la tête du voisin, vous lui feriez la bosse du siècle !
_Pour en revenir au Touareg, il dévore sa volaille en totalité, c'est-à-dire
qu’il détache une cuisse, la mâche, l’os compris, s’ensuit un bruit terrible,
quand il a fini, il ne reste rien, ça, ça s’appelle manger un
poulet !
J’attends à la douane un transport qui
m’avancerai sur Gao, rien ne se pointe durant la journée, en fin d’après-midi,
un Berliet délabré dont la caisse a été élargie et rallongée passe, je vois une
plaque d’immatriculation qui, bien que de travers et dans un état déplorable est
manifestement malienne, je fais de vigoureux signes au chauffeur qui arrête son
engin dans d’épouvantables grincements de frein et de suspension, je lui demande
s’il va vers Gao, il me répond que c’est son terminus, hosanna ! Nous
tombons d’accord sur le prix de mon passage : 10.000 f Maliens (100ff), je
règle ma croisière, après avoir jeté mon sac en haut de la benne, j’escalade les
ridelles, le chargement est constitué de grand sacs d’ignames, en écartant
quelques uns, je me fais un creux, nous repartons à l’allure Malienne qui ne
risque pas l’excès de vitesse.
La nuit tombe, avec elle, une légère
fraîcheur, je sors mon sac de couchage, m’allonge dessus, je contemple les
étoiles si nettes, il fait doux, mon plan marche bien, je suis riche, pas
pressé ; je m’endors bercé par le tangage et les grincements du camion,
dans un état proche de la félicité.
Nous arrivons le lendemain soir, je passe
saluer Mambi, puis vais poser mes pénates chez
Gerry.
Le lendemain matin, je retourne discuter
avec le père Ousmane, je le trouve dans sa cour affalé dans un fauteuil ;
bien sûr, il n’a rien fait sur la voiture, il me dit de chercher ce dont j’ai
besoin en pièces détachées dans son bordel. Les phares rouillés, les fauteuils
défoncés, je remplace tout ; au moment de faire les papiers, il me demande
de garder la carte grise Malienne dont les droits de douanes sont acquittés (ce
qui lui permettra d’en malienniser une autre d’un coup
de peinture sur les plaques), s’il me trouve une carte grise Française ça ne
pose pas de problème (pour tout dire, ça m’arrange, car les voitures africaines
n’ont pas la cote).
Je repars de chez lui avec mon nouveau
carrosse, les ailes arrières sont de guingois par rapport au toit, mais les
Africains ne s’arrêtent pas à si peu de chose !!
Je commence par changer la crémaillère de
direction, puis ayant fait tourner le moteur, je me rends compte qu'il ne pourra
pas tenir jusqu'à Niamey, il claque trop, je décide une autopsie : le
tomber et l'ouvrir n'est pas une opération nouvelle pour moi, quand je vois la
tête du vilebrequin, mon optimisme naturel en prend un coup, je n’ai jamais vu
un carnage pareil, il est profondément rayé, et il n'y a pas besoin de pied à
coulisse pour s'apercevoir qu'il est ovalisé au dernier degré ; il faut le
faire rectifier, changer les coussinets de bielles, les segments etc..., je ne pourrai réaliser ça qu’à Niamey. Comme je ne
peux remonter les coussinets sans rattraper un minimum de jeux, je découpe des
cales dans des boîtes de conserves en laissant un trou pour laisser passer
l'huile vers les hauts de cylindres, pose celles-ci derrière les coussinets
après avoir en usé les bords de façon à en diminuer le diamètre, en serrant,
tout se met en place, je referme le moteur, verse dans le carter de l'huile
algérienne (de bonne réputation à condition de faire la vidange tous les cinq
cents kilomètres), avec un peu de chance je peux parvenir à
Niamey.
Je me laisse vivre encore une petite
semaine chez le père Jerry, l'après-midi nous allons à la pêche, de temps à
autre l'ami Mambi nous accompagne, nous parions la
bière (sauf Mambi qui doit être musulman), j’en suis chaque fois de ma
tournée.
Après mes adieux à tout le monde, je ripe
les galoches vers Niamey.
Un passeur de voitures rencontré à Cotonou
décide de partir avec moi, ce qui m'arrange, car si le moteur lâche en route,
c'est toujours mieux d'être deux ; la piste est défoncée comme jamais par les
camions du fait des pluies, je suis obligé de solliciter le moteur plus que de
raison, mais il tient le coup, j'arrive à Niamey, me gare de nuit directement
devant le garage du mécano chez qui je fais réparer habituellement les
échappements ou autres organes lacérés par la traversée du
désert.
Mon coéquipier, s’inquiétant de l'ampleur
des travaux, ne veut pas s’attarder, nous nous donnons rendez-vous au Bénin
palace.
Le garagiste me réveille à huit heures du
matin, je vais casser la croûte à la table qu'une mama
a dressé de l'autre côté de la rue, elle a fait des choux farcis délicieux que
j'accompagne de riz et de vin rouge ; cette cuisinière d’élite me décide à
goûter la « sauce gombo* », je n’ai jamais pu mettre ce condiment dans
mes plats, car, gluant et filandreux, il ressemble fortement à de la morve,
après avoir tâté du bout des lèvres, je suis converti, c’est excellent, et,
d’après les Africains, plein de
vitamines, à) l’avenir, je regarderais si les sauces y
sont.
Après avoir pris un café pour pousser le
tout, je suis en forme pour attaquer le morceau.
Nous discutons avec mon miraculeur d'autos de ce qu’il veut m’engourdir pour :
sortir le moteur, le mettre en pièces, et quand je l'aurai retapé, le remettre
en place, nous tombons d'accord sur 12.000 C.F.A ( 240 f.f), aussitôt, ses mécanos attaquent la bête, à 11 heures
30, l'intérieur de mon moteur dans un carton, je me rends en taxi chez
« Niger-Soudan », la boîte de rectification
pour une grande partie de tout le Nord -Ouest africain, dix minutes plus tard,
je suis dans les bureaux de l’entreprise, demande à la secrétaire combien il
faut de temps pour rectifier le vilebrequin, elle me dit que c’est l’affaire du
tourneur ; je vais dans l'atelier où officie le personnage, il est affairé
sur un gigantesque tour, j'attends qu'il relève la tête pour lui poser la
question, il me répond qu'il pourra commencer quand il aura expédié les dix
mètres de pièces qui sont alignées par terre, je demande si deux mille francs
C.F.A dans sa fouille peuvent faire activer le mouvement, il appuie aussi sec
sur un bouton de la machine qui s'arrête, sort la pièce en cours, la remplace
par mon vilebrequin et se met en devoir de lui refaire une santé ; une
demi-heure après, nous examinons le résultat, ce n'est pas brillant, le métal
ayant été arraché sur une forte épaisseur, à la dernière cote de rectification
possible, il manque encore des zones d'acier sur les manetons et tourillons. Les
bagues d’axes de pistons sont complètement ovalisées, comme il n'a plus de temps
à me consacrer, je les sors, en place des neuves, et les alèse assez serrées car
les axes que je ne change pas ont du creux à l’endroit de portée, cela terminé
je lui cigle les deux mille C.F.A promis, le remercie et retourne voir la
secrétaire qui est revenue de son casse-croûte ; j’achète un jeu de
segments, les coussinets de bielles dernière cote correspondant à la
rectification du vilebrequin, quand je demande les joints il y a tout sauf le joint de culasse, c'est gênant, mais
avec un peu de chance, le vieux conviendra.
Taxi, je pose mes pièces au garage, ils
ont du mal à croire que tout à été fait en si peu de temps, ils ne doivent pas
souvent arroser le tourneur ! Je m'accorde une petite demi-heure pour casser la
graine en face puis je reviens gonflé à bloc. Le soir à huit heures je repars
vers Cotonou ; douze heures pour retaper un moteur, je vais pouvoir
m’inscrire aux 24 heures du Mans de la 404!
Hélas, au fil des kilomètres le moteur, se
remet à claquer, pourtant l'indicateur de pression d'huile n'est pas dans le
rouge, à Parakou je loue un morceau de cour et redémonte mon engin, rien de visible, je ne comprends pas !
D’autant plus qu'une fois en place, il ne claque plus durant quelques temps, y
aurait-il un fantôme Vaudou dans mon moulin ?
Je retrouve à Cotonou le copain de
l'équipée sauvage Gao-Niamey, il n'a pas perdu son
temps car il a vendu sa 404 600.000 C.F.A, il faut dire qu'elle était de toute
beauté.
Mon moteur reclaque, j’ai peur de tout casser, démontage, remontage, je
ne trouve toujours pas la cause de mon tracas !
Buvant un coup au Bénin palace avec deux
Français, je leur parle d'un projet que je mijote depuis quelques temps, aller
acheter des diamants au Ghana, ils me disent qu'ils iraient bien goûter l'herbe
ghanéenne, mon coéquipier de Gao y a déjà été et y retournerait bien, çà ne me
plaît pas trop car il est radin comme un pou, lorsque c’est son tour de payer
une tournée, il a toujours autre chose à faire, mais je n’ai pas le cœur à le
rembarrer.
Je branche un black qui touche un peu à
tout, si je l’embarque gratos, il se propose de me guider chez des vendeurs de
diams, ça marche.
Le bruit court qu'il faut prendre des bons
d'essence à la frontière car tout est rationné au Ghana, j'achète de l'huile
alimentaire et des oeufs, du sel, de la moutarde car j'ai bien l'intention de me
faire une cure de langoustes qui sont, paraît-il, abondantes en bord de
mer.
Quand je demande au copain où acheter les
bons d'essence, il m’affirme que ce sont des racontars,
O.K.
Nous partons un beau matin tous les cinq,
à la frontière Togo-Ghana nous changeons des
C.F.A contre des cedis au marché
noir treize fois moins cher que le cours officiel, c'est une affaire qui part
sur les chapeaux de roues ! Je prends beaucoup de cédis, en planque les
neuf dixièmes, ainsi que mes CFA dans le chauffage à côté de la carte grise de
ma voiture française.
Au passage de la douane, on nous tamponne
tous les objets, savons compris.
Aussi passé la frontière, la route est
défoncée, les stations service carrément abandonnées, on se croirait dans un
pays en guerre, je renifle mal le coup de l'essence, d'autant plus que, vu le
cours du Cedi, je n'ai pas fais le plein à Lomé!
Quand nous arrivons à Sogakofe, quelques stations services sont ouvertes, je m'arrête à l'une d'elles et demande
le plein, le pompiste me répond « no problem,
yours tickets, sir » je fais celui qui ne
comprends pas bien l'Anglais (ce qui n'est pas tout à fait inexact ) et remonte
dans la voiture, j’engueule copieusement mon informateur puis cogite sur la
manière d’en sortir, les autres ne voyant pas de solution, je leur dis :
"je vais vous montrer", ce faisant, je m'arrête à une station de taxis-brousse,
vais voir le premier chauffeur venu et lui demande combien vaut l'essence, il me
donne un prix très voisin de celui que j'avais vu affiché sur la pompe, je lui
demande de lui en acheter, il me répond que ce n'est pas possible à cause du
rationnement, je lui propose le double, il sort de son coffre un jerrican et le
vide dans mon réservoir ; me retournant vers Madame Soleil, je lui dis de
raquer, si c'est moi qui règle, il se retrouve à pied, (il avait changé le
minimum pour ne pas trop dépenser son bon argent), je le regarde mettre son sang
par terre, et nous repartons lestés d'à peu près vingt cinq litres d'essence de
mieux. Nous rechargerons une autre fois de cette façon au long de la route, mais
en partageant les frais.
Le soir nous nous arrêtons pour
dîner ; la lumière des lucioles clignote alors qu'en Côte-d'Ivoire elles
est fixe ; au cours du repas je m’engueule avec le black qui devait me présenter
un vendeur de diams, il veut que je le rapproche des fournisseur sans que je les
rencontre, acheter pour moi et s'en mettre une bonne pincée dans la fouille au
passage, peut-être même garder les plus belles pièces, il pense qu'en faisant le
forcing il m'imposera son point de vue ; un facteur qu'il n'a pas pris en
compte est que mon grand-père était breton, et que j’en ai hérité d’une sacré
tête de cochon, je lui rappelle ce qui était convenu : je lui offre
l'aller-retour gratos pour son business, moyennant quoi, il me branche avec les
mecs, (ce qui de mon point de vue est correct), mais visiblement, il est devenu
gourmand, et me prend pour une pomme à l'eau, je le sèche illico en disant que
ce sera comme prévu ou pas du tout, il se tire, disant qu’il va dormir chez des
amis .
Après le restaurant bien arrosé, les
passagers achètent de l’herbe, et se roulent des pétards comme les autochtones,
c'est-à-dire énormes et sans tabac.
A côté, nous trouvons un hôtel ; à la
réception, embrouille : le cerbère nous demande de payer et de donner les
passeports, mes passagers, faits comme des rats étalent leurs liasses de billets
en s'esclaffant grassement, moi ne fumant jamais, j'ai l'esprit un peu plus
clair, je vois tout de suite la tronche du mec s'allonger, augurant mal de la
suite, je récupère mon passeport et me casse dans la voiture, les laissant
patauger dans leur merde, je regarde de loin évoluer la situation, ils sont
décomposés car le cerbère demande les feuilles de change, et menace d'appeler la
police ; finalement, le pipelet, (correct soit dit en passant) qui connaît
parfaitement le cour du cedis au marché noir, multiplie le prix de la turne par
treize, délivre un reçu, consternation dans les rangs!
Ils reviennent prendre leurs affaires,
moi, je dors dans la bagnole.
Le lendemain, j'ai un mot sur le
pare-brise m'informant que mon intronisateur en diams
me laisse tomber, le billet est rédigé en un Français irréprochable avec un "
quant à moi " dont le « t » m’éblouit.
Deux jumeaux que j’ai connus au Bénin
palace construisent un voilier à Elmina , je me dis que,
faute de guide chez les diam’s boys, ils pourront
peut-être me tuyauter.
En chemin nous nous arrêtons devant un
magnifique paysage, une anse que nous surplombons d'une cinquantaine de mètres,
quelques anciens sont déjà là contemplant le panorama, assis sur un énorme canon
18ème,
qui sert de banc depuis des générations, je n'en crois pas mes yeux, il mesure
plus de trois mètres de long et doit peser 3 tonnes ; nous assistons au départ
d'une gigantesque pirogue partant à la pêche, maniée par une vingtaine de
baraqués ; ils la portent du sable sec au bord de l'eau sans efforts
apparents ; au signal, car il y a une grosse vague à franchir, ils la
poussent à la baille, sautent dedans et pagayent avec tant de conviction qu'elle
fait un bond en avant sous l’impulsion parfaitement synchronisée des rames,
l’embarcation enfonce chaque fois au ras de l'eau.
Dans l'après-midi, nous arrivons à Elmina, au centre de la ville, il y a une maison fétiche,
d’un étage aux volets clos, dont la terrasse est extraordinairement décorée de
personnages sculptés et peints montés sur des vaisseaux à voiles style 18 ème siècle, un homme à la proue regarde dans une longue vue,
il est plus grand que nature, le tout haut en couleurs, on peut dire que ça en
jette ! Au coin des rues, de magnifiques vieilles boîtes à lettres datant
visiblement de la colonisation anglaise.
Laissant un gus dans la voiture pour la
garder, je pars à la recherche des jumeaux, je n'ai pas de mal à trouver leur
chantier, l’un des deux est au boulot, un énorme pétard à la bouche, ce n'est
pas celui que je rencontre le plus souvent au Q.G, mais on a déjà bu quelques
coups ensemble ; bonjour, présentations, il nous invite à visiter son
chantier, je lui dis que l'on ne peux pas s’attarder car un copain garde la
voiture à cause d’une vitre qui ne remonte pas, il me répond qu’il n’y a aucun
risque de vol. Revenus à l’auto, comme je n'ai rien de très précieux dans mon
sac, je tente l'expérience de le laisser en vue, nous tassons les autres valises
dans le coffre arrière que je ferme à clé.
Le bateau est bien avancé, c’est un
voilier, à vue de nez il jaugera une petite dizaine de tonneaux, le chantier
dure depuis deux ans, il faut dire que l'herbe ghanéenne rend les siestes bien
longues! Au cours du C.F.A-cedis, je suggère qu’il
vaut mieux acheter un bateau, ça n’accroche pas, construire est un truc sympa,
ça les regarde.
Au passage, je lui demande s'il connaît
quelqu’un qui fait dans le diam', il me répond que non, je suis un peu étonné,
mais s'il ne veut pas me renseigner, ce n'est pas en insistant que je lui
soutirerais une information car c’est peut-être leur business ; je demande
où louer une baraque pour une semaine, ça il connaît, nous retournons à la
voiture, effectivement, malgré la vitre ouverte, personne n'a touché à mon
sac.
Nous nous
pointons à l’adresse indiquée, et, pour un prix insignifiant, louons une piaule
face à la mer ; après notre installation, je demande au proprio de la turne
s’il connaît un pêcheur de langoustes, il promet de m’en envoyer un. Quelques
temps plus tard, celui-ci se présente, je lui demande s'il peut me fournir des
langoustes cuites, de quelle taille, et à quel prix ; pour l'équivalent de
trois francs français pièce (merci Mr. blackchange),
il peut me fournir des langoustes d'une quarantaine de centimètres, je lui en
commande dix.
Le lendemain, il est là, quelques pièces
n’ont pas toutes la taille , mais je ne lui en veux
pas ; je demande s'il connaît quelqu'un pouvant me vendre de l'alcool de
palme, il me promet de m'envoyer le spécialiste.
Ces bonnes choses faites, je retourne voir
le copain sur son chantier, blancs et noirs sont déjà à la fumette, il me dit
qu'il faut absolument que j'aille voir le fort portugais qui protégeait le
secteur à partir du quinzième siècle ; j'ai l'estomac dans les talons, je
retourne à la cabane, me fais une mayonnaise de derrière les fagots, avec mes
colocataires, nous cassons les dix langoustes ; tout cela donnant faim,
nous allons chercher un petit restaurant. Pas terrible, il n'y a que du poisson,
la sauce est tellement épicée que quand elle dépasse des lèvres, elle brûle la
peau du visage, de plus, pour pousser le tout il n'y a que des boissons gazeuses
dégueulasses à deux parfums, et épouvantablement chères.
Nous allons visiter le fort qui vaut la
peine d’en monter la pente abrupte ; il est en parfait état de conservation,
pour entrer il faut passer sur un petit pont-levis surplombant les douves dans
lesquelles ont été jetées des pierres tombales brisées ; je descendu pour
les voir de près, le granit n’a aucunement été altéré par les ans, la plupart,
du 15ème siècle portent des noms portugais.
Nous pénétrons dans une petite cour, puis
montons sur les remparts, les canons d'époque sont toujours là, mais pointés
vers le ciel car posés moitié sur les créneaux, moitié par terre, les affûts
d’origine étant pourris depuis longtemps.
Nous passons quelques jours tranquilles,
tous les soirs, un petit vieux passe m'apporter ma bouteille d’un peu moins d’un
litre d'alcool de palme, assis sur le tronc couché d’un cocotier, nous nous la
repassons (en silence car je ne parle pas Ghanéen) jusqu’à épuisement en
contemplant les somptueux couchers de soleil sur la mer,.
Me promenant sur une plage avec le
procréateur de bateau, je suis étonné de la multitude d'étrons constellant le
sable, il me répond que c'est le chiotte du coin, effectivement, nous parvenons
à la hauteur d'un type accroupi en plein office, il nous salue de la main avec
naturel, cette condition, tellement humaine ne gêne
personne.
Le lendemain, sur une autre plage (peu
parsemée de déjections car éloignée des habitations et que les gens viennent s’y
baigner), passe un mec, une petite caisse tenue autour du cou par une lanière
tel un marchand de glaces en France, mais lui, vend de l'herbe en rouleaux de
papier bible de six centimètres de diamètre sur vingt de long, pour utiliser, no
problèmo : vous ouvrez, faites un tas
triangulaire de l’herbe sur le papier, vous roulez le tout, léchez le bord pour
coller, vous vous retrouvez avec un pétard impressionnant type cône de glace en
Europe, vous allumez le gros bout…….et rouler petits bolides
!
Quatre jours de ce régime, je me dis qu'il
faut que je me remue le popotin si je veux réaliser mon plan diams ;
prenant le taureau par les cornes, je vais me balader en ville, m’arrêtant au
marché, je vois un type habillé en chemise et pantalon à contrario des autres
gens vêtus à l’indigène, je me dis qu'il doit parler anglais, je l'aborde sous
prétexte de lui demander s'il sait où l'on peut acheter de la lessive, (denrée
contingentée, rarissime, vendue sous le manteau), ce sera mon test pour embrayer
sur le but de mon voyage ; il me guide dans l’arrière d’une petite boutique en
bois, je l'étudie pendant qu'il traite l'affaire, il a l'air de prendre soin de
mes intérêts.
La transaction faite, je lui propose
d'aller boire un coup à côté pour continuer à discuter, ce que nous faisons
quelques minutes devant une bouteille d'alcool de palme, puis je me dis que
c'est maintenant ou jamais, je lui déballe l'affaire, pas plus étonné que ça, il
me dit que je tombe bien car il a un cousin qui est mineur au nord, sur la route
de Koumasi.
Il m’explique comment s'y prendre, car il
faut passer deux barrages de l'armée. D’abord, laisser ma voiture près du
marché, puis prendre le taxi-brousse ; j'ai décidé de lui faire confiance,
alors allons-y ; je commence par aller dans un coin tranquille pour sortir tous
les cedis planqués dans le chauffage avec ma carte grise Française et mes CFA,
cela fait, nous allons à la station de transports en communs, montons à
l'arrière d'une 404 plateau déjà bourrée, nous roulons un bon moment en brousse,
de temps à autre je vois d'énormes pirogues sur le côté de la route attendant
leur transfert vers la mer ; soudain, mon guide me dit que c’est le moment
de passer sous le banc, il parle rapidement aux mamas
qui s’écartent, et me cachent sous leurs boubous, je deviens invisible, la
voiture s'arrête, petite palabre, nous repartons, mon guide me dit de ne pas
bouger, deux kilomètres plus loin rebelote, puis mon coach m’avertit que je peux
réapparaître, je remercie à la ronde, visiblement l'épisode a amusé tout le
monde, une demi-heure après, arrêt, nous sommes les seuls à descendre, un signe
de la main pour adieux, on me répond de même avec de grands
sourires.
Nous allons devoir attendre dans une case
dotée d’une table et de deux bancs ouverte à tous qui
est un peu en retrait de la piste dans la végétation car les mineurs ne sont pas
encore revenus du boulot.
Une heure passe, un car s'arrête, un type
en descend, mon mentor le branche, me fait signe de les rejoindre ; le
quidam sort, sans se faire prier, une petite bouteille de verre, avec un diamant
baignant dans un liquide translucide ; n'en ayant jamais vu, je suis étonné
par la grosseur du morceau, il fait un bon centimètre de haut, en forme de cube-losange, les faces légèrement arrondies et striées, je
lui demande combien il en veut, il me donne un prix que je divise par deux pour
entamer la discussion comme l'on fait en Afrique francophone ; il me fait
non de la tête pas fâché, un autre bus arrive, il monte sans que j'ai eu le
temps de faire une autre proposition, nous retournons dans la petite case pour
attendre, car, si un véhicule de l'armée passait par là je me ferais embarquer
illico pour trafic ; au bout d'un long moment, les mineurs, prévenus
commencent à se pointer, je me suis assis sur un banc, la table devant
moi ; chacun d’eux me propose un petit lot de diamants dans un papier plié
d’une façon spécifique ; ils sont beaucoup plus petits (+ ou - la taille d’une tête
d’allumettes) que celui que j'ai vu en premier, de toutes formes, toutes
couleurs, n’en ayant jamais vu auparavant, ils pourraient me refiler des éclats
de pare-brise, je n'y verrais que du feu, au début je fais des
contre-propositions trop basses, et les mecs repartent sans insister, pas
contrariés, les Ghanéens sont vraiment cools ! Puis je
prends le rythme, je baisse un peu le prix proposé, empoche le lot, et paie le
vendeur en ponctionnant mon tas de billets posés sur la table.
De temps à autre me vient l'idée qu'ils
pourraient me faire la peau et me dépouiller, je suis tout seul, et personne ne
sait que je suis là.
La transaction s’est faite relativement
vite, le dernier mineur passé, j'ai claqué une très grande partie de mes cedis.
Sur un signe, un taxi s’arrête, nous
montons dedans, bizarrement, mon guide me dit que ce n’est pas la peine de se
cacher pour le retour, que lorsque nous franchirons les barrages, si l’on me
demande quelque chose, je déclare que je viens du nord ; ça passe comme une
lettre à la poste. A Esiam, nous montons dans une
vieille camionnette anglaise entièrement refaite en bois, sans vitres,
absolument magnifique ; les gens me sourient. Le soir, nous sommes de
retour au marché d'Elmina, je demande à mon compère
combien je lui dois pour ses services, il me faut insister ; il me dit un
prix, mais il ne me reste plus de quoi lui régler la totalité, je lui donne tout
les cédis qui me restent, il me donne son adresse pour que je lui dise bonjour
si je repasse par chez lui, c'est vraiment un brave type, j’ai été enchanté de
le connaître, on se serre la main.
De retour à la piaule, je suis accueilli
par un nuage de fumée d'herbe, je montre ma pêche, notre prédécesseur au Ghana
me dit en avoir acheté lors de son dernier voyage, mais beaucoup plus petits que
les miens, je biche comme un pou, il n'empêche que le souvenir du premier vu
dans la petite bouteille, me reste en travers du gosier.
Maintenant que j'ai fait mon coup, je ne
pense plus qu'à gicler, reste le problème de l'essence, j'en parle à la demie
partie de la paire de jumeaux, qui m’informe : « ici, il n'y a que du
mélange pour moteur hors bord à 5% d'huile deux temps », je dis que cela
ira très bien ; demandant la participation de mes passagers j'en achète 40
litres puis nous reprenons la route direction Lomé.
Au moment de traverser de la frontière,
mes passagers flippent car ils ont peur que le black qui était avec nous à
l’aller nous ait balancé ; je les raisonne : «s'il l’a fait, il a
grillé son business», peine perdue ; il fait noir et lourd, je m’arrête
cent mètres avant la douane, ils partent à pied.
Une demi-heure après, je tente le drop, et
passe comme une lettre à la poste, je les récupère derrière la frontière, nous
dormons à Lomé où ils décident de rester, le lendemain je suis de retour à
Cotonou, il faut que je redémonte mon moteur qui
claque à nouveau depuis un bon moment. Je pratique l’opération dans une petite
cour à côté du Bénin palace, je lui ressors les tripes, constate de nouveau que
les axes de pistons n'ont pas de jeu, les bielles pas davantage, je dois être
comme Gliani (maudit) !
De retour au Q.G, je trinque avec un
Français trop curieux, rouquin, légèrement barbu, il traîne là sans raisons
apparentes n'ayant rien à vendre, pas de boulot, enfin, c'est pas mes oignons!
Devant une bière, nous discutons de mon problème, il me demande si j'ai vérifié
les rampes de culbuteurs, effectivement la chose ne m'était pas venue à
l'esprit, je lui avoue mon scepticisme tout en me disant que cela fait trois
fois que je j’étripe ce putain de moulin sans trouver l’origine du bruit
inquiétant ; à tout hasard, je vais essayer. Une fois les culbuteurs
isolés, je vois que le type avait raison, les bagues en sont usées au dernier
carat, ce que je n'ai pas pu voir car rampes et culbus
se sortent d’un bloc ; lors des remontages précédents, je faisais les
réglages, tout allait bien, puis en fonctionnant, l'ovalisation regagnait et les
claquements avec.
J'achète le bout d’occase 5000 francs
C.F.A au patron de la cour, pendant sa mise en place, passe un type folklo en
habits chamarrés avec une large ceinture rouge dotée de crochets auxquels sont
suspendus des gourdes et petits gobelets de laiton (comme on dit à l’Est), il a
les yeux complètement injectés de sang, l’assistance me suggère de payer un
coup, toujours curieux de spécialités autochtones, j’arrose tout le petit monde
qui fait cul sec, vient mon tour, je fais de même, trichloréthylène !!!!!!
Impossible d’en recracher une goutte, car j’ai tout expédié dans le fond suivant
la pratique locale, le trichloréthylène n’est pas ma tasse de
thé !!!!!!
Pour en revenir aux pièces détachées de
404, il est étonnant de constater que la maison Peugeot ait pu se faire
supplanter aussi rapidement en Afrique par les constructeurs japonais, cette
maison était enracinée depuis des décennies, les Africains connaissaient et
aimaient cette mécanique simple et
robuste………… ?????????????
La nouvelle rampe installée, tout
redevient normal, les boules ! Enfin, je saurai qu'un joint de culasse peut
être démonté et remonté plusieurs fois, sans
inconvénients.
De retour au Q.G, je paie la tournée pour
éponger le trichlo et remercier mon tuyauteur, puis
m’occupe de larguer mon os ; le hic est que des types ont dû se faire
poisser à vendre des voitures volées, car, pendant mon séjour au Ghana, est
passée une directive selon laquelle toute voiture vendue doit subir une
inspection au commissariat de
police qui vérifiera les numéros de
châssis, carte grise, etc...... On peut dire
que cela n'arrange pas mes bidons ! Je me sens plutôt à l’étroit dans mes
baskets avec la carte grise
d’Ousmane !
Le lendemain matin, de bonne heure,
j'informe les intermédiaires que je vends la voiture 400.000 C.F.A ce qui est
peu cher pour un nouveau modèle, aussitôt ils me disent avoir un acheteur, que
je la mette de côté, c’est d'accord, je reviens à 11 heures du matin. Un copain
Libanais, ami de Mohamed, louant une grande maison, m'avait proposé gratos une
de ses piaules libres, ce qui ne se refuse pas, je retourne chez le pote, lui
dis que je vais vendre la voiture et partir directement sur le Togo ; on se
dit au revoir.
Je plie mes bagages, les laisses sur
place. Maintenant il s'agit de jouer fin, car la prison au Bénin, c'est pas la
joie : Doudou qui a eu une embrouille peu de temps auparavant en est ressortit
avec des taches blanches partout et m’a décrit l’endroit : une pièce avec
une tôle ondulée sur le toit, peu haute pour que l'on ne puisse pas se tenir
debout et tellement bondée que personne ne peut s'allonger, une sortie d’une
demi-heure par jour pour s'abreuver et se laver en moins d’une minute car il n'y
a qu'un robinet pour tout le monde. A ce moment, j’ai déjà un pied dedans.
Il faut que je joue ma partition au
millimètre ! J'arrive à la terrasse du Bénin palace à midi moins dix en
disant que je m'excuse, mais j'ai un client pour la voiture, consternation du
client et des intermédiaires qui voient la commission leur passer sous le
nez ; ils cherchent à me faire changer d'avis, j'écoute leurs arguments
tout en regardant ma montre, car je me suis renseigné, le commissariat ferme à
midi et demi, à midi vingt, succombant finalement à leurs raisons, je prends les
billets en chipotant, leur disant que nous devons aller au commissariat
ensemble, il est fermé ? Ah bon, nous irons après le repas ; je laisse les
papiers et les clés de la voiture à son nouveau
propriétaire.
Je demande au garçon avec ostentation de
m’apporter le plat du jour dans la salle climatisée ; le client s'arrache
avec son nouvel engin, les intermédiaires vont dans un coin s'écharper pour la
commission, je vais aux toilettes pour me laver les mains, et déguerpis par la
cour de l'hôtel qui donne sur le côté, Basile ne va pas être content, mais je
n'ai pas le choix.
Aussitôt je vais prendre mes fringues,
Jonquet, taxi-brousse direction Lomé ; passée la
douane Togolaise, je respire (j’apprendrai lors de ma descente suivante que les
intermédiaires et le client m’avaient poursuivi et que j’avais franchi la douane
Togolaise sous leurs yeux) !
A Lomé, le prochain taxi pour Dapaong est une 404 plateau, j’attends tout l’après midi
avant qu’il ne soit plein, et prêt à partir.
Quand tout le monde a payé son écot, le
propriétaire laisse au conducteur de l’argent pour l’essence (le chauffeur part
avec l’essence calculée au plus juste, et doit trouver son salaire et le montant
du carburant sur les places du retour), nous montons dans l’auto, le moteur
part, pas moyen de passer la première. Le patron a l’air de trouver ça normal,
il dit aux passagers de descendre, au chauffeur d’enclencher la vitesse, tout le
monde revient à bord, la voiture démarre ; j’augure mal des 750 kilomètres
à venir.
Nous roulons toute la nuit, aux arrêts,
avant de remonter dans l’auto, les gens attendent désormais que le chauffeur ait
passé la première, après, tout va bien ; le problème est que le châssis de la
voiture doit être cassé, la voiture surchargée, il plie, de ce fait, il est
impossible de passer la première.
Après Sokodé, la
route grimpe, le taxi, dont le moteur est fatigué, refuse de monter en seconde,
le chauffeur se met à faire patiner l’embrayage pour avancer, ça commence à
sentir le cramé, je lui dis d’arrêter, car s’il fume l’embrayage, le voyage dans
ce véhicule est , il faudra en trouver un autre, et
repayer la course, on n’est pas sorti de
l’auberge !
Je gueule par l’ouverture permettant de
parler au chauffeur, le bougre ne veut rien savoir ! y passant carrément la tête, je finis par lui éructer dans
les oreilles «arrêtes, tu vas bousiller l’embrayage», il finit par consentir à
stopper en pleine montée.
Tout le monde descendu, impossible de
passer la vitesse, je dis au chauffeur que je vais l’aider à l’enclencher à la
main par en dessous, je demande un chiffon et me glisse sous la caisse vers les
tringles de vitesses, à deux, nous parvenons à l’engager ; par hasard, mes
yeux se posent sur l’arbre de transmission, la canalisation de freins qui court
sur sa longueur a été coupée, il devait y avoir une fuite de liquide aux freins
arrières, pour résoudre le problème, un petit malin a sectionné et replié le
tuyau pour qu’il n’y ait plus de fuite ; 22 personnes et une demie tonne de
fret ne sont arrêtées que par les freins avants.
Tout ce petit monde remonte dans la
voiture, et nous parvenons à Dapaong sans plus
d’incident.
Changement de taxi à Koupéla, puis Ouagadougou, je vais direct chez « Point-Air » prendre mon billet, en sortant, je retrouve
un mec vu au Bénin palace, un peu
spécial, Français, maigre, grand front dégarni, des idées délirantes, mais pas
méchant, il garde l’appartement d’un compatriote, si je veux dormir chez lui, il
y a un lit pour moi dans la piaule, je dis banco, nous passons le reste de la
soirée à manger et boire de la bière, puis nous allons
dormir.
Nos deux lits se font face, vers trois
heures du matin, je suis réveillé par un cri, suivi d’un rire démoniaque, le
type est assis dans son pieu, et pousse des hurlements qui me font dresser les
cheveux sur la tête (à l’époque, j’en avais), j’ai le cœur en vrac ! J’allume ma
lampe électrique, il a les yeux révulsés, c’est affreux ! Puis, il retombe
en arrière d’un bloc, la crise est finie, j’ai un peu de mal à rendormir (ne pas
retoucher).
Le lendemain matin, nous allons prendre le
petit déjeuner dans une gargote, je lui demande s’il a bien dormi, il me regarde
d’un air étonné, « oui, pourquoi ? » Je ne lui dis rien, après
tout, ça n’a pas l’air de le déranger, autant ne pas
l’inquiéter.
L’avion est à l’heure,
Lyon.....
_FIN_ |
C’était une époque sympa, je pouvais
partir tranquille avec 2000 francs, aller de France au Bénin avec seulement mon
passeport, pas besoin de visas, dans des voitures coûtant trois francs six sous,
je rencontrais des gens sympas, nos cuites étaient bercées par Bob Marley et consort (comme on dit en Afrique), des fois, ça
coinçait un peu, mais en général, l’affaire
s’arrangeait.
Je referai d’autres voyages avec des
Berliet, puis une 504, mais ces histoires sont moins drôles, une autre fois
peut-être…
Abomey : Fut la capitale du Dahomey,
dernier roi : Béhanzin
Agouti : Mammifère rongeur de la
taille d’un lièvre et haut sur pattes
Atlantide : Hôtel le plus classe de
Gao, le seul qui ait l’électricité.
Banko : Briques de limon du fleuve mélangé à de
la paille, des copeaux de bois ou n'importe quel végétal, du limon encore en
guise de ciment et vous avez une maison fraîche et relativement solide dont la
terrasse-toit est faite de troncs de palmiers
fendus.
Béhanzin : 1844-1906, dernier roi du
Dahomey, fils de Gléglé.
Bisse* (prononciation africaine pour
biche, (antilope)).
Canaris : grosses poteries poreuses
mi-enterrées, la porosité du matériau permet une évaporation qui tient l’eau
contenue fraîche.
1978, C.F.A : 100 francs C.F.A = 2
francs Français = 0,304898 €uros
Cora : Instrument de musique doté les
multiples cordes, et dont la caisse de résonance est une
calebasse.
Cramcrams : Sortes de boulettes
végétales munies de crochets et de piquants.
El adj :
Notable musulman supposé avoir fait le voyage à la Mecque (pluriel al
Hadji)
Fech-fech : Sable
pulvérulent.
Francs 1978 : 100 francs maliens
= 1 franc français ; 50 francs
CFA= 1 franc français
Gombo : Fruit d’une plante des
régions tropicales ressemblant à un cornichon anguleux,
condiment.
Guerba : Peau de chèvre servant d’outre, on
vide la viande et les os par le cou et les pattes, puis, on traite la peau avec
des herbes, la peau restant légèrement perméable, l’évaporation fait que l’eau
reste fraîche.
Hadj (hadji au pluriel) : Sage ou
notable musulman, initialement, un hadj est une personne qui s’est rendue en
pèlerinage à la Mecque.
Igname : Plante ressemblant à une
grosse betterave à vache, à chair blanche, se cuisine comme la pomme de
terre.
Latérite : Matériau ocre rouge
régulièrement utilisé pour ses propriétés mécaniques à la confection de pistes.
Mama-Benz : Appelées ainsi par les africains
parce que grandes, riches, solides, très enveloppées, d’où le parallèle avec
Mercedes-Benz ( ce sont des businesswomen averties).
Marcouba : « herbe à moutons », 6 à
7 kms de sable mou.
Naira : monnaie du Nigéria
Pierre de touche : Pierre de jaspe
noir servant à tester les métaux de
bijouterie au « touchau », on frotte le métal pour laisser une trace,
ensuite on le teste aux acides différemment dosés comme l’eau régale (1/3
nitrique, 2/3 chlorhydrique).
6X6 : Les voitures ou camions ayant
plus de 2 roues motrices sont indiquées par le nombre de roues total suivi de
« X », puis du nombre de roues motrices, ex : 6X4=2 roues
libres+4 roues motrices, dans le cas qui nous occupe, les 6 roues sont
motrices.
Takoubas : Epées tamashek plates à bout rond
très tranchantes.
Tamashek : Touareg
Malien.
Table des matières
Premier chapitre ………………………………………………………………………… 1
Deuxième chapitre ………………………………………………………………………… 14
Troisième chapitre ………………………………………………………………………… 21
Quatrième chapitre ………………………………………………………………………… 24
Cinquième chapitre ………………………………………………………………………… 29
Sixième chapitre …………………………………………………………………………… 35
Septième
chapitre………………………………………………………………………… 38
Huitième chapitre ……………………………………………………………………… … 41
Neuvième chapitre …………………………………………………………………… …… 46
Dixième chapitre ………………………………………………………………………
…… 51
Onzième chapitre …………………………………………………………………………
… 56
Douzième chapitre ………………………………………………………………………… 60
Treizième chapitre ……………………………………………………………………… … 63
Quatorzième chapitre ……………………………………………………………………… 67